Sédentarisation de l’élevage et persistance des conflits agriculteurs-éleveurs chez les Senoufo à Karakoro dans le Nord de la Côte d’Ivoire

Résumé

En Afrique occidentale, le secteur de l’élevage fournit de l’emploi à environ 50% de la population active. En Côte d’Ivoire, l’élevage reste encore une activité économique en développement, avec une contribution d’environ 4,5% au PIB agricole et 2% au PIB national. Activité naguère marginalisée, l’élevage connait aujourd’hui un essor important auprès des populations senoufo, dans le Nord de la Côte d’Ivoire, notamment dans la Sous-préfecture de Karakoro. Cette étude aborde la question de la cohabitation conflictuelle de deux activités paysannes prépondérantes : l’agriculture et l’élevage, à Karakoro dans le département de Korhogo. La préoccupation centrale autour de cette thématique est la suivante : comment concilier l’agriculture et l’élevage dans un environnement où les pratiques ancestrales s’opposent à leur cohabitation. La méthodologie s’appuie sur la recherche documentaire, l’observation et les enquêtes auprès des agriculteurs et des éleveurs. Les résultats montrent que l’adoption de l’élevage par les populations senoufo répond à un souci de diversification de leurs ressources économiques. Les dégâts causés par les bœufs sur les cultures constituent la source des conflits entre les agriculteurs et les éleveurs à Karakoro.

Abstract

In West Africa, the livestock sector provides employment for about 50% of the workforce. In Côte d'Ivoire, livestock farming is still a developing economic activity, with a contribution of around 4.5% to agricultural GDP and 2% to national GDP. A formerly marginalized activity, livestock farming is currently experiencing a significant boom with the Senufo populations in the North of Côte d'Ivoire, especially in the Karakoro Sub-prefecture. This study addresses the issue of the conflicting coexistence of two predominant peasant activities: agriculture and livestock, in Karakoro in the department of Korhogo. The central concern around this theme is as follows: how to reconcile agriculture and livestock in an environment where ancestral practices are opposed to their coexistence. The methodology is based on documentary research, observation and surveys of farmers and breeders. This approach aims to analyze on the one hand, the factors of the emergence of conflicts between farmers and breeders, and to understand on the other hand, how the management of these crises is done in order to ensure both efficient access to resources available and good cohabitation between the two groups of actors. The results show that the adoption of livestock farming by the Senufo populations responds to a concern for the diversification of their economic resources. The damage caused by cows on crops is the source of conflicts between farmers and ranchers in Karakoro.

Introduction

Le Nord de la Côte d’Ivoire est une zone caractérisée par un ensemble de savane où l’élevage transhumant peulh a été introduit dans les années 1970. Mais bien avant cette période, les Senoufo pratiquaient un élevage de type familial, à petite échelle autour des concessions, dans des enclos. Il comprenait la volaille, les ovins, les caprins et des bœufs. Cette activité était destinée à financer les travaux champêtres et quelquefois les événements occasionnels tels que les mariages et les funérailles (D. KOHLHAGEN, 1998, p. 13). Ce n’est récemment que l’État a décidé d’initier une politique de sédentarisation des éleveurs peulhs qui étaient en transhumance dans la zone depuis les années 1970 (Y. DIALLO, 1995, p. 1). Cette initiative étatique vise le développement de l’élevage de bœufs afin d’assurer les besoins essentiels des populations en viande. Pour ce faire, l’État a favorisé en 1975, la mise en place de la Société pour le Développement de la Production Animale (SODEPRA), avec en toile de fond, l'aménagement des zones Sylvio-pastorales de la Palé sur 200 000 ha, située près de Boundiali et l'aménagement des zones agro-pastorales de Lokpoho réalisées sur 110 000 ha (Y. DIALLO, 1995, p. 2). Avec l’exécution de ces projets, l’on assistera à l’accroissement rapide du nombre de têtes du bétail en passant 55 000 en 1975 à 70 000 têtes en 1999 (T. LE GUEN, 2002, p. 13). Mais l’émergence des conflits entre éleveurs peulhs et les agriculteurs senoufo, poussent les premiers (peulhs) à abandonner leurs lieux d’installation. Ainsi, après le départ de ceux-ci, les Senoufo prennent le relais puisqu’ils ont très tôt pris conscience de l’utilité et l’apport de l’élevage de bœufs, tant au niveau économique que socio-culturel.

Dans la Sous-préfecture de Karakoro comme dans l’ensemble du nord ivoirien, l’élevage de bœufs a pris rapidement de l’ampleur et s’est traduit par la multiplication des parcs à bœufs en milieu rural. Le développement de l’activité et la forte pression sur les ressources disponibles ont entrainé dès le départ des conflits entre les autochtones senoufo et les nomades peuhls. Mais aujourd’hui, les conflits opposent les membres de la même communauté autochtone, c’est-à-dire, les Sénoufo éleveurs et les senoufo agriculteurs. La question qui mérite d’être posée est de savoir, pourquoi les conflits éleveurs-agriculteurs persistent-ils entre autochtones senoufo malgré le départ des nomades peulhs ? Quels sont les déterminants de ces conflits et comment sont-ils réglés ?

