L’Agriculture de Conservation (AC) associe trois principes à savoir un travail minimal du sol, une couverture permanente du sol par un mulch végétal et une diversification des espèces cultivées, en association et/ou dans la rotation en vue d’améliorer le stock d’eau et la matière organique du sol. Pour sa mise en œuvre, les producteurs de Yilou développent des stratégies d’augmentation de leurs superficies en AC suivant le niveau d’amélioration de leurs capacités d’adaptation. Mais il apparaît que les stratégies individuelles sont insuffisantes et peu durables. Une expérience de planification communautaire a donc été conduite pour réfléchir avec les producteurs à une adoption collective. Il s’est agi de faire des enquêtes autour des systèmes de culture avec les agriculteurs, de spatialiser suivant les dires des acteurs, cet état des lieux en termes de système de culture sur un fond de carte du village et de faire une planification grâce à des discussions de groupes pour identifier des stratégies de développement de l’agriculture de conservation à l’échelle collective.
Les résultats obtenus portent sur la répartition des systèmes de culture sur le territoire villageois et l’identification de nouvelles règles de gestion des résidus de culture pour faciliter la couverture végétale permanente du sol. Pour l’effectivité de ces nouvelles règles proposées, il faudra trouver un système de gouvernance qui favorise les usages collectifs concertés et durables des résidus de culture et l’insertion de l’AC.
Conservation agriculture (CA) combines three principles which are, minimal tillage, permanent soil cover with mulch, and diversification of crop species, in association and/or in the rotation, to improve the soil's water and organic matter stocks. To develop CA in Yilou village, farmers are choosing to increase their CA acreage following the improvement of their adaptation capacities. But it appears that individual strategies are insufficient and not very sustainable. A community planning experiment was therefore conducted to reflect on collective adoption with producers. This involved conducting surveys on cropping systems with farmers, spatializing this inventory through participatory mapping and planning through group discussions to identify strategies for developing conservation agriculture on a collective scale.
The results obtained are the diagnosis illustrated on a map, the distribution of cropping systems and the identification of new tools for village governance with proposals for changes in the rules of exploitation of space and crop residues. The effectiveness of these proposed new rules will require a governance system that promotes concerted and sustainable collective use of crop residues for the integration of CA.
Introduction
En Afrique de l’Ouest, la récurrence des phénomènes climatiques extrêmes témoigne de la variabilité globale que traverse le monde en ce XIXe siècle (P. OZER et D. PERRIN, 2014, p. 228). Les conséquences les plus marquantes y sont les sècheresses et les inondations (IPCC, 2014, 7p.) qui exposent les producteurs ruraux dont les activités sont fortement dépendantes des conditions naturelles du milieu. En zone sahélienne, les producteurs ruraux mobilisent des stratégies d’adaptation au changement climatique (M. ZOROM et al., 2010, p. 292) qui passent par l’accroissement de leurs capacités techniques ou organisationnelles à travers des solutions innovantes permettant de contribuer à l’amélioration de leurs conditions de vie, leur sécurité alimentaire ainsi que de leurs revenus.
Selon G. BRUELLE (2014, p. 5) et M. NYASIMI et al. (2015, p. 17), l’Agriculture de Conservation (AC) est une alternative possible face aux défis du changement climatique. Ses effets portent sur l’atténuation des émissions des gaz à effet de serre, l’amélioration de la résilience des systèmes de production et l’amélioration de la productivité (J. MILDER, T. MAJANEN, S. SCHERR 2011, p. 18 et 19). En effet, l’AC propose un système de culture qui combine trois principes que sont le travail minimal du sol, la couverture permanente du sol par un mulch végétal vivant ou mort (paille), la diversification des espèces cultivées, en association et/ou dans la rotation. Ces principes ont des effets positifs sur le stock d’eau et de matière organique du sol, ainsi que dans la réduction de l’érosion éolienne. Les producteurs l’ayant testé notent également une amélioration de la fertilité des sols (D. DABIRE et al. 2019 p.10).
