Dynamique d’occupation des terres et persistance des forêts claires dans le domaine soudanien au Bénin (Afrique de l’Ouest)

Résumé

Dans la région soudanienne de l’Afrique, les forêts claires à Isoberlinia constituent des formations végétales endémiques en proie aux changements rapides de l'utilisation des terres, malgré les nombreux services écosystémiques qu’elles offrent. Il est crucial de comprendre leur dynamique en vue d’élaborer des stratégies de conservation, dans le contexte actuel de recrudescence des phénomènes climatiques extrêmes. Cette étude vise à répondre à deux questions majeures : (i) les forêts claires proviennent-elles de l’évolution directe des champs et jachères abandonnés ? et (ii) les forêts claires peuvent-elles être considérées comme une formation en état stable, c’est-à-dire résiliente aux perturbations, mais qui peut basculer à un nouvel état lorsque les perturbations dépassant un certain seuil ? A cet effet, la cartographie de l’évolution des classes d’occupation du sol des champs et jachères d’une part et des forêts claires d’autre part, a été réalisée à partir des images satellitaires Sentinel-2b (2020), SPOT (2015 et 2005) et Landsat (1986). Il en ressort qu’en absence de perturbations, les champs et jachères abandonnés ont évolué en savanes et que certaines forêts claires sont restées persistantes c’est-à-dire dans un état stable, dans un pas de temps de 35 ans (1986 à 2020). En outre, le déclin de certaines forêts claires en savanes, ou leur conversion en occupations humaines a été observé après 2005. Ces résultats suggèrent qu’en dépit de tout, les forêts claires soudaniennes à Isoberlinia sont des formations stables et résilientes dans un paysage où l’agriculture, le feu et le pâturage sont des perturbations récurrentes, mais qui peuvent basculer dans un état contrasté (savanes, champs et jachères) lorsque les perturbations sont intenses. Des études futures sont souhaitées afin de comprendre l’origine des forêts claires, les processus qui leurs confèrent de la résilience et d’identifier le seuil critique au-delà duquel leur résilience est compromise.

Abstract

In the sudanian region of Africa, Isoberlinia woodlands are endemic vegetation communities that are being affected by rapid changes in land use, despite the many ecosystem services they provide. Understanding their dynamics is crucial to formulating conservation strategies, particularly in the context of increasing extreme climatic events. This study aims to answer two key questions: (i) does woodland result from the direct transformation of the abandoned fields and fallow land? and (ii) can woodlands be considered as a stable-state plant community, i.e. a plant community that is resilient to disturbance, but which can switch to a new state when disturbance exceeds a certain threshold? To achieve this, the land cover classes of fields and fallow, and woodlands were mapped using Sentinel-2b (2020), SPOT (2015 and 2005) and Landsat (1986) satellite images. The results show that, in the absence of disturbance, abandoned fields and fallow land have progressed into savannah, while woodlands has remained stable over a 35-year period (1986 and 2020). In addition, the decline of woodlands into savannahs, or their conversion into human occupations, was observed after 2005. These results suggest that Isoberlinia woodlands are stable and resilient plant communities in a landscape where agriculture, fire and grazing are recurrent disturbances, but which can switch to a contrasting state (savannahs, fields and fallows) when disturbances are heavy. Future studies are needed to understand the genesis of woodlands, the processes that make them resilient and to identify the critical threshold beyond which their resilience is compromised.

Introduction

Les forêts tropicales sèches sont des biomes tropicaux fortement menacés en dépit des nombreux services écosystémiques qu’elles offrent (K. STAN et A. SANCHEZ-AZOFEIFA, 2019, p. 1). Ces menaces que sont entre autres les taux exceptionnellement élevés de changements dans l'utilisation des terres, le rythme alarmant de disparition des forêts, les phénomènes climatiques extrêmes (K. STAN et A. SANCHEZ-AZOFEIFA, 2019, p. 1; Z. G. SIYUM, 2020, p. 2) participent à la fragmentation des forêts et à la reconfiguration du paysage (L. O. S. N. DOSSA et al., 2021, p. 55 ; M. KOUAGOU et al., 2019, p. 1965).

