Rentabilité économique de la production cotonnière, un facteur tributaire des crédits de trésorerie dans la commune de Glazoué au Bénin

Résumé

Le développement économique qui répond aux besoins présents du Bénin sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs doit passer par une agriculture durable. La présente étude s’est focalisée sur l’analyse de la rentabilité économique et financière des producteurs de coton dans un contexte où les crédits apparaissent comme une trappe d’endettement et de pauvreté au centre du Bénin. Les données sur les caractéristiques sociodémographiques et économiques, les prix et quantités des inputs et outputs utilisés ont été collectées avec un questionnaire auprès de 525 producteurs dans la Commune de Glazoué. Un modèle de régression est estimé par la méthode des moindres carrées ordinaires pour déterminer les variables qui influencent la rentabilité économique et la rentabilité financière de la production du coton. Il ressort de cette étude que la production de coton est rentable en termes de marge nette (MN= 22684,2 FCFA/ha), mais non rentable en matière de rémunération de la force du travail familiale (PML= -1,652) et du capital investi (TRI= -0,08). Un producteur investissant un franc CFA dans la production du coton perd 0,08 f CFA. Au total, les producteurs ne sont pas financièrement rentables (RF= 0,912).  Le recours au crédit, qu’il soit formel ou informel, la main d’œuvre familiale, le nombre d’ouvriers agricoles, le rendement du coton et la pratique de la culture attelée sont les principaux facteurs de cette faible rentabilité économique et financière. Cet article met en évidence la nécessaire adoption d’une politique publique incitative de financement de la production cotonnière au Bénin.

Abstract

Economic development that meets the present needs of Benin without compromising the ability of future generations to meet their own needs must go through sustainable agriculture. This study focused on analyzing the economic and financial profitability of cotton farmers in the context of a poverty trap in central Benin. To this end, a survey was conducted among 525 randomly selected cotton farmers in the Commune of Glazoué. Data on socio-demographic and economic characteristics, prices and quantities of inputs and outputs used in cotton production, as well as factors of production were collected from the sampled producers on the basis of a well-structured questionnaire. A regression model is estimated using the Ordinary Least Squares method to determine the variables that influence the economic profitability (net margin, average labor productivity and internal rate of return) and financial profitability of cotton production in the study area. This study shows that cotton production is profitable in terms of net margin (MN= 22684,2 FCFA/ha), but unprofitable in terms of remuneration of family labor force (PML=-1,652) and invested capital (IRR= -0,08). A producer who invests one CFA franc in cotton production loses 0,08 f CFA. Thus, producers are not financially profitable (RF= 0.912). In addition, economic and financial profitability are influenced by age, gender, use of credit, formal credit, informal credit, family labor, number of farm workers, cotton yield, and the practice of harnessed cultivation. It is therefore necessary to undertake concrete actions based on these factors in order to revitalize cotton production, not only in the study area, but also in the other producing areas of the country.

Introduction

En raison de sa contribution au PIB et son importance dans la mobilisation de la population active, l’agriculture demeure la boussole de l’économie et la principale source de création de revenu de l’Afrique subsaharienne (D. BIAOU et al, 2016, p.202). L’amélioration du secteur agricole pour un développement durable doit faire partie des principales préoccupations des décideurs africains à cause de la dynamique démographique en Afrique. Cette amélioration permettra non seulement d’augmenter le revenu net des producteurs, mais aussi de réduire le niveau de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire des populations rurales en Afrique. Au Bénin, le secteur agricole constitue la principale source de richesse. (T. DOSSOU et Ş. AKDEMIR, 2020, p.181). Selon le Rapport National sur le Développement Humain (RNDH, 2015, p.141), ce secteur contribue en moyenne à 36% de la formation du PIB, emploie plus de 70% de la population active béninoise et nourrit une bonne partie des activités du secteur tertiaire. Mais, le constat est que cette agriculture béninoise repose principalement sur le coton, qui reste d’ailleurs le seul pilier du secteur des pays Africains et ayant une place prépondérante dans leur économie depuis l’époque coloniale (OAKLAND et AFSA, 2015, p.2).

