La gestion foncière urbaine apparait, comme l'un des principaux problèmes du développement de la ville de Daloa. Cette étude vise à déceler les difficultés liées à l’accès aux services socio-collectifs dans les espaces d’étalement urbain ainsi que leurs impacts sur la localité. La méthodologie adoptée repose sur une recherche documentaire et une enquête de terrain faite au moyen d’observation directe et d’entretiens semi-directs. Trois types d’acteurs au nombre de 17 ont été interviewés. Aussi, un échantillon de 254 chefs de ménage, déterminé par la méthode non probabiliste de choix raisonné, a été interrogé. Il ressort de cette étude que 67,83% des lotissements sont sans aucune opération de viabilisation de l’espace et donnent une allure désarticulée au paysage urbain. La croissance de la ville est marquée par une absence ou insuffisance de services socio-collectifs dans les espaces d’étalement. 8 quartiers sur 9 enquêtés disposent d’au moins un centre de santé, 8 sur 9 d’au moins un établissement scolaire et 2 sur 9 d’au moins un marché. Pour l’abonnement à la CIE, 60% des enquêtés affirment utiliser l’électricité par la voie formelle contre 40% qui consomment l’électricité de façon informelle. Quant à l’eau, 38 % des enquêtés déclarent consommer l’eau distribuée par la SODECI, par contre 62% affirment ne pas être abonnés à l’eau potable de la SODECI. Cette situation est due à la croissance urbaine incontrôlée, au dysfonctionnement dans la gestion foncière urbaine et au désengagement de l’Etat de ce secteur.
Urban land management appears to be one of the main problems in the development of the city of Daloa. This study aims to identify the difficulties related to access to socio-community services in urban sprawl areas and their impacts on the locality. The methodology adopted is based on documentary research and a field survey conducted through direct observation and semi-structured interviews. Three types of actors, 17 in number, were interviewed. Also, a sample of 254 heads of household, determined by the non-probabilistic method of reasoned choice, was interviewed. It emerges from this study that 67.83% of the allotments are without any operation of space servicing and give a disarticulated look to the urban landscape. The growth of the city is marked by an absence or insufficiency of socio-collective services in the sprawling areas. Eight out of nine neighborhoods surveyed have at least one health center, eight out of nine have at least one school and two out of nine have at least one market. As for the CIE subscription, 60% of respondents claim to use electricity formally, compared to 40% who use electricity informally. As for water, 38% of respondents said that they use the water distributed by SODECI, while 62% said that they do not subscribe to SODECI's drinking water. This situation is due to uncontrolled urban growth, dysfunctional urban land management and the disengagement of the State from this sector.
Introduction
Le phénomène urbain est globalement récent et rapide en Afrique subsaharienne. Il est favorisé par une croissance démographique remarquable. De 12 % en 1950, le taux d’urbanisation dans ce continent est passé à 30 % en 1980 puis à 37 % en 2000, soit un triplement en 50 ans (ONU, 2004, p.56). Selon les projections de la Banque Mondiale, ce taux devrait s’accroître dans les prochaines décennies (BANQUE MONDIALE,2005, p.18). L’Afrique de l’Ouest et du Centre sont caractérisées par un taux d’urbanisation variable selon les pays et une croissance urbaine moins forte depuis 1990, (P. PELISSIER, 1994, p.22). La Côte d’Ivoire, se démarque par sa dynamique urbaine exceptionnelle. Destination par excellence des flux migratoires, le pays est passé de moins de 7 millions d’habitants en 1975 à près de 11 millions en 1988, 22 671 331 en 2014 (RGPH, 2014) et est estimée à 27 millions en 2021. Son taux d’accroissement moyen annuel est passé de 3,8 % sur la période 1975-1988 à 3,3 % sur la période 1988-1998 et à 3,4 % sur la période 1998-2014. Le taux d’urbanisation qui était de 43 % en 1998, a atteint 50,3% depuis 2014 (RGPH, 2014). A côté d’Abidjan, vitrine de cette dynamique urbaine (A. HAUHOUOT, 2002, p.45), des villes de seconde importance sont également confrontées à cette même réalité. C’est le cas de la ville de Daloa, troisième plus grande agglomération urbaine du pays de par la taille de sa population après respectivement Abidjan et Bouaké. Ainsi, la population urbaine de Daloa est passée de 60 837 habitants en 1975 (RGPH, 1975) à 266 324 habitants en 2014 (RGPH, 2014, p. 14). Cette poussée démographique exerce une pression foncière urbaine traduite par une extension de l’emprise urbaine. De 393 ha en 1962, cette superficie urbanisée est passée à 838 ha en 1975, puis à 1118,25 ha en 1980, pour atteindre 9650,75 ha en 2014 (C.D.GUY, K.S.KRA et G.A. BOLOU 2019, p.33). Cette croissance rapide pose du coup le problème de l'accès au foncier urbain pour tous les citadins.
