Variabilité pluviométrique et prévalence du paludisme à Grand-Bassam (Côte d’Ivoire)

Résumé

L’objectif de cet article est d’étudier le lien qui existe entre la prévalence du paludisme et les variations pluviométriques durant ces dernières années à Grand-Bassam. Trois axes essentiels ont guidé cette recherche. Il s’est agi d’abord d’analyser les tendances pluviométriques de 1983 à 2014, ensuite d’étudier la répartition spatiale des gîtes de moustiques vecteurs du paludisme et enfin de déterminer la relation entre la variabilité pluviométrique et la prévalence du paludisme. Le calcul des indices pluviométriques et le test de rupture de Pettitt ont montré qu’à Grand-Bassam, la pluviométrie a fluctué entre déficits et excédents de pluie. Cependant, la tendance générale connait une relative hausse des quantités pluviométriques, notamment à partir de 1993. Les enquêtes de terrain ont révélé que les gîtes des moustiques transmetteurs du paludisme sont inégalement répartis dans la ville et ils sont essentiellement constitués des ordures, des eaux usées et des marécages. La méthode de corrélation de Bravais-Pearson a mis évidence un lien étroit de r = 0,53 entre les variations des pluies et la prévalence du paludisme à Grand-Bassam.

Abstract

This article aims to study the relationships between the prevalence of malaria and rainfall variability in Grand-Bassam during recent decades. Grounded on three axes a method of analysis was adopted. The first one analysed rainfall trends from 1983 to 2014. Then, the study examined the spatial distribution of mosquito lodges. Finally, the third axis determined the relationship between rainfall variability and prevalence of malaria. Rainfall indices and rupture test of Pettitt’s showed up and down in the rainfall trends. However, there has been a slight increase since 1993. Further, field surveys revealed that malaria lodges were unevenly distributed throughout the city. They are essentially made up of garbage, wastewater and swamps. The Bravais-Pearson correlation method demonstrated a close link with r = 0.53 between variations in rainfall and the prevalence of malaria in Grand-Bassam.

Introduction 

En Côte d’Ivoire, le paludisme est une maladie à transmission vectorielle qui demeure un problème majeur de santé publique avec un taux de prévalence nationale de 43 % en 2013 (C. FAKIH, 2014, p. 55). A Grand-Bassam, le paludisme représente plus de 70 % des cas de consultations hospitalières et plus de 40 % d’absentéisme en milieu professionnel et scolaire (L. KOUADIO, 2012, p. 5). La ville de Grand-Bassam est la deuxième localité ivoirienne où le paludisme sévit très fortement après Jacqueville avec un taux d’incidence de 210 0/00 (PNLP-CI, 2013, p. 14). Entre 2014 et 2015, cette pathologie est restée le premier motif de consultation dans les centres de santé de Grand-Bassam avec 70,12 % de cas, suivi de 13,79 % pour les Infections Respiratoires Aiguës (IRA), 6,04 % pour les maladies diarrhéiques, 5,05 % pour les Infections Sexuellement Transmissibles (IST) et 5 % pour les autres affections (District sanitaire de Grand-Bassam, 2014, pp. 3-4). En termes d’hospitalisation, le paludisme est également en « tête » des maladies traitées avec 63 %, suivi des dermatoses (19 %), de l’anémie (12 %) (District sanitaire de Grand-Bassam, 2015, pp. 6-7). Le VIH/Sida n’enregistre que 6 % des cas d’hospitalisation. Le paludisme est responsable de plus de 42 % des décès survenus dans les centres de santé de Grand-Bassam (District sanitaire de Grand-Bassam, 2015, pp. 6-7).

De nombreuses actions de lutte antipaludique ont été entreprises par les autorités nationales et locales. Toutefois, ces initiatives se sont avérées insuffisantes, voire inefficaces du fait des résistances aux médicaments développées par les parasites responsables du paludisme. Par ailleurs, les différentes crises militaro-politiques que la Côte d’Ivoire a connu, ont négativement impacté les stratégies de lutte contre le paludisme et ont permis à Grand-Bassam la résurgence de foyers palustres avec en prime une diversité de transmission (L. KOUADIO, 2012, p. 5).

