Ethnoécologie des plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques au sud de la réserve de biosphère transfrontalière du W au nord-Bénin

Résumé

La flore et la végétation sont le reflet des conditions écologiques stationnelles. Le but de cette recherche est de déterminer les connaissances endogènes sur les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques au sud de la Réserve de Biosphère Transfrontalière du W (RBTW). 440 personnes appartenant à trois groupes socioculturels Batonu, Peulh et Gourmantché ont été interrogées sur la base d’un questionnaire. Les valeurs d’importance et consensuelle ont été calculées pour caractériser les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques. L’AFC a permis de déterminer les perceptions des groupes socioculturels sur lesdites plantes. Au total, 41 espèces ont été recensées comme caractéristiques des facettes topographiques et des types de sols. Douze espèces végétales caractérisent les facettes topographiques à travers les sommets (05 plantes), les versants (05 plantes) et les dépressions (02 plantes). Les populations ont identifié 34 plantes indicatrices des sols sableux (08 plantes), graveleux (05 plantes), hydromorphes (04 plantes), argileux (10 plantes), limoneux (06 plantes) et appauvris (01 plante). Les perceptions des groupes socioculturels sur les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques ont montré que 85 % des espèces sont unanimement reconnues par les différents groupes socioculturels. Par contre sur 15 % des espèces, ces derniers ont des opinions divergentes. Enfin, la confrontation entre les connaissances endogènes et scientifiques sur les plantes indicatrices des conditions édaphiques a montré qu’il y a conformité pour 56 % des plantes, complémentarité pour 38 % des plantes et divergence pour 06 % des plantes.

Abstract

The flora and vegetation are a reflection of the stationary ecological conditions. The aims of this research is to determine the endogenous knowledge on indicator plants of topo-edaphic conditions in the southern of the W Transboundary Biosphere Reserve (RBTW). 440 people from three socio-cultural groups Batonu, Peulh and Gourmantché were interviewed on the basis of a questionnaire. Significant and consensus values were calculated to characterize indicator plants for topo-edaphic conditions. The AFC was used to determine the perceptions of socio-cultural groups on indicator plants. A total of 41 plant species were identified. Twelve plant species characterize the topographic facets across the summits (05 plants), the slopes (05 plants) and the depressions (02 plants). Populations identified 34 indicator plants from sandy soils (08 plants), gravelly (05 plants), hydromorphic (04 plants), clay (10 plants), slit (06 plants) and impoverished (01 plant). The perceptions of socio-cultural groups on indicator plants of topo-edaphic conditions have shown that 85% of the species are unanimously recognized by the different socio-cultural groups. On the other hand, on 15 % of the species, the informants have differing opinions. Finally, the confrontation between endogenous and scientific knowledge on indicator plants of edaphic conditions has shown that there is conformity for 56% of plants, complementarity for 38% of plants and divergence for 06% of plants.

Introduction

L’importance des ressources végétales naturelles n’est plus à démontrer, surtout en milieu rural où le plus souvent, elles jouent un rôle fondamental dans la survie et le développement des populations (M.T.D. Hounsode et al., 2017, p.14 ; B. Sabi Lolo Ilou et al., 2017, p. 25). Plusieurs études ethnobotaniques en Afrique subsaharienne ont montré l’importance des plantes pour le bien-être des communautés locales (N.K. Ngbolua et al., 2019 p. 121 ; G.M. Lamy Lamy et al., 2018, p.1647 ; G.M. Akabassi et al., 2017, p.1980 ; N.K. Ngbolua et al., 2016 p.615-619 ; D. Ngom et al., 2014 p.5 ; O.N. Gning et al., 2013 p.5618 ; O. Sarr et al., 2013 p.13). Par ailleurs, l’ethnoécologie et l’ethnoclimatologie ont marqué l’organisation de la vie des communautés rurales parvenant à organiser chaque année les activités agricoles et à établir le calendrier d’activités saisonnières par des connaissances endogènes sur la présence et la phénologie des plantes. Certaines plantes sont utilisées comme bio-indicateur pour déterminer la fertilité des sols, la présence de l’eau et les différentes conditions climatiques (L. Zerbo et al., 2016, p.2764 ; A. Akibou, 2011 p.42).