L’objectif de cette étude est de connaître les causes de la persistance des conflits entre les éleveurs et agriculteurs senoufos. De façon spécifique, il s’agit de :

  • identifier les pratiques dans le domaine de l’élevage qui sont source de conflits entre agriculteurs et éleveurs senoufo ;
  • montrer les manifestations de ces conflits entre les agriculteurs et les éleveurs 
  • montrer  l’impact socio-culturel, économique et spatial, et les mécanismes de gestion de ces conflits dans la communauté

1. Matériel et méthode

L’étude repose sur les résultats issus de la recherche bibliographique et d’enquêtes de terrains à partir  d’un questionnaire et d’entretiens avec les personnes ressources directes et indirectes impliquées dans l’encadrement des éleveurs et la gestion des conflits entre éleveurs et agriculteurs dans la région. La méthode du choix raisonné a été privilégiée pour le choix des villages à visiter, car elle n’appelle pas à des calculs statistiques complexes d’échantillonnage. Ainsi, sur les 106 villages que compte la sous-préfecture de Karakoro (figure 1), on a seulement retenu que six (06) localités où les conflits entre éleveurs et agriculteurs sont plus pertinents (tableau 1). Pour déterminer la taille de l’échantillon des acteurs au conflit à étudier, la mise en place d’un plan de sondage a été essentielle. Ce plan de sondage a rencontré une difficulté qui est celle des effectifs des éleveurs et des agriculteurs à réduire dans les localités enquêtées. La résolution de cette difficulté demande des connaissances en statistique différentielle et en théorie de l’échantillonnage, comme le soulignent Gumuchian, Marois et Feve (2000, p. 23). Ces connaissances démontrent qu’il existe une formule et/ou une équation que l’on peut employer pour ajuster la taille de l’échantillon d’une population relativement nombreuse dans une zone d’étude. Cette formule et/ou équation est la suivante :

Avec :

n : Taille de l’échantillon.

N : Taille de la population cible. Dans le cas N est estimé à 612 ménages.

P : Proportion attendue d’une réponse de la population ou proportion réelle. Cette proportion varie entre 0 et 1. Notre enquête porte sur plusieurs critères et nous n’avons pas de valeur de cette proportion. Dès lors, nous prenons la valeur par défaut qui est fixée à 50% soit 0,5.

tp : Intervalle de confiance de l’échantillon. A un niveau de confiance de 95%, tp= 1,96

y : La marge d’erreur de l’échantillon. Pour cette étude, la marge d’erreur est de 0.07.

Application de la formule :

 

                                n = 149

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La taille minimale de l’échantillon est de 149. Cependant il est important de noter qu’on peut enregistrer des cas de défections ou de refus de la part de certains sujets à enquêter. Pour remédier à ce problème, il s’agit de multiplier la taille de l’échantillon par l’inverse des taux de réponse, comme le conseillent encore Gumachan, Marois et Feve (idem). Dans le cadre de cette étude, il est évalué à 95%. La taille d’échantillon de ménages corrigés noté n* dans notre étude est : n = (149 x 100 / 95) = 157. Ensuite, il faut calculer le taux de sondage « J » pour déterminer la proportion exacte de ménage à enquêter dans chaque localité. Ce calcul est le rapport entre l’échantillonnage corrigé et la population cible. Ainsi on a :

Application :

D’abord, on constate une inégale répartition des ménages des villages d’enquête ; ce qui constitue une entrave pour l’efficacité de l’enquête. Pour ce faire, il a fallu déterminer la taille représentative des ménages à enquêter par village à partir de la proportion de ménages (J =  25,49%). K représente la taille des ménages à enquêter par localité et H est le nombre total de ménages de chaque village. On calculera par exemple le nombre des ménages à enquêter dans le village de Morovine en appliquant la formule suivante : K= (J x H) /100. Dans ce cas, J = 25,49 et H = 58

Application : K= (25,49 x 58) /100

K = 15 ménages. On enquêtera donc 15 ménages dans le village de Monovine. Le nombre des ménages de l’ensemble des villages est consigné dans le tableau 1 et les villages d’étude représentés dans le tableau 1 ci-après.

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2. Résultats

 2.1. L’élevage  sédentaire, une activité adoptée par les paysans malgré elle-même

2.1.1. Une population encore marquée par l’agriculture en dépit de l’essor de l’élevage

La sous-préfecture de Karakoro compte 19 243 habitants (RGPH, 2014). Ils sont majoritairement jeunes et composés de 46,45% d’hommes et 53,55% femmes. Même si cette population a une tradition agricole comme la plupart des Senoufo de la région du Poro dont le chef-lieu du département est Korhogo, il faut cependant noter qu’aujourd’hui, elle s’adonne de plus en plus à l’activité d’élevage. Les données de l’enquête révèlent que 52% des ménages ont pour unique activité l’agriculture, tandis que 37% combinent à la fois l’agriculture et l’élevage et 11% des ménages sont typiquement des éleveurs (figure 2).

En détail, l’analyse de la figure montre que 89% des ménages enquêtés pratiquent au moins l’agriculture et 48%, l’élevage. Cela démontre qu’il existe une intégration de l’élevage dans le genre de vie de cette population même si elle reste largement agricole. Dans la Sous-préfecture de Karakoro, les jeunes n’ont pas souvent la possibilité d’avoir leurs propres terres à cultiver, car ils sont en général marginalisés dans l’accès à la propriété foncière.