Parmi les forêts tropicales sèches subissant les pressions anthropiques et les changements climatiques, figurent les forêts claires à Isoberlina qui constituent un biome endémique typique de la zone de végétation soudanienne (A. AUBREVILLE, 1957, p.24; S. S. BIAOU, 2009, p. 4; E. S. P. ASSÉDÉ et al., 2020, p.2), et qui apparaissent persistantes dans les biomes de savanes et de forêts soudaniennes. Malheureusement, les informations sur leur origine et la compréhension de leur dynamique semblent limitées (A. HÖHN et al., 2019, p. 211). Dans ce contexte, il est crucial de comprendre la dynamique de ce biome endémique et sa résilience face aux changements globaux en vue de définir des stratégies de gestion durable et de conservation (R. T. PENNINGTON et al., 2018, p. 541; J. PEÑUELAS et J. SARDANS, 2021, p. 2; Z. G. SIYUM, 2020, p. 2). La dynamique de la végétation est interprétée en termes de modèle ordonné à un seul état d'équilibre ou mono-climax (F. E. CLEMENTS, 1936, p. 253 ; K. PRACH et L. R. WALKER, 2020, p. 10).

Selon L. POORTER et al. (2023, p. 3) ce modèle suggère qu’une communauté végétale migre à partir des plantes simples qui s’installent sur le sol nu ou les champs abandonnés et passent par des taxonomies supérieures pour arriver à des plantes à graines annuelles, et finalement à des arbres et autres plantes vivaces ligneuses jusqu'à atteindre le climax. Le climax est l’étape ultime de développement d’un peuplement forestier (K. PRACH et L. R. WALKER, 2020, p. 1-9). En outre, cette théorie prédit qu’avec la stabilité des régimes de perturbations historiques, une communauté végétale atteindra dans le temps (des milliers d’années) un état stable unique avec le climat et le sol (D. D. BRISKE et al., 2017, p. 199; C. C. CHANG et B. J.TURNER, 2019, p. 504; K. PRACH et L. R. WALKER, 2019, p. 2). Une fois que la phase de biomasse maximale est atteinte, l’écosystème climacique subit en l’absence de perturbations rajeunissantes (c’est-à-dire suffisamment graves pour initier la succession), un déclin progressif de biomasse (régression de l'écosystème) lié à l’appauvrissement à long-terme du sol en nutriments ( C. C. CHANG et B. J.TURNER, 2019, p. 504; D. A. PELTZER et al., 2010, p. 509).

Contrairement à cette conception, d’autres écologistes affirment qu'il y a dans une région climatique plus d'une communauté végétale climacique (poly-climax ou plusieurs états stables) (S. C. SAHU et al., 2022, p. 2; A. G. TANSLEY, 1935, p. 292) ; chaque état possédant un certain degré de résilience aux perturbations, qui garantit son maintien à long terme (M. HIROTA, et al., 2011, p. 234; J. G. PAUSAS et W. J. BOND, 2020, p. 252). Cependant plusieurs travaux ont signalé la difficulté de tester rigoureusement ces deux théories majeures de la dynamique de la végétation, en raison de leur caractère spatio-temporel, des exigences des études expérimentales et de la difficulté à démontrer la stabilité des espèces végétales pérennes (F. K. DWOMOH et M. C. WIMBERLY, 2017, p. 1850; J. G. PAUSAS et W. J. BOND, 2020, p. 255).

Ainsi, à défaut des études expérimentales et de la chronoséquence qui sont les principales approches d’étude de la dynamique de la végétation (K. PRACH et L. R. WALKER, 2020, p. 17), la paléoécologie, l’archéologie, et la télédétection et les SIG (Système d’Informations Géographiques) sont souvent utilisées (F. K. DWOMOH et M. C. WIMBERLY, 2017, p. 1850; A. HÖHN et al., 2019, p. 214; E. A. JOHNSON et K. MIYANISHI, 2008, p. 419; J. G. PAUSAS et W. J. BOND, 2020, p. 255; S. A. STAAL et al., 2020, p. 2). La présente étude vise à évaluer la dynamique spatio-temporelle des forêts claires à Isoberlinia dans le domaine soudanien au Bénin en utilisant la télédétection et les SIG. Nous avons formulé deux questions de recherches comme suit : (i) les forêts claires proviennent-elles de l’évolution directe des champs et jachères abandonnés ? et (ii) les forêts claires peuvent-elles être considérées comme une formation en état stable, c’est-à-dire résiliente aux perturbations mais pouvant basculer à un nouvel état lorsque les perturbations dépassent un certain seuil ?

Catégorie de publications

Date de parution
30 sep 2023