Au Bénin, peu de recherches se sont focalisées sur l’ethnoécologie. Pourtant, les communautés rurales ont établi un lien séculaire avec leur environnement à travers la connaissance des plantes. Les communautés rurales ont toujours utilisé les plantes pour mieux caractériser leur environnement. Ainsi, dans le milieu agricole, ces communautés reconnaissent les espèces végétales dont la présence serait garante de la bonne récolte ou d’un appauvrissement des écosystèmes (L. Zerbo et al., 2016, p.2764). Ces plantes jouent un rôle primordial pour les communautés rurales où leur pouvoir d’indicateur des conditions écologiques est basé sur les observations ancestrales, transmises pendant plusieurs générations. Malheureusement, on note que le transfert de ces savoirs s’effectue de plus en plus difficilement entre les générations, ce qui contribue à leur étiolement (G.M. Akabassi et al., 2017, p.1980). Ces savoirs méritent d’être reconsidérés à la lumière des changements environnementaux rapides car ils demeurent un héritage culturel précieux pour la compréhension et la gestion d’un fragile équilibre entre l’homme et la nature.

La commune de Banikoara localisée au sud de la Réserve de Biosphère Transfrontalière du W (RBTW), dans le bassin cotonnier du Bénin paraît alors un cadre idéal pour contribuer à la valorisation des savoirs endogènes sur les plantes indicatrices des conditions écologiques dans un contexte de dégradation rapide de la flore et de la végétation due aux activités agropastorales et aux variations climatiques. Il est alors urgent de déterminer les connaissances endogènes des populations locales sur les plantes indicatrices des conditions écologiques. L’hypothèse émise est que les perceptions sur les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques varient selon les groupes socioculturels. Les questions spécifiques suivantes gardent alors toute leur importance :

- Quel est le niveau de connaissances des groupes socioculturels sur les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques ?

- Comment les populations utilisent-elles les plantes dans l’identification des conditions édaphiques (texture, structure, profondeur, humidité des sols) ?

1. Méthodologie

1.1. Cadre d’étude

Le secteur d’étude est situé entre 11°28’ et 11°43’ de latitude nord et entre 2°15’et 2°45’ de longitude est. Il est localisé dans l’arrondissement de Founougo (commune de Banikoara, département de l’Alibori) au sud de la Réserve de Biosphère Transfrontalière du W (RBTW) au Nord-Bénin (Figure 1).

Figure 1

Cet espace couvre une superficie de 1269 km2 et compte 11 villages administratifs (INSAE/RGPH 4, 2014, p.4). Il bénéficie d’un climat de type soudanien caractérisé par deux saisons contrastées avec une pluviosité moyenne annuelle comprise entre 850 mm et 1000 mm (ASECNA, 2018). La température moyenne mensuelle tourne autour de 28,10 °C avec une valeur maximale de 38,75 °C (avril) et une valeur minimale de 16,21 °C (décembre). Le secteur d’étude est influencé par deux masses d’air au cours de l’année : l’alizé maritime et l’alizé continental encore appelé harmattan. Le paysage est dominé par un plateau surmonté de quelques buttes. Il présente un modelé d’ondulation de 20 à 40 mètres de dénivelé avec une pente inférieure à 2 % sur lesquels se rencontrent majoritairement les sols ferrugineux tropicaux peu lessivés et les sols ferrugineux tropicaux lessivés à concrétions (M. Viennot, 1978, p.15-40). Les sols hydromorphes sont rencontrés dans les bas-fonds propices à la riziculture et au maraîchage (Figure 2).

Figure 2

La déforestation a touché 37 % du secteur d’étude avec 48,71 % des terroirs villageois et 10,22 % des aires protégées (I. TOKO IMOROU et al., 2019, p.12). La végétation naturelle est composée de forêts galeries, de forêts claires, de savanes boisées, de savanes arborées, de savanes arbustives qui favorisent le développement de certains arbres tels que Vitellaria paradoxa, Khaya senegalensis, Adansonia digitata, Vitex doniana, Bombax costatum, Combretum glutinosum, Combretum nigricans. La population est passée de 30 527 habitants en 2002 (INSAE/RGPH 3, 2003, p.7) à 47 026 habitants en 2012 (INSAE/RGPH 4, 2013, p.4). Les groupes socioculturels majoritaires sont les Batombou (70 %), les Peulh (22 %). Les autres groupes socioculturels minoritaires sont les Gourmantché, les Djerma, les Haoussa et les Fon. L’agriculture occupe plus de 80 % de la population active et est de type extensif avec des techniques traditionnelles et rudimentaires. Les principales spéculations produites sont : Gossypium hirsutum (coton), Zea mays (maïs), Sorghum bicolor (sorgho) et Pennisetum glaucum (petit mil). L’élevage est la deuxième activité économique du secteur d’étude.

