Anomalies pluviométriques positives dans le domaine subéquatorial du Benin : manifestations et implications agricoles

Résumé

Dans le domaine subéquatorial béninois à deux campagnes agricoles annuelles, la petite saison sèche revêt une importance dans l’organisation des activités paysannes. Mais comme les autres saisons pluviométriques, cette petite saison sèche subit des soubresauts qui perturbent l’agenda traditionnel de production agricole. Dans le contexte des mutations climatiques en cours, la présente étude s’intéresse à la manifestation des anomalies positives de pluies de la petite saison sèche et leurs effets agricoles dans le Sud Bénin.

Les données utilisées concernent les hauteurs journalières de pluies. Elles s’étendent sur cinq décades correspondant à la petite saison sèche (troisième décade de juillet à la première décade de septembre) des deux stations synoptiques (Cotonou et Bohicon) du domaine subéquatorial béninois pour la période 1951-2010. Les années d’anomalie positive de pluie sont déterminées en considérant toute l’année dont le cumul de pluie des décades concernées est supérieur ou égal à 120 % (augmentation de 20 %) de la valeur moyenne. La fréquence, les seuils de dépassement et des illustrations graphiques ont permis d’analyser les résultats.

Les fréquences des années d’anomalies positives de pluies spécifiques à Cotonou et à Bohicon sont respectivement 23 et 30 % ; et 18 % pour les anomalies généralisées à tout le milieu. Les anomalies sont fondamentalement dues à l’augmentation de jours pluvieux ajoutée à l’avènement de pluies abondantes (supérieures à 50 mm). Outre la perturbation du calendrier de déroulement des activités socio-économiques, ces anomalies engendrent aussi des baisses de rendements et de productions agricoles. Ces résultats appellent la prise en compte des anomalies de pluies de la petite saison sèche et des risques associés par les acteurs en charge de la promotion agricole au sud du Bénin.

Abstract

In the Beninese subequatorial area with two annual cropping seasons, the small dry season is important in the organization of peasant activities. But like the others, this dry season suffers disruptive ups and downs of the traditional agenda of agricultural production. In the context of ongoing climate change, this paper looks at the occurrence of positive short-season rainfall anomalies and their agricultural effects in southern Benin.

The data used concern the daily rainfall heights of five decades corresponding to the short dry season (third decade of July to the first decade of September) of the two synoptic stations (Cotonou and Bohicon) of the Beninese subequatorial domain for the period 1951-2010. The years of positive rainfall anomaly are determined by considering any year in which the cumulative rainfall of the decades concerned is greater than or equal to 120% (increase of 20%) of the average value. Frequency, passing thresholds and graphical illustrations made it possible to analyze the results.

The frequencies of the years of positive anomalies of specific rains in Cotonou and Bohicon are respectively 23 and 30% and 18% for the generalized anomalies to the whole environment. The anomalies are basically due to the increase of rainy days added the advent of abundant rains (greater than 50 mm). In addition to the disruption of the schedule of activities, these anomalies also cause yield reductions and agricultural production. These results call for taking into account the rainfall anomalies of the short dry season and the risks associated with the actors in charge of agricultural promotion in southern Benin.

Introduction

Au regard de leurs répercussions immédiates et durables sur les composantes naturelles et sur les sociétés humaines, la problématique des changements et/ou des variabilités climatiques est au centre des préoccupations des scientifiques et des décideurs politiques dans le monde (A.M. Kouassi et al., 2010, p.2). En effet, en plus du réchauffement thermique global (GIEC, 2014, p.20), l’Afrique de l’Ouest, y compris le Bénin, est caractérisée par une réduction de 10 à 25 % des cumuls annuels des pluies entre 1951 et 2010 (GIEC, 2014, p.8). A cela s’ajoute une fréquence accrue des évènements hydro-climatiques extrêmes. Plutôt, J.M. Paturel et al. (1997, p. 29) avaient déjà constaté qu’en Afrique de l’Ouest, les régimes pluviométriques ont subi d'importantes modifications qui se traduisent par la diminution des hauteurs annuelles précipitées pouvant atteindre 20 à 25 % entre 1950 et 1990. Les mêmes auteurs ont indiqué que la baisse des pluies affecte toutes les saisons avec un glissement des isohyètes vers le sud et une modification des régimes pluviométriques. Même si des marches d’incertitudes subsistent sur les résultats de projections, cette tendance devrait se poursuivre au cours des prochaines années en Afrique Occidentale (GIEC, 2014, p.23).