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Ils ne cultivent que les terres familiales. Aujourd’hui, l’élevage se présente pour eux comme une opportunité d’insertion socio-économique dans une zone marquée par une densité de populations excédant 100 habitants au km2 et où les cultures pérennes, notamment l’anacardier, mobilisent les terres agricoles. En général, les jeunes représentent 65,38% de la population active de la zone d’étude. Leur âge est compris entre 25 et 45 ans. Dans cette catégorie, on dénombre 7,84% d’éleveurs, 55,88% d’agriculteurs et 36,27% conciliant élevage et agriculture. Les personnes âgées sont celles qui ont plus de 45 ans. Ils sont dans la majorité des cas, des propriétaires terriens. Parmi eux, 25% sont des éleveurs, 30% sont essentiellement agriculteurs et 45% pratiquent à la fois l’agriculture et l’élevage. La figure 3 ci-après présente la répartition des ménages selon les classes en fonction du type d’activité pratiquée dans la Sous-préfecture de Karakoro.

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Les cheptels de l’élevage autochtone à Karakoro sont composés de bovins, d’ovins, de caprins et de porcins. Dans l’ensemble, c’est un élevage de type traditionnel. Mais, selon les témoignages de certains éleveurs, ils bénéficient d’un encadrement des agents techniques de l’ANADER jouant aujourd’hui le rôle de la SODEPRA (une société d’État dissoute en 1984).

L’élevage le plus répandu est celui des bœufs comparativement à l’élevage des moutons. Les bœufs sont parqués dans de grands enclos tenus souvent à l’écart des concessions et surveillés par un bouvier, tandis que les moutons sont élevés dans de petits enclos à proximité des cours familiales comme le présente la planche 1. Les parcs renferment en moyenne 50 bœufs appartenant à plusieurs propriétaires.

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La garde de ces animaux est confiée aux pasteurs peulhs qui bénéficient d’une rémunération fixe quelle que soit la taille du cheptel. Ce salaire oscille entre 25 000 et 30 000 F CFA/mois lorsqu’il y a eu un consensus entre le propriétaire et le pasteur. Dans d’autres cas, la rémunération peut se faire par tête de bœufs, dont le montant varie entre 150 et 300 F CFA par tête, mais la production et la vente du lait sont au bénéfice du peulh.

En dehors de ces troupeaux parqués dans des enclos, il y a des bœufs (1 à 3 têtes) essentiellement élevés par les agriculteurs pour les besoins des pratiques agricoles. Ces bœufs servent à la culture attelée, c’est-à-dire, une charrue attachée et tirée par l’animal pour labourer le sol pouvant accueillir les semences. Ces animaux sont élevés dans les domaines familiaux tout comme le petit bétail (ovins et caprins). Au niveau domestique, l’élevage des ovins est le plus prisé dans la Sous-préfecture de Karakoro, car il occupe 46% d’agriculteurs. Cela découle du fait que les bœufs sont devenus indispensables à l’agriculture. Ils permettent aux paysans de labourer de grandes superficies afin de produire suffisamment des vivriers utiles à leur consommation. Ces bœufs compensent ainsi les travaux de labours des sols, très pénibles et harassants effectués à la main par les paysans. Ainsi, en milieu rural, posséder un bœuf est considéré non seulement comme une nécessité absolue, mais aussi un prestige social au sein de la communauté. Les autres ménages qui n’en disposent pas, peuvent soit le louer, soit le solliciter pour une aide en lien avec le système d’entraide intercommunautaire pour labourer leurs champs. Quant au secteur des porcins et des caprins, il représente  respectivement 28% et 26%. Conférant au propriétaire un rang social honorable, ils sont élevés pour apporter de la protéine animale aux familles, mais aussi, ils sont utilisés pour les cérémonies de fêtes religieuses et de fin d’années, de mariage, de naissance, de funérailles et d’adoration des esprits, et pour la vente en vue d’engranger des revenus.

2.1.2. L'élévage, une simple alternative économique pour les paysans senoufo

L’intégration de l’élevage dans les pratiques culturales des populations senoufo, dans le Nord ivoirien, a été fortement encouragée par l’État. À travers cette politique, il s’agissait de permettre aux Senoufo de surmonter les différends qui les opposent aux éleveurs peuls en ayant une meilleure connaissance de l’activité pastorale. Pour ce faire, l’État a créé des structures d’encadrement de l’élevage, en l’occurrence la Société du Développement des Productions Animales (SODEPRA), en 1970. Cette structure était chargée de promouvoir le développement de l’élevage sous toutes ses formes dans la zone septentrionale du pays. Cette partie était propice à cette activité du fait de la présence de la savane herbeuse utile à la création des pâturages. Les actions de l’État se sont traduites par l’implantation de 270 retenues d’eau (Le Guen,  2004, p. 2) en vue de faciliter l’adoption cette activité. Cette initiative étatique a eu un accueil favorable au sein de la population senoufo. Ainsi, de nombreuses familles vont s’essayer à l’élevage bovin en s’appuyant sur l’expérience des peulhs engagés comme des salariés pour garder les troupeaux des propriétaires senoufo ou malinké. L’activité pastorale n’est pas une activité de préférence du senoufo. L’essor de cette activité s’inscrit également  dans un contexte de chute des cours des principales spéculations agricoles. À Karakoro, comme dans l’ensemble des localités du Nord du pays, les cours de principales spéculations fondées sur la culture du coton, de l’anacarde et la mangue connaissent une fluctuation très préjudiciable à l’économie des paysans. En dehors des cours de la mangue qui connaissent une évolution sensible depuis 2011 jusqu’en 2017 (tableau 1), celui de l’anacarde (une culture en plein essor) connait des variations brutales entre 2017 et 2019 (tableau 2). Les prix sont passés de 300 F CFA en 2018 à 150 F CFA en 2019, soit un manque à gagner énorme de 650 F CFA pour les paysans.