1.2. Echantillonnage

Sur la base des groupes socioculturels, tous les 11 villages administratifs de l’arrondissement de Founougo ont été retenus. Un échantillon aléatoire de 50 personnes a été utilisé pour déterminer la proportion p d'informateurs. Ainsi, la taille n de l'échantillon a été déterminée à l'aide de l'approximation normale de la distribution binomiale (P. Dagnelie, 1998, p.80-110):

n = U1-α / 2 p (1-p) / d2 n est la taille de l'échantillon dans chaque localité; p la proportion d'informateurs qui détiennent des savoirs endogènes; U1-α / 2 (qui est 1,96) est la valeur de la distribution normale liée à la valeur de probabilité 1-α / 2 avec α = 5%; d est la marge d'erreur de l'estimation qui est de 8 % dans cet article.

Sur la base de cette formule, 440 personnes composées de 285 Batombou, 100 Peulh et 55 Gourmantché ont été interrogées. Selon l’importance des groupes socioculturels, deux types de choix ont été opérés : le choix raisonné et le choix aléatoire. Pour les groupes socioculturels ayant un effectif limité, le choix a été raisonné. Par contre, le choix a été aléatoire pour le groupe socioculturel majoritaire (Batonou).

1.3. Collecte des données

Les enquêtes ethnoécologiques et les observations directes ont permis de déterminer les plantes indicatrices des conditions écologiques et de recueillir les perceptions des populations. Les enquêtes ont été réalisées à l’aide d’un questionnaire auprès des ménages dans les terroirs villageois. Le questionnaire a été administré individuellement aux chefs de ménage des différents groupes socioculturels. Cette technique d’enquête individuelle a été complétée par un focus group dans chaque village. En outre, des entretiens semi-structurés (individuels et de groupe) ont été réalisés avec des autorités politico-administratives (chefs de village et chefs de quartier) et des personnes ressources (chefs traditionnels, chefs religieux, etc.) sur la base d’un guide d’entretien. Les enquêtes ont porté entre autres sur (i) les noms locaux des types de sols et des facettes topographiques ; (ii) l’identification des types de sols et des facettes topographiques et (iii) les savoirs endogènes sur les plantes indicatrices. Enfin, des observations participantes à travers une grille d’observation ont permis d’identifier in situ les différentes espèces citées et leurs habitats. A cet effet, la flore analytique du Bénin (A. Akoegninou et al. 2006) et le document Arbres, arbustes et lianes des zones sèches d’Afrique de l’Ouest (M. Arbonnier, 2002) ont été utilisés.

1.4. Traitement des données

L’importance des plantes indicatrices a été appréciée à travers la valeur d’importance et la valeur consensuelle (A. Byg et H. Balslev, 2001, p. 956). Ces trois paramètres ont été utilisés pour réaliser les différents tableaux et figures.

1.4.1 Valeur d’importance des plantes indicatrices

La valeur d’importance (IV) des plantes indicatrices est la proportion d’enquêtés qui considère une plante comme indicatrice des conditions topo-édaphiques. Elle varie de 0 à 1. Elle est déterminée par la formule (A. Byg et H. Balslev, 2001, p. 956) suivante :

IV= nis/n

nis : nombre d’enquêtés qui considèrent une plante comme indicatrice des conditions topo-édaphiques ;

n : nombre total d’enquêtés ;

IV varie entre 0 et 1. Les valeurs proches de 0 indiquent que très peu d’enquêtés ont une bonne connaissance sur une plante indicatrice. Par contre, les valeurs proches de 1 indiquent qu’un nombre important d’enquêtés a une bonne connaissance sur une plante indicatrice.