D’après les statistiques récentes de la Direction Générale des Affaires Economique (DGAE, 2020, p.1), le taux de croissance de l’économie béninoise s’est continûment accéléré sur les quatre (04) dernières années 2016-2019. De 3,3% en 2016, le taux de croissance de l’économie s’est affiché à 6,7% en 2018 et que cette hausse du taux de croissance est en partie imputable à la bonne tenue de la production de coton qui n’a cessé d’atteindre des niveaux records depuis 2016. Cette même source précise que la production de coton est passée de 450.000 tonnes en 2016 à 678.000 tonnes en 2018. Pour 2019, elle a été de 732 372 tonnes. La production a donc enregistré une progression de plus de 50% entre 2016 et 2018 et une progression de 8% entre 2018-2019., cette performance a placé le Bénin au premier rang des producteurs de l’or blanc en Afrique de l’Ouest de 2018 à 2019. (DGAE, 2020, p.2).

En considérant tous ces records battus par le Bénin ces dernières années (2016-2019), et la place qui est donnée à la culture du coton comme une spéculation ayant un impact économique, politique et aussi social sur la lutte contre la pauvreté, l’on pouvait à priori admettre une hypothèse selon laquelle le bien-être des producteurs du coton devrait connaître une amélioration. Pourtant, les producteurs font face à d’énormes difficultés (financières et matérielles) qui entravent leur rentabilité économique. Déjà avec une capacité d’autofinancement limitée, ces producteurs n’ont souvent pas accès à un financement diversifié et adapté aux besoins de leur production. Or, selon Desjardins Développement International (2005, p.2), pour la majorité des pays en développement dont le PIB dépend fortement de la production agricole, le crédit d’exploitation constitue l’outil de base pour améliorer la productivité de l’agriculture. De plus l’accès difficile des agriculteurs aux services financiers formels constitue l’une des contraintes majeures du développement agricole au Bénin (T. DOGOT et al, 2017, p. 28). A cause de la faible prise en compte du secteur agricole par les banques ou les institutions financières classiques, la microfinance est devenue principale source de financement de l’agriculture dans les pays en voie de développement (D. Thomas et al, 2017, p. 28). Les taux d’intérêts appliqués et les conditions d’accès aux crédits exigées par ces Institutions de Micro Finance (IMF) au Bénin ne garantissent pas une meilleure rentabilité des producteurs. Ces crédits aux producteurs du coton apparaissaient en 2012 comme une trappe d’endettement et de pauvreté des producteurs du coton au Centre du Bénin (B. SOSSOU et M. FOK, 2019, p.4.). Quel avantage économique et financier les producteurs tirent de la culture de coton au Bénin ? Avec le niveau actuel de prix de vente du coton bord-champ, les producteurs parviennent-ils à vivre de la culture du coton ? Telles sont les questions de recherche auxquelles ce travail réalisé dans la Commune de Glazoué a répondu. Le présent article fait une analyse de la rentabilité économique et financière de la production cotonnière dans un contexte de crédit de trésorerie à des taux très diversifiés.

1. Méthodologie

1.1. Milieu d’étude

Située dans le département des collines, entre les parallèles 7°45’ et 8°30’ de Latitude nord et 2°05’ et 2°25’ de Longitude Est, la Commune de Glazoué couvre une superficie de 1750 km2. Elle est limitée au Nord par les Communes de Ouèssè et de Bassila, au Sud par la Commune de Dassa-Zoumè, à l’Est par celles de Ouèssè et Savè et à l’Ouest par les Communes de Bantè et de Savalou (figure 1).

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1.2. Méthodes

1.2.1. Échantillonnage et base de données

Parmi les dix arrondissements dont dispose la Commune de Glazoué, (05) arrondissements (Aklamkpa, Assanté, Kpakpaza, Thio et Zaffé) ont été pris en compte dans l’étude.