Mais, la mise en œuvre de l’AC, en Afrique de l’Ouest, en particulier le maintien d’une couverture végétale permanente du sol, se heurte à de nombreuses difficultés liées notamment à la gestion concurrentielle des résidus de cultures dont l’usage est libre après la période des récoltes (P. DUGUÉ et al. 2015, p. 64). Les résidus de culture font ainsi l’objet de multiples usages dont la vaine pâture qui constitue le principal système d’alimentation des animaux en saison sèche (E. VALL, M. A. DIALLO, 2009, p. 8) . Cette vaine pâture est une pratique communautaire traditionnelle reconnue par les lois sur le pastoralisme et l’accès au foncier au Burkina Faso (ASSEMBLÉE NATIONALE 2003 et ASSEMBLÉE NATIONALE 2010). Pour réussir la mise en œuvre de l’AC dans ce contexte, il est nécessaire de trouver des solutions permettant aux producteurs désireux de la pratiquer de cohabiter avec les autres usagers des résidus de culture.
Dans cette étude, il s’agira de questionner comment assurer l’insertion de l’AC dans un système de production à champ ouvert avec vaine pâture comme c’est le cas au Burkina Faso. L’hypothèse de recherche est que l’insertion de l’AC est dépendante des pratiques agricoles de chaque zone. Ainsi, les objectifs de l’étude ont été d’identifier les pratiques agricoles en se focalisant sur les caractéristiques des systèmes de culture dans le territoire du village de Yilou. Ensuite, il s’est agi de coconstruire avec les producteurs des stratégies pour assurer l’insertion de l’AC dans leur système de production.
1. Méthodologie
1.1. Site d’étude
Cette étude a été conduite à Yilou. La figure 1 illustre la localisation du village d’étude dans la commune de Guibaré, région du Centre-Nord au Burkina Faso. De coordonnées (13 ,019231 ; 1°,546831), le village est situé en zone soudano-sahélienne, caractérisée par une pluviométrie moyenne qui fluctue entre 500 et 700 mm.
L’agriculture de conservation y a été testée entre 2009 et 2014 sur cinq campagnes agricoles à travers le projet « Promotion de l’agriculture de conservation dans les petites exploitations agricoles d’Afrique de l’Ouest et du Centre » (SCAP) (ACT et al., 2012) et le projet ABACO. Ces interventions sont basées sur des dispositifs multi-acteurs tels que le champ école paysan (CEP) et la plateforme d’innovation (PI) mobilisant l’ensemble des acteurs du territoire. Le CEP est un espace cultivé en milieu paysan et par les producteurs ruraux eux-mêmes et sous accompagnement, suivant un protocole agricole innovant afin de permettre aux producteurs d’observer les changements et de faciliter l’adoption de l’innovation. L’agriculture de conservation est une pratique agricole qui associe le Semis direct, l’association de cultures et la couverture végétale permanente du sol ou paillage (SdCAPA). Dans ce travail, cette pratique sera considérée comme un système de culture, c’est-à-dire un ensemble de pratiques agricoles appliquées à un espace cultivé. Ainsi, les différents systèmes de culture du village ont été identifiés et ceux associant un ou deux principes de l’AC ont été spatialisés.Le village de Yilou compte 3740 habitants d’après les résultats disponibles du dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH). Les activités de production principales sont l’agriculture, l’élevage, l’orpaillage, le commerce et l’artisanat. Le village est traversé par la route nationale n°22 qui relie Ouagadougou, la capitale du pays, à la ville de Kongoussi, puis se prolonge jusqu’à Djibo, le chef-lieu de la région du Soum, plus au nord du pays.
2.2. Démarche méthodologique
La démarche méthodologique repose sur quatre étapes complémentaires alliant enquêtes et travaux de groupes menés auprès d’un échantillon de 22 producteurs représentant les quatre principales couches socio- professionnelles du village. Ce sont les agriculteurs, éleveurs, femmes (ménagères et main d’œuvre agricole) et les responsables coutumiers (gestionnaires du foncier). Ces producteurs et personnes ressources ont été choisis pour couvrir les différentes zones de culture du village et ont été mandatés par leurs pairs, membres du champ école du village. Le champ école compte 30 membres qui travaillent avec le projet de développement de l’agriculture de conservation depuis 2012. La première étape du travail a consisté à identifier grâce à un levé GPS, les limites du territoire exploité par les habitants de Yilou. La deuxième étape a permis, grâce à une enquête par entretien semi-directif, d’établir la liste des différents systèmes de culture mis en place dans le village. Les troisième et quatrième étape ont consisté respectivement en des ateliers cartographiques pour positionner les systèmes de culture sur le territoire villageois et proposer des stratégies de développement de l’agriculture de conservation sur l’ensemble du territoire villageois. Les ateliers ont été animés par 07 chercheurs portant à 29 le nombre total de participants. Les ateliers de cartographie se sont déroulés sur trois jours successifs, du 08 au 10 juin 2014.