1.4.2. Valeur consensuelle du choix des plantes indicatrices

La valeur consensuelle (UCs) du choix des plantes indicatrices mesure le degré de concordance du choix desdites plantes effectué par les enquêtés. Elle est calculée par la formule (A. Byg et H. Balslev, 2001, p.956) suivante :

UCs= 2ns/n-1

ns : nombre d’enquêtés ayant choisi la plante indicatrice s et n le nombre total d’enquêtés.

UCs varie entre 0 et 4. Les valeurs proches de 0 indiquent que très peu d’enquêtés s’accordent sur le choix d’une plante indicatrice. Par contre, les valeurs proches de 4 indiquent qu’un nombre élevé d’enquêtés sont d’accord sur le choix d’une plante indicatrice. Par ailleurs, l’analyse des perceptions des populations locales sur les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques a été faite à partir d’une Analyse Factorielle de Correspondance (AFC) sur la base de différentes matrices de données constituées par les plantes indicatrices et les groupes socioculturels. La liste des espèces citées par les populations a été apurée car une même espèce qui caractérise deux facettes topographiques ou deux types de sols est éliminée. Enfin, la méthode de comparaison des connaissances endogènes et des connaissances scientifiques a été utilisée pour déterminer les similitudes, les complémentarités et les dissemblances entre ces deux connaissances. Les différentes analyses statistiques ont été faites dans le logiciel R 3.4.3 (R Development Core Team, 2017).

2. Résultats

2.1. Plantes indicatrices des facettes topographiques

Douze espèces végétales sont identifiées par les populations comme caractéristiques des facettes topographiques. Ainsi, 05 plantes sont identifiées sur les sommets, 05 plantes sur les versants (hauts, milieux et bas de versants) et 02 plantes dans les dépressions. La figure 3 présente les plantes indicatrices des sommets (a) et des versants (b). L’examen de la figure 3a, montre que Detarium microcarpum (IV = 0,75 et UCs = 1,42) et Burkea africana (IV = 0,29 et UCs = 0,58) sont les espèces les plus indicatrices des sommets. Elles sont suivies par Hexalobus monopetalus (IV = 0,12 et UCs = 0,25), Crossopteryx febrifuga (IV = 0,09 et UCs = 0,19) et Acacia senegal (IV = 0,08 et UCs = 0,16).

Figure3

Par ailleurs, l’examen de la figure 3b, montre que Anogeissus leiocarpa (IV= 0,33 et UCS = 0,67) et Strychnos spinosa (IV= 0,25 et UCs= 0,50) sont les plus indiquées sur les versants. Elles sont suivies par Terminalia macroptera (IV = 0,11 et UCS = 0,23), Afzelia africana (IV= 0,08 et UCS= 0,17) et Ximenia americana (IV = 0,03 et UC= 0,06). Enfin, selon les communautés locales, Mitragyna inermis (IV = 0,53 et UCs = 1,07) et Dichrostachys cinerea (IV= 0,21 et UCS= 0,43) caractérisent les dépressions.

2.2. Plantes indicatrices des conditions édaphiques

Les populations ont identifié 35 espèces végétales indicatrices des sols sableux (09 plantes), graveleux (05 plantes) (Figure 4a), hydromorphes (04 plantes) (Figure 4b), argileux (10 plantes), limoneux (06 plantes) et des sols appauvris (01 plante). Les plantes les plus citées par les populations comme indicatrices des sols sableux sont : Parkia biglobosa (IV = 0,46 et UCs = 0,93), Sterculia setigera (IV = 0,42 et UCs = 0,84), Bombax costatum (IV = 0,33 et UCs = 0,67), Pterocarpus erinaceus (IV = 0,19 et UCs= 0,39), Isoberlinea doka (IV= 0,18 et UCs = 0,36), Vitellaria paradoxa (IV= 0,14 et UCs = 0,28), Burkea africana (IV = 0,14 et UCs = 0,28), Ficus thonningii (IV = 0,13 et UCs = 0,26) et Combretum glutinosum (IV= 0,13 et UCs= 0,26).

