Recherches archéologiques dans la zone d’Abengourou : bilan et perspectives

Résumé

Le bilan des recherches archéologiques en Côte d’Ivoire montre que la zone d’Abengourou est très peu explorée et mal connue. Les données disponibles relèvent pour la plupart des découvertes fortuites réalisées par l’administration coloniale française ou des objets rapportés par les populations locales. Quelques sites ont été signalés, mais leur localisation reste encore vague et imprécise. Pour combler ce vide documentaire, deux campagnes de prospection archéologique ont été entreprises dans les parties sud et centre du département d’Abengourou. L’idée est d’évaluer le potentiel archéologique dans cet espace géographique, pouvant contribuer à l’éclairage du passé ancien de cette région. Cette étude s’inscrit dans un vaste projet de reconstitution du passé de la Côte d’Ivoire. L’approche est essentiellement archéologique, basée sur la prospection archéologique, soutenue par la recherche documentaire et l’enquête de terrain dans les localités d’Aniassué, Kodjinan, Adaou, Assoumoukro, Zaranou, Bebou, Ehuasso, Ebilassokro, Apprompron et le CNRA. Au terme de cette étude, trente-trois sites archéologiques ont été enregistrés, dont 17 villages désertés, 8 sites aurifères, 4 sites de réduction de fer, 2 sites lithiques, 1 site à céramiques et une ammonie. Sur la base de leurs caractéristiques matérielles, ces sites peuvent être classés en sites préhistoriques (les sites lithiques), en sites de l’âge du fer (les sites de réduction du fer) et en sites de la période historique (les sites de villages désertés, les sites aurifères, les ammonies). Toutes ces données ont permis de mettre en place une esquisse de la carte archéologique de l’Indénié, qui sera intégrée à celle de la Côte d’Ivoire. D’ores et déjà, ces données permettent de faire la lumière sur des aspects liés au peuplement ancien de cette partie du pays.                                

Abstract

The results of archaeological research in Ivory Coast show that the Abengourou area is little explored and poorly known. Most of the data available relates to fortuitous discoveries made by the French colonial administration or objects brought back by local populations. A few sites have been reported, but their location is still vague and imprecise. To fill this documentary gap, two archaeological prospecting campaigns were undertaken in the southern and central parts of the department of Abengourou. The idea is to assess the archaeological potential in this geographic space, which can help shed light on the ancient past of this region. This study is part of a vast project to reconstruct the past of Côte d'Ivoire. The approach is essentially archaeological, based on archaeological prospecting, supported by documentary research and field surveys in the localities of Aniassué, Kodjinan, Adaou, Assoumoukro, Zaranou, Bebou, Ehuasso, Ebilassokro, Apprompron and the CNRA. At the end of this study, thirty-three archaeological sites were recorded, including 17 deserted villages, 8 gold sites, 4 iron reduction sites, 2 lithic sites, 1 ceramic site and an ammonia. Based on their material characteristics, these sites can be classified into prehistoric sites (lithic sites), Iron Age sites (iron reduction sites), and historic period sites (village sites). deserted, gold sites, ammonia). All these data have made it possible to draw up a sketch of the archaeological map of Indénié, which will be integrated with that of Côte d'Ivoire. These data are already shedding light on aspects related to the ancient settlement of this part of the country.

Introduction

L’archéologie ivoirienne, malgré les efforts consentis par les prédécesseurs, a accusé beaucoup de retard à l’instar des pays comme le Ghana, le Mali, le Burkina Faso, le Sénégal et le Niger. Si les parties sud, nord et centre du pays sont mieux connues, compte tenu des conditions environnementales favorables à la recherche ; ce n’est pas le cas pour la zone forestière, la végétation dense ne permet pas une vue nette au sol. Le département d’Abengourou, une zone située à l’est de la Cote d’Ivoire n’en est pas en reste. Au stade actuel des recherches, nos connaissances se limitent aux travaux de M. LHOMME (1904, p. 5), R. MAUNY (1972, p.27), C. H. PERROT (1982, p.51-178), G. GONNIN et K. R. ALLOU (2002, p.201) et de H. KIENON-KABORE (2006, p.88).

