La présente étude qui utilise les données des différentes sources : le RGPH-2007, les projections 2017, se propose d’examiner la question de l’extension de Brazzaville en relation avec la protection de la nature. La méthodologie utilisée a consisté à exploiter les données secondaires et les observations de terrain. Les résultats montrent que, la ville connait une croissance exponentielle car, la part des citadins est passée de 11% en 1984 à 37% de la population totale du pays en 2017. La densité de la population est passée de 263,9 habitant/km2 en 1984 à 17333 habitants/km2 en 2017. A cet effet, nous postulons qu’il est indéniable que cette croissance urbaine du fait qu’elle est essentiellement alimentée par l’immigration d’origine rurale, a favorisé l’expansion sans relâche des limites de la ville. Brazzaville s’étale de façon anarchique sans références aux différents plans d’aménagement existants. La dynamique à l’œuvre s’est faite au détriment d’une politique de planification adéquate. L’abandon depuis les années 1960 des plans d’aménagement conçus par les colons et le plan directeur d’urbanisme de 1980 qui vient d’être réactualisé et validé en conseil des ministres en 2016, ont fait que les populations ont transformé des lieux jadis considérés comme des espaces protégés en lieux d’habitation. Cette extension de la ville s’est faite sans les mesures de conservation de la nature. On observe comme conséquences, des quartiers sans espaces verts, des érosions entrainées par des actions anthropiques des habitants, 41% des habitants vivent dans zones interdites à la construction.
This study, which uses data from different sources: the RGPH-2007, the 2017 projections, aims to examine the question of the extension of Brazzaville in relation to the protection of nature. The methodology used consisted of using secondary data and field observations. The results posted that, the city is experiencing exponential automobile growth, the share of city dwellers increased from 11% in 1984 to 37% of the total population of the country in 2017. The population density increased from 263.9 inhabitant / km2 in 1984 at 17,333 inhabitants / km2 in 2017. To this end, we postulate that it is undeniable that this urban growth due to the fact that it is essentially fueled by immigration of rural origin, favored the relentless expansion of boundaries from the city. Brazzaville spreads out in an anarchic way without references to the various existing development plans. The dynamics at work came at the expense of an adequate planning policy. The abandonment since the 1960s of the development plans devised by the colonists and the master plan of town planning of 1980 which has just been updated and validated by the Council of Ministers in 2016, have caused the populations to transform places formerly declared as protected areas in residential areas. This extension of the city was done without nature conservation measures. As a consequence, neighborhoods without green spaces are observed, erosions caused by anthropogenic actions by residents, 41% of residents live in areas prohibited for construction.
Introduction
Les mouvements migratoires, la baisse de la mortalité et l’augmentation de la fécondité concourent à l’évolution démographique urbaine mondiale à un rythme exponentiel. En effet, le nombre des individus vivants dans les villes qui était de 14% en 1900 et de 28% en 1950 est passé à 55% de nos jours (Banque Mondiale, 2019, p. 13). Cette croissance de la population trop rapide a pour conséquence la conquête des espaces à bâtir. Cette conquête se fait, cependant, de façon anarchique et accélérée dans les villes des pays en développement notamment. L’extension anarchique de ces villes est le résultat de l’absence d’une bonne politique d’urbanisation qui entraîne un déphasage entre l’extension spatiale et l’implantation des équipements adéquats et des infrastructures. L’inégale distribution de la voirie et son mauvais état occasionnent une déconnexion ou une connexion insuffisante des quartiers périphériques au réseau routier et, par conséquent, l’enclavement ou le semi-enclavement des quartiers.