La figure 4 présente les plantes indicatrices des sols graveleux (4a) et hydromorphes (4b). L’examen de la figure 4a, montre que Detarium microcarpum (IV = 0,38 et UCs = 0,76), Lannea microcarpa (IV = 0,25 et Ucs =0,51) et Entada africana (IV = 0,19 et UCs = 0,38) sont les espèces les plus caractéristiques des sols graveleux. Pteleopsis suberosa (IV = 0,04 et Ucs =0,07) et Pericopsis laxiflora (IV = 0,005 et UCs = 0,01) sont faiblement citées par les populations.

Figure 4

La figure 4b montre que Mitragyna inermis (IV = 0,53 et UCs = 1,07), Sarcocephalus latifolius (IV = 0,11 et UCs = 0,22), Terminalia macroptera (IV = 0,03 et UCs = 0,07) et Gardenia ternifolia (IV = 0,03 et UCs = 0,07) caractérisent les sols hydromophes. Par ailleurs, les plantes les plus citées comme indicatrices des sols argileux sont : Acacia nilotica (IV = 0,49 et UCS = 0,99), Tamarindus indica (IV = 0,38 et UCs = 0,76), Piliostigma thonningii (IV= 0,35 et UCs = 0,71), Balanites aegytiaca (IV= 0,24 et UCs = 0,48). Elles sont suivies de : Adansonia digitata (IV = 0,18 et UCs = 0,37), Acacia sieberiana (IV = 0,13 et UCs = 0,27), Diospyros mespiliformis (IV = 0,12 et UCs = 0,24), Annona senegalensis (IV = 0,10 et UCs = 0,20), Terminalia laxiflora (IV = 0,03 et UCs = 0,07) et Pseudocedrela kotschyi (IV = 0,03 et UCs = 0,06).

En outre, les espèces comme Combretum nigricans (IV = 0,53 et UCs = 1,07), Terminalia laxiflora (IV = 0,27 et UCs = 0,54), Daniellia oliveri (IV = 0,22 et UCs = 0,44), Vitex doniana (IV = 0,21 et UCs = 0,43), Flueggea virosa (IV = 0,18 et UCs = 0,37) et Khaya senegalensis (IV = 0,14 et UCs = 0,28) sont les plus citées par les populations comme indicatrices des sols limoneux. Enfin, les populations ont unanimement cité Striga hermonthica comme plante indicatrice des sols appauvris (Photo 1). La photo 1 illustre l’envahissement par Striga hermonthica (fleurs violettes) d’un champ de Pennisetum glaucum (petit mil) à Founougo

Figure 5

2.3. Perceptions des populations sur les plantes indicatrices des facettes topographiques

L’axe 1 (Dim1) explique plus de 77 % des nuages de points projetés sur le plan factoriel et l’axe 2 (Dim 2) explique 23 % (Figure 5). Les deux axes expliquent 100 % des nuages de points projétés sur le système d’axes 1 et 2. Les Peulh perçoivent Afzelia africana et Terminalia macroptera comme des plantes indicatrices des versants. Cette perception s’oppose à celle des Gourmantché qui pensent que les versants sont plus caractérisés par Strychnos spinosa. Pour les Batombou, Burkea africana et Detarium microcarpum sont des plantes indicatrices des sommets alors que les versants et les dépressions sont respectivement caractérisés par Anogeissus leiocarpa et Dichrostachys cinerea (Figure 5).

Figure 6

Il convient alors de retenir que chaque groupe socioculturel utilise plusieurs espèces végétales pour la reconnaissance des facettes topographiques.

2.4. Perceptions des populations sur les plantes indicatrices des conditions édaphiques

L’axe 1 (Dim1) explique environ 53 % des nuages de points projetés sur le plan factoriel relatif à la perception des groupes socioculturels sur les plantes indicatrices des conditions édaphiques et l’axe 2 (Dim 2) explique 47 % (Figure 6). Les deux axes expliquent donc la totalité des nuages de points projétés.

Figure 7

L’examen de la figure 6 montre que les Gourmantché perçoivent Mitragyna inermis et Sarcocephalus latifolius comme des plantes indicatrices des sols hydromorphes. Cette perception s’oppose à celle des Batombou qui pensent que Daniellia oliveri est la plus indiquée sur les sols hydromorphes (Figure 6). Ces deux groupes s’opposent sur les plantes indicatrices des sols sableux. Pour les Gourmantché, Sterculia setigera est la plus indiquée des sols sableux, tandis que les Batombou pensent que c’est plutôt Parkia biglobosa. Par ailleurs, les Batombou estiment que Acacia nilotica est la plus indicatrice des sols argileux. Cette perception s’oppose à celle des Peulh qui estiment que Tamarindus indica est la mieux indiquée sur les sols argileux (Figure 6). On retient que chaque groupe socioculturel utilise une diversité de plantes pour la reconnaissance des conditions édaphiques.