Au Bénin, les conclusions de plusieurs auteurs rapportées par E. Ogouwalé. et al. (2018, p. 278) confirment que :

La physionomie climatique a connu des mutations multiformes au cours des dernières décennies. Ces mutations se manifestent par une irrégularité prononcée des totaux pluviométriques annuels associée à une forte instabilité intra-saisonnière. A cela s’ajoutent le réchauffement thermique et l’avènement des évènements météo-climatiques extrêmes. Ces perturbations ont induit une dégradation des composantes écologiques et se sont soldés par des impacts négatifs sur le système de production agricole.

Dans le Sud-Bénin, le climat est de type subéquatorial à quatre saisons (M. Boko, 1988, p.9). Il s’agit de deux pluvieuses (une grande et une petite) et deux sèches (une grande et une petite). Les deux campagnes agricoles annuelles se déroulent pendant les saisons pluvieuses, l’agriculture étant de type essentiellement pluvial. La petite saison sèche correspond à la période allant de fin juillet au début septembre, soit environ cinq décades (M. Boko, 1988, p.30). Cette petite saison sèche est caractérisée par une rémission des pluies, engendrée par la combinaison du phénomène d’upwelling (remontée des eaux marines froides) et du « break » dû à un brusque renforcement de l’anticyclone de Sainte-Hélène qui déborde sur le continent, repoussant 1’Equateur Météorologique vers des latitudes septentrionales (M. Boko, 1988, p. 168 ; M. Boko 1992, p. 327). La petite saison sèche correspond en général à la période des récoltes issues de la première campagne et de la préparation des sols pour la deuxième campagne agricole. Toute anomalie positive qui l’affecte est donc capable d’engendrer des conséquences regrettables, surtout sur les cultures et récoltes de la première campagne (M. Boko, 2019, p.197 ; I. Yabi et al., 2013, p. 64 ; B. Donou, 2015, p.153). Elle est la principale et la plus sure pour les paysans. Il se pose alors de savoir comment se manifestent les anomalies pluviométriques positives dans le domaine équatorial béninois dans le contexte actuel de la forte variabilité pluviométrique. Le présent article tente de répondre à cette question et s’assigne comme objectif d’analyser les manifestations des anomalies positives de pluies et leurs incidences agricoles.

1. Milieu de recherche

Le Sud-Bénin (figure 1) s’étend sur une superficie de 12 377 km2, ne représentant que 11 % de la superficie totale du territoire national (I. Yabi et al., 2013, p.55). Sur le plan humain, le milieu de recherche abritait en 2013 une population de 5.894.168 habitants (INSAE, 2015), Cet effectif représente les 3/5 de l’effectif national alors que la superficie du milieu ne représente que les 2/7 de la superficie totale nationale, ce qui indique une forte densité humaine.

19Fig1

Du point de vue pédo-géomorphologique, le Sud-Bénin est constitué des terres de barre sur le Continental Terminal formant des plateaux profondément entaillés d'une part par les vallées nord/sud des cours d’eau du Couffo, du Zou et de l'Ouémé ; et d'autre part, par la dépression de la Lama, orientée sud-ouest/nord-est. Cette dépression a une altitude moyenne de 50 m et une largeur variant de 5 km (ouest) à 25 km (est). Au sud de ces plateaux, il y a une zone marécageuse bordée par la plaine côtière (cordon littoral).