En effet, les investigations archéologiques dans la zone d’Abengourou ont débuté en 1904. Elles sont l’œuvre de M. LHOMME (1904, p.5), administrateur des colonies en Côte d’Ivoire. Dans la monographie du cercle de l’Indénié, annexée à la décision du 30 Novembre 1904, il mentionne l’existence de pierres d’aigris, qu’il dit semblables à celles qu’on rencontre sur les bords du fleuve Comoé et dateraient de la préhistoire. Le même auteur signale la présence de pierres taillées se présentant sous la forme de hachettes et de cylindres dans la région d’Attakrou (LHOMME, 1904, P. 5). Ces pierres sont considérées comme des objets sacrés par les populations.

En 1972, dans sa synthèse dédiée à la préhistoire et à la protohistoire ivoiriennes, R. MAUNY évoque également la présence des pierres d’aigris et des perles de couleurs variables à base de pierres dans l’Indénié (MAUNY, 1972, P.27). Sur la base des artefacts présentés, l’auteur affirme que l’espace d’Abengourou renferme des sites d’âge paléolithique. Jusqu’en 1972, les données livrées n’étaient que de simples objets signalés ou rapportés occasionnellement par les populations lors de leurs labours. 

C’est à partir de 1982 que les premiers sites vont être découverts ce, grâce aux travaux de l’historienne C. H. PERROT (1982, P. 52). Dans sa thèse de Doctorat portant sur le peuple Anyi N’dénié, elle met en exergue deux sites archéologiques importants, dont l’un est découvert par les ingénieurs de l’IFCC (Institut Français du café et du cacao), à six kilomètres d’Abengourou. Ce site témoigne de la présence de traces matérielles telles que : des tessons de poterie noire et rouge, des tuyères, des scories de fer. Sur cette même aire, a été exhumé un cylindre de latérite de 50 centimètres de haut et 20 centimètres de diamètre, au sommet arrondi, visiblement produit par l’industrie humaine (PERROT, 1982, P. 175). D’autres objets tels que des pierres taillées de petites tailles y ont été découverts. A quelques mètres de là, en pleine pépinière de cacaoyers, sont visibles une large dalle de latérite particulièrement riche en fer, les restes de fourneau (PERROT, 1982, p. 176). Le second site se trouve sur la plantation de Koréki Dominique (Korékikuro) voisine de celle de Nanan Bonzou II, le long de la route d’Abengourou à Zaranou. Il est remarquable par un grand fossé circulaire, semblable à celui de Konvi Andé et du type général des ammonies (PERROT, 1982, P. 176). Ce site contient des résidus de fonte de fer. Le même auteur révèle que l’Indénié regorge de nombreux sites d’habitats qui sont essentiellement des villages désertés. Ce sont entre autres : les sites « de Konvi Andé » à 24 kilomètres d’Apprompron, « Afewa », « Sahahouli », « Attakrou » devenu aujourd’hui « Taakro » et « Enyandâ » (PERROT, 1982, P. 177).

Ces villages désertés ont également préoccupé d’autres auteurs dont K. R. ALLOU et GONNIN (2002, P. 201). Ceux-ci expliquent que Sanahouli a constitué un centre d’attraction important. Capitale de l’Indénié, Sanahouli a abrité tant de faits des ancêtres tels que ; les armoiries, les objets d’attributs royaux.

De ce qui précède, il ressort que l’espace d’Abengourou est très peu exploré et son passé est mal connu. Les informations disponibles sont issues des découvertes fortuites réalisées par des colons français ou fournies par des paysans au cours de leurs labours. Le contexte de prélèvement ne permet pas une réelle étude scientifique, car le prélèvement a été fait hors contexte archéologique. Les rares sites signalés manquent de précisions, car leur localisation reste vague. En effet, les vestiges n’ayant pas été prélevés dans leurs contextes archéologiques, il est difficile, voire impossible de les dater. Ce qui rend également difficile la compréhension du contexte culturel qui permet de cerner la vie socio-culturelle, économique et historique des peuples jadis installés. Ces constats énumérés soulèvent des préoccupations majeures. Quels sont les sites qui ont abrité réellement les activités humaines dans la région d’Abengourou ? Quelles sont les caractéristiques de ces sites archéologiques ? Qui sont les auteurs de ces sites ?