3. Discussion

Les communautés rurales ont toujours utilisé les plantes pour mieux caractériser leur environnement (sols fertiles ou appauvris, hydromorphes ou secs, profonds ou squelettiques, graveleux ou argileux, etc.). La présente étude a permis de recenser 41 espèces végétales indicatrices des conditions topo-édaphiques. Certaines espèces indicatrices des conditions topo-édaphiques sont unanimement reconnues par les groupes socioculturels. Par contre sur d’autres espèces, les populations ont des points de vue divergents. Il en est de même pour la confrontation entre les connaissances endogènes et scientifiques. Ainsi, sur les 12 plantes indicatrices des facettes topographiques, les populations se sont accordées sur sept plantes. Par contre, elles ont des perceptions différentes sur cinq plantes. Quant à la confrontation entre les connaissances endogènes et scientifiques sur les plantes indicatrices des facettes topographiques, les connaissances sont conformes sur cinq plantes (Detarium microcarpum, Burkea Africana, Terminalia macroptera, Mitragyna inermis et Hexalobus monopetalus), complémentaires sur cinq plantes (Anogeissus leiocarpa, Afzelia africana, Crossopteryx febrifuga, Acacia senegal et Strychnos spinosa) et divergentes sur deux plantes (Ximenia americana et Dichrostachys cinerea). Pour les populations locales, Ximenia americana et Dichrostachys cinerea sont respectivement indicatrices des versants et des dépressions tandis que les documents scientifiques (A. Akoegninou et al. 2006 ; M. Arbonnier, 2002) mentionnent que ces espèces se retrouvent sur plusieurs facettes topographiques.

Par ailleurs, la confrontation des perceptions des groupes socioculturels a montré que sur les 34 plantes indicatrices des conditions édaphiques, les populations se sont accordées sur 24 plantes contre 10 pour lesquelles elles ont des perceptions différentes. En outre, les documents scientifiques confirment les savoirs des populations locales sur 19 plantes (56 %) indicatrices des conditions édaphiques, tandis qu’il y a complémentarité sur 13 plantes (38 %). Par contre, sur 02 plantes (6 %), il y a divergence entre les connaissances endogènes et scientifiques. Par exemple, selon les populations locales, Khaya senegalensis et Vitex doniana sont indicatrices des sols limoneux. Par contre, pour M. Arbonnier (2002, p.355 ; p.511), Khaya senegalensis préfère les sols profonds et bien drainés, mais s’adapte aussi aux sols superficiels et latéritiques tandis que Vitex doniana est retrouvée sur collines rocheuses et éboulis en zones soudaniennes et guinéennes, sur sols bien drainés. Ces résultats confortent les travaux de L. Zerbo et al. (2016, p.2759) réalisés au Burkina Faso qui soulignent que les populations associent la présence de Eragrostis tremula, Digitaria horizontalis, Loudetia togoensis et de Zornia glochidiata à la présence d’une cuirasse ferrugineuse en position peu profonde. Selon le même auteur, dans cette identification, il arrive que les sols désignés par les populations ne soient pas les mêmes que ceux définis par la science. Les résultats de la présente étude sont conformes aux travaux de plusieurs auteurs (L. Bonde et al., 2013 p 25 ; I. Toko Imorou, 2008, p. 129-132 ) qui affirment que la flore et la végétation sont le reflet des conditions topo-édaphiques. L. Bonde et al. (2013, p.25) soulignent que la diversité floristique ligneuse est sous le contrôle aussi bien du facteur topographique que du gradient anthropique.

Toutefois, la position topographique détermine la répartition de la diversité ligneuse plus que l’action humaine, car elle préside aux conditions d’établissement et de développement des espèces. En revanche, l’action anthropique conduit non seulement à la régression de la diversité mais aussi à l’homogénéisation du paysage floristique. L’hypothèse de la présente recherche qui stipule que les perceptions sur les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques varient selon les groupes socioculturels est partiellement confirmée car il y a eu plus d’uniformité d’opinions que de divergence.