Plusieurs études ont été réalisées sur le traitement médical du paludisme et le comportement des parasites responsables. Cependant, ces recherches n’ont pas suffisamment mis en rapport les relations entre les variations pluviométriques et la prévalence du paludisme, et spécialement à Grand-Bassam. En effet, le paludisme peut être influencé par les quantités de pluie et leurs répartitions (S. DOUMBIA, 2010, p. 61). De ce fait, il s’avère nécessaire d’analyser l’impact de la variabilité pluviométrique sur la prévalence du paludisme dans la zone endémique de Grand-Bassam. Ainsi, trois questions structurent cette recherche à savoir comment se présente la pluviométrie de Grand-Bassam durant les 32 ans (1983 à 2014) de cette étude ? Quelle est la cartographie des gîtes de moustiques transmetteurs du paludisme dans la zone étudiée ? Quels sont les impacts de la variabilité des pluies sur la prévalence du paludisme à Grand-Bassam ? L’objectif général est d’analyser l’impact du changement pluviométrique sur l’évolution du nombre de personnes atteint du paludisme. La présente étude a été conduite dans la commune de Grand-Bassam.

1. Données et Méthodes

1-1-Présentation de la zone d’étude

La ville de Grand-Bassam est située dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, à 14 km à l’est d’Abidjan, la capitale économique. Elle est le chef-lieu du département du même nom dans la région du Sud-Comoé. S’étendant sur une superficie de 500 km2, Grand-Bassam est localisée entre les latitudes 5°11’ et 5°13’ nord et les longitudes 3°22’ et 3°65’ ouest. Elle est limitée au nord par les villes d’Alépé et de Bingerville, au sud par l’océan Atlantique, à l’est par la ville de Bonoua et à l’ouest par la ville d’Abidjan (Figure 1).

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La ville de Grand-Bassam a un climat qui va de tropical humide à subéquatorial avec quatre saisons dont deux pluvieuses (avril-juillet et octobre-novembre) et deux sèches (décembre-mars et août-septembre). Les hauteurs pluviométriques annuelles sont abondantes et varient entre 1 500 et 2 100 mm avec une température moyenne de 26,5 à 30°C, et une humidité relative avoisinant 95 % (D. A. ALLA, 2008, p. 3 ; M. KOLIA, 2013, p. 7).

1.2 Collecte des données

Pour mener à bien cette étude, trois types de données ont été utilisées ; ce sont notamment, des relevés pluviométriques, des statistiques de prévalence du paludisme et des informations d’enquête de terrain. Les séries chronologiques de pluie proviennent de la station pluviométrique de Grand-Bassam. Elles ont été fournies par la Direction de la Météorologie Nationale (DMN) située au sein de la SOciété de Développement et d’EXploitation  Aérenotique aéroportuaire et Météorologique (SODEXAM) de Côte d’Ivoire. Ces relevés sont des données journalières. Elles s’étendent sur une période de 32 ans allant de 1983 à 2014. Cette période de 32 ans est une série climatique recommandée par l’Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM) pour analyser la variabilité climatique. Les données sur la prévalence du paludisme ont été obtenues à partir de l’exploitation des registres des consultations curatives et d’hospitalisation des malades ainsi que des rapports et annuaires des centres de santé de Grand Bassam pour les années 2014 et de 2015. Seuls les dossiers de la pédiatrie et de la médecine générale qui, fort heureusement sont les principaux points d’entrées des malades dans les centres de santé, ont été disponibles. Ces informations ont été complétées avec celles de l’enquête de terrain auprès des 349 chefs de ménage effectuée en juin 2016. Au cours de ces enquêtes, un Global Positioning System (GPS) a été utilisé pour localiser les gîtes des vecteurs de paludisme. Sur le terrain, les gîtes des moustiques étaient représentés par les flaques d’eau et les eaux usées stagnantes.