Pour répondre à ces préoccupations, une série de prospections archéologiques a été initiée dans plusieurs localités du département d’Abengourou. Ces recherches s’inscrivent dans le cadre du projet de reconstitution du passé de la Côte d’Ivoire. Les campagnes de novembre et décembre 2008, qui font l’objet de cet article, avaient pour but de recenser le maximum de sites archéologiques. Elles ont eu pour cadre les parties sud et centre du département d’Abengourou (figure 1).

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A priori, l’objectif assigné à cet article, est d’évaluer le potentiel archéologique dans cet espace géographique, pouvant contribuer à l’éclairage du passé ancien de cette région. Pour répondre aux besoins de l’étude, une approche essentiellement archéologique a été adoptée ; celle-ci basée sur la prospection archéologique. Concrètement, il s’agit d’une prospection à vue au sol dans plusieurs localités de la zone couverte par les travaux. Celle-ci a été précédée d’une recherche documentaire qui a permis de faire le point des travaux antérieurs. Des entretiens semi-directifs ont été également réalisés auprès des populations des localités prospectées, pour collecter des informations sur l’histoire du peuplement de la zone et l’existence probable de sites archéologiques. De l’analyse des sources documentaires aux données de terrain, des informations importantes ont été recueillies. Ces résultats permettent d’ores et déjà de se prononcer sur la richesse archeologique de la region d’Abengourou et d’avoir une premiere approche du peuplement ancien de cette partie du pays.                 

Cet article se décline en deux points essentiellement. Le premier définit la procédure mise en œuvre pour aborder les différentes préoccupations soulévées dans le cadre de cet article. Le deuxieme point se propose d’exposer les résultats obtenus, suivi de discussion.     

  1. Méthodologie

L’idée de cerner les potentialités archéologiques d’Abengourou a exigé la mise en place d’une approche, devant permettre de recenser un nombre important de sites archéologiques de la région. A partir des sources écrites, orales, cartographiques et photographiques, il s’est agi de retrouver les traces laissées par les anciens habitants de la région. L’approche méthodologique se résume essentiellement en quatre étapes, à savoir la recherche documentaire, l’enquête de terrain, la prospection archéologique et l’analyse des données de terrain.

1.1.   Recherche documentaire

Au niveau des centres de documentations (Archives Nationales de Côte d’Ivoire, bibliothèques et musées des civilisations d’Abidjan…), plusieurs types de documents ont été consultés. Il s’agit des documents écrits, des cartes, des dessins, des plans, des sources d’archives. L’intérêt était de recueillir suffisamment d’informations sur le cadre géologique et environnemental de la région d’étude et de faire l’état des connaissances sur l’objet d’étude. Aussi, voulons-nous avoir une idée nette des potentialités archéologiques, les zones probables de localisation des sites et par-delà, identifier les localités à prospecter. Cette approche a permis de mettre en place une première carte des sites identifiés. Ainsi, neuf villages et un centre de recherche ont été choisis, en vue d’entreprendre une enquête orale et d’y conduire des missions de prospections. Il s’agit des localités d’Aniassué, Kodjinan, Adaou, Assoumoukro, Zaranou, Bebou, Ehuasso, Ebilassokro, Apprompron et le CNRA. De facto, ces localités étaient présentées par les sources écrites comme les zones probables de localisation des sites, au vu des indices archéologiques signalés. C’est sur cette base qu’elles ont été choisies, en vue d’y conduire des prospections à succès.    

1-2-Enquête de terrain

Dans les zones forestières où la densité de la végétation ne favorise guère la visibilité des vestiges au sol, l’on se réfère souvent aux communautés villageoises vivant dans ces localités. Ces populations traditionnelles représentent une source importante pour l’archéologue sur le terrain. En outre, cette méthode permet de vérifier l’existence ou non des sites signalés par les sources écrites.

C’est le cas pour la plupart des sites attribués à ces migrants et ceux qui les ont précédés. Pour ce faire, un guide d’entretien a été conçu au préalable. Cette technique a consisté à interroger les populations villageoises sur des sujets de natures diverses, surtout des questions relatives à l’histoire du peuplement, des sites abandonnés ou désertés et des traces d’une occupation ancienne. Ces personnes ressources identifiées dans les localités prospectées ont été nos interlocuteurs (tableau 1).

