L’urbanisation en Afrique connaît un essor spectaculaire. Le taux d’urbanisation est passé de 33 % en 1992 à 40 % en 2010, (ONU, 2015). En Côte d’Ivoire, un habitant sur deux vit en ville (INS, 2014). La ville de Korhogo, capitale du nord ivoirien n’échappe pas à cette dynamique. Sa population qui était de 142 039 habitants en 1998 à atteint 243 048 habitants en 2014 (INS, 2014). Dans ce contexte de croissance démographique, la ville de Korhogo fait face à la question majeure de l’accès au logement de ses populations. La crise du logement que connaissent la plupart des grandes villes s’y précise. Cette production qui repose sur une approche quantitative et qualitative, a entrepris d’évaluer l’ampleur de la crise du logement, ainsi que son corolaire d’impacts sociaux et spatiaux à Korhogo. Des documents statistiques issus de l’institut national de la statistique et de structures administratives intervenant dans la chaîne foncière et immobilière au niveau local ont été utilisés, complétés par une enquête par questionnaire réalisée auprès d’un échantillon de ménages.
Nos conclusions permettent d’indiquer qu’environ 80 % des demandes de logements décents restent insatisfaits et les ménages adoptent de nouveaux modes d’habitation dans un contexte de mobilité résidentielle limitée. Par ailleurs, l’espace urbain connait une occupation des espaces illégaux, l’adoption de l’habitat évolutif avec des constructions qui respectent peu les normes urbanistiques.
Urbanization in Africa has reached a pick point (boom).-urbanization rate moved from 33 percent to 40 percent from nighteen nighty two 1992 to two thousand and ten 2010 according to UN repport 2015. In Côte d'Ivoire, an inhabitant out of two lives in city (INS, 2014). City of Korhogo, ivorian northern capital does not escape from that situation. Its population moved from 142 039 inhabitants in 1998 to 243 048 in 2014 (INS, 2014). In this demographic growth context, city of Korhogo is facing the major housing issue. Housing crisis encountered by most greatest cities is getting more précised. This work or research based on a quantitative and qualitative approach, has decided to evaluate the extent of housing crisis and its social and spacial effects in Korhogo. Some statistic documents coming from national statistical institute and from other administrative departments involved in local Land and property system have been used, completed by an inquiry questionnaire put to a sample families.
Our results show that about eighty 80 percent of decent housing demands are not satisfied and families adopt new living ways in a limited housing context. However, urban space is facing illegual occupations, adoption of buildings as new ways of habitation which do not respect any urbanistic norms.
Introduction
L’urbanisation de l’Afrique connaît un essor spectaculaire. De 14,5 % en 1950, le taux d’urbanisation a atteint 40 % en 2010, et sera de 61,60 % en 2050 (ONU, 2015). En Côte d’Ivoire, de 5 % en 1950, le taux d’urbanisation est passé à 32 %, 39 % et 42,5 % respectivement en 1975, en 1988 et en 1998 pour atteindre 50,3 % en 2014 (RGP, 1975 ; INS, 1988, 1998 et 2014). Aujourd’hui, un ivoirien sur deux réside en ville. Ce processus d’urbanisation semble affecter toutes les villes du pays. La ville de Korhogo, capitale régionale du nord de la Cote d’Ivoire, connait de plus en plus une forte croissance démographique. La population urbaine est passée de 142 039 habitants en 1998 à 243 048 habitants en 2014, soit une progression globale de 71 % (INS, 2014). Les lotissements s’ouvrent sur des espaces ruraux et agricoles périphériques pour faire face à la forte demande de terrain à bâtir. C’est ainsi que, de 2 500 ha en 1985, la superficie urbanisée de la ville de Korhogo est passée à 3 300 ha en 2000 pour atteindre 8 700 ha en 2016 (Y.S.K. KOFFI, 2017, p. 1). Avec le nombre de plus en plus important des nouveaux arrivants, les structures d'accueil de la ville sont largement dépassées : la demande de logement a explosé alors que l'offre reste faible. De ce fait, la problématique du logement est une préoccupation majeure à Korhogo.