Le contexte climatique, quant à lui, correspond au climat subéquatorial avec quatre saisons (figure 2). La grande saison humide s’étend en moyenne de mi-mars à fin juillet, soit 14 décades. Cette saison concentre environ 60 % des pluies annuelles. La petite saison sèche quant à elle s’étend de fin juillet au début septembre où les hauteurs précipitées sont rares ou faibles. L’ampleur de cette saison diminue au nord au point où elle n’est plus très prononcée à Bohicon (figure 2). S’agissant de la petite saison pluvieuse, elle s’étend de mi-septembre à fin octobre avec une pluviosité pouvant atteindre 20 % de la pluviométrie annuelle. Enfin, la grande saison sèche s’étend de novembre à mi-mars. Le régime pluviométrique du Sud-Bénin permet deux campagnes agricoles. Les activités humaines notamment rurales sont calées sur cette répartition pluviale.

19Fig2

Dans le milieu rural, l’agriculture itinérante et la pêche constituent les principales activités des populations. Ces activités procurent des ressources alimentaires aux producteurs de même que des ressources financières qui leur permettent de faire face aux besoins sociaux. L’agriculture étant fortement pluviale, elle dépend de la répartition des pluies. Les saisons sèches permettent de faire les premières récoltes et de préparer les sols pour la deuxième campagne agricole. Dans ces conditions, toute anomalie positive de la petite saison sèche est perturbatrice du calendrier moyen et préjudiciable aux activités agricoles.

2. Approche méthodologique

Les données utilisées concernent les hauteurs journalières de pluies. Elles s’étendent sur 5 décades correspondant à la petite saison sèche (troisième décade de juillet à la première décade septembre) des deux stations synoptiques (Cotonou et Bohicon) du domaine subéquatorial béninois (figure 1). Les données sont obtenues à l’Agence Nationale de la Météorologie (Météo-Bénin) et la période retenue va de 1951 à 2010. Le choix de ces stations est lié au fait qu’elles disposent des données les plus complètes et sont représentatives des nuances climatiques du domaine subéquatorial. La station de Cotonou représente le climat subéquatorial maritime et humide (plus au sud). La station de Bohicon, plus au nord, correspond à la marge septentrionale du climat subéquatorial et est plus influencée par l’effet de continentalité. A partir du cumul pluviométrique des cinq décades correspondant à la petite saison sèche, les années d’anomalie positive de pluie sont déterminées. Ainsi, dans le cadre de cet article, toute année dont le cumul de pluie des décades concernées est supérieur ou égal à 120 % (augmentation de 20 %) de la valeur moyenne, est considérée. La fréquence des anomalies pluviométriques positives (FAPP) quant à elle est calculée suivant le protocole ci-après :

FAPP = (NAPP/NTA)*100

Où NAPP est le nombre d’années d’anomalie pluviométrique positive de la petite saison sèche et NTA, le nombre total d’années étudiées. Quant à l’intensité des anomalies (Ia), elle a été déterminée par la formule suivante :

Ia = [(Pa-Pm)/Pm]*100

Où Pa est la hauteur de pluie de la petite saison sèche de l’année et Pm, la hauteur moyenne de la petite saison sèche de la série.

Afin de mieux comprendre les manifestations des anomalies, la fréquence de quatre classes de pluies au cours des années identifiées est calculée en utilisant les valeurs recommandées par l’OMM et utilisées par S. A. Abossolo et al. (2015, p.139). Il s’agit des pluies de hauteurs comprises entre 1 et 10 mm (P1), entre 10 et 30 mm (P2), entre 30 et 50 mm (P3) et des pluies de hauteurs supérieures à 50 mm (P4).