Depuis la période coloniale, la ville a bénéficié de quelques projets de production et de gestion foncière urbaine. Au service de ce projet d’urbanisme, s’était mise alors en place une politique étatique de développement urbain, basée sur l’élaboration en 1929 et 1940 de ses premiers plans de lotissement de même que ses premiers Plans Directeurs d'Urbanisme. Ces Plans Directeurs d'Urbanisme se voulaient un moyen de contrôle, d’orientation de la croissance urbaine et un outil de planification de la ville. En dépit de ces différents outils de cadrage, la gestion du foncier urbain à Daloa sombre dans des improvisations de zonage non cohérentes et désordonnées avec des étalements urbains désarticulés des noyaux. Pourtant, une gestion foncière efficace est fondamentale à la mise en place de logements, de services de base, et d’infrastructures, tous nécessaires au développement urbain (ONU-Habitat, 2014, pp. 5-10). Les enjeux de cette situation dans la ville de Daloa, sont la disponibilité et l’accès aux équipements et infrastructures dans les zones d’étalement. La principale interrogation qui découle de ce qui précède est la suivante : Quelle est le niveau d’accès aux services socio-collectifs dans les zones d’étalement de la ville de Daloa ? De cette préoccupation centrale découle 3 questions subsidiaires :
Quel est l’état des lieux de la distribution géographique des services socio-collectifs dans les étalements urbains ?
Quelles sont les causes de la faible dotation de ces lieux en services socio-collectifs ?
Comment la faiblesse de ces services socio-collectifs dans les étalements urbains induit des incidences sur la structuration du paysage de la ville de Daloa ?
Pour traiter ces préoccupations, 3 objectifs spécifiques sont dégagés :
Faire l’état des lieux de la distribution géographique des services socio-collectifs dans les étalements urbains.
Analyser les causes explicatives de la faible dotation des étalements urbains en services socio-collectifs.
Montrer les incidences de cette faiblesse sur la structuration du paysage urbain de Daloa. L’hypothèse émise est que les difficultés à équiper des étalements urbains en services socio-collectifs, conduisent à l’anarchie et à la désarticulation du paysage urbain.
1. Méthodologie : approche et outils
1.1. Présentation de l’espace d’étude
Le champ d’étude est la ville de Daloa et ses espaces d’étalement urbain. L'étalement dit « urbain » correspond à une croissance de la banlieue qui, loin de repousser devant elle la discontinuité entre l'urbain et le rural, franchit cette discontinuité. Le processus se traduit par l'implantation, en positions rurales, de formes conçues pour convertir des valeurs positionnelles urbaines. (G. RITCHOT, G. MERCIER et s MASCOLO, 1994, p.261)
Daloa est la capitale régionale du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. Située à la latitude du 7ème parallèle Nord et au 6ème degré de longitude Ouest, entre les isohyètes 1400 et 1500 mm, elle est une ville de forêt. Sa position au croisement des axes routiers reliant respectivement l’Ouest et le Nord-Ouest au reste du pays, d’une part, à la Guinée et au Libéria voisins à l’Ouest, au Mali et au Burkina-Faso au Nord, d’autre part, lui confère le statut de ville-carrefour (Figure 1).
1.1. Méthodes de collecte et d’analyse des données.
Dans le cadre de cette étude, deux techniques ont été combinées pour la collecte des informations. Il s’agit de la recherche documentaire et de la collecte de données primaires effectuée sur le terrain. La recherche documentaire a permis d’exploiter les documents (textuels, statistiques, cartographiques, photographique) dans les bibliothèques de l’Université Jean Lorougnon (UJLoG) Guédé de Daloa, de l’Université Félix Houphouët-Boigny (UFHB) de Cocody Abidjan et d’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Des structures étatiques (l’Institut National de la Statistique, la Direction Régionale de la Construction et de l’Urbanisme, le Cadastre, le Conservatoire, la Mairie) et privées (Cabinets de Géomètre, Association des propriétaires terriens) ont également mis à notre disposition des données secondaires. Ce procédé a été complété avec une Webographie, notamment avec le moteur de recherche Google scholar. Cette phase a permis de faire la lumière sur la croissance démographique de la ville ainsi que la politique de gestion du domaine foncier urbain. A cet effet, l’on a reçu des informations et des plans de lotissement au 1/2000 des différents quartiers de la ville, réalisés par des géomètres experts privés agréés.