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En ce qui concerne la culture du coton, elle est confrontée à une baisse du rendement due d’abord à l’appauvrissement des sols du fait de la surexploitation, ensuite aux difficultés d’accès des paysans aux intrants et enfin à la prolifération des plantations d’anacardiers qui ne s’accommodent pas bien à sa culture. Le tableau 3 ci-après présente le rendement moyen du coton à l’hectare de 2007 à 2017 en Côte d’Ivoire.

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L’analyse des données du tableau 3 montre de façon générale, qu’entre 2007 et 2017, le rendement du coton en Côte d’Ivoire oscille autour d’une (01) tonne par hectare. Cette faible productivité du coton a amené bon nombre de planteurs du coton à abandonner pour s’orienter vers la culture de l’anacarde qui est plus rentable et dont la culture est moins contraignante que celle du coton.

Dans le paysage agraire de la Sous-préfecture de Karakoro, marqué par les cultures spéculatives, l’élevage occupe de plus en plus une place de choix dans le système socio-économique villageois. L’élevage senoufo était jusque-là composé essentiellement de petits bétails destinés au financement d’événements exceptionnels tels que les mariages et les funérailles (Kohlhagen D., 1998, p. 11). Mais désormais, les populations entendent en faire une activité de premier plan. Elles adhèrent au principe que les animaux peuvent aussi servir « de banque » pour le petit paysan, de protection contre l’instabilité économique en période difficile et comme source d’emploi tout au long de l’année. Selon les renseignements collectés auprès des bouchers, les clients des éleveurs dans les zones rurales, le prix d’un bœuf est évalué entre 250 000 et 500 000 F CFA, celui d’un mouton, entre 25 000 et 65 000 F CFA et celui d’un port entre 35 000 et 150 000 F CFA selon la taille de l’animal. Les prix de la viande de bœuf connaissent un renchérissement à des moments imprévus. Par exemple, de 1 200 F CFA le kilogramme en 2010, le prix est passé à 1 500 F CFA dans la région du Poro et à 2 500 F CFA dans les autres villes du pays en 2019. Ces prix constituent, on peut le dire, un gain important pour les acteurs de la boucherie même s’ils disent que les prix de la viande sont en fonction du coût élevé des bœufs et des taxes municipales imposées pour l’abattage des animaux et la commercialisation de la viande. Il faut noter qu’à Karakoro, près de 80% des bouchers répertoriés sont des autochtones senoufo. Ils disent gagner bien leur vie malgré le coût d’achat élevé des bœufs et 70% de bœufs abattus proviennent de l’élevage local. 

2.2. L'élevage, une activité au cœur d’une relation conflictuelle avec l’agriculture

2.2.1.De la concurrence dans l’accès aux points d’eau  

La destruction des cultures par les animaux est l’une des principales causes des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la Sous-préfecture de Karakoro. L’avènement de ces conflits est consécutif à la concurrence dans l’accès aux points d’eau utiles à la fois pour les besoins de l’agriculture et pour l’abreuvage des troupeaux. En effet, avec l’introduction des cultures pérennes telles que la mangue ainsi que l’anacarde dans le paysage agraire senoufo, l’on a assisté à la régression la végétation herbeuse, aliment vital pour le bétail. Aussi les éleveurs se plaignent-ils de l’occupation des pistes d’accès aux points d’eau par les agriculteurs. L’encombrement des voies de passage par l’agriculture ne donne aucune autre alternative aux animaux que de piétiner ou de manger les cultures avant d’accéder aux pâturages ou au lieu d’abreuvage. La monopolisation des espaces par les cultures et la raréfaction des terres des plateaux ont conduit les populations vers les points d’eau de retenu et les terres de bas-fonds pour la culture du riz et des produits maraîchers. La nécessité d’utiliser de l’eau pour les besoins de l’agriculture et pour l’abreuvage des animaux entrainent de nombreux conflits liés à la gestion des ressources. La gestion de l’espace autour des points d’eau et particulièrement la destruction des parcelles aménagées en produits vivriers constituent des goulots d’étranglement dans les relations entre les éleveurs et les agriculteurs. La figure 4 présente la situation en proportions des dégâts causés par les animaux sur les différentes cultures dans la zone d’étude.