3. Résultats

3.1. Examen des années à anomalies positives de pluie de la petite saison sèche

La répartition spatiotemporelle des années touchées par l’anomalie positive est synthétisée dans le tableau 1. A Cotonou, la valeur de la FAPP est de 23 % contre 30 % à Bohicon. A l’échelle de tout le milieu, cette valeur est 18 %.

19Fig3.png

Toutes les décennies ont enregistré des anomalies positives de pluie de la petite saison sèche ; mais les décennies 1960, 1980 et 2000 sont les plus représentatives. Les valeurs records sont respectivement 691 et 456 mm à Cotonou (1968) et Bohicon (2007). Dans l’ensemble ces années ont eu des cumuls annuels de pluies excédentaires ; les années déficitaires ne sont incluses. Bien que les deux stations appartiennent au même domaine climatique, elles n’ont pas toujours enregistré des anomalies positives de pluies de la petite saison sèche aux mêmes années. Ainsi, à Cotonou, ce sont les années 1962, 1995 et 1999 qui sont concernées, alors qu’à la station de Bohicon, les anomalies sont relevées pour les années 1955, 1970, 1979, 1988, 2000, 2003 et 2010.

3.2. Répartition des pluies au cours des années affectées par l’anomalie positive

Les cumuls saisonniers des pluies pendant les années avec des anomalies positives ont évolué en dents de scie sans tendance ni périodicité apparente (figure 3). A Cotonou, les années 1963 (521,2 mm), 1968 (691,7 mm) et 1987 (634 mm) ont obtenu les plus fortes valeurs alors que les plus faibles valeurs sont enregistrées en 1991 (148,7 mm), 1995 (124,6 mm) et 2008 (140,6 mm). En ce qui concerne la station de Bohicon, elle a enregistré les plus fortes valeurs en 1963 (426,1 mm), 1979 (444,6 mm) et 2007 (456,7 mm) tandis que les plus faibles valeurs concernent les années 1973 (224,5 mm), 1991 (238,1 mm) et 2010 (249 mm).

19Fig4.png

Les chiffres cités plus haut montrent une absence de concordance temporelle des valeurs extrêmes (fortes et faibles) entre les deux stations à l’exception de l’année 1963. Ils confirment ainsi l’hétérogénéité spatiotemporelle des anomalies positives des pluies de la petite saison sèche dans le milieu de recherche. La figure 4 illustre l’importance des classes de pluies de la petite saison sèche des années concernées.

19Fig5.png

La figure 4 montre que dans l’ensemble, les pluies de classe P1 (fréquence moyenne saisonnière de 16 et 17 respectivement à Cotonou et Bohicon) sont les plus dominantes. Elles sont suivies des pluies de la classe P2 (fréquence moyenne saisonnière de 3 et 5 respectivement à Cotonou et à Bohicon). Ces chiffres suggèrent que les anomalies positives sont plus dues à une forte occurrence des pluies de P1 et P2. S’agissant des pluies de P3 et P4, elles sont plus rares et n’ont pas affecté toutes les années. La fréquence des années concernées par les pluies de P4 est plus importante au cours des décennies 1990 et 2000 au niveau des deux stations (à Cotonou comme à Bohicon : cinq années sur six, soit une fréquence de 83 %). Il convient de mentionner qu’à l’exception de 1963 à Bohicon, les pluies de classe P4 sont enregistrées aussi bien au cours des années de fortes valeurs (1963, 1968 et 1987 à Cotonou ; 1979 et 2007 à Bohicon) qu’au cours des années à faibles valeurs (1991, 1995 et 2008 à Cotonou ; 1973, 1991 et 2010 à Bohicon) de pluies saisonnières. Ces chiffres indiquent que les pluies de classe P4 sont déterminantes pour la fréquence mais n’influencent pas notablement l’ampleur des anomalies positives des pluies de la petite saison sèche dans le milieu de recherche. La répartition décadaire des pluies saisonnières pendant les années touchées par l’anomalie positive est illustrée par la figure 5.