Concernant la collecte de données primaires sur le terrain, l’on a eu recours à l’observation directe au cours de laquelle les rues et les quartiers ont été sillonnés afin d’appréhender le niveau de l’étalement urbain, l’état, la nature et le nombre de services socio-collectifs sur les sites visités. L’entretien semi-directif a pris en compte trois types d’acteurs : publics, privés et parapublics intervenant dans la gestion foncière urbaine à Daloa. Au total, ce sont 17 personnes ressources qui ont été interviewées. Enfin, un questionnaire a été adressé à 254 chefs de ménages, propriétaires de leurs lots et ce en raison de 2 individus par lotissement sur un ensemble de 127 lotissements documentés par la Direction Régionale de la Construction et de l’Urbanisme. Le but de cette approche est de recueillir leur point de vue sur la gestion du foncier urbain ainsi que l’accès aux équipements et infrastructures socio-collectifs. L’enquête de terrain a permis de compléter les informations obtenues lors de la recherche documentaire afin d'affiner les objectifs, de confirmer ou d'infirmer les hypothèses.
Les données recueillies ont fait l'objet de traitement cartographique, statistique et analytique. Le traitement statistique a permis la réalisation de tableaux, de diagrammes et des figures à partir de données statistiques. Outre le traitement statistique, le traitement cartographique a été fait par les logiciels Arc-View, Adobe Illustrator, ArcGIS, pour la production de cartes thématiques (les cartes de densités, d'occupation du sol, du réseau routier, de distribution spatiale des services urbains de base et des différentes phases de la croissance urbaine) et des analyses spatiales.
2. Résultats
2.1. Etat des lieux de la distribution géographique des services socio-collectifs dans les étalements urbains
2.1.1. Une pauvreté généralisée en services socio-collectifs dans les étalements urbains.
Les étalements urbains sont les nouveaux foyers de conquête de l’habitat humain. A Daloa, cet étalement est marqué par la progression rapide des surfaces urbanisées à la périphérie de la ville (figure 2).
La figure 2, montre l’étalement rapide de l’espace urbain de Daloa. Depuis 2000, les lotissements dans la ville se font sur les fronts urbains avec une accélération du phénomène à partir de 2013. Jusqu’en 2019, les lotissements officiels concernaient à 60% les localités périphériques, 30% les quartiers péricentraux et à 37% les quartiers centraux (DRCLU, recherches personnelles, 2019). Les quartiers périphériques et les villages communaux sont particulièrement au centre de cet enjeu. Ils ont en commun l’absence criarde d’infrastructures et d’équipements en tout genre, comme l’atteste la figure 3 ci –dessous. La figure 3, permet d’observer une régression du niveau des services socio-collectifs, du noyau urbain vers la périphérie. Sont particulièrement concernés les Voiries et Réseaux Divers (VRD), les services de santé et d’éducation.
2.1.2. Une absence de voirie et de réseaux divers, érigée en « norme »
2.1.2.1. Absence quantitative et qualitative de voirie
Le tissu urbain de Daloa s’étend des quartiers centraux aux zones périphérique en passant par les quartiers péricentraux. Il s’effectue de manière anarchique avec une forte consommation de l’espace. Ce processus est à l’origine de coûts additionnels importants pour la dotation des quartiers en équipements et en infrastructures. Mais, à Daloa, cette dotation est faible voire inexistante selon qu’on part des quartiers péricentraux aux localités périphériques. Dans les quartiers péricentraux enquêtés, les voies de circulation sont dans leur grande majorité non revêtues (99%) et impraticables du fait de leur non entretien par les pouvoirs publics et leur envahissement par des activités informelles. Quant à la majorité des quartiers ou localités périphériques de la commune de Daloa, la voirie lors des lotissements s’est résumée à des ouvertures approximatives de voies en terre (Photo 1).
Cette voie en terre dans le quartier Gbokora, est fortement dégradée du fait de l’action de l’érosion. Par ailleurs, le déficit de la couverture de ces quartiers en éclairage public est également une triste réalité pour les populations.
2.1.2.2. Un éclairage public et domestique à la charge des populations dans les quartiers péricentraux et périphériques
L’éclairage public est déficitaire dans les quartiers péricentraux et périphériques de Daloa. Quand il existe, c’est surtout l’œuvre d’initiatives privées. Dans l’ensemble, 60% des enquêtés ont accès à l’électricité distribuée par la CIE de façon formelle et 40% de façon illicite. Les données pour l’attester sont consignées dans le tableau 1.