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En procédant ainsi, nous avons pu identifier les étapes de leur migration et des lieux d’escale. Pour la première phase des entretiens portant sur l’histoire du peuplement récent, nos investigations ont été menées auprès des chefs de communautés, des dignitaires des villages et des personnes âgées. Ces personnes ressources ont fourni des informations utiles. Bien que ces missions de prospections visent à identifier le maximum de sites archéologiques, l’accent a été mis sur les sites d’occupation ancienne. C’est dans cette perspective que la seconde phase de nos entretiens a été orientée vers des chasseurs et agriculteurs qui lors des parties de chasse ou de leurs labours ont eu à exhumer des objets anciens n’ayant aucun lien avec leur époque. Nous prenions des notes au fur et à mesure que nos interlocuteurs répondaient aux questions. Pour éviter d’interrompre l’enquêté et aussi s’assurer de la bonne tenue des entretiens, nous prenions soin de faire des enregistrements sonores, avec leur consentement. Cette méthode a permis aux populations de signaler de nombreux sites d’habitation. Ainsi, un inventaire exhaustif des sites a été établi. L’enquête de terrain menée sous forme d’entretien de groupe ou individuel, a conduit non seulement à identifier des sites importants, mais également à retracer l’histoire de l’occupation ancienne de cette zone.

1.3.    Prospection archéologique

Sur la base des informations recueillies au cours des entretiens avec les communautés villageoises, plusieurs sites ont pu être répertoriés sur le terrain. A la fin de l’entretien, nos interlocuteurs nous accompagnaient sur les sites mentionnés afin que nous procédions à leur identification. La nature du terrain et les conditions de travail nous ont amené à utiliser la prospection pédestre mais extensive, qui a consisté à faire une observation directe et systématique de la surface du sol. Dès qu’un site était découvert, nous procédions à l’observation des artéfacts en surface pour identifier la nature du site. Après une reconnaissance faite par les membres de l’équipe, nous relevions le maximum d’informations afférentes à ce site. Il s’agit de l’étendue, de l’orientation, de la végétation, des caractéristiques de la géologie, du relief, des vestiges en présence et bien entendu des coordonnées géographiques du site à l’aide d’un GPS. Nous établissions par la suite le plan schématique du site pour enfin procéder à un ramassage de quelques vestiges en surface. Signalons que les données matérielles prélevées sont mises dans des sachets d’emballage (mini grip), munies d’étiquettes portant des indications telles que, le nom du site, les coordonnées géographiques, la date, le type de vestige et les conditions de prélèvement. Dans l’ensemble, les sites prospectés ont fourni du matériel de nature variée composé de scories de fer, de céramique et des puits d’extraction ancienne d’or, étudié dans le cadre de cette étude.

1.4.   Analyse des vestiges archéologiques

Cette phase a porté essentiellement sur les vestiges de métallurgie de fer qui ont jusque-là bénéficié d’un traitement approprié et permettent de se prononcer sur le passé ancien de cette zone.

1.4.1.   Vestiges de métallurgie de fer

 S’agissant des restes de métallurgie ancienne du fer, des dispositions nécessaires ont été prises afin de les conserver dans un meilleur état possible. Le cadre de référence appliqué à l’analyse des vestiges métallurgiques est emprunté à D. GREBENART (1988, P. 91) et P. FLUZIN (2002, p.121). L’étude descriptive a porté sur quatre aspects dont : l’identification, les aspects techniques, l’aspect extérieur et l’aspect intérieur. Par l’identification, nous faisons allusion au numéro d’enregistrement de l’objet, l’origine, la datation et le site. Cette description permet de connaitre la provenance des scories de fer et de leur contexte archéologique. Les aspects techniques fournissent des informations sur la nature, la morphologie et le poids des scories de fer. Cette rubrique donne l’occasion de savoir si la réduction a été bien menée ou pas. L’aspect extérieur situe quant à lui sur le type de scorie, tandis que l’aspect intérieur permet d’évaluer la teneur en élément métallique et en rouille. Globalement, l’aspect de la scorie devrait apporter une précision sur la qualité de la réduction. Les échantillons sélectionnés pour l’analyse proviennent des sites d’Assoumoukro. De ce fait, l’objectif visé est d’obtenir des informations relatives à l’utilisation et à la transformation du minerai de fer dans la région d’Abengourou. Pour un souci de représentativité, notre échantillonnage a été constitué comme suit : 10 scories coulées, 10 scories internes massives et une scorie à surface déchiquetée massive.

