La présente contribution vise à analyser les raisons de la crise de logements à Daloa et ses incidences au niveau social et spatial. Pour atteindre cet objectif, la méthodologie s’est basée sur la recherche documentaire, l’entretien et l’enquête par questionnaire. La recherche documentaire a consisté à circonscrire les contours du sujet pour mieux l’appréhender. Les entretiens réalisés avec les différents acteurs publics et privés impliqués dans la production de logements ont permis de recueillir des informations sur les stratégies qu’ils mettent en place pour règlementer la production des logements. Un questionnaire a été adressé à 239 chefs de ménages répartis dans sept (7) quartiers de la ville. Le choix de ceux-ci a reposé sur la méthode aléatoire simple sans remise et sur l’utilisation d’une équation statistique notamment la formule de Fisher. Les données recueillies, traitées manuellement et numériquement, montrent que l’ampleur de la crise de logements à Daloa réside d’une part, dans la faiblesse de l’offre en logement (19,64%) et dans le déséquilibre entre l’offre et la demande, d’autre part. Les facteurs de cette crise sont dus essentiellement à la faiblesse des revenus des ménages et aux limites d’accès de ceux-ci aux crédits immobiliers. Les conséquences qui en découlent se perçoivent par la hausse du coût des loyers, la dégradation de la qualité de vie des ménages, l’étalement anarchique de l’espace.
This paper aims to understand the reasons for the housing crisis in Daloa and its social and spatial impacts. To achieve this objective, the analysis was based on documentary research, interviews and a questionnaire survey. The documentary research consisted in defining the contours of the subject in order to better understand it. Interviews with the various actors involved in housing production made it possible to gather information on the strategies they put in place to regulate housing production. A questionnaire was sent to 239 heads of households in seven (7) neighborhoods of the city. The selection of these households was based on the simple random method without discount and on the use of a statistical equation. The data collected, processed using Microsoft Word and Excel 2013, show that the extent of the housing crisis in Daloa lies in the low supply of housing (19.64%) and in the imbalance between supply and demand. The factors of this crisis are essentially due to the low income of households and the limits of access to financing for households to acquire real estate. The resulting consequences are seen in the rising cost of rents, the deterioration of the quality of life of households, and the anarchic spread of space.
Introduction
En un demi-siècle, le Sud est devenu plus urbain et ses villes dominent l’urbanisation mondiale et particulièrement en Afrique G. BURGEL et A. GRONDEAU (2020, p. 34). De 14,5 % en 1950, le taux d’urbanisation en Afrique a atteint 40 % en 2010, et est projeté à 61,60 % en 2050 selon W. SIYALI et al (2019, p. 250). La Côte d’Ivoire n’est pas en marge de la dynamique à l’œuvre. Avec notamment un taux d’urbanisation de 5 % en 1950, celui-ci est passé respectivement à 32 %, 39 % et 42,5 % en 1975, en 1988 et en 1998 pour atteindre 50,3 % en 2014 (RGP, 1975 ; INS, 1988, 1998 et 2014). Cette urbanisation soutenue se traduit par une croissance démographique forte produisant une pression en termes quantitatifs de logements et d’accessibilité pour la plupart des populations urbaines dans de nombreuses villes ivoiriennes. S. GIROUD et al (2017, p.11) et M. SIMEU-KAMDEM et T. MAMA (2018, p. 12) indiquent que la situation perdure en dépit de l’élaboration de plusieurs politiques en matière de logements décents dont la plus récente est le programme présidentiel d’urgence. CAHF (2019, p.8) souligne que le déficit de logement est en effet estimé entre 400 000 et 600 000 unités de logement pour l’ensemble du pays avec un besoin de 200 000 nouveaux logements pour les villes de l’intérieur dont Daloa dans le centre-ouest ivoirien, troisième pôle urbain.
Au regard de ces constats, cette étude se propose de montrer l’ampleur de la crise de logement à Daloa, d’identifier les facteurs à l’origine de la crise de logement et d’en examiner les conséquences sur le plan social et sur le plan spatial.