Les variables utilisées lors des deux dernières étapes portent sur les systèmes de culture existants, les règles traditionnelles de gestion des résidus de culture et du foncier et les ajustements nécessaires pour rendre possible l’AC de façon collective plutôt qu’individuelle comme expérimentée depuis 2009. La caractérisation des systèmes de culture a porté sur l’identification du type de culture, du type de travail de sol, des modes d’association ou non des cultures et de leur mode de rotation annuelle. Les différents travaux ont visé d’abord la spatialisation des systèmes de cultures basées sur la cartographie participative en séance plénière. Cela a consisté premièrement en une reconnaissance du fond cartographique présentant les limites du village ainsi que les éléments naturels tels que les cours d’eau et les pistes affichées à grande échelle sur les données topographiques de l’Institut Géographique du Burkina (IGB) en 2012. Ensuite, l’analyse des ajustements nécessaires pour faciliter la pratique de l’AC a consisté à discuter des règles de gestion des résidus de culture. Des échanges ont été menés en deux groupes distincts (les hommes et les femmes) sur la manière dont les résidus sont gérés habituellement et sur les options les plus efficaces qui pourraient être formalisées pour faciliter l’insertion de l’AC avant qu’elles ne soient validées en plénière. Enfin, les derniers échanges avec les producteurs ont permis d’aboutir en séance plénière à des propositions de règles de gestion des résidus de culture.
Les données collectées ont été traitées par analyse thématique pour comprendre le registre de chaque stratégie d’insertion de l’AC. Les données cartographiques ont été numérisées grâce aux coordonnées GPS collectées sur le terrain. Cela a été réalisé à partir des éléments structurants du territoire, relevés par les populations et également contenus dans la base nationale de données topographiques (BNDT) de IGB. Le logiciel ArcGIS 10.1 a été utilisé pour effectuer les mises en page cartographique.
2. Résultats
Les résultats obtenus ont permis de caractériser l’occupation du territoire villageois en termes de répartition des systèmes de culture d’une part et d’autre part des modalités actuelles et futures de gestion des résidus de culture pour rendre possible la mise en œuvre de l’AC de façon collective.
2.1. Occupation de l’espace à Yilou : infrastructures agricoles et pastorales
Sur la figure 2, les éléments structurants l’occupation de l’espace à Yilou sont : la piste reliant Yilou au village de Kolokom, les 9 villages aux alentours, les trois cours d’eau (Logorobaongo, Lasso et Gongo) et les deux bois sacrés du village.
À leur suite, ce sont les différents quartiers correspondants à des espaces appropriés distincts ou maîtrises foncières différentes qui ont été mis en évidence par les travaux. Il s’agit de Yilou centre où se situe le marché (raaga), Zipèllè, Yilou Mossin, Rakonabiri, Yargo, Tangzougou, Kospouré, Saâbin, Moyiri et Pajasaaga. Sur certaines de ces maîtrises foncières, sont également implantés des campements peuls dont Silminooré, Sele-baogo et Silmissin situés dans des zones stratégiques autour de points d’eau ou à proximité des infrastructures pastorales. La figure 3 illustre ces infrastructures pastorales que sont les pistes à bétail, le marché à bétail et les zones de pâturage de saison pluvieuse. Deux pistes à bétail traversent le village du Nord au Sud et suivant les principales voies de communication existantes à savoir la route départementale et celle nationale (figure 3).
Les zones de pâturage et les points d’abreuvement en saison hivernale ont été identifiés. En saison sèche, il n’y a pas de zone de pâture spécifique. Les animaux sont abreuvés le long du fleuve Nakambé au Sud du village. C’est dans ce contexte général d’occupation de l’espace que les systèmes de culture sont déployés avec plus ou moins de similitudes avec les principes de l’AC.
L’organisation du territoire villageois a également permis de faire la répartition spatiale des principaux systèmes de culture identifiés.