  1. Résultats et discussion

Les recherches archéologiques effectuées dans la zone d’Abengourou ont permis d’inventorier 33 sites archéologiques, dont 17 villages désertés, 8 sites aurifères, 4 sites de métallurgie de fer, 2 sites de la période préhistorique, 1 site à céramiques et une ammonie avec des vestiges archéologiques divers (figure 2).

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Ces données issues de l’analyse des sources écrites et des documents archéologiques collectés sur le terrain, prennent en compte les sites signalés par les sources écrites et ceux issus des deux dernières campagnes de prospection que nous avons réalisées en novembre et décembre 2008. De ces données, celles que nous mettons en évidence proviennent des deux dernières missions de prospection.

    1.   Sites identifies 

Pour ce qui relève des missions de prospection, ce sont au total 10 sites archéologiques qui ont été nettement identifiés. En tenant compte de leurs caractéristiques chrono-culturelles, ils ont été regroupés sous deux registres ; à savoir les sites de l’âge du fer et les sites historiques. Les sites de l’âge du fer renferment des vestiges de métallurgie de fer, tandis que les sites historiques sont ceux qui abritent des restes d’habitats abandonnés. Si les premiers nommés semblent plus anciens, ceux de la période historique sont relativement plus récents et se rapportent aux migrations récentes des occupants actuels de la région. De ce fait, nous mettons l’accent sur les sites de l’âge du fer, susceptibles de nous livrer des informations plus importantes sur les occupations les plus anciennes de la région, s’inscrivant dans la perspective de la connaissance du passé ancien de la Côte d’Ivoire. 

      1. Les sites de l’âge du fer  

Les sites de réduction du minerai de fer sont rares dans les zones que nous avons prospectées. Seule la localité d’Assoumoukro a pu livrer les traces d’une activité de travail de fer. Dans cette localité, deux sites ont été identifiés. Ce sont Assoumoukro 1 et Assoumoukro 2.

2.1.1.1. Assoumoukro 1  

C’est un site situé à environ 500 mètres du village, dans la partie ouest, à 200 mètres d’une petite rivière : « Assué Bâ ». Ce site est complètement envahi par une végétation constituée de palmiers, de chromoleana odorata localement connu sous le nom de « Sékou Touré » (photo 1).

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C’est un sol de type gravillonnaire sur lequel sont dispersées des scories de fer de formes et de natures variables, avec une forte concentration dans la partie centrale. Au nombre des vestiges prélevés, se trouvent des latérites ferrugineuses. Pour un enregistrement à 30%, un total de 25 scories de fer a été prélevé. Ce choix obéit à deux principes fondamentalement. Le premier est lié à un souci de présentation du site. Le second est d’ordre méthodologique, c’est-à-dire parvenir au meilleur échantillonnage possible. Ce qui a donc consisté au prélèvement des scories de tailles et de natures différentes. L’ampleur des travaux champêtres sur le site a quelque peu affecté le site. D’autres ont été complètement enfouies dans le sol lors des labours. Le côté est occupé par une parcelle en jachère, tandis que dans la partie sud se trouve le village actuel.

2.1.1.2. Assoumoukro 2

C’est un site situé à proximité du village, du côté nord, traversé par une voie de l’ouest à l’est. Il s’étend sur près de 30 mètres en longueur et une largeur occupant pratiquement celle de la route. On note une forte concentration de scories de fer sur le bord gauche de la route venant d’Abengourou (photo 2). C’est sur un sol gravillonnaire de type latéritique que nous avons trouvé des scories de fer. Au cours du ramassage de surface, nous nous sommes aperçus que des scories de fer sont encore enfouies dans le sol. Au total, 46 scories de fer ont été prélevées sur le site.

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  1. 2.2.Données matérielles

Au nombre des vestiges matériels, figure une part importante de scories de fer et accessoirement de la céramique. Seuls les vestiges de métallurgie de fer, compte tenu de leurs caractéristiques ont fait l’objet d’étude détaillée. Ce sont ces données que nous exposons dans le cadre de cet article. 