1.3 Méthodes de traitement des données

La compilation des totaux pluviométriques mensuels a consisté en une addition des valeurs journalières de pluies. Ces totaux annuels ont permis de calculer les indices pluviométriques pour voir l’évolution de la pluviométrie. La variable centrée réduite a été employée pour mettre en évidence les périodes excédentaires, déficitaires et normales (A. P. DIBI KANGAH, 2010, p. 131).

Cette méthode est exprimée par la formule suivante :

li=Xi-Xσ          (1)

avec
li  : indice centré réduit
Xi  : valeur de la pluviométrie annuelle de l’année i
X  : valeur moyenne de la pluviométrie sur la période étudiée

 σ  : l’écart-type de la pluviométrie sur la période d’étude

En plus de la variable centrée réduite, le filtre passe-bas de Hanning d’ordre 2 a été aussi utilisé. Cette méthode est efficace par sa capacité à découper de façon visible les séries, en palliant aux insuffisances des indices centrés réduits et en regroupant les années par tendance. Dans ce cas, les totaux pluviométriques annuels sont pondérés en utilisant les équations suivantes (B. FONTAINE, 1997) :

X(t) = 0,06x(t-2) + 0,25 x(t-1) + 0,38 x(t) + 0,25 x(t+1) + 0,06 x(t+2)       (2)

Pour 3 ≤ t ≤ (n-2) où x(t) est le total pluviométrique pondéré du terme t. x(t-2) et x(t-1) sont les totaux pluviométriques de deux termes qui précèdent immédiatement le terme t, et x(t+2) et x(t+1) sont les totaux pluviométriques de deux termes qui suivent immédiatement le terme t. Les totaux pluviométriques pondérés des deux premiers [x(1), x(2)] et des deux derniers [x (n-1), x(n)] termes de la série sont calculés au moyen des expressions mathématiques suivantes (n étant la taille de la série) :

X(1) = 0,54x(1) + 0,46x(2)    (3)

X(2) = 0.25x(1) + 0.50x(2) + 0.25x(3)          (4)

X(n-1) = 0.25x(n-2) + 0.50x(n-1) + 0.25x(n)            (5)

X(n) = 0,54x(n) + 0,46x (n-1)            (6)

Les résultats obtenus sont interprétés de trois manières. Lorsque la valeur de l’indice est inférieure à zéro (< 0), la pluviométrie de l’année portant cet indice est déficitaire. Quand cette valeur est supérieure à zéro (> 0), la pluviométrie est excédentaire. Quand l’indice est égal à zéro (0), la pluviométrie est qualifiée de normale.

Par ailleurs, le test de détection de ruptures de Pettitt a été retenu pour sa fiabilité et sa robustesse. En effet, dans le test de Pettitt (1979), l'absence d'une rupture dans la série (Xi) de taille N constitue l'hypothèse nulle (B. SULTAN et S. JANICOT, 2004). La mise en œuvre du test suppose que pour tout instant t compris entre 1 et N, les séries chronologiques (Xi) i=1 à t et t+1 à N appartiennent à la même population. La variable à tester est le maximum en valeur absolue de la variable Ut, N définie par la formule mathématique suivante :

Ut,N=i=1tJ=t+1NDij      (7)

Dij=sgn(Xi-Xj) , avec sgnX=1  si X>0,  0  si X=0  et -1  si X<0

Au cas où l'hypothèse nulle est rejetée, une estimation de la date de rupture est donnée par l'instant t définissant le maximum en valeur absolue de la variable Ut, N.

Le recensement général de la population et de l’habitat révèlent 17 526 ménages à Grand-Bassam (INS-RGPH, 2014, pp. 3-5). Ces ménages sont répartis entre les quartiers Belle-Ville, Bromakoté, Château, Congo, France, France résidentiel, Moossou Bégnini, Moossou Koumassi, Oddos-1, Oddos-2, Petit Paris, Phare et Cafop. L’enquête de terrain a été menée sur la base de questionnaire et d’observation directe de terrain qui ont permis de réaliser des cartes de gîtes des moustiques paludéens. La méthode des quotas (A. COULIBALY, 2006, p. 49) a aidé à administrer le questionnaire à un échantillon représentatif de 349 chefs de ménages. La formule d’échantillonnage est la suivante :