Au Congo, l’aménagement du territoire est de façon constante une préoccupation majeure dans les efforts de développements déployés par les pouvoirs publics. De ce fait, la maîtrise de la croissance urbaine jugée trop rapide est l’un des axes de la politique d’aménagement du territoire. Bien que l’urbanisation soit récente, le niveau de croissance entre 2008 et 2018 place le Congo dans le groupe de tête des pays africains francophones classés selon le degré d’urbanisation (UNFPA, 2017). Cette croissance urbaine devient aujourd’hui un phénomène d’une ampleur significative avec des implications négatives sur la mise en place d’une structure urbaine bien hiérarchisée et équilibrée. La ville de Brazzaville qui fait l’objet de cette étude se situe dans la partie méridionale de la République du Congo, ancien chef-lieu de la région du Pool. Elle s’étend sur un plateau entre le ravin du Tchad et celui de la Glacière. Cette unité topographique à l’avantage de donner aux habitants une superbe vue sur le fleuve Congo et les différentes installations humaines placées sur la rive gauche de celui-ci. Elle permet aussi l’extension de la cité en direction du nord, du sud et de l’ouest, en dépit de l’hétérogénéité orographique du paysage dans son ensemble. Son site est constitué aux 2/3 de plateaux, de plaines de 270 à 400 m d’altitude et de 1/3 de collines qui culminent à 500 m. Dans l’ensemble, le site de Brazzaville ressemble à un immense amphithéâtre encadré par les collines au Nord-Est et à l’Ouest.
Brazzaville offre aujourd’hui un nouveau visage et doit faire face à de grands changements en matière d’occupation des sols. Disposer d’une parcelle de terrain et y construire, pour échapper aux charges locatives est le souci principal de tout citoyen de la ville capitale. Malheureusement, ce besoin vital ne tient souvent pas compte des règles d’urbanisme. On assiste donc à l’occupation des zones sensibles aux érosions qui sont actuellement des zones à risque du fait de la destruction de la nature au profit des habitations. Brazzaville est aussi confrontée à des agissements inciviques de certains citoyens qui se complaisent dans l’occupation des espaces verts publics réservés. Ces individus le font parfois avec le concours des propriétaires fonciers véreux. Malgré la mise en place d’une commission pour le recensement des espaces verts à Brazzaville et la tenue de différentes réunions avec toutes les parties prenantes, ces actions continues. Pour ne pas mettre en péril la biodiversité face à la croissance démographique, l’État a adopté une politique au service de l’écosystème urbain avec la création d’un parc zoologique à l’intérieur de Brazzaville et de la réserve forestière classée par l’arrêté n° 3037 du 13 août 1938 (la patte d’oie) au centre-ville. Cette forêt fait l’objet d’actes inciviques de la part des citoyens. Dans la quête des moyens pour la subsistance et des espaces pour leur habitation, les populations s’en servent comme bois de chauffe avec des impacts environnementaux significatifs (peuplement des collines, nudité des sols etc.).
De plus en plus, l’on observe une réduction significative des espaces naturels au profit de l’immobilier. Brazzaville s’étale pour répondre à la forte demande de logements des citadins, le maraîchage périurbain s’hypothèque continuellement. La dégradation du patrimoine naturel de Brazzaville est tellement préoccupante que les impacts de la pression démographique s’étendent aux aires protégées. Pour la pratique du maraîchage ou pour le souci de se loger, certaines populations ont infiltré ces dernières années les zones strictement interdites d’habitation (les collines de Gamakosso dans le nord et celle de Mfilou dans le sud de la ville) et s’y sont même établies. La menace d’extinction des zones interdites pour la préservation de la biodiversité et de la couverture végétale de la périphérie de Brazzaville est vraiment réelle et visible. Ainsi, le présent article se fixe comme objectif d’identifier les problèmes de l’extension urbaine sur la nature à Brazzaville. Une telle nécessité renvoie donc aux questions suivantes :
Comment la croissance spatiale de la ville de Brazzaville a-t-elle évoluée depuis 1960 ?
Quels sont les facteurs à la base de cette dynamique spatiale ?
Quelles sont les conséquences de l’extension spatiale de cette ville sur la nature ?
1. Méthodologie
La méthode de travail utilisée repose sur une étude bibliographique. Elle est se justifie par le fait qu’elle permet d’examiner les travaux antérieurs sur le sujet afin de la comparer à la situation actuelle. Elle a consisté aussi à l’exploitation des données secondaires (RGPH-2007, les données de projections de 2017, l’enquête sur l’urbanisation à Brazzaville de 2015, réalisée par le cabinet KEIOS). La base de données de cette enquête a permis de bien cerner les conditions d’occupation de l’espace urbain. Elle comporte un volet quantitatif et un volet qualitatif à travers huit (8) focus group organisés dans les quartiers périphériques de Brazzaville. Cette enquête a concerné 2300 ménages. Les cartes utilisées sont élaborées par les opérateurs du centre national de la cartographie (CERGC) du Congo.