1. Méthodes et matériels
Cadre de cette étude, la ville de Daloa est située dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Capitale régionale et troisième centre urbain du pays, elle bénéficie d’un fort pouvoir attractif (A. BOLOU, 2017, p. 53). Elle est limitée au nord par les départements de Vavoua et de Zuénoula, au sud par les départements de Sinfra et d’Issia, à l’ouest par le département de Zoukougbeu et à l’est par celui de Bouaflé (Figure 1).
Les techniques mobilisées pour la collecte des données reposent sur la recherche documentaire, l’enquête de terrain, l’observation directe, l’entretien et le questionnaire. La recherche documentaire a consisté à exploiter divers documents dont des documents textuels, des thèses, des mémoires, des ouvrages, des documents cartographiques et des documents statistiques dans divers centres de documentation. Les documents consultés ont donné des informations sur l’histoire du logement à Daloa, les estimations de la demande de logement, les caractéristiques de l’habitat, les acteurs impliqués dans la production de logement à Daloa. L’observation directe a permis de noter les types de logements, les caractéristiques des logements, la qualité des matériaux, de comprendre le mode de production des logements, etc. Pendant cette observation, des prises de vues ont été effectuées à l’aide d’un appareil photographique. Les entretiens ont été réalisés auprès de la direction régionale du ministère de la construction et de l’urbanisme, du service technique de la mairie, aux propriétaires coutumiers, de propriétaires immobiliers-acteurs impliqués dans la chaine de production des logements à Daloa. Ces entretiens ont permis d’avoir des données concernant les mécanismes de production des logements, les activités qui y sont associées et les stratégies des acteurs impliqués afin de freiner le déficit de logements à Daloa. L’enquête par questionnaire a été menée auprès des chefs de ménages dans les quartiers d’Abattoir 2, de Lobia 2, de Tazibouo Etat-major, d’Evéché, de Gbokora, de Balouzon et du Commerce. Le choix de ces quartiers l’a été en fonction du standing et de la typologie de l’habitat. Partant de ces critères, le champ géographique de l’enquête a conduit à la répartition suivante : deux (2) quartiers de haut standing avec un habitat de type résidentiel : Tazibouo Etat-major, Evéché ; trois (3) quartiers de moyen standing avec un habitat de type évolutif : Gbokora, Balouzon, Commerce et deux (2) quartiers populaires avec un habitat de type précaire : Abattoir 2, Lobia 2. Ainsi, sur la base de la combinaison desdits critères et par choix discriminant, les sept (7) quartiers précités ont été retenus sur les quarante-quatre (44) que compte la ville. Pour le choix des chefs de ménages à interroger, la méthode de choix raisonné a été appliquée. Cinq (5) critères ont constitué la base de ce choix. La taille du ménage (≥ 3 personnes par ménage), le statut socioprofessionnel, le sexe, le statut d’occupation du logement, le type d’habitat. En référence aux données sur le total des chefs de ménages à Daloa (47084) selon le RGPH 2014, la méthode probabiliste sans remise a été appliquée pour déterminer la taille de notre échantillon par l’emploi de la formule de Fisher :
N= t2.P. (1-P)/e2 où t = 1,65 ; p =36 et e = 5 %.
Avec : N= taille de l’échantillon ; t = le taux de confiance que l’on souhaite garantir sur la mesure (« à 90% », ‘’ valeur type de 1,65’’), p = la prévalence estimative des individus dans chaque strate et e = la marge d’erreur que l’on se donne pour la grandeur que l’on veut estimer (« marge d’erreur à 5 % », ‘’valeur type de 0,05’’).
Pour calculer la taille des ménages à enquêter par quartier, nous avons adopté la démarche suivante :
Proportion de ménages = nombre de ménage représentatif / nombre de ménage total
Proportion de ménages = 239/6041 = 0,04
Proportion de ménages = 4,02 %
Nombre de ménage à enquêter par quartier = Proportion de ménage x Nombre total de ménages par quartier
Exemple : Commerce : Le nombre de ménage à enquêter = 834 x 0,04 = 33
L’application de la formule, a permis de déterminer l’effectif des ménages enquêtés (Tableau 1).