n = t2P(1-P)e2                  avec n = nombre de ménages

n = 1,962X0,35(1-0,35)(0,05)2                  (8)

n = 349 ménages

avec t = 1,96 (t, le coefficient de marge déduit du taux de confiance) ; e = 5 % (e, la marge d’erreur) et P = la proportion d’individus étudiés ; le taux de prévalence du paludisme de 35 % à Grand-Bassam en 2014 a été retenu pour le calcul. La formule a permis d’obtenir un échantillon de 349 chefs de ménage à enquêter. Le tableau 1 présente le nombre des chefs de ménage interrogés par quartier. Le nombre de chefs de ménage est aussi identifié lors de l’enquête grâce aux types d’habitat qui sont des indicateurs visibles sur le terrain.

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Les interrelations entre la pluviométrie et la prolifération du paludisme ont été mises en évidence en utilisant le test de corrélation de Bravais-Pearson. Il se calcule à travers un coefficient de corrélation. La formule de Bravais-Pearson r se présente donc comme suite :

r (X,Y)=Cov (X,Y)σx.σy    avec  Cov=Cov(X ; Y)V (X).V (Y)   où

X et Y symbolisent deux variables aléatoires, Cov (X, Y) traduit la covariance entre X et Y, σx et σy représentent les écarts-types de variables de X et Y, et V (X) et V(Y) montrent la variance respective de X et Y. Le coefficient de Pearson r de corrélation est compris entre -1 et 1 et son application permet cinq interprétations possibles. Soit r le coefficient de corrélation ; si :

  1. -1 ≤ r ≤ -0,5 alors X et Y sont liées par une relation forte et négative. Toute augmentation au niveau de X correspond à une diminution au niveau de Y. Les deux variables évoluent dans des sens opposés avec une forte intensité.
  2. -0,5 ≤ r ≤ 0 alors X et Y sont liés par une relation faible et négative. Toute augmentation au niveau de X correspond à une diminution au niveau de Y. Les deux variables varient dans des sens opposés avec une faible intensité.
  3. r = 0 alors il y a absence de relation linéaire entre X et Y.
  4. 0 ≤ r ≤ 0,5 alors X et Y sont liés par une relation faible et positive. Toute augmentation au niveau de X correspond à une augmentation au niveau de Y. Les deux variables progressent dans le même sens avec une faible intensité.
  5. 0,5 ≤ r ≤ 1 alors X et Y sont liés par une relation forte et positive. Toute augmentation au niveau X correspond à une augmentation au niveau de Y. Les deux variables évoluent dans le même sens avec une forte intensité.

Le calcul de ce coefficient de corrélation de Bravais-Pearson a été fait à partir des données pluviométriques mensuelles de l’année 2014 et la prévalence mensuelle du paludisme de la même année. Trois niveaux d’analyse de corrélation variabilité pluviométrique-prévalence du paludisme ont été faits. Il s’agit de la relation pluviométrie mensuelle-prévalence mensuelle, la comparaison des taux de prévalence par saison et la répartition de la prévalence du paludisme par saison et par lieu (quartiers) de provenance des malades. Les résultats obtenus après le traitement des données sont exposés dans la section suivante.

2. Résultats

2.1. Analyse des tendances pluviométriques à Grand-Bassam de 1983 à 2014

La variable centrée réduite et le filtre passe-bas de Hanning présentent des déficits et excédents pluviométriques interannuelles à Grand-Bassam (Figure 2).

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Cependant, la tendance générale entre 1983 et 2014 est à la hausse des pluies avec une moyenne de 1 660 mm et un excès de 159 mm (10,52%) par rapport à la moyenne interannuelle de 1 501 mm.

La figure 3 montre une rupture pluviométrique en 1992. A partir de 1993, il y a une augmentation des précipitations. Cette évolution des hauteurs annuelles des précipitations montre une variabilité pluviométrique à Grand-Bassam entre 1983 et 2014. La hausse des pluies de Grand-Bassam est estimée à 10,52 % entre 1993 et 2014.