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À l’analyse de la figure 4, l’on se rend compte que les cultures les plus touchées par les dégâts concernent celles des rentes (les noix d’anacarde et les graines de coton), les cultures maraîchères (la laitue, la tomate, les aubergines, le concombre, le chou, le combo, etc.) et les cultures vivrières (le maïs, le sorgho, le riz, etc.). On note que les cultures les plus détruites sont les cultures de rente avec une proportion de 44%. Les dégâts sur les cultures maraîchères représentent 30% tandis que les cultures dites vivrières font 26% des dégâts causés aux cultures de la zone d’étude.

2.2.2. Mauvaise qualité des enclos et divagation des animaux

Les dommages causés sur les cultures sont dus en général à un niveau de sécurisation faible des enclos et à un manque de personnel expérimenté pour le suivi efficient des animaux. Très souvent, les enclos des parcs sont mal protégés et construits de façon négligée si bien qu’ils ne peuvent pas empêcher les animaux de sortir à l’insu du bouvier. Généralement, c’est à la faveur de la nuit que les animaux sortent des enclos de fortune au moment où ils ne sont plus surveillés. Ils profitent ainsi de ces moments nocturnes pour faire des ravages dans les champs des paysans en détruisant les fruits de leur dur labeur. Ces enclos construis sommairement en haie ne constituent pas en réalité une garantie de sécurisation optimum et n’empêchent pas les animaux de sortir pour divaguer la nuit dans les champs. La photo 3 ci-dessous constitue une illustration d’un enclos de fortune d’un parc de beaufs à Pangarikaha.

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En plus des enclos de fortune, la divagation des animaux peut être amputér au manque d'une main-d’œuvre (bouviers) qualifiée pour garder et guider à bon escient les bétails. En effet, le Sénoufo n’exerce pas lui-même le métier de bouvier. Cependant, pour tirer profit de ce secteur économiquement porteur, il confie la sécurité et le guidage de ses troupeaux aux bouviers peulhs, qui, dans la plupart des cas, ne sont généralement pas bien formés à ce métier. De plus, les propriétaires des troupeaux se trouvent régulièrement confrontés à un manque de pasteurs ; ce qui les oblige à confier leur cheptel qui comprend souvent des centaines de têtes, à un seul individu. Or, pour un agent vétérinaire interrogé à la direction départementale des Ressources Animales et Halieutiques de la zone de Karakoro, il faut au moins deux pasteurs pour garantir une surveillance adéquate à un troupeau qui comprend environ 50 têtes. Une insuffisance de pasteurs n’est pas le seul facteur de la divagation des animaux, elle est due aussi à l’état très défectueux des enclos qui ne facilite pas la surveillance accrue des animaux. Le tableau 4 ci-après présente un exemple de l’état de désuétude de la plus part des enclos enregistrés dans la zone d’étude.

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L’analyse des résultats du tableau 4 révèle que la majorité (55,45%) des enclos est défaillante contre 44,55% en bon état. En détail, on note que ce sont les enclos des parcs de bœufs qui sont plus en état de désuétude avancé (80%) contre 20% en bon état. Ces chiffres attestent que la construction des enclos des bœufs n’est pas faite avec un grand soin, elle est négligée par les propriétaires des troupeaux. Ils sont ainsi responsables des dégâts causés sur les cultures des paysans. Pour les petits ruminants comprenant les caprins et les ovins, la situation de l’état des enclos se présente comme suit : pour les caprins, 34,37% d’enclos sont en désuétude avancée contre 65,63% en bon état et pour le cas des ovins, on a 20% d’enclos en mauvais état et 80% en bon état. Comme on le constate, les petits ruminants sont bien gardés, même si quelques têtes mal encadrés sont en divagation dans les champs. Mais leur impact dans la destruction des cultures est moindre, seulement 9%. Il faut noter que la plupart de ces ruminants sont parqués dans les domaines familiaux, près des concessions. Ils sont donc étroitement surveillés par leurs propriétaires qui les nourrissent avec des feuillages, des résidus d’aliments et des grains de maïs, etc. Enfin, les enclos des porcins comptent 26,08% de défaillance avancée et 73,92% sont bien entretenus. La plupart des porcs sont élevés en enclos dans les villages. Mais, on trouve tout de même des espèces villageoises qui errent dans les villages à la recherche de la nourriture, bien qu’étroitement surveillés par leurs propriétaires. Leurs dégâts sur les cultures représentent seulement 1%. En somme, selon les paysans, l’impact destructif d’animaux sur leurs cultures est largement imputé aux bœufs (90%).

2.3. Impacts socio-économiques et spatiaux des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la Sous-préfecture de Karakoro

2.3.1. L’élevage au cœur d’une mutation dans la configuration du paysage rural

La configuration du paysage a subi une mutation complète faisant passer des champs ouverts qui caractérisaient le paysage agraire à des champs de types fermés. On rencontre une multitude de bocages qui consiste en un système de sécurisation des champs. Une situation qui présage de niveau d’insécurité auquel les cultures peuvent être exposées à tout moment. Une situation de « qui vive » vécue par les paysans face à une horde de troupeaux pouvant surgir à tout moment. Les paysans tentent par plusieurs moyens de protéger les champs contre les troupeaux de bœufs. Ce système de champ fermé est une évolution dans les pratiques. Ces champs fermés sont pour l’essentiel ceints par des haies vives faites d’anacardiers plantés de façon très resserrée et accompagnée dans une moindre mesure des barbelés ou de branchages (planche 2).