2.2. La distribution des systèmes de culture
D’après les enquêtes sur les systèmes de culture, il ressort qu’à Yilou, il existe trois grands systèmes issus de l’adoption des principes de l’AC. Il y a d’abord le système Semis direct, culture associée avec paillage (SdCAPA) qui combine ainsi les trois principes de l’AC. Il y a ensuite le système de Zaï, culture associée avec paillage (ZCAPA) qui est proche au système de Demi-lune, culture associée avec paillage (DLCAPA). Il y a enfin le système de labour culture associé avec paillage (LbCAPA).
Les autres systèmes de culture du village combinent ou non certains principes de l’AC. Ainsi, le système de labour, culture associée sans paillage (LbCANP), ne repose que sur un des trois principes. La suite des travaux a consisté à situer sur la carte du village les systèmes de culture proches de l’AC et d’identifier les regroupements spatiaux. Il est ressorti sur la figure 4 que les systèmes de culture où le paillage intervient sont assez nombreux et disséminés sur l’ensemble du territoire villageois. Ces systèmes combinent (ou non) la culture associée. Le système de culture SdCAPA qui combine les 3 principes de l’AC est rencontré à Yilou mossin au Centre du territoire villageois, à Sabin et Yargo au Centre - Est, à Kossoupouré et Moyiri au Nord, et Zipellé au Sud.
A à partir de la figure 4, l’on constate aussi que le système de culture ZCAPA (combinant les 2 principes) est rencontré à Yilou mossin (au centre du village), à Yargo au centre-est et à Zipellé au Sud du village. Le système de culture LbCAPA (2 principes) est rencontré à Kossoupouré et Moyiri au Nord, et à Yargo, Zipellé, Yilou mossin, et Rakonabiri dans la partie centrale et Sud du village. Enfin, le système de culture DLCAPA (2 principes) est rencontré habituellement à Yargo dans la zone du Centre-Est et à Yilou mossin dans la zone Centre du village.
Le système de culture combinant les trois principes de l’AC est très présent au Centre-Ouest à Yiloumossin. Cela est lié certes au type de sol gravillonnaire (Zegdga) qui s’y prête selon les producteurs, mais aussi à la location du site du « Champ école paysan – agriculture de conservation » (CEP-AC) toujours selon eux. Plusieurs membres du champ école résident dans ce quartier et y apprennent les principes de travail minimal du sol de l’association de culture et du paillage tels que mis en place en AC.Sur la figure 4, seuls les principes de l’AC, qui apparaissent dans le système de culture, sont mentionnés. Ainsi, le paillage et l’association de culture se retrouvent sur l’ensemble du territoire villageois, mais les spécificités en termes de travail du sol permettent de relever que le labour est dominant sur les sols limoneux (Baaongho).
La répartition spatiale des systèmes de cultures de Yilou a montré une dispersion des systèmes de culture existants. Les travaux ont ainsi évolué vers des propositions d’ajustements dans la gestion des résidus de culture afin de garantir la possibilité de couverture végétale permanente du sol et de permettre aux producteurs de pouvoir affirmer faire de l’AC. En effet, la dynamique d’adoption de l’AC que l’on remarque dans les systèmes de culture ainsi que les adaptations qui sont faites (remplacer le semis direct par le zaï ou les demi-lunes), ont permis aux participants aux travaux de groupe de s’accorder sur la nécessité de proposer des changements dans la gestion des résidus de culture.
2.3. Les règles de gestion des résidus de culture, un accès mitigé
La gestion des résidus de culture a donné lieu à une narration rétrospective en séance plénière et par les producteurs eux-mêmes. Il est ainsi ressorti que dans les pratiques agricoles traditionnelles, les résidus de culture étaient destinés à l’utilisation publique sans conditions particulières d’accès. Tout producteur avait donc accès aux résidus de culture des autres sur tout le territoire du village de Yilou. Mais depuis quelques années, il y a un changement dans les pratiques en fonction de l’usage qu’y en est fait. C’est ainsi que les résidus de culture restent d’accès libre seulement pour un usage exclusivement fourrager.
D’après les producteurs, les résidus de culture peuvent être utilisés par tous afin de nourrir les animaux d’élevage, en particulier les bovins et les ânes, fortement sollicités dans les travaux champêtres. Les producteurs expliquent que l’on ne peut pas interdire l’accès des résidus de culture aux animaux parce que chacun d’entre eux en possède et ne peut pas se contenter de ses propres résidus de culture pour nourrir ses animaux.
