Approvisionnement en viande des espaces de vente de porc au four de la ville de Bouaké et production porcine locale

Résumé

A l’ère de la durabilité urbaine, la promotion des productions alimentaires intra et périurbaines est encouragée voire stimulée à l’échelle des pays. La Côte d’Ivoire peine pourtant à instaurer une protection de son marché concernant la viande porcine. D’une part, la filière porcine, en attente d’une protection de son marché intérieur par le reversement d’un pourcentage du prélèvement compensatoire effectué sur les importations porcines, poursuit son développement porté quasi-exclusivement par des initiatives privées voire individuelles. D’autre part, la commercialisation de rue de la viande de porc transformée appelée communément « porc au four » est de plus en plus visible dans le paysage urbain des grandes villes ivoiriennes. Bouaké, métropole régionale de plus de 800 000 habitants, n’échappe pas à ce constat. Le présent article questionne l’approvisionnement en viande des espaces de vente de porc au four de la ville de Bouaké. A partir d’une recension bibliographique et des enquêtes de terrain, la part des points de vente de porc local gravite autour de 20%. L’approvisionnement de ces points de vente s’effectue dans un rayon de 155 km autour de la ville de Bouaké en priorisant toutefois la production porcine de l’aire communale. La préférence des vendeurs pour la viande locale s’élève à 47,25% et ne résiste pas à une disponibilité incertaine due à la faible organisation des éleveurs et l’inexistence d’organisation d’acheteurs. 

Abstract

In the era of urban sustainability, the promotion of intra- and peri-urban food production is encouraged and even stimulated at the country level. However, Côte d'Ivoire is struggling to establish market protection for pork. On the one hand, the pig industry, which is waiting for protection of its domestic market through the payment of a percentage of the compensatory levy on pig imports, continues to develop almost exclusively through private or even individual initiatives. On the other hand, the street marketing of processed pork meat, commonly known as "baked pork", is increasingly visible in the urban landscape of the major Ivorian cities. Bouaké, a regional metropolis of more than 800,000 inhabitants, is no exception to this trend. This article examines the supply of meat to the pork bakeries in the city of Bouaké. Based on a literature review and field surveys, the proportion of local pork sales outlets in the city is around 20%. These outlets are supplied within a 155 km radius of the city of Bouaké, with priority given to pork production in the communal area. The preference of sellers for local meat amounts to 47.25% and does not withstand uncertain availability due to the weak organisation of breeders and the non-existence of a buyers' organisation.

Introduction

L’alimentation des populations urbaines demeure une question cruciale et d’actualité dans un monde de plus en plus urbain. En effet, la population urbaine est passée de 30 % des habitants de la planète au milieu du XXème siècle à la moitié de la population mondiale en 2007 (J-P. PAULET, 2017, p. 3) à 57% d’urbains en 2021 (BANQUE MONDIALE, 2021). Sous l’insigne de la durabilité urbaine définie comme « une démarche et un processus qui engagent tous les représentants de la société, des décideurs à la population, et qui impliquent fondamentalement la négociation entre différents acteurs sociaux comme base d’un projet urbain » (F. LIEBERHERR-GARDIOL, 2007, p. 376), l’on assiste au retour en milieu urbain des productions alimentaires végétales et animales dans les pays du Nord (A. BAYSSE-LAINE, 2017) et à la pérennisation de ces productions dans et autour des villes des pays du Sud (K. KONAN, 2017 ; O. ROBINEAU, 2018) dans un « mouvement d’institutionnalisation et de massification du consommer local » qui prend de l’ampleur (D. CONARE et N. BRICAS, 2021, p. 228 ; A. BOUREIMA, 2020, p. 3).

Dans l’abondante littérature scientifique sur l’agriculture urbaine, peu d’études de géographes se focalisent sur la dimension animale de cette agriculture (J.-D. CESARO et A. APOLLONI, 2020, p. 2 ; C. DELFOSSE, A. BAYSSE-LAINE, 2018, p. 3). A l’échelle de la Côte d’Ivoire les recherches qui traitent de l’élevage urbain s’intéressent d’une part aux élevages ovins, caprins, bovins et avicoles en milieu urbain en rapport avec la pauvreté et l’environnement (G. TOURE et Z. OUATTARA, 2001 ; K. Kouassi, 2014 ; G. F. BECHI et K. SORO, 2018 ; P. GUELE, 2022) ; d’autre part aux élevages avicoles et porcins dans leur rapport à l’étalement urbain (A.-R. GOLLY, 2017). A partir de la récente notion de paysage alimentaire le champ d’analyse géographique de l’agriculture urbaine s’élargit en prenant en compte « tout ce qui renvoie à l’alimentation dans les espaces de vie des habitants : les espaces et lieux de production, de vente et de consommation alimentaire, ou encore les messages publicitaires » (S. VONTHRON, 2021, p. 15) permet d’élargir les différents angles d’analyse des géographes (J. BUYCK et A. MEYFROIDT, 2020, p. 3). Cette contribution sur la ville de Bouaké s’inscrit dans un objectif de traçabilité de la production porcine locale sur une composante du paysage alimentaire qu’est la restauration de rue.

Contrairement à la filière avicole bénéficiaire d’une protection de son marché intérieur par le reversement de la moitié du prélèvement compensatoire sur les importations de produits avicoles hors-CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) institué depuis 1990 et reconduit successivement en 2010  et 2020 (Loi n°90-442 du 29 mai 1990, p. ; Article 30 de l’annexe fiscale 2005 ; Ordonnance n° 2009-406 du 31 décembre 2009 ; Ordonnance n° 2019-1047 du 11 décembre 2019), la filière porcine reste dans l’attente d’un reversement similaire (FIRCA, 2019, p. 9). Portée quasi-exclusivement par des initiatives privées voire individuelles, la filière porcine affine sa structuration générale depuis 2008 avec l’appui du Fonds Interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil Agricoles et des bailleurs de fonds (FIRCA, 2019, p. 13). A cet effet, en-dehors de la métropole abidjanaise, Bouaké fait partie des villes de l’intérieur du pays dans lesquelles une aide à l’amélioration génétique et à la commercialisation de la viande porcine a été initiée (FIRCA, 2019, p. 7). En outre, Bouaké deuxième centre urbain en termes de population avec 832 371 habitants (INS, 2021, p. 30) laisse apparaitre de nombreux points de commercialisation de rue de la viande de porc transformée appelée communément « porc au four » aux abords des marchés et des artères principales des quartiers. Au regard de cette proximité aux consommateurs de la viande porcine malgré un marché intérieur non protégé, nous interrogeons la part de la production. Les efforts de production et de commercialisation décentralisés du porc local se perçoivent-ils dans l’origine de la viande porcine proposée dans les points de vente de porc au four de la ville de Bouaké ?  Pour répondre à cette question, nous présentons d’abord la méthodologie puis les résultats obtenus et enfin la discussion.

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2022