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Ces espaces enclos sont le résultat des mesures de protection mises en place à l’échelle locale pour résoudre les tensions relatives à cette difficile cohabitation. Ce système traduit, à l’évidence, le niveau d’organisation des paysans. Ces espaces ainsi aménagés spontanément, sont le témoignage de l’évolution du contact du paysan avec l’espace. Ce paysage agraire constitué d’espaces barricadés rend compte de l’évolution des habitudes culturales des populations rurales et du rapport qui existe entre ces deux types d’activités (élevage/agriculture). Cette situation a poussé 85% des agriculteurs enquêtés à protéger leurs champs, contre 15% qui ne le font pas. Ces derniers considèrent leur champ comme des pièges à découvert pour le propriétaire du troupeau. En effet, une intrusion d’un troupeau dans le champ exposerait le propriétaire contrevenant au paiement des dommages et intérêts aux paysans victimes.

2.3.3. Les bas-fonds, des lieux de succession d’activités agricoles et pastorales

Le monopole des terres cultivables par les cultures pérennes en l’occurrence l’anacardier et le manguier, a suscité un recours aux bas-fonds jusque-là marginalisés pour des considérations ancestrales (ces lieux impropres seraient les endroits où les esprits malfaisants errent). Ces espaces hydromorphes autrefois négligés, constituent aujourd’hui un enjeu de convoitise, tant par les agriculteurs que par les éleveurs pour l’accès aux point d’eau utiles à leurs activités. Les agriculteurs exploitent les bas-fonds pour la production des denrées alimentaires à cause de de l’humidité permanente et de l’eau nécessaires aux cultures, tandis que les troupeaux de bœufs ont besoin du pâturage frais, mais aussi d’eau pour s’abreuver. Ces deux intérêts convergents constituent ainsi un goulot d’étranglement des conflits entre agriculteurs et éleveurs pour l’accès aux bas-fonds. Les conflits naissent dès lors que, les bœufs, dans leur déplacement en quête de ces ressources, piétinent ou broutent les cultures des paysans.

Pour juguler ces conflits, il se met désormais en place une succession d’activités entre éleveurs et agriculteurs en tenant compte de la succession des saisons climatiques. En effet, pendant la saison pluvieuse, notamment de juin à septembre, les bas-fonds sont occupés d’abord par les paysans pour la culture du riz. Ensuite, ils sont pris d’assaut par les femmes pour la production des cultures maraichères de contre saison à partir d’octobre à janvier, destinés à l’autoconsommation et à la commercialisation sur les marchés urbains locaux Pendant cette période, l’espace des bas-fonds est morcelé et chaque portion est protégée contre les animaux par toute sorte de matériel de récupération (photo 6). Enfin, à la suite de toutes les activités agricoles, l’élevage prend le relais à partir de février à mai, période au cours de laquelle les animaux se nourrissent de tous les résidus de la récolte vivrière et parcourent sans restriction toute l’étendue du bas-fond.

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2.4. La gouvernance des conflits agriculteurs et éleveurs à Karakoro

2.4.1. Les instances de résolution des conflits

Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont réglés à trois niveaux. Par ordre ascendant, ils sont d’abord réglés à l’amiable, ensuite au niveau de la chefferie traditionnelle puis enfin à la Sous-préfecture quand les protagonistes ne parviennent pas à un accord à l’étape des instances précédentes. Le règlement à l’amiable est l’affaire des commissions villageoises qui sont chargés de concilier les différentes parties. Il s’agit surtout d’éviter les représailles des paysans qui sont en général les grands perdants de ces conflits. Quand les dégâts sont mineurs, les paysans acceptent les excuses des éleveurs mais quand les dommages sont importants, la commission s’implique dans le calcul des indemnités à verser à la victime. Par exemple, en cas de consommation de noix de cajou à la suite du passage d’un troupeau dans une plantation, l’éleveur verse à titre de dommage l’équivalent de la récolte effectuée un jour avant le passage des bêtes. Mais ces arrangements ne rencontrent pas toujours l’assentiment des uns et des autres selon qu’il faut défendre ses intérêts. Dans ces conditions, les antagonistes ont recours à la chefferie traditionnelle. Ceux-ci regroupent les chefs de villages et le chef de canton. Ils sont souvent saisis dès que l’éleveur estime que l’indemnisation lui est trop couteuse. Ainsi, il s’agit pour ces autorités coutumières de faire prévaloir l’idée selon laquelle les deux parties doivent dépasser leur différend pour s’entendre sur la gestion rationnelle des ressources naturelles disponibles. L’appartenance des deux acteurs au même lignage facilite parfois la conciliation parce qu’il s’agit de ne pas créer des précédents au sein de cette entité sociale qui auront des répercussions sur l’avenir des générations futures. Ils arrivent que les montants fixés par la commission villageoise soient revus à la baisse par la chefferie dans un souci de cohésion sociale. Quand certains paysans se sentent lésés par ce genre de conciliabule, ils font recours au Sous-préfet. Mais, l’intervention de cette autorité administrative est de plus en plus rare car les mesures d’atténuation des conflits se multiplient à l’échelle des villages. De plus, l’autorité préfectorale ramène toujours le conflit à l’échelle de l’autorité coutumière pour un règlement à l’amiable d’autant plus qu’elle constitue un point l’encrage incontournable entre l’administration centrale et le pouvoir traditionnel.