Il ressort du tableau 1 que les efforts des pouvoirs publics pour connecter ces quartiers au réseau d’électricité sont dans l’ensemble insignifiants. Ces données se fondent sur nos observations de terrains couplées avec l’avis des populations enquêtées. Ainsi, la connexion au réseau public d’électricité décroit quand on part des quartiers péricentraux vers les quartiers périphériques.
Par ailleurs, dans les quartiers périphériques, de nombreuses initiatives privées sont prises par 81% des enquêtés (connexion personnalisée durant 5 ans à partir d’une ligne de basse tension installée sur initiative privée, énergie solaire) pour avoir l’éclairage domestique de façon formelle. C’est le contraire de cette situation qui est observée dans les quartiers péricentraux où en moyenne 88% des enquêtés se procurent l’électricité domestique de façon informelle (branchement anarchique) (photo 2).
Le nombre pléthorique de branchements sur un compteur de faible ampérage cause des baisses de tensions. Selon 70% des enquêtés, ces désagréments sont observés aux heures de fortes demandes, en général les soirs.
2.1.2.3. Une connexion à l’eau courante encore hypothétique.
Les enquêtes révèlent que 38% des ménages disposent d’eau potable distribuée par la SODECI contre 62% qui n’en disposent pas. Cependant, il faut souligner que les débits dans les ménages diffèrent au niveau des zones. Les résultats issus des enquêtes sont mentionnés dans le tableau 2.
Contrairement aux quartiers péricentraux, les quartiers périphériques sont relativement bien couverts par le réseau d’eau potable (SODECI). Cette situation s’explique par le fait que les quartiers péricentraux sont des quartiers spontanés, non planifiés où le passage des réseaux divers n’avait pas été prévu et s’avère actuellement difficile, vu l’occupation anarchique de l’espace par le bâti. Ce qui n’est pas le cas des quartiers périphériques. A l’opposé, ceux-ci sont confrontés à un débit d’eau généralement faible allant jusqu’ à des coupures sur plusieurs jours alors que ce débit est relativement bon dans les quartiers péricentraux. 7 % de nos enquêtés sont connectés à l’eau potable dans les quartiers péricentraux contre 53 % dans les quartiers ou localités périphériques.
Au-delà du recours aux sources d’eaux alternatives que sont les puits, les fontaines et les forages que cette situation impose, un autre phénomène s’est développé. C’est celui du stockage de l’eau potable dans des bidons plastiques (Photo 3).
La photo 3 est celle d'un recueil d'eau au quartier Gbokora extension. Pour recueillir l’eau, il faut le faire tardivement ou se lever tôt le matin. En définitif, il convient de retenir que les équipements de bases ne suivent pas le rythme d’urbanisation de Daloa. Ainsi, la quasi-totalité des lotissements de Daloa de ces dernières décennies n'a pas été viabilisée. Les niveaux d’accès à l'eau potable et à l’électricité, les voiries et les services sociaux de base sont faibles.
2.1.3. Une absence criarde des services sociaux de base élémentaires : Centres de santé, établissements scolaires et marchés
Le constat est que les services sociaux de base sont sous représentés dans les quartiers enquêtés (tableau 3).
Les 2/3 des quartiers péricentraux (Abattoir 2 extension et Orly extension) sont relativement mieux nantis en quelques services sociaux de base contrairement à l’ensemble des quartiers ou localités périphériques. Les centres de santé, les écoles, les services étatiques sont presque inexistants dans les nouveaux lotissements. En effet, face à l'extension rapide de la ville et la pression des propriétaires coutumiers, l'Etat a toléré certaines pratiques non règlementaires comme l'application d'un plan de lotissement non approuvé. Se faisant, certains acteurs de la chaîne de la gestion de terrains urbains à Daloa ne considèrent plus la procédure d'approbation comme indispensable. Les parcelles sont loties, pour certaines sans réserve administrative. Les lots sont directement vendus à des acquéreurs. Ce sont des particuliers qui achètent des lots d'habitation pour en faire, par la suite, des écoles plus tard. Il est donc difficile pour l'Etat de trouver des parcelles pour certaines infrastructures de base. Ainsi, des quartiers se créent sans le minimum de viabilisation. Les infrastructures et les équipements se créent plus tard. A cet effet, ce sont 26,08% des chefs de ménages enquêtés qui ont soutenu la présence d'établissements sanitaires dans leurs quartiers. Seulement 23,67% ont laissé entendre que leurs quartiers disposent de marchés. Quant à la présence d'établissements socio-éducatifs dans les quartiers, 65,70% des chefs de ménages enquêtés ont avancé cette assertion.