Il s’agit de faire une étude de la « crise du logement dans la ville de Korhogo », afin de connaitre son ampleur, les facteurs et les problèmes qu’elle génère. Le choix de ce sujet émane de deux intérêts : l’un scientifique et l’autre, social. Au niveau scientifique, nous constatons que plusieurs études ont été menées sur la question du logement de la ville de Korhogo. Cependant, aucunes n’abordent réellement l’ampleur de la crise du logement. Au niveau social nous nous intéressons à l’actualité de l’insuffisance de logement décent et son impact social dans la ville. En effet, après Abidjan, Bouaké et Daloa ; Korhogo (Figure 1) est la quatrième ville du pays en terme de superficie et de nombre d’habitant. Chef lieux de la région du Poro, elle concentre plusieurs industries, de nombreux service de l’administration publique, des infrastructures et équipements socioéducatifs et sanitaires. Ce pôle régional de développement économique et social est également assujetti aux contraintes de logement dans un contexte de croissance démographique continue.
1. Méthodologie
La méthodologie de recherche se fonde sur la recherche documentaire et l’enquête de terrain. Les documents consultés ont été importants pour renseigner sur l’historique des questions de production immobilière, l’estimation de la demande et la légalité des lotissements et de l’habitat dans la ville de Korhogo. Les données secondaires obtenues ont été complétées par les données issues d’une enquête de terrain. L’enquête de terrain a eu pour objectif d’effectuer des observations directes sur les sites d’enquête, de réaliser des interviews sur la base de questionnaires auprès des premiers gestionnaires des services de l’administration communale et de l’administration publique locale et des populations de notre échantillon de chefs de ménage.
La problématique du logement implique plusieurs types d’acteurs dont les ménages, les autorités administratives, les autorités coutumières, les sociétés civiles immobilières. Cependant, n’ont été pris en compte dans cette étude que les deux premières citées. Les Directeurs régionaux du ministère de la construction, du logement et de l’urbanisme, de l’institut national de la statistique (du ministère du plan et du développement) et des services des impôts, ainsi que le chef des services techniques de la mairie de Korhogo ont été soumis à des entretiens, en raison de leur forte implication dans la chaîne foncière. Les ménages enquêtés ont été choisis à travers les quartiers de la ville, regroupés par types selon des critères d’ancienneté ou non. A partir de ces critères et sur la base de seize (16) anciens quartiers et de dix-sept nouveaux quartiers, deux quartiers de chaque type ont été retenus par tirage simple. Il s’agit des quartiers Soba et Koko nord pour les vieux quartiers, Cocody et Belle ville pour les plus récents. C’est au sein de ces quartiers qu’ont été choisis les ménages pour constituer notre échantillon, selon les itinéraires. Le traitement des données collectées permet d’organiser nos résultats autour des axes suivants : l’évolution de la production de logement et l’estimation des besoins en logement ; ainsi que les conséquences du déficit de logements décents au double niveau social et spatial.
2. Résultats et discussion
2.1. Un accès difficile au logement dans la ville de Korhogo
2.1.1. Une demande croissante de logements à Korhogo
La notion de demande en logement est une donnée mécanique liée à la progression naturelle de la population et peut être éclairée par une règle de calcul statistique. Elle renferme comme sous exemple la demande en logements qui est liée au pourvoir d'achat de la population active et à la structure familiale des personnes en âge de procréer (tableau 1). La formule couramment utilisé pour l’évaluation de la demande en logement est la suivante :
Les différents recensements de la population et de l’habitat en Côte d’Ivoire en 1975, 1988, 1998 et 2014, et leurs estimations en 2012 et 2018 ont permis de déterminer les taux annuels de croissance démographique, les tailles moyennes des ménages et les populations totales urbaines. A partir de ces données et de l'application de la formule susmentionnée, la demande de logement a été évaluée. Nous remarquons que la population urbaine de la ville de Korhogo augmente continuellement à un rythme moyen d’environ 3% l’année. Cette croissance démographique de la ville entraine l’augmentation de ses besoins en logements décents, qui ont pratiquement doublés en trente (30) années, entre 1988 et 2018.