Tableau 1 : Chefs de ménages enquêtés par quartier
Quartier |
Ménages en 2014 |
Type de quartier |
Ménages enquêtés |
Abattoir 2 |
2711 |
Populaire |
108 |
Lobia 2 |
1527 |
Populaire |
61 |
Tazibouo Etat-major |
497 |
Haut standing |
19 |
Evêché |
130 |
Haut standing |
5 |
Gbokora |
207 |
Moyen standing |
8 |
Balouzon |
135 |
Moyen standing |
5 |
Commerce |
834 |
Moyen standing |
33 |
TOTAL |
6041 |
- |
239 |
Source : INS, 2014 ; enquête de terrain, 2020
Le traitement des données collectées l’a été selon la nature de celles-ci. Cela a conduit à recourir aux logiciels Excel et word pour la réalisation des tableaux et des figures. Quand, le logiciel Arc Gis a servi au traitement cartographique des données collectées. La combinaison de ces différentes techniques a abouti aux résultats ci-dessous.
2. Résultats et discussion
Les résultats relatifs à la crise de logements à Daloa se structurent en trois points : l’ampleur de la crise de logement, les facteurs de la crise de logement et les impacts au niveau social et au niveau spatial
2.1. L'importance de la crise de logement
2.1.1 Une offre en logement insuffisante
Pour apprécier le besoin annuel en logement sur la période 1975-2020, la formule suivante a été utilisée en référence à celle utilisée par P. DIHOUEGBEU (2012, p. 202) :
Le tableau 2 résume l’évolution des besoins de logements à Daloa et leur évaluation en rapport avec la progression de la population en 1975, 1988, 1998 et 2014, et son estimation en 2008 et 2020. De cette observation, il ressort que l’augmentation de la population connaît une croissance soutenue de de quarante-cinq (45) ans- conduit inexorablement à des besoins en matière de logements de plus en plus important. L’approche de G. Dumont (2015, p.114) pour apprécier l’évolution de la croissance des logements, selon laquelle la question des besoins de logement peut être expliquée par l’équation un ménage égal à un logement du fait de l’augmentation du nombre de ménage-confirme les estimations des besoins de logement à Daloa. En effet, les résultats indiquent que ceux-ci sont couverts à hauteur seulement de 19,64 % du fait de l’importance des ménages. Ces conclusions illustrent la tendance lourde du déficit de logements à Daloa établies quelques auparavant par D. ALLA (1991, p.188) et A. YAPI-DIAHOU (1992, p. 117).
2.1.2 Un déséquilibre entre l’offre de logement et la demande de logement
A l’exception des programmes des 40 logements et du programme des logements sociaux initiés par l’Etat (D. ALLA, 1991, p. 129 ; ECOLOC, 2002, p. 23), l’offre de logement à Daloa est à l’actif des acteurs privés. La quantité de logements produite est largement inférieure à la demande. A ce sujet, ECOLOC (2002, p. 117) avance l’hypothèse selon laquelle, pour 100 demandes de permis de construire enregistrées seulement le dixième est satisfait. Ainsi, les logements produits bien qu’ils connaissent une évolution dans le temps, restent insuffisants au regard des besoins (Figure 2).
Figure 2 : Evolution des logements produits et des besoins de logements à Daloa de 1975 à 2020
Source : RGPH, 1975-1988-1998 et 2014 ; Enquête de terrain, 2020
Le marché immobilier de Daloa connaît des productions annuelles de logements en deçà des besoins. De 1975 à 2020, la production moyenne de logements était de 0,9% sur une période de quarante-cinq (45) ans. Il ressort dans les faits que les ménages ne trouvent pas satisfaction dans leur quête d’acquérir des logements. Nos enquêtes montrent que les taux de satisfaction des ménages se situent entre 9,85% et 10,06 %. Ces taux ne sont pas différents de ceux établis quelques années auparavant par D. ALLA (1991, p.188). La situation incline à penser que la rapide croissance de la population de Daloa engendre des besoins de plus en plus importants de logements que le marché n’arrive pas à combler (P. DIHOUEGBEU, 2012, p.204). La question du logement décent à Daloa laisse apparaître alors une production immobilière artisanale à la charge de particuliers qui ont intégré les marchés immobiliers au gré des occasions (G. Fauveau, 2015, p. 114).