2. Résultats
2.1. Facteurs de la dynamique spatiale de Brazzaville
La population de Brazzaville a évolué depuis la création de la ville jusqu’aujourd’hui. Cette évolution démographique est répartie en deux périodes : la période coloniale (avant 1960) et la période post-coloniale (1960 à nos jours).
2.1.1. Facteurs démographiques
Pendant la période coloniale, la population a évolué lentement dès les premières années de la création de Brazzaville. Celle-ci avait connu un essor démographique et économique grâce à l’implantation des sièges des compagnies concessionnaires entre 1900 et 1901. La ville comptait 250 Européens et environ 4 000 africains au service de l’administration coloniale, des sociétés concessionnaires et des missionnaires résidents au village M’pila. L’on dénombrait 500 européens au centre-ville en 1903, 15 000 habitants dans la ville jusqu’en 1925 et 18 700 personnes en 1937. Cette dynamique démographique a accéléré le processus d’urbanisation de Brazzaville entre 1930 et 1960.
Contrairement à la période coloniale, la période post-coloniale était caractérisée par l’industrialisation du Congo et de Brazzaville en particulier. Cette industrialisation a occasionné un appel de la main-d’œuvre en ville et a contribué à l’augmentation rapide des effectifs pour atteindre 10% de la population totale. Par conséquent, la population de Brazzaville atteint 99 000 habitants en 1960 dont 5700 Européens. Cette population est passée à 200 000 habitants en 1970, à 380 000 habitants en 1978, à 595 000 habitants en 1984 à près de 856 410 en 1996, à 1 373 382 personnes en 2007, (rapports INS, 2007). Elle est estimée à 1733271 habitants en 2017 (estimation INS, UNFPA-2017). Cette évolution démographique est illustrée sur la figure 1 ci-dessous.
2.1.2. Facteurs géographiques
La population de Brazzaville qui représentait 15% de la population totale en 1984, selon le rapport du RGPH-1984, représente aujourd’hui 37% environ de la population nationale. Les individus âgés entre 15 et 45 ans représentent environ 45% de la population de Brazzaville. La densité à Brazzaville est de 17 333 habitants par km², ce qui fait de cette ville, une des agglomérations africaines à très forte concentration humaine (tableau 1).
Une des conséquences de la concentration humaine à Brazzaville est l’occupation incohérente de l’espace, dans certaines zones, sans opération de lotissement : des habitations sont érigées sur des sites impropres à la construction (zone sablonneuse ou inondable, pentes de collines). L’extension spatiale de Brazzaville s’est faite par étapes. Capitale de la République du Congo, Brazzaville était née de la volonté du colon. Sa création remonte au 03 octobre 1880. Elle est partie du village Teke aux quartiers urbains. Cette extension spatiale est renforcée par le système foncier coutumier, mais de manière anarchique ; ce qui a engendré une inadéquation entre l’étalement urbain et la consommation de l’espace par la destruction de la biodiversité. Le village Teke, appelé aussi Mfoa, composé de quelques maisons rurales a été débaptisé et porte le nom de « Brazzaville » qui demeure jusqu’aujourd’hui. C’était une portion de terre, longue de 18 km sur la rive droite du fleuve Congo (Livre d’or du centenaire de Brazzaville cité par J. Ngoma-Tsiessi, 2006), qui s’est étendue avec la détermination de Charles De Chavannes qui installait le poste de Brazzaville sur le plateau entre le ravin du Tchad et celui de la Glacière, endroit où était construit le premier « quartier village » en 1884.
En 1892, Brazzaville comptait au total une douzaine de cases en briques adobes ou en roseaux, dispersées, servant d’habitation et de magasins. Elle s’agrandissait, s’organisait peu à peu entre le Poste de Brazzaville et la Mission catholique (cathédrale Saint Firmin) dont les premières pierres étaient posées en 1882 et plusieurs factoreries s’implantaient. La création des « quartiers villages » Bacongo et Poto-Poto, en 1909, marquait le départ de deux pôles d’installation des populations qui venaient de Boko et de Kinkala. Durant cette période, le développement des « quartiers villages » s’opérait le long du fleuve Congo et le tracé de quelques rues en plan damier y commençait (J. Ngoma-Tsiessi, 2006, p. 41). Ces « quartiers villages » étaient séparés par de vastes zones de savane et de forêt. Vers 1916, le « quartier village » sénégalais était peuplé de premiers ouest-africains accompagnants la colonisation et le « quartier village » de l’actuel Yoro, fondé par les pêcheurs du Stanley Pool. Comme on peut le voir sur la figure 2, Poto-Poto, Bacongo, Makélékélé sont les premières zones d’habitation de Brazzaville en 1960.