2.2. Les causes de la faible dotation des extensions urbaines en infrastructures et équipements.
Si la ville de Daloa connaît un étalement rapide c’est parce qu’elle est influencée par plusieurs facteurs qui impactent son paysage urbain.
2.2.1. Une urbanisation essentiellement démographique, échappant à toute vision de planification
La ville de Daloa, de par son poids démographique est la troisième plus grande agglomération de la Côte d’Ivoire. Sa croissance urbaine est essentiellement démographique avec une incidence directe sur la surface urbanisée (voir figure 4).
De 7 487 personnes en 1954, la population atteint 35 000 habitants en 1965 puis 66 837 habitants en 1975, 121 842 habitants en 1988 et 163 575 habitants en 1998. En 2018, la population de Daloa a dépassé la barre 266 324 habitants. Par ailleurs, la poussée démographique enregistrée dans la ville de Daloa s’est traduite par une extension de l’emprise urbaine. Ainsi de 393 ha en 1962, l’espace urbanisé passe à 838 ha en 1975, puis à 1 340 ha en 1980 et 2 500 ha en 1998. De 3 300 ha en 2007, l’espace urbanisé a atteint 9 650,75 ha en 2014. Cette situation s’explique par la forte demande de terrains à bâtir (Figure 5).
De 2014 à 2018, il a été observé une demande exponentielle de terrains à bâtir, passant de 51 325 à 404 168 demandes, soit un taux de croissance de 787, 47%. Les demandes de terrains effectivement satisfaites ont connu une évolution en dents de scie. De 2014 à 2015, les demandes satisfaites sont passées de 30 324 à 47 204, puis ont chuté en 2016 à 39 325 demandes. De 2017 à 2018, les demandes effectivement satisfaites sont restées en hausse en passant 63 324 à 70 229. L’étalement urbain est une tendance lourde qui s’observe sur l’ensemble de la ville de Daloa depuis 2013. La figure 6 suivante illustre cet étalement.
En 2014, la Côte d’Ivoire sort progressivement d’une décennie de crise militaro- sociopolitique dont les effets sont encore marquants. Malheureusement, c'est pendant cette période que Daloa connait sa plus forte extension spatiale. Cette situation peut s'expliquer par le fait que désormais les propriétaires terriens peuvent initier des opérations de lotissement avec l'autorisation de la Mairie et sous le contrôle de la Direction Régionale de la Construction, du Logement et de l'Urbanisme. Cependant, mus par des intérêts financiers ceux-ci multiplient les opérations de lotissement sans autorisation et ne respectent pas pour la plupart du temps la règlementation en vigueur. Ces lotissements font fi du nouveau plan d’urbanisme approuvé de Daloa. Ainsi, les villages Sapia, Zaguiguia, Zakoua 2 et Brihouo ont été phagocytés depuis 2013 du fait de l’étalement de Daloa.
En somme, il est constaté qu’en dépit des conjonctures économiques et les crises sociopolitiques que connait le pays, Daloa s’étale véritablement. L’urbanisation galopante et non contrôlée de la ville désarticule le paysage urbain.
2.2.2. Les incohérences dans la gestion foncière urbaine.
2.2.1.1.67,83% des lotissements déclarés non approuvés
La ville de Daloa compte 37 lotissements approuvés sur un total de 115, soit un taux de 32, 17% des lots mis à disposition des populations (Direction Régionale de la Construction, du Logement et de l'Urbanisme, 2020).
Cette situation résulte de la non-participation effective de la Mairie et des services de la Construction à l'initiative des opérations de lotissements. La Mairie et la Direction Régionale de la Construction semblent impuissantes devant cette situation. L'on observe à cet effet des lotissements anarchiques avec un système corrompu. Tous les principes élémentaires sont ainsi violés. Ainsi, le chef du service Topographie de la Direction Régionale de la Construction, du Logement et de l'Urbanisme lors de l'entretien disait : « Cette situation n’est pas une bonne chose, elle est regrettable car elle est la source d’énormes incohérences dans la gestion du foncier urbain. Nous assistons à la résurgence des lotissements villageois ne respectant pas les normes. La belle cité de Daloa est défigurée ». C’est aussi l’avis des géomètres experts agréés. Cette nouvelle donne consacrant la perte de l’initiative des lotissements n'est pas appréciée par la Mairie. « Il est difficile de faire des contrôles dans la mesure où certains propriétaires terriens n’adressent pas de demande de lotissement à la mairie. En plus, cette situation engendre des litiges et du désordre qui ont fait perdre des recettes importantes et les frais de bornage au trésor public. Il faut que le ministère de la Construction recadre les choses dans ce domaine » (responsable domaine).