Malgré ce statut légitime de ressource commune, l’accès n’est pas totalement libre car les producteurs reconnaissent que le propriétaire des champs est d’abord prioritaire pour les résidus de culture comparé aux autres. Dans les faits, il doit faire paître ses animaux en premier lieu durant les premiers mois après les récoltes. L’accès libre aux résidus n’intervient que pendant la période de « soudure » des animaux (période sèche chaude). Il ressort alors que les résidus de culture constituent une ressource pour laquelle il faut une autorisation avant d’en user collectivement.
Cependant, comme le montre la photo 1, des pratiques d’appropriation sont mises en œuvre pour empêcher que les résidus ne soient utilisés par des tiers.
Il s’agit, comme l’illustre cette image, de l’implantation d’un objet qui aurait un pouvoir mystique dont la virulence devrait dissuader des tiers d’user des résidus de culture sans autorisation.
Cette stratégie intervient lorsque le propriétaire du champ n’arrive pas à effectuer le ramassage de ses résidus pour les conserver à la maison avant de les ramener au champ dès les premières pluies. D’autres stratégies consistent au stockage de la paille sur les hangars et les arbres au champ ; ou alors le propriétaire procède à leur surveillance au champ.
Ces pratiques ont été énumérées lors des discussions en plénière. Cependant, elles présentent des inconvénients quant à leur efficacité en vue d’avoir suffisamment de résidus de culture et réaliser le paillage de leur champ. En effet, les producteurs expliquent que le transport, le stockage et la surveillance augmentent la charge de travail dans l’exploitation souvent handicapée par le manque de main d’œuvre et la faiblesse des animaux en début de saison pour le transport des résidus. Le temps et la capacité nécessaires pour développer des pratiques de gestion des aléas par l’utilisation des résidus de culture font que l’adoption des principes de l’AC s’effectue seulement sur de petites superficies.
Les échanges ont donc été conduits pour trouver de nouvelles options de gestion des résidus de culture et ont abouti à l’élaboration de six règles qui ont été édictées de façon hiérarchique en mettant en avant le besoin de couverture végétale du sol suivi de celui d’alimentation des animaux (tableau 1).
Tableau 1 : règles de gestion des résidus de récoltes
Règles |
Moyens d’application |
Responsables d’application |
Rabattre systématiquement les tiges après la récolte |
Aucun signalé |
Tous les producteurs |
La vaine pâture est interdite sans autorisation du propriétaire du champ |
Prévenir les éleveurs sur place et ces derniers préviendront ceux de la transhumance |
Tous les producteurs |
Interdit de brûler les résidus de culture d’autrui |
Aucun signalé |
Tengsoba (chef de terre) |
Interdit de voler les résidus de culture |
Usage d’objets dissuasifs, plaques indicatrices, surveillance |
Tous les producteurs |
Prélever les tiges minces pour conserver et alimenter le bétail |
Emporter les tiges à la maison Stocker les tiges sur les arbres ou sur des hangars bas clôturés au champ |
Tous les producteurs |
Interdit de ramasser les résidus des zippélés |
Usage d’objets dissuasifs, plaques indicatrices, surveillance |
Tous les producteurs |
Sources : données terrains des auteurs
Les échanges ont permis de proposer une formalisation des stratégies individuelles de gestion des résidus déjà existantes. La proposition innovante concerne la mise en place d’une plaque indicatrice pour dissuader de pratiquer la vaine pâture sur certains champs.
De plus, la mise en application de ces règles a été recentrée sur deux acteurs que sont les producteurs eux-mêmes et le chef de terre (Tengsoba). Pour favoriser la mise en œuvre de celles-ci, les producteurs ont estimé qu’il fallait diversifier les sources d’alimentation du bétail à travers l’augmentation de la culture des légumineuses et des plantes fourragères. Une autre innovation a été de trouver des sanctions (tableau 2) pour garantir le respect des nouvelles propositions de gestion des résidus de culture.