19Fig6.png

 

La figure 5 montre, qu’en moyenne, les pluies de la décade 3 (deuxième décade d’août) sont faibles à Cotonou (26 mm) comme à Bohicon (46 mm) au cours des années affectées. Le mois d’août étant principalement influencé par le phénomène d’upwelling, cela explique la baisse des pluies en cette décade. Les plus fortes valeurs de pluies décadaires moyennes sont enregistrées au cours des 4ème décades (3ème décade d’août) à Cotonou tandis qu’à Bohicon les valeurs les plus élevées sont enregistré pendant la 5ème décade (1ère décade de septembre). En fin août et début septembre, l’effet d’upwelling s’affaiblit et l’équateur météorologique redescend vers la position méridionale, ce qui justifie l’importance des pluies décadaires. Au cours des années extrêmes (fortes et faibles) la répartition décadaire des pluies est plus hétérogène. Par exemple à Cotonou en 1968 les décades 1 et 4 sont plus pluvieuses alors qu’en 1987 ce sont les décades 4 et 5 qui ont enregistré de fortes valeurs. La même observation peut être faite à Bohicon où en 1973 les décades 2 et 5 sont les plus pluvieuses tandis qu’en 2008 ce sont plutôt les décades 1 et 5 qui ont enregistré de fortes valeurs. Ces chiffres témoignent la forte variabilité décadaire des pluies au cours des années ayant connu les anomalies positives.

3.3. Importance des anomalies positives de pluies

A la station de Cotonou, les seuils d’excès de pluies sont compris entre 27 (1995) et 603 % (1968) alors qu’à Bohicon ils oscillent entre 21 (1973) et 145 % (2007). Les détails relatifs à la quantification de ces seuils d’excès de pluie de la petite saison sèche des années identifiées par station sont présentés dans le tableau 2.

19Fig7.png

Le tableau 2 montre que les excès compris entre +50 et 100 % sont les plus nombreux à Cotonou comme à Bohicon. A Cotonou, ce sont 10 (soit 71 %) sur 14 années identifiées qui ont un excès compris +20 et 100 %. A Bohicon ce sont 14 (soit 78 %) sur 18 années qui ont des excès situés dans le même intervalle. Les seuils supérieurs à 150 % sont rares à Cotonou (3 sur 14 années) et ne sont enregistrés à Bohicon. Les chiffres du tableau II indiquent que les anomalies les plus importantes sont observées à Cotonou qu’à Bohicon contrairement à leur fréquence qui a connu une répartition inverse. La position plus au sud de Cotonou et la présence de l’océan (Atlantique) peuvent justifier l’importance des anomalies à Cotonou.

L’analyse de la répartition de l’intensité moyenne et des valeurs de pluies maximales à l’échelle journalière aide à mieux appréhender les manifestations des anomalies pluviométriques de la petite saison sèche dans le milieu de recherche. Cette répartition est illustrée par la figure 6. La figure 6 montre les valeurs de l’intensité moyenne (hauteur moyenne de pluie par jour pluvieux) des années touchées varient entre 6 et 20 mm (Cotonou) et entre 9 et 20 mm (Bohicon). Les valeurs les plus élevées sont obtenues en 1968 (Cotonou) et 2010 (Bohicon). L’allure globale montre une tendance à la baisse à Cotonou et au contraire à la hausse à Bohicon. Cette observation indique une variabilité spatiale de l’intensité moyenne des pluies journalières dans le Sud-Bénin. Les hauteurs maximales de pluies sont comprises entre 39 et 132 mm à Cotonou et entre 43,6 et 128,5 mm à Bohicon. Les valeurs records sont observées en 1987 (Cotonou) et en 2000 (Bohicon). La tendance générale est également à la baisse à Cotonou et à la hausse à Bohicon. Cela confirme la variabilité spatiale des pluies de la petite saison pluvieuse dans le milieu de recherche.