2.1 Les facteurs de la crise de logements à Daloa
Deux principaux facteurs : la faiblesse des revenus des ménages et l’accès limité au financement des logements
2.1.2 La faiblesse des revenus des ménages
La possibilité d’accéder à la propriété d’un logement est en rapport avec le niveau de revenu et la part du budget que les ménages sont disposés à consacrer au logement. Nos enquêtes indiquent à cet effet que les revenus des ménages sont bas (Tableau 4).
Le tableau 4 montre que 24, 68% des chefs de ménages ont des revenus mensuels compris entre 0 F. CFA et 50 000 F.CFA ; 22,17% des chefs de ménages ont des revenus mensuels entre 50 000 F. CFA et 100.000 F. CFA. Quant 10, 08% des chefs de ménages gagnent plus de 250 000 F. CFA par mois. Il ressort de l’analyse du tableau que 46,86% des chefs de ménages ont des revenus mensuels n’accédant pas 100. 000 F.CFA. Cette faiblesse des revenus des ménages réduit leurs possibilités d’acquisition d’un terrain en vue de la construction de leurs propres résidences. Nos enquêtes indiquent à cet effet que les coûts de réalisation d’un logement sont compris entre 2.500. 000 F.CFA et 4.500.000 F.CFA pour un logement d’une pièce (Studio) et à plus de 18. 000. 000 F.CFA pour un logement de cinq (5) pièces. P. GIGUERE (2017, p. 26) et CAHF (2019, p. 7) soulignent à ce sujet que le prix des maisons augmente plus rapidement que celui des revenus des ménages affectant l’abordabilité, c’est-à-dire le ratio prix/ revenu-qui exprime le nombre d’années de revenus requis pour acquérir une propriété. Toutefois, P. GIGUERE (2017, p. 26) montre que le ratio aux Etats-Unis est de 3, 6 années, de 3,9 années au Canada et au Japon pour être propriétaire d’un logement. Par contre, il est de 18 ans au Bénin, de 29 années au Mali, de 9 ans en Tunisie. S. GIROUD et al (2017, p. 13) dans le cas de la Côte d’Ivoire soutiennent que le ratio prix/revenu est en moyenne de 15 ans. Comme on le constate, le ratio prix/revenu est inabordable dans les pays africains. Dans l’ensemble, ces études confortent nos conclusions sur la tendance à la location des ménages en raison de la faiblesse de leurs revenus.
2.1.3 L’accès limité aux sources de financement pour l’acquisition des logements
M. ROCHEFORT (2000, p.80) souligne que l’accès aux sources de financement pour l’acquisition des logements représente un handicap pour les ménages depuis le retrait des pouvoirs publics dans les politiques urbaines de financement de l’habitat. Sur l’ensemble des 189 ménages enquêtés, 85, 18% sont locataires et 14,82% propriétaires. Parmi les chefs de ménages propriétaires, 2,64% ont affirmé avoir construit leurs maisons sur fonds propres et 12,16% ont affirmé avoir bénéficié de prêts auprès de banques ou d’institutions de microfinance. G. FAUVEAUD (2015, p. 244) révèle que les marchés résidentiels restent peu financés. Selon lui, cela se traduit par l’autofinancement ou par la sollicitation de la famille pour une catégorie de ménages ou d’un prêteur privé. P. GIGUERE (2017, p.27) et CAHF (2019, p. 28) soutiennent de leur côté que ces constats illustrent clairement la faiblesse du niveau d’implication des institutions financières dans le domaine du financement lié à l’habitat dans les pays en voie de développement. La traduction de ces statistiques démontre en réalité l’ampleur du défi de se loger dans les Suds-car les institutions officielles de financement du logement jouent un rôle très limité dans la satisfaction des besoins en logements surtout pour les ménages à faible revenu (P. GIGUERE, 2017, p.39).