Tableau 2 : les sanctions face au non-respect des règles
Règles |
Responsables d’application |
Sanctions en cas de violation |
Interdit de ramasser les résidus sans prévenir le propriétaire du champ |
Chef de terre |
Demander au chef de terre de maudire la personne |
La vaine pâture est interdite sans autorisation du propriétaire du champ |
Chef de terre Maire |
Paiement d’une amende allant de 2-10 sacs de mil |
Interdit de ramasser les résidus des zippélés |
Chef de terre |
Demander au chef de terre de maudire la personne |
Interdit de voler les résidus de culture |
Propriétaire du champ |
Remboursement en fonction de la quantité volée |
Interdit de brûler les résidus de culture d’autrui |
Chef de terre Service d’agriculture Service des eaux et forêts |
Paiement d’une amende ou Demander au chef de terre de maudire la personne |
Sources : données terrains des auteurs
Ces sanctions, en s’appliquant à tous, rendent toute la dimension collective à ces ensembles de règles qui devront être connues et respectées de tous, et garanties par les autorités locales. C’est le Tengsoba qui a automatiquement été désigné pour jouer le rôle de garant de ces règles. Il doit informer les producteurs du village et renouveler la sensibilisation à chaque fin de campagne à travers le crieur public. Par ailleurs, cet ensemble de règles doit être soumis à l’appréciation de tous les habitants du village. Des acteurs comme le Conseil Villageois de Développement (CVD), les conseillers, le maire, le chef de terre et le chef du village devront être au cœur de la sensibilisation sur les nouvelles modalités de gestion des résidus de culture.
3. Discussion
Pour l’insertion de l’AC à l’échelle de tout le territoire villageois, la planification s’est faite de façon communautaire grâce à la cartographie participative et le diagnostic des systèmes de culture existants. Ces démarches ont permis de montrer que les systèmes de culture sont dispersés sur l’ensemble du territoire villageois. De cette dispersion est ressortie une nécessité d’effectuer des ajustements dans la gestion des terres et des résidus de culture. Cette nécessité d’ajustements a également été notée par J. ASHBURNER et al. (2002 p. 2) pour les cas d’insertion de l’AC en Afrique centrale. Les propositions d’organisation du territoire en vue du développement collectif de l’agriculture de conservation ont été facilitées par l’utilisation de la cartographie participative. En effet, comme le souligne F. BURINI (2012, p. 2) dans ses travaux sur la planification communautaire au Bénin et au Burkina Faso, les supports cartographiques produits permettent de négocier en tenant compte de tous les acteurs présents et utilisant le territoire dans la création de nouveaux espaces d’action. On s’assure à travers une entrée par le territoire que tous les acteurs sont bien pris en compte comme le souligne S. GIRARD (2012, p. 2).
Ainsi, pour la présente étude, la dispersion des pratiques de couverture végétale du sol et de façon générale du système de culture le plus proche de l’AC a conduit à exclure l’option de zones dédiées où il y aurait une restriction de la vaine pâture. Ces résultats sont également obtenus par J. BOURGOIN et al. (2012) au Laos lors de travaux pour l’adoption de l’AC dans trois provinces du pays. Ainsi, le changement radical par la définition d’une zone dédiée à l’AC n’a pas été considéré comme faisable selon les producteurs à la fin de la spatialisation des systèmes de cultures du village. Ce changement impliquerait, en effet, une remise en cause des équilibres existants dans l’exploitation des espaces selon le type de sols ou les cultures traditionnelles, par exemple. Mais, bien que l’existence de la vaine pâture soit considérée comme normale par les producteurs, c’est l’option de renouvellement des règles de gestion des résidus de culture qui a été proposée et qui a guidé la suite des travaux.
Il apparaît, en effet, une évolution croissante dans la gestion des résidus de culture. Cette évolution concerne les perceptions et les usages autour du statut des résidus de culture. Jadis perçus comme une ressource à usage collectif sans aucune restriction, ces résidus de culture sont tantôt une ressource commune (E. OSTROM et L. BAECHLER 2010, p. 44) à usage exclusif des animaux pour leur alimentation, tantôt une ressource privée destinée à la couverture végétale du sol. Cette évolution de l’usage diversifié des résidus de culture entraine un changement dans sa gestion comme ressource commune. T. DIETZ, E. OSTROM et P. C. STERN (2003, p. 1) expliquent que, selon la lecture de Hardin, les changements environnementaux interviennent entre autres, par suite d’une augmentation de la demande en services environnementaux et ressources naturelles. Cela peut expliquer pourquoi les usages domestiques des résidus de culture (bois de chauffe et potasse) soient en train de décliner face à la pression des besoins en alimentation animale et en restauration de la fertilité des sols. L’évolution des attitudes et des pratiques conduit à une préservation des résidus de culture plutôt qu’à leur abandon. Ce qui a permis le développement de pratiques d’appropriation individuelle et de réglementation d’accès des résidus de culture.