  1. 2.2.1 Les scories de fer 

Sur un total de 36 scories de fer collectées, seules 21 pièces ont été décrites. L’étude typologique permet de distinguer trois catégories distinctes, à savoir des scories coulées, des scories internes massives et des scories de fer à surface déchiquetée (photo 3).

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      1. 2.2.1.1.Les scories de fer coulées

Les scories de fer coulées que nous avons prélevées sur le site d’Assoumoukro sont quasiment identiques en dehors de leur morphologie. En effet, l’analyse des scories de fer montre trois types de scories coulées selon la forme (planche 1).

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Ce sont des scories coulées plus ou moins arrondies, des scories coulées ovales et des scories coulées ovales allongées. Elles sont toutes des scories de réduction, de couleur noirâtre dense indiquant qu’il y a une quantité importante perdue dans les déchets. Leur aspect intérieur indique des scories de fer avec une abondance d’éléments métalliques, mais dont l’oxydation est peu abondante. Les scories pèsent en moyenne 78 grammes. La face supérieure dessine des ondulations en forme de ‘’vaguelette’’, la face inferieure lisse est faiblement ondulée, incrustée de graviers ; indiquant que les scories coulées étaient en contact avec le sol. Les nombreuses vaguelettes à la surface sont le signe d’un écoulement perturbé du liquide sortant du fourneau. Les scories coulées de par leur densité signalent que la proportion du métal est assez dans les scories. Tous ces éléments concourent à dire que nous sommes à un stade avancé de la réduction.

    1. 2.2.1.2.Les scories internes massives

Ce sont des scories de réduction issues du site 2 d’Assoumoukro. Elles ont des masses qui varient de 202 grammes à 400 grammes. Ces scories sont lourdes, dominées par la couleur brunâtre, mais tachetées d’argile rougeâtre dans les creux. En observant leurs faces inferieures, on constate qu’elles sont incrustées de cristaux de graviers rougeâtres et blanchâtres. Aucune scorie ne présente de trace de charbon. Ce sont des scories pour la plupart est à surfaces déchiquetées. La bordure des pores laisse entrevoir des amas de rouille.

Ainsi, nous classons ces scories internes massives en trois grands groupes selon la forme (Planche 2) : les scories internes massives ovales, les scories massives plus ou moins arrondies et les scories internes massives allongées.

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Tous ces blocs de scories sont poreux. Mais la porosité varie d’une scorie à une autre. Leurs surfaces déchiquetées dessinent parfois des globules aux formes sphériques. Les surfaces inférieures de couleur gris sombre prennent parfois une teinte rouge sombre. Cela indique que ces pièces en se refroidissant à l’intérieur du fourneau était en contact avec la paroi, soit en fin d’opération, soit en s’accumulant dans des zones froides loin des tuyères. Cependant, leur surface montre clairement qu’elles sont des scories internes massives. Car, elles sont compactes et lourdes.

L’analyse de ces scories indique qu’elles se sont refroidies lentement à l’intérieur des fourneaux. Cependant, l’on pourrait croire que ces scories à la fin de l’opération ont été rejetées avec les autres débris. C’est ce qui explique la présence de graviers et de terre rouge dans la partie inférieure de certaines de ces scories. 

  1. 2.2.1.3.La scorie de fer à surface déchiquetée massive

Elle ressemble quelque peu aux scories internes massives de par son caractère déchiqueté. Mais celle-ci est plus volumineuse et plus dense, laissant un trou à l’intérieur. C’est un bloc de 4 mm d’épaisseur. Elle est plus déchiquetée sur les faces supérieures et latérales. La face inferieure dessine un creux renfermant du sable rouge et des cristaux de graviers (planche 3).

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C’est une scorie noirâtre sur la face supérieure. La face inferieure est également noirâtre, mais altérée par des zones creuses remplies de sable et de graviers rouges. L’aspect rougeâtre de la face inferieure présente une scorie en contact avec le sol. Des traces recueillies de rouille sont sur la face supérieure. Cependant, l’élément métallique est plus dominant. Cette scorie est une scorie à la base du fourneau. Le trou intérieur serait le fait du liquide fondant qui s’est refroidi sur une tuyère à la base du fourneau. Car la scorie à surface déchiquetée massive épouse parfaitement la forme d’une tuyère.