Le rythme d’accroissement des surfaces, tributaire de l’évolution démographique, donne lieu, d’une part, à une extension considérable du tissu urbain périphérique sans contrôle et à très faible densité et, d’autre part, à une densification des quartiers urbains anciens autrefois « quartiers villages ». Brazzaville est passée de 2 à 9 arrondissements de 1960 à ce jour. Cette extension de Brazzaville se fait au détriment du couvert forestier et des terroirs ruraux environnants (figure 3). La ville, par le biais de la commune de Kintélé, occupe aujourd’hui une grande partie de la superficie qui faisait pourtant partie du village de même nom. La plupart de ces terres occupées ont servi à construire des cités immobilières (logements sociaux de Claudia, les 1000 logements, l’Université Denis SASSOU N’GUESSO, l’hôtel international de Kintélé, etc.) sur de vastes étendues de forêt, dévastées pour servir à cet effet.
La croissance démographique de la ville joue un rôle central dans les changements de la biodiversité en raison de sa perte occasionnée par l’habitat. Cette perte met en danger des espèces animales et végétales.
2.1.3. Une attractivité qui suscite d’importants flux migratoires en direction de la ville
La dynamique démographique qui entretient l’extension spatiale de Brazzaville est alimentée, outre le solde naturel, par d’importantes vagues migratoires en direction de la ville (figure 4).
Ces migrations sont motivées par l’attraction que suscite l’inégale répartition des infrastructures sur l’ensemble du territoire congolais et par l’amélioration de la mobilité. En effet, la ville de Brazzaville, capitale politique du Congo, concentre les grandes infrastructures du pays. La ville regorge la seule université du pays, le seul Centre Hospitalier et Universitaire, le siège de l’assemblée nationale et du Senat, le siège du gouvernement. Aucune autre ville ne possède des infrastructures de desserte comme elle. De ce fait, tout le monde est tenté de venir y habiter dans l’espoir soit de faire des études universitaire (72%), chercher un emploi rémunéré (56%) (J. Koua Oba, 2019), bref, mener une vie meilleure. La présence de ces équipements attire les populations du milieu rural vers cette ville. Par ailleurs, la construction des voies de communication, en particulier les routes bitumées de bonne viabilité et la multiplication des services de transports à travers le pays ont contribué significativement à l’amélioration de la mobilité des personnes.
Depuis 2006, de nombreuses routes ont été construites par le gouvernement du Congo, dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique de « municipalisation accélérée », maillant ainsi le pays d’un réseau routier assez considérable. Ce réseau a permis de relier les chefs-lieux de département d’une part, entre eux et aux localités de leur zone d’influence et d’autre part, à Brazzaville. Principale centre d’attraction du pays, cette ville est ainsi devenue plus accessible au reste du pays de façon générale, et particulièrement aux départements qui lui sont plus proches (Pool, Bouenza, Plateaux). Ceci a contribué à faciliter les déplacements des populations d’un coin à un autre du pays et en direction de Brazzaville. L’amélioration de la mobilité constitue donc un facteur amplificateur de la croissance urbaine de la ville (Figure 4). Les flux les plus importants proviennent des départements qui sont relativement proche de Brazzaville.
2.1.3. L’expérience mitigée de la ville de Brazzaville dans la protection de la nature
Les lois et les arrêtés ci-dessous montrent bien la présence d’un cadre juridique et institutionnel bien élaboré :
• La Loi n° 22/83 du 21 avril 1983 portant Code domanial et foncier en République Populaire du Congo a suivi les indications de la constitution. Apres l'abolition de la constitution de 1969, les textes ont subies des reformes importantes notamment les textes sur le foncier avec le retour à la reconnaissance des droits de propriété privée et de possession coutumière du sol.