2.4.2. Les mesures d’atténuation des conflits entre agriculteurs et éleveurs

Les parcelles aménagées par les agriculteurs sur les voies de passage sont perçues par les éleveurs comme une interdiction d’accès aux ressources naturelles disponibles et un piège tendu pour indemniser les cultures endommagées. Face à une telle situation qui peut aboutir à tout moment à des conflits ouverts, il est mis en place un ensemble de dispositions locales qui permet de les circonscrire. Pour ce faire, chaque année, avant la saison des pluies, les autorités préfectorales et coutumières sensibilisent les populations pour mettre en pratique un ensemble de mesures locales. Elles constituent entre autres, la sécurité des cultures, la création d’enclos et parcs, et la libération des couloirs de passage des animaux à travers les champs. Pour la protection des cultures pérennes comme la mangue et l’anacarde, les paysans plantent des anacardiers en rang resserré autour des champs ou utilisent des grilles barbelées autours des parcelles de cultures. Ce mode de protection empêche la pénétration des animaux dans le champ. En ce qui concerne les champs de coton, les paysans qui disposent des moyens, les clôturent avec des planches sciées et des babelés. Aussi la construction et la réhabilitation des parcs de bœufs et des enclos des petits ruminants (cabris et moutons) et des porcs ont été également recommandées aux éleveurs (photo 8) ; tout ceci, dans l’optique d’éviter les conflits récurrents entre les agriculteurs et les éleveurs.

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3. Discussion

L'expansion pastorale dans le nord de la Côte d'Ivoire est un phénomène relativement récent. Elle a été le fruit des migrations des Peulhs maliens et burkinabé et la demande de viande sans cesse croissante des populations ivoiriennes. Pour dynamiser le secteur d’élevage, l'État décide de mettre en place une politique d'accueil attractive de ces pasteurs désormais encouragés à se fixer en Côte d'Ivoire. Parallèlement, les autorités ivoiriennes vont ensuite pousser les populations autochtones du Nord, notamment les Senoufo traditionnellement agriculteurs, à s'intéresser davantage au secteur de l'élevage comme une alternative économique prometteuse.  Dans cette perspective, de nombreux investissements seront mis en œuvre à partir des années 1980 en termes d’aménagements agro-pastoraux et de structures d’encadrement permettant de valoriser le secteur. Aujourd'hui, les enjeux autour de l'élevage extensif cristallisent les tensions entre notamment entre agriculteurs et éleveurs senoufo en milieu rural.

La discussion autour de la question de l’élevage sédentaire en tant que facteur du nouveau jeu des conflits agriculteurs-éleveurs sera faite de quelques points saillants. Nos résultats ont montré d’emblée que l’essor de l’élevage sédentaire senoufo a été motivé par une volonté étatique visant à promouvoir l’activité pastorale dans le Nord du pays qui remplit les conditions favorables. Cette volonté politique s’est traduite par de nombreux investissements en termes d’aménagements de barrages à vocation agro-pastorale, comme l’indiquent les travaux de  recherches de Le Guen T., cité par K. H. KONAN et al, (2015, p. 26)Ces efforts des pouvoirs publics sont mis en évidence par D. KOHLHAGEN  , (1998, p. 13) lorsqu’il révèle en substance que le développement de l’élevage bovin est dû à une volonté politique nationale visant à mieux assurer l’autosuffisance alimentaire du pays. On note qu’en 1972, l’État consacrera la somme de 12 milliards de F CFA à l’importation de viande (dont 85% de viande bovine).  À partir de 1974, suite à la sécheresse dans les pays sahéliens exportateurs, les prix s’envolent. Ainsi en 1981, l’importation représentait environ 31 milliards de F CFA. Pour arrêter l’hémorragie financière qu’occasionne l’importation de la viande bovine, le gouvernement ivoirien met sur pied un programme ambitieux de développement agro-pastoral dans le Nord du pays pour répondre aux besoins de consommation des populations.