Conclusion

Dans la présente étude, 41 espèces végétales ont été identifiées par les différents groupes socioculturels comme indicatrices des conditions topo-édaphiques. Parmi ces espèces, 12 sont indicatrices des facettes topographiques et 34 indicatrices des conditions édaphiques. Certaines espèces indicatrices des conditions topo-édaphiques sont unanimement reconnues par les groupes socioculturels. Par contre, sur d’autres espèces, les populations ont des points de vue divergents. Chaque groupe socioculturel utilise une diversité de plantes pour la reconnaissance des conditions topo-édaphiques. La confrontation entre les connaissances endogènes et scientifiques a donné des résultats généralement identiques ou complémentaires et parfois divergents. En perspective, il serait important d’entreprendre des études similaires sur les plantes indicatrices des conditions topo-édaphiques et des saisons dans toutes les régions du Bénin afin de constituer une base de données sur l’ethnoécologie et l’ethnoclimatologie.

Références bibliographiques

AKABASSI Ghislain Comlan, PADONOU Elie Antoine, CHADARE Flora Josiane et ASSOGBADJO Achille Ephrem, 2017 : « Importance ethnobotanique et valeur d’usage de Picralima nitida (stapf) au Sud-Bénin (Afrique de l’Ouest) », in : Int. J. Biol. Chem. Sci., 11(5), p. 1979-1993.

AKIBOU Akindele, 2011, Savoirs ehtno-climatologique et organisation de la vie socio-economique et culturelle en pays wemè. Mémoire de DEA de Géographie, FLASH /UAC, Abomey-Calavi, 80 p.

AKOEGNINOU Akpovi, VAN DER BURG W. Joost et VAN DER MAESEN Laurentus Josephus Gerardus (Editors), 2006, Flore analytique du Bénin, Backhuys Publishers, Wageningen, 1034 p.

ARBONNIER Michel, 2002, Arbres, arbustes et lianes des zones sèches d’Afrique de l’Ouest, CIRAD et MNHN, Paris, France, 574 p. ASECNA (Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar). 2018. Données climatiques de la station météorologique de Kandi, Bénin.

BONDE Loyapin, OUEDRAOGO Oumarou, KAGAMBEGA François et BOUSSIM I. Joseph, 2013, « Impact des gradients topographique et anthropique sur la diversité des formations ligneuses soudaniennes », Bois et forêts des tropiques, 318 (4), p. 15-26

BYG Anja and BALSLEV Henrik, 2001, « Diversity and use of palms in Zahamena, eastern Madagascar », Biodiversity and Conservation, 10, p. 951–970

DAGNELIE Pierre, 1998, Statistique théorique et appliquée (Tome 2), De Boeck & Larcier, Paris– Bruxelles, 659 p.

GNING Oumar Ndao, SARR Oumar, GUEYE Mathieu, AKPO Leonard Elie et NDIAYE Paul Marie, 2013, « Valeur socio-économique de l’arbre en milieu malinké (Khossanto, Sénégal) », Journal of Applied Biosciences, 70, p. 5617-5631

HOUNSODE Marcel T. Donou, HOUEHANOU Thierry, ASSOGBADJO Achille Ephrem, GLELE, KAKAÏ Romain Lucas and AGBANGLA Clément, 2015, « Use of Raffias’ species (Raphia spp.) and its impact on socioeconomic characteristics of harvesters in Bénin (West Africa) », Int. J. Biomol. Biomed, 5(1), p. 1-19

INSAE/RGPH 3 (Institut National des Statistiques et de l’Analyse Economique / Troisième Recensement Général de la Population et de l’Habitation), 2003, Estimation de la population béninoise: données socio-économiques, Cotonou, Bénin, 95 p.

INSAE/RGPH 4 (Institut National des Statistiques et de l’Analyse Economique / Quatrième Recensement Général de la Population et de l’Habitation), 2013. Effectifs de la population des villages et quartiers de villes du Bénin, Cotonou, Bénin, 85 p.