• Loi de finances n° 17/2000 du 30 décembre 2000 pour l’année 2001 et ses dispositions relatives à la propriété foncière ;
• Loi n°9/2004 du 26 mars 2004 portant code du domaine de l’Etat ;
• Loi n°10/2004 du 26 mars 2004 fixant les règles générales applicables aux régimes domaniales et fonciers ;
• Loi n°11/2004 du 26 mars 2004 portant procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique (Loi spécifique pour l’expropriation : donne l’intérêt, l’utilité publique pour prendre un terrain, le paiement des indemnités) ; Loi n° 24/2008 du 22 septembre 200 portant régime foncier en milieu urbain ;
• Arrêté du Ministère en charge de l'urbanisme n°7642 du 8 octobre 2010 pour interdire les lotissements des terres issues des droits fonciers coutumiers.
• Décret n° 2001-520 du 19 octobre 2001 portant création de zones de mis en défense pour la rénovation de certains lieux de la ville de Brazzaville ;
• Les dispositions de la loi n°021/88 du 17 septembre1988 complétées par le décret n° 091- 460 du 20 mai 1981 qui vient modifier le décret n°64-181 du 20 mai 1964 relatif au permis de construire, constitue le cadre législatif et règlementaire fondamental régissant des activités ayant des incidences environnementales.
• Loi n° 8 – 2010 du 26 juillet 2010 portant protection du patrimoine national culturel et naturel.
Comme on le constate, les textes fixant le régime de l’aménagement, de l’urbanisme et de la construction sont extrêmement variés (lois, décrets). Cependant, il n’y a beaucoup de liens entre eux. Ils sont souvent venus s’ajouter à l’édifice initial sans que les dispositions sans objet aient été abrogées. Le manque de cohérence se constate surtout entre les lois foncières et celles sur l'urbanisme en vigueur et entre ces dernières et les lois sur la décentralisation. On note à Brazzaville que de nombreux occupants de terrains n'ont pas de titres fonciers en raison de la complexité de la procédure d'obtention dudit document. Ces occupants restent ainsi dans une situation de précarité car le permis d’occupation qu'ils disposent est un document d'essence provisoire qui ne consolide aucun droit de propriété.
En ce qui concerne la protection des aires protégées, les résultats restent mitigés au regard de l’infiltration continue des habitants à l’échelle de la ville. Il en est de même pour les luttes au niveau de l’environnement urbain. Les mesures prisent par ces textes et lois semblent inefficaces et les évènements malheureux se répètent chaque année mettant en exergue l’insuffisance des dispositions prises par les autorités pour faire face aux effets de la dégradation environnementale au niveau de la capitale politique du Congo. Ce contraste entre une longue liste de lois et la réalité de la pression humaine sur la nature Brazzavilloise à d’énormes conséquences.
2.2. Les conséquences de l’extension spatiale et destruction de la nature
Les soucis majeurs des nouveaux arrivants sont de trouver un espace et de bâtir une maison afin d’échapper aux charges locatives. La construction des logements sociaux à Brazzaville est récente et ne permet pas à toutes les couches d’y accéder à cause du prix. La population se dirige de plus en plus vers les périphéries de la ville afin de trouver un terrain. En l’absence d’une véritable politique d’aménagement des terres avant leur usage, les particuliers se tournent vers les propriétaires terriens pour s’en procurer. Il s’agit pour une grande partie des espaces réservés pour cause d’utilité publique afin de bâtir des infrastructures (écoles, hôpitaux, marchés, stades, etc.) ou des endroits interdits carrément à la construction tenant compte de la structure du sol et de la protection de la biodiversité. Or, les missions du ministère en charge du foncier sont fixées par le décret n° 2010-22 du 19 février 2010 dont l’essentiel est d’acquérir, aménager et céder des espaces de terre nécessaires à la réalisation des projets d’intérêt général se trouve aujourd’hui dépassé par les pratiques des propriétaires fonciers.