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2.2 Cartographie des gîtes de moustiques transmetteurs du paludisme

Les gîtes d’anophèles sont des milieux susceptibles de contribuer au développement des moustiques qui sont des vecteurs transmettant le paludisme. A Grand-Bassam, les résultats indiquent que ces gîtes sont diversifiés et inégalement répartis. Ils sont constitués d’une part, par les ordures ménagères et les eaux usées domestiques (eaux de toilette, lessive, vaisselle, fosses septiques débordées, etc.), et d’autre part, par les marécages. En effet, le manque d’assainissement de la ville de Grand-Bassam demeure une source de préoccupation majeure quant à la prolifération des anophèles.

À Grand-Bassam, les enquêtes ont révélé que le mode de gestion des ordures ménagères est de trois ordres à savoir les dépôts sauvages, les dépôts autorisés par la mairie et l’incinération d’ordures. Le mode de déversement des ordures ménagères le plus utilisé par les ménages est les dépôts sauvages qui consistent à empiler les ordures dans les rues et broussailles (Tableau 2).

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Les résultats des enquêtes révèlent que sur les 349 chefs de ménages interrogés, 204 (58,45 %) jettent leurs ordures dans les rues ou dans les broussailles. Cette pratique est répandue dans les quartiers comme Bromakoté, Congo, Phare, Oddos-1 et Oddos-2 où 142 ménages enquêtés se débarrassent de leurs ordures dans les rues ou dans les broussailles. De plus, les habitants des quartiers qui bordent les lagunes comme France Est, Petit Paris, Moossou, Phare et Oddos-1 ont transformé les lagunes en des décharges publiques.

Les résultats montrent que les dépôts sauvages d’ordures sont constitués de sachets plastiques, pneus usés, boîtes de lait et de conserves déjà utilisées. Quand surviennent les pluies, ces dépôts sauvages d’ordures empêchent les eaux pluviales de ruisseler et par conséquent entrainent leur stagnation. Cette combinaison d’ordures et d’eaux stagnantes constitue un environnement favorable au développement des moustiques responsables du paludisme.

En plus des dépôts sauvages d’ordures ménagères, les eaux usées représentent aussi des gîtes de moustiques. Les chefs de ménage ont indiqué que la gestion des eaux usées demeure un problème pour les ménages qui les évacuent dans les rues, les maisons inachevées et les broussailles. Ce sont au total 236 chefs de ménages, soit 67,62 % des enquêtés qui s’adonnent à cette pratique (Tableau 3). Dans les quartiers Phare, Oddos-1 et Oddos-2, ce sont 100 % des ménages qui évacuent les eaux usées dans les rues ou les broussailles. Seulement 78 ménages (22,35 %) évacuent les eaux usées par les fosses septiques. Enfin, selon les résultats des enquêtes, les ménages qui utilisent les caniveaux sont estimés à 35 (10,03 %). Les caniveaux restent les moins utilisés par les populations notamment dans les quartiers précaires où ils sont inexistants (Tableau 3). Les eaux usées déversées dans la nature dégradent l’environnement et contribuent à la formation de foyers de moustiques transmetteurs du paludisme.

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Les  enquêtés ont indiqué qu’en  plus des gîtes créés par les ordures ménagères et les eaux usées, qu’il y a également ceux causés par les marécages qui constituent le deuxième grand type de gîtes des vecteurs du paludisme de la ville de Grand-Bassam. En effet, la topographie de la ville de Grand-Bassam est un relief de plaine littoral avec des pentes assez faibles (moins de 1 %) et des altitudes qui varient entre 2 et 5 m. Le relief descend par endroits comme par exemple à Ouladine au sud et à côté du fleuve Comoé au nord jusqu’à 1 m. Aussi par endroits la topographie descend en dessous du niveau des eaux des lagunes Ebrié à l’est. Cette faible altitude du relief favorise la présence de marécages. En effet, pendant la saison des pluies, la nappe phréatique remonte rapidement à la surface (M. KOLIA, 2013, p. 12). Ainsi, les marécages prolifèrent. Ces retenues d’eau constituent également des gîtes pour les larves de moustiques.