2.1 L’impact social et spatial de la crise de logements à Daloa
2.1.1 L’impact social de la crise de logements à Daloa
2.1.1 1 Une tendance à la promiscuité dans les ménages
Selon les résultats du RGPH (2014), la taille moyenne des ménages dans la ville de Daloa est de 5 personnes. Toutefois, il ressort une forte concentration de personnes par pièce dans les logements dans les quartiers sur la base de nos enquêtes. Cette concentration n’épargne aucunement les quartiers selon leur typologie. Ainsi, les pièces occupées par plus de deux (2) personnes sont autant présentes dans les quartiers de haut standing, les quartiers évolutifs que dans les quartiers précaires. Cependant, la répartition spatiale du phénomène montre une plus forte présence de logements surpeuplés (42,30%) dans les quartiers d’Abattoir et de Lobia 2 ; 34,61% dans les quartiers Gbokora, Commerce et Balouzon et 23,09% dans les quartiers de Tazibouo Etat-Major et Evêché. Cette distribution spatiale du surpeuplement des personnes dans les logements ne diffère pas des constats établis respectivement par W. SIYALI et al (2019, p. 255) sur la ville de Korhogo et de Sangaré et al (2021, p. 191) sur celle de Bouaké. En somme pour ces auteurs, il existe un lien significatif entre densité d’occupation de l’espace et qualité de vie des habitants.
2.1.1.2. Des ménages confrontés au coût élevé des loyers
Nos enquêtes montrent que quel que soit le type de quartier et le nombre de pièces, les loyers ont connu une flambée. C. MAFOU et al (2016, p.14) et D. GOUAMENE et al (2019, p. 294) mentionnent dans leurs travaux que la hausse des loyers est à mettre à l’actif de la forte demande de logements à partir de la crise militaro-civile de 2002 et du coût élevé des terrains à bâtir. Ainsi dans les quartiers populaires, les coûts de location sont passés avant 2002, de 3000 à 10 000 pour 5000 F.CFA et 20 000 selon le nombre de pièces, la qualité du bâti et les commodités. Dans les quartiers de moyen standing les loyers sont passés 20 000 F. CFA à 35000 FCFA pour une pièce et peuvent monter jusqu’à 80 000 F.CFA pour les deux (2) pièces et plus-en tenant compte du matériau de construction et des commodités. Dans les quartiers de haut standing, les coûts de location sont passés de 25 000 F.CFA avant 2002 à 40 000 F.CFA et plus pour une pièce. Dans ces quartiers les loyers pour les deux (2) pièces débutent à partir 50. 000 F.CFA. CAHF (2019, p. 6) souligne à ce sujet que la faiblesse de l’offre de logements sur le marché accentue la tendance à la hausse des loyers qui n’est pas suivie de celle des revenus. Cette situation n’est pas propre à la ville de Daloa. W. SIYALI et al (2019, p. 256) et N. SANGARE et al (2021, p. 190) respectivement sur les villes de Korhogo et de Bouaké mettent en lumière l’évolution de la flambée des prix des loyers. Par ailleurs, il ressort de l’analyse de nos résultats que le revenu moyen des ménages enquêtés se situe autour de 25 000 F. CFA-ce qui indique la pression que subissent les ménages en rapport avec les coûts de location des logements. Dans ce sens, l’INS (2015, p. 85) souligne que les ménages à Daloa consacrent environ 9,5 % de leur budget au loyer. L. GAUDREAU et al (2020, p.3) démontrent en réalité un décrochage entre le prix des logements et les revenus des ménages.