De la course à l’occupation de l’espace, les conséquences sont énormes et visibles sur la nature. Ainsi, sur la photo 1, on peut voir la zone des collines de Ngamakosso à la périphérie nord de Brazzaville. Cette zone de forêt était interdite à l’installation des hommes dans les années 1980 (Schéma directeur d’urbanisme de 1980) tenant compte de la structure. La pression démographique exercée par les nouveaux arrivants a entraîné la transformation de cette zone réservée à la protection de la couverture végétale, en zone d’habitation. Il s’en suit le défrichement avec comme conséquence visibles les érosions liées à un sol sableux nu sans protection, les ensablements et les inondations. La dispersion de l’habitat témoigne de l’étalement de l’espace urbain. En outre, certains sont construits de façon anarchique. L’autonomie laissée aux populations de construire sans aucune règle d’aménagement, ne répond plus aux exigences d’une évolution adéquate de la ville de Brazzaville. Les facteurs économiques ont joué un rôle important dans la modification du paysage rural. En fait, pour subvenir à leurs besoins, certaines familles vendent des parcelles à des particuliers. L’extension de la ville fait de la terre un véritable enjeu économique auquel les propriétaires terriens ne peuvent résister. Les constructions sont marquées par des maisons individuelles qui étirent la ville aussi bien vers le nord qu’au sud.
Cette extension spatiale a des conséquences énormes sur la nature. Les populations en quête d’espace de construire et dépourvues de moyens, cherchent des endroits accessibles à leur bourse. Ces endroits sont les espaces naturels de la périphérie de la ville qu’elles occupent et transforment. Cette consommation de l’espace par les habitants se fait sans aucune politique de protection de la nature. La nouvelle agence de l’Etat créée pour palier à ce problème : Agence Foncière pour l’Aménagement des Terrain (AFAT) est loin de satisfaire les attentes des populations. Ces dernières pour raison économiques et d’autre usage détruit la nature par la déforestation massive liée au besoin en bois de chauffe et à la construction. Ces populations dévastent dans la périphérie de Brazzaville, des hectares. En l’absence d’une politique anticipative par l’Etat afin d’éviter les effets de la destruction de la nature par l’extension spatiale, on assiste à Brazzaville après une tornade à des phénomènes d’érosion (photo 2).
En l’absence de canalisation du fait de l’occupation anarchique et de la force concentration humaine dans ces quartiers, les eaux de pluie occasionnent et la destruction des infrastructures de bases et la destruction des habitations. Tout ceci est le résultat de la destruction de la nature (photo 3).
Eu égard aux dégâts causés, chaque année, par les pluies diluviennes, des mesures de construction des habitats sont prises au niveau du Ministère de la construction de l’urbanisme afin de réduire les constructions anarchiques. Ces mesures obéissent au souci de favoriser d’une part un meilleur écoulement des eaux de pluie et limiter d’autre part les risques d’inondations qui font assez de victimes. La prise de conscience née des menaces sur l’environnement naturel et urbain s’est traduite par la mise en place progressive d’un cadre juridique et institutionnel qui reste inappliqué.
3. Discussion
La question soulevée dans le cadre de cette recherche est de comprendre si l’extension de Brazzaville en termes d’espace tient compte de la protection de la nature. De l’analyse effectuée, l’expérience de Brazzaville dans le domaine est mitigée. La ville dispose d’un arsenal juridique pour que le secteur soit bien réglementé or, un paradoxe se dégage entre la présence de cette gamme de textes pris par les autorités et la réalité sur le terrain. Si les lois existent il y a des années, l’Agence Foncière pour l’Aménagement des Terrains vient de commencer ses activés en cette année 2019 par l’aménagement des terrains dans l’arrondissement 7 Mfilou. L’étalement de la ville se fait dans les périphéries (Nord et Sud). Cet étalement est lié au type de construction. Les Brazzavillois, animés par le désir d’être propriétaire, achètent des parcelles dans ces quartiers, défrichent et construisent des maisons. Les constructions à Brazzaville sont pour l’essentiel des constructions basses. Cette particularité entraine l’étalement, de ce fait, la consommation de l’espace physique. Les constructions en hauteur sont le plus réservées aux édifices publics et particuliers ayant assez de moyens financiers (Ministère, Député, Sénateur, Préfet, Directeurs Généraux, et quelques hommes d’affaires). Cette extension spatiale a des conséquences sur la nature. Loin d’être un cas isolé, les recherches effectuées dans ce domaine dans d’autres pays illuminent bien la compréhension du phénomène.