    1. 2.2.2.Les minerais de fer

Ce sont des blocs de latérite ferrugineuse qui ont servi à l’obtention du métal (le fer) (photo 4).

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Ces latérites ferrugineuses sont des minerais de fer trouvés sur place. Leurs masses varient entre 360 grammes et 600 grammes. Elles sont toutes issues des sites d’Assoumoukro. L’analyse de ces minerais de fer permet de distinguer deux types selon la morphologie (planche 4).

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Le minerai plus ou moins arrondi et le minerai ovale. Leurs aspects extérieurs montrent des blocs de minerai compacts avec quelques creux non profonds.  Ils sont de teintes noires, mais tachetés de rouge et de jaune par endroits. Une observation de l’intérieur montre des couches épaisses et brillantes. Ces plaques se présentent comme des structures vitreuses. Cet ensemble de déchets est aussi formé de blocs de quartz insérés entre les couches brillantes. Au milieu, se trouvent des résidus de fer assimilés à de l’argile jaune. Le tout constitue un bloc solide qui est le minerai de fer. Ici, la densité du minerai n’est pas seulement imputée aux plaques de fer vitreuses. Elle est aussi le fait de l’abondance des déchets tels que : le quartz et l’argile. Ainsi donc, l’étude du minerai nous situe sur ses constituants à l’état brut et aussi les transformations que subissent ces éléments jusqu'à à la fin de la réduction. Elles ont sans doute servi pour la réduction.

Cependant, la présence de minerais et de scories de fer sur ces deux sites montre que l’activité métallurgique s’est tout de même intensifiée dans cette localité. Malgré l’absence de fourneaux, ces types de scories de fer incrustées de graviers rougeâtres et blanchâtres permettent de dire qu’il s’agissait de bas-fourneaux employés sur ces sites. Par contre, à défaut d’une étude métallographique, l’analyse descriptive des échantillons de ces sites prouve que le minerai de fer a subi plusieurs réductions. Ainsi, la qualité de la réduction du fer ferait penser à une époque très reculée. 

Tous ces éléments concourent à dire que ces sites étaient occupés bien avant les occupants actuels qui avouent ne pas en être les auteurs. Cette idée est soutenue par l’archéologue Kiénon-Kaboré lorsqu’elle évoque un commerce de fer basé sur trois itinéraires (KIENON-KABORE, 2006, p.88). Selon elle : « le troisième itinéraire, celui des soudanais permettait d’acheminer les objets en fer et du fer brut (…). Ce fer était échangé pour la plupart du temps contre l’or du centre et de l’est de la zone Akan ».  Les populations de l’Indénié auraient servi d’intermédiaire entre les courants d’échanges Nord-Sud et Sud-Nord, sur la base de produits variés.  

Notre entretien avec Tano Ehouman[1] a confirmé que même leurs ancêtres n’ont connu le travail du fer. Tous les objets en métal étaient achetés avec les marchands du nord. Ce n’est que récemment que quelques forgerons appelés en langue Dioula ″Noumoutchè″ venus des régions de Korhogo et de Katiola se sont installés dans le village. Alors d’où viennent ces peuples qui ont transformé le fer dans cette localité ?

Selon les croyances populaires dans cette localité, les scories de fer qui jonchent le sol de la localité ne peuvent qu’être l’œuvre des ″Akua″[2]. Ils attribuent l’origine de ces scories de fer à ces êtres invisibles qui sont détenteurs de pouvoirs immenses.  Cette thèse du notable, ancien militaire fait penser à une antériorité d’occupation humaine de cette localité avant l’arrivée des occupants actuels. Cette antériorité de l’occupation de la région est également évoquée par G. GONNIN et K.R. ALLOU (2006, p.166). Ce peuple ayant connu la métallurgie de fer s’est installé en bordure de la rivière ″Assué Bâ″ pour un besoin de ravitaillement en eau et en poisson, mais aussi sans doute pour bénéficier de l’eau dans les différentes opérations de la métallurgie de fer.