2.1.2. L’impact spatial de la crise de logements à Daloa
2.1.2.1 Une tendance à la densification de l’habitat
La crise de logements observée à Daloa est exploitée par les populations à travers la transformation de leurs habitations. Ainsi, il n’est pas rare de voir par exemple dans les quartiers d’habitat résidentiel (moyen standing et haut standing) que le coefficient d’occupation de 33% indiqué dans le code d’urbanisme n’est pas respecté. A des fins locatives, la superficie restante du lot est mise en valeur par le rajout d’opération d’habitat individuel groupé au mépris de la législation. Ces pratiques qui sont répandues dans les quartiers enquêtés-restent cependant très marquées dans les quartiers d’habitat résidentiel (moyen standing et haut standing) et les quartiers d’habitats évolutifs. Il ressort de nos enquêtes que 20 % des constructions dans ces quartiers portent la marque de ces pratiques. Aussi, les formes de densification notifiées portent-elles surtout sur la transformation par la hausse de la surface d’habitat. D. ALLA (1991, p. 122) souligne à ce sujet que la dynamique de la densification de l’habitat n’est pas récente à Daloa. Elle tire ses origines de l’histoire et du contexte socio-économique de la ville. P. Merlin et F. Choay (2015, p. 666) expliquent que les pratiques de transformation de l’habitat se présentent comme une « résidentialisation » qui s’opère dans le paysage urbain.
2.1.2 Une ville qui connaît un fort étalement à relent anarchique
Aux épisodes d’évolution de sa population, succèdent ceux de son extension. Daloa connaît un rapide accroissement spatial (Figure 3).
Figure 3 : Evolution de la population de Daloa et des surfaces urbanisées de 1975 à 2020
Source : Alla, 1991 ; RGPH, 1975-1988-1998 et 2014 ; MOS, 2007 ; Enquête de terrain, 2020
La figure 3 donne d’apprécier l’évolution de la population de Daloa de 1975 à 2020 et d’en déduire les surfaces urbanisées. A l’analyse du tableau, il ressort que l’augmentation rapide de la population s’est accompagnée d’une forte croissance de l’espace urbanisé. K. Mafou et al (2016, p. 10) indiquent que la dynamique spatiale de Daloa est surtout liée au développement de l’économie de plantation et au flux démographique de la crise militaro-politique de 2002. Bien que continue, l’évolution spatiale de Daloa se fait de façon irrégulière-et ne met pas fin pour autant à la pénurie de logements que la ville connait. A ce sujet, D. GOUAMENE et K. BRENOUM (2019, p. 117) soulignent le caractère illégal de la croissance spatiale exceptionnelle de la ville de Daloa. D. ALLA (1991, p. 188) soutient que l’irrégularité spatiale de la ville qui se traduit par la multiplication de lotissements non-approuvés-mais également par la colonisation des zones à risques par les constructions à usage d’habitation. En outre, cette situation de crise de logements induisant l’étalement des villes ne concerne pas que la ville de Daloa. Elle se perçoit dans de nombreuses villes ivoiriennes comme Korhogo et Bouaké (W. SIYALI et al, 2019, p. 251 ; N. SANGARE et al, 2021, p. 191)-mais également dans certaines villes ouest africaines comme le soulignaient il y a quelques années R. MORIN et al (1996, p. 8) sur la ville de Bamako.
Conclusion
Daloa connait une crise de logements qui s’est accentuée à la fin de la crise militaro-politique de 2002. Cette crise s’explique principalement par la faiblesse des revenus des ménages et par l’accès limité aux sources de financement de ceux-ci. Cette crise du logement impacte sur la plan social la qualité de vie des ménages et leur pouvoir d’achat. Sur le plan spatial, elle imprime un développement anarchique de l’espace. Aussi, n’est-il pas important de mettre en place des stratégies de production de logements qui répondent aux besoins des ménages actuels et futures en fonction de leurs capacités financières et de leur mode de vie ?
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Auteur
1Enseignant-chercheur, Université Jean-Lorougnon GUEDE de Daloa (Côte d’Ivoire), gouam_didier@yahoo.fr