19Fig8.png

 

De ce qui précède, il se dégage que les anomalies positives de la petite saison sèche ont tendance à prendre plus de l’ampleur à Bohicon qu’à Cotonou. Cette tendance n’est pas sans conséquences sur les activités agricoles, principale occupation des populations.

3.4. Implications agricoles des anomalies positives de pluies

Pour mieux comprendre les implications agricoles des anomalies positives de pluie de la petite saison sèche dans le milieu de recherche, il importe de rappeler le calendrier paysan de déroulement des activités de production. Ce calendrier s’appuie l’exemple des principales cultures vivrières (tableau 3). L’analyse du tableau 3 révèle que la petite saison sèche (fin juillet-début septembre) est une période principalement réservée à la récolte des cultures de la première campagne agricole et de préparer le sol pour la seconde. En cas d’anomalie positive de pluie, la petite saison sèche disparait. Cette absence de la petite saison sèche entraine le pourrissement des cultures sur pieds par profusion hydrique. Il s’ensuit non seulement que la qualité des récoltes est affectée, mais aussi les rendements sont sérieusement réduits

19Fig9

Des inondations des exploitations agricoles où les cultures sont à l’étape de maturité sont également enregistrées planche 1.

19Fig10

Les terroirs situés dans les vallées ou plaines d’inondation sont les plus affectés par les inondations et leurs corolaires. En plus, les travaux préparatoires de la seconde campagne sont perturbés et se déroulent avec des retards pouvant atteindre trois décades, voire plus selon la durée des inondations. Sachant que la durée de la seconde saison pluvieuse est courte, de tels retards sont capables de provoquer l’échec de la deuxième campagne pour certaines cultures comme le maïs, le niébé et l’arachide. En définitive, les anomalies positives de pluies de la petite saison sèche dans le domaine subéquatorial béninois sont chargées de risques agricoles. Elles perturbent, en effet, le calendrier traditionnel paysan et affectent quantitativement et qualitativement les productions.

4. Discussion

Les anomalies positives de pluie de la petite saison sèche sont plus fréquentes à Bohicon qu’à Cotonou. Ce constat est conforme à la conclusion de M. Boko (1988, p.44). En effet, les stations situées plus au sud et proches de l’océan Atlantique sont plus touchées par les effets d’upwelling (M. Leduc-Leballeur, 2012, p. 39) et aux conséquences du « break »’ contrairement aux stations plus au nord qui en sont moins exposées. Bien qu’étant dans le même ensemble climatique, la petite saison sèche est plus distincte au sud (Cotonou) qu’au nord (Bohicon). Le conseil agricole devrait donc tenir compte de ces nuances spatiales dans le découpage de l’année en saisons pour mieux intégrer les risques et incertitudes au lieu de se fonder sur les conditions moyennes qui ne sont presque jamais réelles. L’absence de périodicité dans la survenue de ces anomalies rend toutefois difficile les prévisions à long terme.

Les prévisions à court terme faites par les services météorologiques nationale (Météo-Bénin) et sous régional comme le Comité Inter-État de Lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS), pourraient être pris en compte pour proposer des découpages mobiles ou glissants plus réalistes sur le plan agro-climatique. Les anomalies positives de pluie sont fondamentalement induites par la forte occurrence des pluies de faibles valeurs (entre 1 et 10 mm) à Cotonou et Bohicon. Cette observation révèle qu’au cours de ces années le refroidissement de l’air dû au phénomène d’upwelling est atténué ; ce qui favorise l’avènement de pluies au lieu de la bruine qui caractérise habituellement cette période (M. Boko 1988, p. 34).