Par exemple en lieu et place de la lettre d'attribution, ce sont des procès-verbaux de partage de lots et des attestations villageoises qui ont fait leur apparition à Daloa. Il s’agit de l'Arrêté N° 209/MCLAU/DGUF/IGB du 20 Février 2014 qui institut le Procès-verbal de Partage de lots. Ce document porte le sceau d'un huissier de justice et la signature du Directeur Régional de la Construction, du Logement et de l'Urbanisme à Daloa. Il est censé rassuré les acquéreurs de terrains. Mais dans la pratique, il est en phase de produire le contraire. En effet, selon les termes de l'Arrêté instituant le Procès-verbal de partage de lots, il est applicable qu'aux lots issus des lotissements approuvés. Cependant, c'est le contraire qui est observé à Daloa.
Par ailleurs, la majorité des lotissements n’est pas conforme au Plan Directeur d’Urbanisme (PDU) contournés par les acteurs. Ainsi, 41 % des chefs de ménages enquêtés ne disposent pas de permis de construire et 70 % ne possèdent pas de titre de propriété définitif (ACD) sur les lots.
2.3. Incidences induites par la pauvreté des services socio-collectifs sur les étalements urbains
Cette partie s'articulera autour de trois aspects dont l’enclavement des étalements urbains, l’insécurité urbaine et la prolifération des activités économiques informelles dans la ville de Daloa.
2.3.1. Enclavement des étalements urbains.
Les enquêtes ont révélé que la quasi-totalité des quartiers des zones d'extension de Daloa sont inaccessibles. En effet, 60 % des lotissements enquêtés ne présentent pas d’ouverture de voies. Les voies qui devraient desservir ces quartiers n’existent pratiquement pas où sont difficiles d’accès (Photo 4).
Les voies d'accès à ces zones, bien qu’habitées par de nombreuses populations, n'ont pas été ouvertes par l'opérateur lotisseur. Ces habitants accusent la Mairie. Quant aux autorités municipales, elles imputent cette situation aux opérateurs économiques qui ont initiés les différents lotissements. Selon le Directeur Technique de la Mairie rencontré lors des entretiens, ce sont les différents lotisseurs qui n'ont pas respecté leurs cahiers de charge. Cependant, a-t-il ajouté : « Monsieur le Maire est saisi de cette situation que vivent nos administrés, des réflexions sont en cours, les nouvelles lois relatives à la procédure de production et d'acquisition de lots urbains fragilisent nos actions. De ce fait, les pouvoirs de la Mairie sont trop limités dans ce domaine. C'est une source d'insécurité pour nous tous, car, nous sommes informés des cas fréquents d'agressions dans certaines zones parce que nos forces de police ne peuvent pas faire de patrouilles du fait de l'inaccessibilité de ces quartiers ». En effet, dans tout cahier de charge pour un lotissement, les VRD constituent l'élément essentiel. Cependant, à Daloa, il est assisté ces dernières années une résurgence des lotissements sans minimum de viabilisation. Les quelques travaux de viabilisation entrepris par certains opérateurs se résument à des simples ouvertures de voies. Il s'agit le plus souvent des travaux tellement sommaires que la nature a vite fait de reprendre ses droits après quelques pluies. Par ailleurs, la majorité des lots non accessibles et non viabilisés servent comme des friches urbaines, des dépotoirs ou des fumoirs. 60 % des quartiers sillonnés ne sont pas connectés au réseau électrique. Dans l’ensemble, on observe très peu de voies bitumées à l'intérieur des quartiers. L'absence de voies bitumées et de canalisation constituent un problème commun observé tant aux anciens quartiers qu'aux nouveaux lotissements.
2.3.2. Prolifération des litiges fonciers et de l’insécurité
2.3.2.1. Proliférations des conflits fonciers
De nombreux litiges fonciers entre les acteurs de la chaîne de gestion des lots sont de plus en plus signalés. Ainsi, 32,85% des ménages enquêtés ont confirmé l’existence de conflits fonciers dans leur quartier. Au niveau du service du Cadastre de Daloa, ce sont 125 dossiers de demande d’ACD qui ont été rejetés pour cause de litiges en 2019. Au niveau de la justice, 60 % des affaires jugées en 2019 étaient relatives aux problèmes fonciers.