2.1.2. La confrontation de l’offre et la demande de logement à Korhogo
Le rapport entre l’offre et la demande de logements à Korhogo a évolué au fil des années, entre 1975 et 2018. Les difficultés à se trouver un logement décent commencent à partir du début des années 2000 (figure 2).
Dans ce contexte de déséquilibre profond entre la demande et l’offre de logement, le niveau de satisfaction des usagers reste faible. L’analyse des données qualitatives recueillies auprès de notre échantillon d’étude, et relatives au mode de construction des habitations (faible utilisation du carrelage, positionnement externe des sanitaires, prépondérance de l’habitat évolutif limitant l’intimité des ménages), permet de conclure que 19,40 % des demandeurs sont satisfaits (figure 3).
2.1.3. Des facteurs favorisants le déficit de logement décent à Korhogo
La problématique du logement gagne en intensité avec la croissance démographique, la faible implication des pouvoirs publics et la faiblesse des revenus des populations locales. A l’évidence, l’accroissement naturel couplé à la forte immigration post crise que la ville a connue à partir de 2011 (notamment avec le redéploiement de l’administration, l’attractivité des activités de reconstruction, les opportunités nouvelles offertes), ont augmenté les besoins en logement. Cette situation explique une croissance des besoins de l’ordre de 161 % en 20 années, entre 1998 et 2018 (INS, 2019). Selon la DCGTx (1989), l’Etat ivoirien a initié des programmes de logement résumés pour l'essentiel en la production d'un important parc d'habitats économiques destinés aux ménages classés comme étant économiquement faibles. Cependant, la majorité des villes de l’intérieur du pays telles que Korhogo n’en ont pas été des bénéficiaires. Les récents projets de construction de logements sociaux initiés par l’Etat de Côte d’Ivoire à partir de 2012 restent encore dormants. Par ailleurs, il existe un parallélisme entre habitat et revenu. La connaissance des revenus des populations locales donne une indication sur leur possibilité d’acquisition d’un logement décent. Notre enquête par échantillonnage a donné la répartition des proportions des chefs de ménages selon le revenu (tableau 2).
La répartition des revenus indique que plus de la moitié des chefs de ménages (53,5 %) ne disposent pas de plus de 100 000 F CFA par mois pour assurer leurs besoins. Cette faiblesse des revenus limite les possibilités d’obtention de logements locatifs, encore moins les possibilités d’acquisition d’un terrain en vue de la construction de leurs propres résidences. Cette contrainte financière qui est amplifiée par le faible soutien des établissements financiers, maintient 31,5% des résidents en situation de location, comme l’indiquent les tableaux 3 et 4.
2.2. Les conséquences sociales et spatiales de la crise du logement
2.2.1. Les conséquences sociales de la crise du logement
2.2.1.1. Une augmentation de l’effectif des ménages
L’observation des modes de construction indique qu’aujourd’hui, la tendance est à la concentration familiale. Ce qui conduit à une augmentation de l’effectif des ménages dans des habitations qui deviennent progressivement exiguës. Des habitudes et pratiques familiales sont changeantes et/ou contraignantes, notamment l’utilisation de salles de bain par plusieurs individus. Ce qui occasionne des pertes de temps à des moments de la journée.
2.2.1.2. Une limitation de la mobilité résidentielle des locataires
La faiblesse de la production de logements freine la mobilité résidentielle. 70,56 % des locataires qui ont été soumis à notre enquête ont affirmé leur candidature à la mobilité résidentielle. Les raisons évoquées sont variées : les conditions insatisfaisantes du logement, l’éloignement de leur lieu de travail ou d’étude, les difficultés financières, des évènements familiaux, l’insécurité.