Par ailleurs, cette saison enregistre par moments des pluies pouvant atteindre 130 mm augmentant ainsi l’importance des anomalies aussi bien à Cotonou qu’à Bohicon. L’avènement, même sporadique, de ces pluies indique un relâchement momentané du phénomène d’upwelling et de ses effets en cette période dans le Sud-Bénin. Cela amène à suggérer une vigilance du système de prévisions et d’alerte pouvant aider à limiter les effets néfastes des grosses pluies pendant la petite saison sèche où les populations s’attendent le moins à des manifestations pluvieuses. Les anomalies positives de pluie de la petite saison sèche affectent la production agricole dans la zone de recherche. Non seulement elles perturbent le bon déroulement des activités de fin de la première campagne agricole, mais elles entachent aussi les activités de début de la seconde campagne. A cela s’ajoute la destruction des cultures et ou récoltes. Il s’en suit une précarité alimentaire et une baisse de revenus pour les paysans qui disposent souvent de peu de solutions alternatives (A. Akibou et al., 2012, p.136).

Dans un contexte d’agriculture essentiellement pluviale, toute anomalie (positive comme négative) de pluie par rapport à la valeur moyenne désorganise l’ensemble du monde rural au Bénin (I. Yabi et al., 2011, p. 19 ; M. Boko, 1988, p. 209). Les observations identiques ont été récemment faites par A. S. Abassolo et al. (2017, p. 72) et M. Faye et al. (2018, p. 13) ailleurs en Afrique de l’Ouest et du Centre où des baisses sensibles de rendements agricoles en lien avec les caprices climatiques ont été mises en évidence. En effet, faute d’une évolution suffisante des pratiques agricoles, les différentes régions d’Afrique (y compris le Bénin) sont vulnérables face à la variabilité accrue du climat et des extrêmes météorologiques (GIEC, 2012, p. 18). De même, dans ces régions, l’absence ou l’insuffisance d’informations utiles et compréhensibles sur les prévisions météorologiques et/ou saisonnières augmentent la vulnérabilité des producteurs. Elle réduit en effet, les possibilités d’adaptation ou de mitigation (L. Pasquini et al., 2013 et PNUE, 2012 cités par M. Lugen, 2019, p.150). Or, selon les projections du GIEC (2014), le contexte climatique Ouest-africain pourrait se dégrader davantage au cours des années à venir avec la multiplication potentielle des anomalies positives de pluies. Il s’avère donc indispensable d’envisager des mesures qui assurent au mieux la résilience de la production agricole face aux risques climatiques dans le Sud-Bénin en particulier et dans tout le Bénin en général. Dans cette perspective, la combinaison des savoirs paysans avec les connaissances scientifiques et les progrès technologiques est nécessaire surtout que la promotion de l’agriculture climato-intelligente et l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) en ses aspects prioritaires retenus par le Bénin en 2016 (I. Yabi, 2018, p. 125).

Conclusion

Le domaine subéquatorial béninois est affecté par des anomalies positives de pluies de fréquences et d’ampleurs variables pendant la petite saison sèche. Dans la mesure où cette saison joue un rôle important dans l’organisation des activités agricoles, la survenue des anomalies positives de pluies induit des perturbations du calendrier paysan avec des baisses de rendements agricoles. Il convient donc que les incertitudes et risques pluviométriques associés à cette saison soient mieux intégrés dans l’élaboration des calendriers agricoles afin d’en limiter les impacts négatifs. A cet effet, la collaboration entre les services d’informations et de prévisions météo-climatiques et les structure en charge de l’encadrement agricole s’impose. La recherche agricole devra également s’employer dans une démarche participative avec les communautés paysannes afin d’apporter sa contribution en termes de mise au point de variétés culturales plus adaptées (à cycle court, plus tolérantes aux excès d’eau, etc.) et d’identifier d’autres mesures pertinentes de mitigation telles que l’accès en temps réels des producteurs aux informations météo-climatiques, l’ajustement des calendriers agricoles, etc.

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Auteur

1Laboratoire Pierre Pagney «Climat, Eau, Écosystème et Développement» (LACEEDE), Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Université Abomey-Calavi (UAC-Bénin), yafid2@yahoo.fr

 

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Date de parution
31 déc 2019