2.3.2.1. Insécurité urbaine
L’état d'enclavement des quartiers enquêtés met effectivement les populations dans une situation d'insécurité. Ainsi, 75 cas d'agressions imputables à l'état d'enclavement du quartier Abattoir 2 extension ont été signalés par les chefs de ménage interrogés pour la seule année de 2019. Le quartier Balouzon extension n'échappe pas à ce phénomène. Les voies d'accès aux lotissements issus des zones d'extension de ce village initiés par les propriétaires terriens ne sont pas ouvertes. Les lots issus de ce lotissement ont été vendus sans la moindre opération de viabilisation, mettant ainsi les acquéreurs qui ont bâtis des maisons et qui y vivent dans une situation d’insécurité. Les taxis n'y arrivent presque pas à cause du mauvais état des voies. Cette situation est une source d'insécurité pour les habitants. Une femme dont le mari a été enquêté n’a pas caché sa colère : « On nous a vendu ces terrains chers. On nous a même fait payer de l'argent dit-on pour l'ouverture des routes. Mais, depuis six ans que mon mari a bâti cette maison dans laquelle nous vivons, rien. Pour aller au marché, il faut marcher cinq cent mètres avant d'espérer avoir un taxi. Nos enfants ont du mal à aller à l'école. Nous avons peur pour nos enfants. Nous sommes régulièrement victimes de vols et souvent d'agressions. Que le Maire pense à nous un peu ».
2.3.3. Prolifération des activités économiques informelles.
Les quartiers des zones d’étalement, enquêtés sont confrontés à une absence d’activités économiques formelles du fait de l’enclavement et des difficultés d’accès. Les quelques activités économiques non agricoles se résument à des activités économiques informelles ou des marchés spontanés (Photo 5 et 6).
La photo 5 représente le seul marché du quartier de Balouzon Extension. Il est à 1,5 km du petit marché du village Balouzon et à 7 km du grand marché de Daloa. Il n'existe pas de boutiques dans la plupart de ces zones du fait de l'insécurité. De plus, la photo 6 montre un restaurant dans le même quartier.
3.Discussion
Il est prouvé que les équipements et infrastructures ne suivent pas le rythme d’urbanisation de la ville de Daloa. Ainsi, la quasi-totalité des lotissements de ces dernières décennies n'a pas été viabilisée. De ce fait, la majorité des nouveaux quartiers sont pauvres en infrastructures de base. Ce sont entre autres les services sociaux de base, l’électrification et l’adduction en eau potable etc. C’est ce fait que dénoncent P. HAERINGER (1983, pp. 20-40) et S. MANOU (1985, pp. 167-235). Ces deux auteurs soutiennent que les stratégies illégales, d’accès au sol urbain entraînent une extension incontrôlée de l’espace urbain. Cette extension oriente le développement des villes avec l’habitat spontané à la périphérie, caractérisée par une précarité matérielle et une précarité juridique. Toutes ces stratégies limitent les projets d’extension des réseaux d’eau potable, d’assainissement des eaux usées et de drainage. Les quartiers irréguliers sont le résultat d'une croissance urbaine incontrôlée, d'une installation anarchique de populations d'origines diverses, à la limite de la zone régulière. Abordant dans le même sens, (ONU-Habitat, 2018) note que l’urbanisation effrénée rend difficile l’accès aux infrastructures d’eau et d’énergie de qualité. La croissance considérable des villes en développement n’est pas accompagnée d’infrastructures et d’aménagements nécessaires pour assurer des conditions de vie décentes aux populations pauvres. Les systèmes de distribution d’eau et d’assainissement urbains sont trop souvent dans un état délabré et ne sont pas en mesure de faire face aux besoins. Or (I. SY, 2006, pp. 178-189), affirme que dans les pays en développement, la difficulté d’organiser les processus d’urbanisation des villes fait que cette dernière est considérée avec circonspection par les planificateurs et les aménageurs de l’espace. Par ailleurs les raisons qui expliquent cette irrégularité dans la ville de Daloa sont la croissance urbaine incontrôlée, les manquements dans la gestion foncière urbaine et le désengagement de l’Etat du secteur de l’urbanisme. B. MICHELON (2011, pp.2) a relevé que cette situation trouve sa réponse dans l’héritage colonial. : « à la ville séparant les colons et les autochtones a succédé la ville postcoloniale marquant la séparation entre ville formelle héritée et la ville