En définitive, les gîtes d’anophèles femelles répertoriés à Grand-Bassam ont deux sources. Il s’agit d’une part ceux créés par les ordures ménagères et les eaux usées, d’autre part, ceux causés par les marécages (Figure 4).

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L’observation de la distribution spatiale de la typologie des gites montre qu’en  général, les gîtes créés par les ordures ménagères et eaux usées sont principalement dans les quartiers  Bromakoté, Congo, Château, Belle-Ville sauf à Moossou, France et Petit-Paris. Ceux causés par les marécages sont essentiellement dans les quartiers situés en bordure des cours d’eau, notamment à Phare, Petit-Paris, Oddos-1 et Oddos-2. Dans l’ensemble, ces gîtes des moustiques sont inégalement répartis dans la ville de Grand-Bassam (Figure 4).

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2.3 Relation entre la variabilité pluviométrique et la prévalence du paludisme

La figure 5 montre qu’à  Grand-Bassam, les mois d’avril, mai, juin, juillet, octobre et novembre sont des mois pendant lesquels il pleut abondamment. C’est également au cours de ces différents mois que la prévalence du paludisme est élevée (Figure 5).

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Au regard de la figure 5, une hausse des quantités de pluie est corrélée avec une augmentation de la prévalence du paludisme. Ce constat de relation positive et forte entre pluviométrie et la prévalence du paludisme est corroboré par le coefficient de corrélation pluie-prévalence du paludisme qui est de 0,53 (Figure 6).

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Les résultats montrent que les saisons sèches à Grand-Bassam se subdivisent en une grande saison sèche (décembre à mars) et une petite saison sèche (août à septembre) (Figure 5). Au cours de ces deux saisons sèches, le décompte des registres de consultation des centres de santé indique que le nombre total de malades du paludisme s’élève à 11 006. Cependant, durant les saisons pluvieuses dont la grande débute en avril pour s’achever en juillet et la petite d’octobre à novembre, le nombre de paludéens est estimé à 18 907 malades. La différence du nombre de paludéens au cours des saisons sèches et humides est importante et s’élève à 7 901 malades, soit un taux de croissance de 71,78 % en saison de pluie. Au regard de ces chiffres, la prévalence du paludisme au cours des saisons de pluie est plus élevée. Ce résultat met en évidence la relation entre la pluviométrie et la prévalence du paludisme.

En outre, à Grand-Bassam, les quartiers Congo, Phare, Oddos-1, Belle-Ville et Bromakoté ont une prévalence du paludisme plus élevée pendant la saison de pluie (Figure 9). Ce sont surtout les quartiers où les gîtes de moustiques sont causés à la fois par les ordures ménagères, les eaux usées et les marécages. Par contre, les quartiers Cafop, Moossou, France, France Résidentiel, Oddos-2 et Petit Paris ont un faible taux de prévalence en saison de pluie (Figure 7).

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3. Discussion

3.1. Identification des tendances pluviométriques de 1983 à 2014

L’examen des données pluviométriques révèle qu’au cours de la période 1983-2014, les hauteurs pluviométriques interannuelles à Grand-Bassam connaissent une hausse relative des quantités annuelles de pluies à partir du milieu des années 1990. Cette tendance des précipitations est confirmée par S BIGOT et al. (2005, p. 11) dans leur analyse sur la variabilité des régimes de pluies du sud de la Côte d’Ivoire. De plus, l’excédent pluviométrique de Grand-Bassam qui est de 10,52% entre 1993 et 2014 concorde avec celui de la DMN (2010, p. 13) sur la variabilité des pluies et des ressources en eau dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. En effet, la DMN (2010) a également noté un excédent pluviométrique de 10,68 % pour la période 1990-2010. Ces études confirment qu’en Côte d’Ivoire, le Sud-est fait partie des zones les moins enclines aux baisses des pluies. Ce regain de la pluviométrie ne concorde pas totalement avec la tendance pluviométrique générale de la Côte d’Ivoire étudiée par A. P. DIBI KANGAH (2010, p. 142) et D. NOUFÉ (2011, p. 291). Ces auteurs affirment que la tendance des pluies est à la baisse. Ils ont évalué ce déficit entre 20 à 25% d’une région à une autre de la Côte d’Ivoire sur la période 1970-2000.