Par contre, la question chronologique et des traditions techniques nécessitent la datation des scories de fer de ce site et de l’étude métallographique (FLUZIN, 2002, P.121). L’Agni Indénié n’étant pas métallurgiste, le travail du fer est décrit comme une activité précédant la période d’installation de ce peuple dans cette localité. Toutes ces préoccupations méritent une étude approfondie des artefacts en présence.

Conclusion

Au terme de cette étude, il ressort que la région d’Abengourou est pourvue de sites et de vestiges archéologiques variés. Nous avons enregistré 33 sites archéologiques, dont 17 villages désertés, 8 sites aurifères, 4 sites de métallurgie de fer, 2 sites préhistoriques, 1 site à céramiques et une ammonie.

Sur ces différents sites, il existe des vestiges archéologiques multiples : des scories de fer, de la céramique, des gisements aurifères, des ruines d’habitat, des abris souterrains, des pierres taillées.

Selon leur ancienneté, ces différents sites peuvent être classés en sites caractéristiques : de la préhistoire (les sites lithiques), de l’âge du fer (les sites de métallurgie de fer), de la période historique (les sites de villages désertés, les sites aurifères, les ammonies).

De tous ces sites, les plus importants demeurent les sites de réduction du minerai de fer. Leur contexte donne les prémices d’une occupation ancienne pouvant contribuer à l’éclairage du passé ancien de cette région.

Cependant, nous ne saurons limiter le potentiel archéologique de la région seulement à ces sites et vestiges susmentionnés. Car, toute la région n’a pas pu être prospectée. D’ores et déjà, nous pouvons sans risque de nous tromper dire que la région d’Abengourou possède un patrimoine archéologique riche. Cette richesse archéologique a permis l’élaboration d’une esquisse de la carte archéologique de l’Indénié.

Aussi, de l’analyse des vestiges archéologiques que recèlent ces sites, pouvons-nous dire que la région d’Abengourou a été habitée avant l’arrivée des Agni au milieu du 17e siècle.

Ces travaux auront surtout permis, d’appréhender la nature exacte des sites archéologiques et les principales activités socio-économiques de leurs habitants. On y découvre un réel épanouissement culturel précoce, antérieur aux grands moments de l’histoire. Ils auront surtout permis de contribuer à l’élaboration de la carte archéologique de la Côte d’Ivoire.

Il apparait maintenant nécessaire d’envisager des sondages et si possible des fouilles extensives sur certains sites représentatifs pour mieux relier les données et obtenir une vision plus large de la dynamique de son peuplement. Nous pensons encore qu’il faille élargir la prospection à toute la région d’Abengourou, tout en envisageant une datation absolue des vestiges archéologiques. Ainsi, nous pourrons mieux cerner les potentialités archéologiques pour donc situer les différentes périodes d’occupation de cette région à partir de toutes les traces matérielles que nous avons trouvées.

Nos recherches devraient enfin assurer une meilleure protection de ce patrimoine exceptionnel, dans le cadre d’une possible réserve archéologique, tout en poursuivant les actions de sensibilisation auprès des villageois concernés et des responsables locaux.

Cependant, nous ne manquons pas de souligner que le couvert végétal et l’acidité du sol amènent à envisager de nouvelles méthodes de prospection,

Références bibliographiques

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GONNIN Gilbert et ALLOU Kouamé René, 2006. Côte d’Ivoire : les premiers habitants, Abidjan, CERAP, 122p

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LHOMME Monsieur, 1904. Monographie du cercle de l’Indénié, note d’après la classification générale, 30 novembre, 5p

TAUXIER Louis, 1932. Religions, Mœurs et coutumes des Agnis de la Côte d’Ivoire (Indénié et SANNVI), Paris, 254p

 

 

 

Auteur

1Université Jean Lorougnon Guédé - Daloa (Côte d’Ivoire), rene.bouadi@gmail.com  

 

[1] - TANOH EHOUMAN, 67 ans, militaire à la retraite, Assoumoukro 14 novembre 2008

[2]-Entretiens avec Monsieur TANOH EHOUMAN, Les ″Akua″ : êtres surnaturels, rabougris, à allure et morphologie des pygmées capables du bien comme du mal (dans la croyance populaire des Agnis de l’Indénié)

 

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2020