informelle en création ». Il n’y a pas eu de véritable rupture dans la planification et l’organisation urbaine. Les différentes politiques d’habitat initiées par les pouvoirs publics issus des indépendances n’ont pas réussi à rompre cette logique de ségrégation socio spatiale. De même (A.G. BOLOU, D-C. GOUAMENE et C.D. GUY, 2019, p.382) souligne qu’il faut renforcer la légitimité et la compétence des pouvoirs publics locaux pour répondre aux enjeux de l’urbanisation. La résolution de bon nombre de problèmes auxquels se heurtent les villes en développement dépend étroitement des capacités, de la compétence et de la légitimité des institutions et des pouvoirs publics locaux. Etant donné que l’urbanisation est un phénomène récent et galopant en Côte d’Ivoire, elle ne se fait pas sans laisser des impacts visibles dans les nouveaux quartiers de Daloa. A ce niveau, il est observé un enclavement des étalements urbains, une insécurité urbaine et une prolifération des activités économiques informelles dans certains quartiers. Cela est justifié par (C. BARON 2005, pp. 157-174) quand il stipule que les mauvaises pratiques urbanistiques dans les pays africains occasionnent une occupation de la périphérie par des bidonvilles bien que légitimée par la coutume. Aujourd’hui, il apparaît pour P. METZGER (1994, pp.595-619) que les villes des pays en développement sont sujettes à la prolifération des taudis et à la misère croissante des populations comme c’est le cas dans la ville de Daloa.
Conclusion
L’étude de la problématique des services socio-collectifs de base dans les zones d’étalement urbain de Daloa a montré l’inexistence de ces deux puissants outils qui doivent participer au développement de ces zones. En effet, avec l’occupation spatiale d’un nombre important de populations qui s’accroît de jour en jour, l’étalement des quartiers périphériques et péricentraux de Daloa, se fait, sans que les textes qui régissent les lotissements dans l’espace urbain ne soient appliqués. De ce fait, les autorités ne sont associées ni aux travaux, ni aux activités qui se réalisent dans ces zones. Dès lors, ces quartiers demeurent un espace manquant de viabilisation et constituent des nids d’agressions. Or, ces zones d’étalement sont de véritables endroits convoités par certaines populations qui y aménagent à cause des facilités d’accès à la propriété foncière. De même, de par leur évolution, ces zones deviennent des débouchés (marchés) où toutes les activités économiques peuvent s’y développer, si les infrastructures de base sont construites et les équipements sont installés. Pour ce faire l’Etat, les collectivités locales, les acteurs de la gestion des terrains et les propriétaires terriens doivent s’accorder sur les principes de lotissement et synchroniser leurs actions pour que ces zones soient dotées d’équipements et d’infrastructures nécessaires pour amorcer leur développement.
Références Bibliographiques
BARON Catherine, 2005- « Modèle d’accès à l’eau dans les villes d’Afrique subsaharienne : entre efficacité et équité » In Sciences de la société, n° 64, Février, pp. 157-174.
BOLOU Gbitry Abel, GOUAMENE Didier-Charles et GUY Constant Dali, 2019, Habitat, équipements et infrastructures de base dans les projets urbains : quelle réalité dans les petites communes à travers l’exemple de Bédiala (centre-ouest de la cote d’ivoire) ? in actes du colloque international de géographie: Dynamique des milieux anthropisés et gouvernance spatiale en Afrique subsaharienne depuis les indépendances, Sous la direction de Professeur BECHI Grah Félix, Université Alassane Ouattara, Bouaké, (Côte d’Ivoire), les 11, 12 et 13 juin 2019. Tome 1, pp 359-388.
DALI Guy Constant, KRA Koffi Siméon et BOLOU Gbitry Abel, 2019, « Etalement urbain et accès à l’eau potable : autopsie géographique de trois quartiers périphériques de la ville de Daloa : Balouzon extension, les Oliviers et Zaguiguia », NOTES SCIENTIFIQUES, homme et société, Faculté des Sciences de l’Homme et de la Société, Université de Lomé /Togo, N° 11 Décembre pp. pp.23 à 45
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SY Ibrahima, 2006, La gestion de la salubrité à Rufisque (Sénégal) enjeux sanitaires et pratiques sociales, Thèse de Doctorat, Université Louis Pasteur, 561 p.
Auteur
1Enseignant-Chercheur, Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa (Côte d’Ivoire) ; gbitry2007@yahoo.fr