LAMY LAMY Georges Maxime, IBRAHIMA Adamou, NDJONKA Dieudonné et MAPONGMETSEM Pierre Marie, 2018, « Etude ethnobotanique des sous-variétés de Syzygium guineense (Will.) DC. var. macrocarpum (Engl.) F. White dans les Hautes Savanes Guinéennes (Adamaoua, Cameroun) », Int. J. Biol. Chem. Sci., 12(4), p. 1636-1649

NGBOLUA Koto-Te-Nyiwa, INKOTO Liyongo Clément, MONGO L. Nicole, ASHANDE Masengo Colette, MASENS Y.B da-Musa et MPIANA Tshimankinda Pius, 2019, « Etude ethnobotanique et floristique de quelques plantes médicinales commercialisées à Kinshasa, République Démocratique du Congo », Rev. Mar. Sci. Agron. Vét., 7 (1), p. 118-128

NGBOLUA Koto-Te-Nyiwa, MANDJO L. Benjamin, MUNSEBI M. Juvin, ASHANDE C. Masengo, MOKE E. Lengbiye, ASAMBOA S. Lionel, KONDA K. Ready, DIANZUANGANI L. Didier, ILUMBE Marlin, NZUDJOM B. Adelin, MUKEBAYI Kadimanche et MPIANA Tshimankinda Pius, 2016, « Etudes ethnobotanique et écologique des plantes utilisées en médecine traditionnelle dans le District de la Lukunga à Kinshasa (RD du Congo) », International Journal of Innovation and Scientific Research, 26(2), p. 612-633

NGOM Daouda, CHARAHABIL M. Mohamed, SARR Oumar, BAKHOUM Amy et AKPO Leonard Elie, 2014, « Perceptions communautaires sur les services écosystémiques d’approvisionnement fournis par le peuplement ligneux de la Réserve de Biosphère du Ferlo (Sénégal) », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], 14 (2) 18 p http://vertigo.revues.org/15188 ; DOI : 10.4000/vertigo.15188

SABI LOLO ILOU Bernadette, SOGBOHOSSOU Aïkpémi Etotépé, TOKO IMOROU Ismaïla, HOUINATO Romuald Benjamin Marcel et SINSIN Brice, 2017, « Diversité et importance socio-économique des services écosystémiques dans la Réserve de Biosphère de la Pendjari au Nord-Bénin », J. Rech. Sci. Univ. Lomé (Togo), 19(3), p. 15-28

SARR Oumar, NGOM Daouda, BAKHOUM Amy et AKPO Léonard Elie, 2013, « Dynamique du peuplement ligneux dans un parcours agrosylvopastoral du Sénégal », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement 13 (2), 16 p.

TOKO IMOROU Ismaïla, 2008, Etude de la variabilité spatiale de la biomasse herbacée, de la phénologie et de la structure de la végétation le long des toposéquences du bassin supérieur du fleuve Ouémé au Bénin, Thèse de Doctorat, Université d’Abomey-Calavi, Bénin, 241 p.

TOKO IMOROU Ismaïla, AROUNA Ousséni, ZAKARI Soufouyane, DJAOUGA Mama, THOMAS Omer et KINMADON Gérard, 2019, « Evaluation de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les aires protégées et terroirs villageois du bassin cotonnier du Bénin », Conférence OSFACO : Des images satellites pour la gestion durable des territoires en Afrique, Mars 2019, Cotonou, Bénin, 25 p. hal-02189556

VIENNOT Marc, 1978, Carte pédologique de reconnaissance de la République Populaire du Bénin au 1/200 000. Notice explicative N°66, feuille de Kandi-Karimama, ORSTOM, Paris, France, 45 p.

ZERBO Lamine, NACRO H. Bismarck, YAO-KOUAME Albert et SEDOGO P. Michel, 2016, « Connaissances et perceptions locales de la dynamique des cuirasses ferrugineuses : Etude de cas en zone Nord-soudanienne et Sud-soudanienne du Burkina Faso », Int. J. Biol. Chem. Sci., 10(6), p.2754-2767

 

 

Auteur

1Laboratoire de Cartographie (LaCarto), Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université d’Abomey-Calavi (UAC), 10 BP 1082 Cotonou-Houéyiho, Bénin, ismael_toko@yahoo.fr / tokismael@gmail.com

 

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2019