Nos recherches ont montré également que le développement de l’élevage sédentaire senoufo répondait à une logique de diversification des revenus des populations dans un contexte de fluctuations régulières des prix des principales spéculations qui instaure la pauvreté. Ils rejoignent ceux de S. COULIBALY, (1974 p. 118) et M. D. COULIBALY, (2003, p. 3) qui montrent que le potentiel productif en animaux intervient directement dans le processus de transformation socio-économique et entre dans la sécurisation alimentaire et nutritionnelle des populations à plusieurs égards. En effet, l’élevage, en tant qu’activité de production, s’inscrit dans la même dynamique, celle de sortir ou éviter que les hommes et les femmes rentrent dans le cycle vicieux de la pauvreté qui touche en majorité les populations rurales (62,45%) et de plus en plus celle des villes (24,5%). Du point de vue de la coexistence entre les activités agricoles et pastorales, les dernières ont toujours eu maille à pâtir avec les secondes vu que l’élevage en tant qu’activité nouvelle s’insère dans un paysage déjà  colonisé par l’agriculture. Ces résultats confirment ceux M. N. K. YOMAN et al, (2016, p.344) qui indiquent  que ces conflits concernent 78,95% des points d’eau autour desquels l’activité agricole est intense.  Une situation  de conflit qui est définie par D. KOHLHAGEN, (op. cit., p. 21) et SOUGNABE (2003, p. 6) comme résultante d’une  raréfaction actuelle des surfaces propices à l’élevage. Cette situation  s’explique d’une part par une augmentation générale du cheptel qui intervient, de surcroît, dans une période d’importante croissance démographique, d’extension des terres agricoles et de diminution de la qualité des pâturages. D’autre part, le développement rapide des cultures d’anacardier dans tout le Nord de la Côte d’Ivoire a considérablement réduit les jachères. Or ce sont précisément ces espaces que recherchent les éleveurs et qui, jusqu’à maintenant, permettaient une limitation des dégâts de cultureCette contribution a révélé enfin que le conflit a contribué à la réorganisation du paysage rural. Elle se rapproche de celle (P. H. BERNADET, p. 30) qui avance que les rapports de l’agriculture et de l’élevage qui sous-tendent de tels conflits sont résolus notamment par l’initiative individuelle  contraignant chaque jour, l’agriculteur comme l’éleveur à modifier l’organisation de son espace, de son travail, de ses techniques.

En définitive, il convient d’aller au-delà des conflits induits par les dégâts d’animaux, notamment les bœufs, sur les cultures des paysans. Il faut surtout considérer que l’élevage d’animaux domestiques constitue une activité destinée à la production alimentaire. Selon les statistiques du Ministère de l’agriculture et de la production animale en 2012, le secteur de l’élevage représente directement ou indirectement entre 30 et 40% de la valeur totale de la production agricole et alimentaire en Côte d’Ivoire. Les animaux peuvent ainsi être perçus comme un bon investissement rentable pour les paysans d’autant plus qu’ils constituent, sans aucun doute, une protection contre l’instabilité économique en période difficile, mais aussi comme source d’emploi tout au long de l’année (MPARH, 2003, p. 5) pour les bouviers et les bouchers. L’élevage d’animaux constitue donc une activité qui vient en appoint à l’agriculture, puisque déjà en 1999, le cheptel autochtone était estimé à 70.000 têtes (T. LE GUEN, 2004, p. 6). Enfin, le recours aux bœufs dans les travaux agricoles constitue un moyen efficace de productivité agricole abondante dans un contexte où l’agriculture reste encore largement tributaire des méthodes archaïques. En effet, en pays senoufo, les bœufs sont utilisés en attelage pour labourer la terre destinée aux semences. Cette innovation agricole permet non seulement de défricher et de labourer de grandes superficies, mais surtout elle permet d’accroître significativement les rendements des champs et renforce la disponibilité alimentaire et économique des paysans.

Conclusion

Bénéficiant de nombreux investissement dans les années 1980 en termes d’aménagements agro-pastoraux, de structures d’encadrement et d’un contexte économique peu stable, les Senoufo ont adopté l’élevage comme une alternative économique. Si la population a trouvé cette activité incompatible avec l’agriculture au regard des nombreux conflits qui opposent les agriculteurs et les éleveurs, celles-ci ont dû se rendre à l’évidence que les deux activités (élevage/agriculture) ont une obligation de coexistence. La proximité entre deux activités qui sont de part et d’autre extensives, conduit à une forte pression sur les réserves foncières et aux ressources naturelles disponibles (eau et végétation). Leur accès ou disponibilité entraine le plus souvent des crises régulières dans le corps social paysan dans la zone d’étude. Face à la complexité de la question, les pouvoirs publics s’en remettent aux autorités coutumières en leur laissant le soin de trouver des mécanismes de gestion efficace des crises qui surviennent. Dans ces conditions, les initiatives locales se multiplient et se sont pour l’essentiel tournées vers le protectionnisme. En effet, les différents systèmes de protection des champs contre les bêtes ont donné une nouvelle configuration au paysage agraire rural. On passe ainsi d’un paysage autrefois ouvert à un paysage partitionné et fermé. Les formes de règlement des conflits à l’amiable prennent maintenant le pas sur les recours aux pouvoirs publics ; ce qui conduit désormais à une transformation irréversible du genre de vie du paysan senoufo de Karakoro.

Référeneces Bibliographiques

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YOMAN Michaël  N’GOH  Koffi Oura Raphaël Kouadio et  DJAKO Arsène,  2016, Conflits d’usage des petits barrages pastoraux à Ferkessédougou, Nord de la Côte d’Ivoire: la difficile sédentarisation des éleveurs Peuls European Scientific Journal October  edition vol.12, No.29  pp 337-350

 

 

 

Auteurs

1Maitre-assistant, Département de Géographie, Université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo (Côte d’Ivoire) konanhyacinth@gmail.com

2Assistant, Département de Géographie, Université Peleforo Gon Coulibaly  de Korhogo (Côte d’Ivoire), gbodje75@gmail.com

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020