3.2 Cartographie des gîtes de moustiques transmetteurs du paludisme

L’analyse cartographique des gîtes de moustiques responsables du paludisme a révélé une inégale répartition. Ces conclusions sont en accord avec celles de M. T. BLEU (2000, p. 198) sur les rapports entre la riziculture et le paludisme dans l’ouest forestier de la Côte d’Ivoire. En outre, cette description cartographique confirme que la ville de Grand-Bassam regorge d’une multitude de sites de gîtes larvaires de moustiques du paludisme qui sont diversement répartis à travers les marais, marécages et bas-fonds. De plus, cette représentation cartographique montre que les gîtes de moustiques vecteurs du paludisme sont également causés par les ordures ménagères et eaux usées domestiques. Cela est en phase avec les résultats de S. GRANDO et al. (2006, p. 17) et ceux d’A. COULIBALY (2006, p. 115) qui confirment que les gîtes de moustiques transmetteurs du paludisme sont essentiellement créés par les ordures ménagères et eaux usées.

3.3 Relation entre variabilité pluviométrique et la prévalence du paludisme

Les résultats de cette étude ont montré qu’il existe une corrélation positive entre la pluviométrie et la prévalence du paludisme. Ces conclusions sont en accord avec les études réalisées par S. GRANDO et al. (2006, p. 17) sur la prévalence du paludisme dans la commune de Yopougon en Côte d’Ivoire et celles de S. DOUMBIA (2010, p. 71) sur le Mali. En effet, S. GRANDO et al. (2006, p. 17) démontrent qu’au cours des mois pluvieux la prévalence du paludisme est plus élevée. S. DOUMBIA (2010, p. 71) soutient que la pluviométrie agit rigoureusement sur la prévalence du paludisme. Ces études confirment que les pluies abondantes multiplient les retenues d’eau (mares, flaques d’eau) et contribuent au développement des larves de moustiques et à l’abondance de la population de vecteurs.

Conclusion

De 1983  à 2014, la pluviométrie de la ville de Grand-Bassam a fluctué entre déficits et excédents. Cependant, la tendance pluviométrique générale est une hausse des quantités de pluies, notamment à partir de la deuxième moitié de 1990.  La présente recherche montre en outre que les gîtes de moustiques dans la ville de Grand-Bassam sont causés par les ordures ménagères, les eaux usées domestiques et les marécages. Les gîtes de moustiques transmetteurs du paludisme sont inégalement répartis dans la ville de Grand-Bassam. Ces gîtes sont en grand nombre dans les parties sud et sud-est et sont faiblement présents au nord et au nord-est de la ville. Cette étude a mis en évidence un lien étroit entre la variabilité pluviométrique et la prévalence du paludisme à Grand-Bassam en mettant en relief qu’une augmentation des pluies engendre un accroissement de la prévalence du paludisme. L’analyse de la transmission du paludisme par quartier et par saison montre que la prévalence du paludisme est plus élevée en saisons pluvieuses dans tous les quartiers de Grand-Bassam. Ces résultats pertinents peuvent aider à la prise de décisions idoines dans le cadre des stratégies efficaces de lutte contre le paludisme dans les zones endémiques.

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Auteurs

1Doctorant, Université Félix Houphouët-Boigny Cocody-Abidjan, (Côte d’Ivoire), yatibamba1@gmail.com

2Maître-Assistant, Université Félix Houphouët-Boigny, Cocody-Abidjan, (Côte d’Ivoire), moussakci@yahoo.fr

3Maître de Conférences, Université Félix Houphouët-Boigny, Cocody-Abidjan, (Côte d’Ivoire), line237@yahoo.com

Catégorie de publications

Date de parution
30 sep 2020