Cette évolution des perceptions sur l’usage des résidus entraine une évolution de l’accès qui est passée de l’accès libre à l’accès contrôlé par des règles reconnues et acceptées par l’ensemble des producteurs. Mais pour l’instant, ce sont des règles informelles issues des pratiques individuelles. Certes, elles sont légitimes et concordent avec le code de l’environnement (interdiction des feux de brousse ou de la divagation des animaux). Mais il y a un hiatus entre ce code et la loi nationale sur le pastoralisme (ASSEMBLÉE NATIONALE, 2003), qui jusque-là autorise la vaine pâture sans restriction. Dans ces conditions, l’innovation serait alors de négocier une charte locale (E. VALL, M. A. DIALLO, F. OUATTARA 2015, p. 54) sur la gestion des résidus de culture conformément à l’esprit de la loi 034 portant régime foncier rural de 2009 qui reconnait que la vaine pâture est libre et ouverte à tous, mais qui permet de formaliser certaines conventions d’utilisation de ressources naturelles en fonction des réalités locales ou de la volonté des populations à une échelle locale (ASSEMBLÉE NATIONALE, 2010). C’est cet ensemble de facteurs qui a prédisposé l’équipe de recherche à appuyer les producteurs lorsqu’ils ont pensé à l’option de nouvelles règles de gestion des résidus de culture. Pour des actions de ce type, c’est-à-dire à portée collective, la cartographie a été très utile comme support pour mener des entretiens semi directifs quant à la gouvernance des résidus. Cette approche peut être renforcée par une véritable formation des acteurs en matière de gestion rationnelle des ressources naturelles et sur les mécanismes de mise en place et d’animation des chartes foncières en tant que conventions locales.
Les difficultés, qui peuvent d’ores et déjà survenir, concernent les moyens d’application des garde-fous aux règles de la convention locale. Une telle démarche de recherche peut susciter de la réserve quant à la capacité réflexive du chercheur qui se trouve engagé en faveur d’une pratique. Cependant, la flexibilité de l’équipe de recherche a permis de faire remonter des options de systèmes de culture sans induire forcément un « tout pour l’AC ». Ensuite, cette recherche a permis de réfléchir à la construction sociale du statut de ressource commune ou de ressource privée des résidus de culture. C’est un champ à explorer pour observer les dynamiques d’appropriation des ressources sous le joug de la variabilité climatique et des choix de systèmes de cultures pertinents pour assurer la production agricole.
Conclusion
Ce travail montre la nécessité de s’intéresser à l’échelle territoriale et aux solutions collectives pour favoriser l’adoption d’innovations agricoles telles que l’agriculture de conservation. Dans le village de Yilou, l’option de zonage pour favoriser l’insertion de l’AC a été écartée. Des règles individuelles ont été proposées pour être formalisées et légitimées à l’échelle collective. Cette planification communautaire gagnerait à se poursuivre sous forme de charte ou de convention locale sur les résidus de culture. Cela s’inscrirait dans le contexte national de développement des conventions locales pour appuyer le développement territorial par une sécurisation accrue des pratiques durables. L’exploitation des résidus de culture par de multiples acteurs pose la question du type de système de gouvernance à mobiliser pour mettre en place une gestion collective, concertée et durable.
Références bibliographiques
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Auteurs
1Centre Universitaire de Ziniaré (CUZ), Université Joseph KI-ZERBO (UJKZ), ksheilamedina@gmail.com
2Centre Internationale de Recherche Développement sur l’Élevage en Zone Subhumide (CIRDES), dsdabire@yahoo.fr
3Centre de Coopération International en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD), nadine.andrieu@cirad.fr
5Centre International d’Agriculture Tropicale (CIAT), Cali, Colombie, nadine.andrieu@cirad.frespace