En Côte-d’Ivoire par exemple, E. Oloto et A. K. Adebayo, 2012, citant Oluseyi, 2006, p. 11), constatent que, dans un contexte de forte croissance démographique, pour le cas d’Abidjan, le phénomène est d’autant plus accentué qu’en plus du fort taux démographique s’ajoute la liberté laissée aux particuliers de construire des habitats qui ne répondent pas au souci d’une gestion saine de l’espace de construction. L’effet cumulatif des impacts de l’Homme sur la nature est plus grave là où la proximité avec la nature est grande. Ainsi, pour A. Koffi (2007, p.9), l’espace terrestre d’Abidjan est aujourd’hui pris dans l’étau de la croissance rapide de son économie et des activités anthropiques. L’auteur précise que le phénomène de l’urbanisation et de la perte des espaces naturels, verts et agricoles a fait l’objet de plusieurs études. Celle réalisée sur les problèmes de l’étalement urbain qui est la cause de la perte de la nature est lié d’une part « aux forces économiques et sociales qui supportent le mouvement d’urbanisation et d’autre part, à une sorte de déficit de planification urbaine ».
Au Togo pour la ville de Lomé, B. AGOMA (2009, p.23) montre que l’attèlement de la ville est causé par le fait que : « Les couches moins aisées sont obligées de se replier vers les périphéries où les prix de terrains sont à la portée de leurs bourses ». La disparition des espaces périphériques au profit des habitats est donc réelle. Pour cet auteur la forme actuelle de Lomé est le reflet de la tension permanente entre le développement urbain et le maintien d’une nature de proximité.
Conclusion
En somme, les politiques urbaines menées jusqu’à l’heure actuelle en Afrique noire ont fait la preuve de leur échec, du moins dans leur rôle de maîtriser la croissance urbaine, de promouvoir des logements accessibles au grand nombre et de satisfaire aux besoins essentiels en matière d’équipements et de services publics. Pour la ville de Brazzaville qui a fait l’objet de cette étude, il faut un nouveau mode d’aménagement de l’espace car la maîtrise foncière fait encore défaut. Les distributions de parcelles de terrains se font de façon informelle et suscitent par moment des conflits entre deux ou trois acquéreurs. Cela nécessite de la part de l’État congolais, une lutte contre la permissivité dans les arrondissements périphériques, sans laquelle aucun ordre dans l’espace urbain de Brazzaville ne serait établi, puisque le désordre entraine la dégradation de l’environnement. Ce processus de déforestation causé par l’extension spatiale de la ville passe par la recherche de l’espace à bâtir. Pour lutter contre cette extension spatiale et éviter le gaspillage des terres, les autorités devraient promouvoir la politique des logements sociaux en hauteur au lieu de construire des maisons individuelles. Ainsi, pour les quartiers périphériques de la ville, il s’avère indéniable de prôner une croissance verticale en lieu et place d’une croissance horizontal comme c’est le cas actuellement. Cela permettrait d'éviter la perte et d'encourager la préservation de la végétation pour obtenir un environnement durable. Cependant, la politique foncière à Brazzaville reste peu perceptible du fait de nombreuses faiblesses. L’extension urbaine se fait au détriment de l’environnement forestier et du maraichage. L’une des remarques et recommandations du nouveau Schéma Directeur d’Urbanisme de la ville de Brazzaville est que la gouvernance urbaine actuelle mette l’étalement au centre de son combat, pour stopper le gaspillage de l’espace. Que restera-t-il de la nature si l’extension spatiale de la ville de Brazzaville doit se poursuivre au rythme actuel ?
Références bibliographiques
AGOMA Blandine, 2009 : Territoires et identités à Lomé (Togo). Processus de catégorisation, dynamiques spatio-résidentielles et logiques du lieu, Ressac n° 2, p. 8.
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INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE DU CONO, 2012 : rapport d’analyse du RGPH-2007, 54 p.
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KOFFI Adjoba Marthe., 2007 : Mutations sociales et gestion de l’espace rural en pays ébrie (sud-est de la côte d’Ivoire), Thèse unique de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 416 p.
KOUA OBA Jovial, 2019 : Migrations scolaires en République du Congo : étude géographique, thèse de doctorat unique de Géographie, 355 p.
KOUA OBA Jovial, 2014 : Cause et conséquence de l’urbanisation à Brazzaville, UPA, 20 p.
OLOTO Emmanuel et Adebayo A.K, 2012 : La nouvelle Lagos - Les défis des zones périurbaines et de sa relation avec son centre-ville, Département d'architecture, Université de Lagos, Akoka, l'État de Lagos, au Nigeria, p.7
Auteur
1Géographe, département de Géographie, Université Marien NGOUABI, obajov@gmail.com