2.2.1.3. Une tendance à la co-location
Brou (2008) explique la colocation qui est un phénomène en vogue dans les pays européens, est une forme de location suivant laquelle deux ou plusieurs personnes décident de se mettre ensemble pour partager un même logement et supporter, à la proportionnelle, les charges locatives jugées exorbitantes pour une seule personne. Il peut arriver des cas où le premier locataire fait de la sous-location des autres pièces de la maison. Dans ce cas, il devient « le nouveau propriétaire » et fait payer le loyer aux nouveaux locataires qui occupent les pièces de la maison en ayant en commun le salon, souvent meublé par lui. Nos enquêtes révèlent que 17 % des locataires sont en co-location. La co-location est pratiquée par toutes les couches sociales à savoir les élèves, les étudiants et même les agents de l’Etat. Pour les agents de l’Etat en co-location, il s’agit généralement d’une étape transitoire dans la mobilité résidentielle. Le nouvel affecté se fait « héberger », le temps de trouver un logement décent pour s’établir durablement. Par contre, certains agents se mettent en co-location dans l’optique d’une résidence secondaire.
2.2.2. Une occupation anarchique et illégale des espaces
S’offrir un logement en pleine propriété passe nécessairement par l’acquisition d’un terrain à bâtir. Cependant, face à l’explosion des coûts du foncier comme c’est le cas dans toutes les grandes villes de Côte d’Ivoire, les populations économiquement faibles s’établissent dans des quartiers aux lotissements non approuvés (tableau 5). Nous sommes en phase avec Dubresson (1993), repris par Philippe Antoine (1996). Dubresson (1993) indique que dans la plupart des villes, les pouvoirs publics ont été submergés par le nombre et au cours des années qui ont suivis les indépendances, la croissance spatiale des villes résulte de plus en plus d'extensions illégales et l'auto-production devient la forme dominante d'édification du bâti (tableau 5).
Conclusion
L’accès aux logements dans la ville de Korhogo n’est pas aisé. Contrairement aux grandes villes de la Côte d’Ivoire telles qu’Abidjan, Bouaké, Daloa et Yamoussoukro qui bénéficient d’une politique sociale de production de logements par l’Etat., la production de logements à Korhogo semble être l’affaire des populations, loin des investissements des sociétés civiles immobilières (SCI). Dans ce contexte, la satisfaction des besoins en logements décents n’est pas assurée. Le déficit de logements trouve ses origines dans la croissance de la population urbaine, le faible pouvoir d’achat des ménages. Cette crise du logement a un impact sur le paysage urbain tant dans les anciens quartiers que dans les nouveaux quartiers : constructions dans des espaces illégaux, constructions hors normes, développement de l’habitat évolutif. Au niveau social, diverses stratégies sont adoptées, dont la co-location.
Références bibliographiques
ANTOINE Philippe, 1996, Crise et accès au logement dans les villes africaines, In Coussy J. et Vallin J., Crise et population en Afrique, Paris, les Etudes du CEPED, n°13, p. 275
KOFFI Brou Emile, 2008, « Les stratégies des populations de Dabou face à la crise de logement dans la cité », In Revue Ivoirienne des lettres, Arts et Sciences Humaines : pp. 5-22.
KOFFI Yéboué Stéphane Koissy, 2017, les quartiers de la guerre à Korhogo entre conflits fonciers et lutte d'insertion, In Ville Société Territoire (VST), p.1 N'bessa Benoît., 2004, Politique du sol et du logement, Cotonou, UAC, 20 p.
LEVASSEUR Sandrine , 2013, « Eléments de réflexion sur le foncier et sa contribution au prix de l’immobilier », In Revue de l’OFCE Num. 128, pp. 365-394.
SIYALI Wanlo Innocent, 2012, Le marché foncier et immobilier à Abidjan, Thèse unique de doctorat, Université Félix Houphouët Boigny de Cocody – Abidjan (Côte d’Ivoire), 350 p.
RENARD Vincent , 2009, « Coût du logement : la question du foncier », In Informations sociales, pp. 48-57.
Yapi-Diahou Alphonse, 1985, Bidonville d’Abidjan : de la baraque à la maison en dur, conditions de logement, perspectives de résidence et perception de l’espace, Abidjan, ORSTOM, 24 p.
Auteur
1Université Péléforo Gon Coulibaly (Korhogo, Côte d’Ivoire), siyaliinnocent@yahoo.fr
2Université Péléforo Gon Coulibaly (Korhogo, Côte d’Ivoire), koyestekoi@yahoo.fr
3Université Péléforo Gon Coulibaly (Korhogo, Côte d’Ivoire), lememefernandez@gmail.com