Ces arrondissements ont été choisis selon les critères suivants : (i) la présence des meilleurs producteurs de coton (plus de 62% des meilleurs producteurs de Glazoué proviennent de ces arrondissements) ; (ii) l’accessibilité de la zone lors de l’enquête ; (iii) la présence des institutions de microfinance, des créanciers informels, la capacité d’autofinancement de certains producteurs et la prise de risque de crédits agricoles formels et informels.

 La présente recherche couvre 33 Coopératives Villageoises des Producteurs de Coton (CVPC) enregistrées par l’Union Communale (UCOM) de Glazoué au cours de la campagne 2019-2020.

La méthode utilisée  pour le choix des producteurs enquêtés consiste à échantillonner de façon  aléatoire (J. YABI et al, 2019, p.122) 105 producteurs de coton dans chaque arrondissement. Ce nombre est choisi en tenant compte des contraintes de temps mais répond bien à la théorie de l’inférence statistique : Théorème des Centrales Limites (D. N. Gujarati, 2003, p.41). En se basant sur les listes  fournies par l’Union départementale des coopératives villageoises des producteurs de coton des collines, une liste de 300 producteurs de coton a été faite dans chaque arrondissement, soit une liste totale de 1500 producteurs pour tous les 05 arrondissements. Ces producteurs ont été choisis en fonction de leurs superficies emblavées et les productions de coton  obtenues durant les quatre (04) dernières campagnes agricoles (2016-2019). Un numéro a été attribué à chacun d’eux et par un point de départ au hasard sur une table des nombres aléatoires, les numéros des 105 producteurs  par arrondissement sont choisis. Sur ce, 525 producteurs de coton ont été choisis pour être enquêtés, ce qui donne un taux de sondage de 35%. ((525/1500*100).

1.2.2. Collecte et analyses des données

Les techniques utilisées ont permis de collecter les données liées aux caractéristiques sociodémographiques et économiques des producteurs et aux quantités, prix des inputs et outputs engagés dans la production cotonnière à l’aide d’un questionnaire individuel et des entretiens semi-structurés.

Ces données ont été insérées dans une base de données avec le logiciel Excel, puis exportées dans le logiciel SPSS v20. 32bits et STAT v 15 pour traitements et analyses. Les calculs, moyennes, écart-types, minimum et maximum ont été utilisés aussi bien pour la présentation des caractéristiques sociodémographiques et économiques des producteurs que pour l’analyse de la rentabilité de la production de coton dans la Commune de Glazoué. Le calcul des statistiques descriptives a permis de faire l’analyse quantitative des données et un modèle de régression est estimé pour déterminer les facteurs qui influent sur la performance économique. Quatre indicateurs de performance économique et financière sont utilisés dans cette étude. Il s’agit de la marge nette, la productivité moyenne du travail, du taux de Rentabilité Interne et du ratio bénéfice-coût. Ces indicateurs ont été choisis en s’inspirant des travaux de (O. Kindemin et al, 2019, p.117), et (A. Paraïso et al, 2012, p.97).

2. Résultats

2.1. Caractéristiques sociodémographiques et économiques des producteurs

Les caractéristiques sociodémographiques et économiques des producteurs sont résumées dans le tableau 1.

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L’analyse de ce tableau montre que les producteurs sont relativement âgés avec une moyenne d’âge de 41 ans. Ceci peut s’expliquer par le fait que le coton fait partie des cultures très anciennes produites dans la zone d’étude. L’expérience des enquêtés dans l’agriculture et plus particulièrement dans la production cotonnière varie de 0 à 45 ans avec une moyenne de 13,70 (± 10,65) années. Ceci montre que les enquêtés dans l’ensemble ont une longue pratique dans la production agricole et sont par conséquent en mesure de fournir des informations importantes. De plus, les ménages enquêtés comptent approximativement 2,60 jeunes au champ (±2,93) avec un nombre total d’enfants de 6,84 (±4,20) dont 4 enfants (±3,79). Les mêmes analyses nous révèlent que 58,1% des producteurs enquêtés sont des analphabètes contre 12,10%, 6,45 % et 2,02 % qui ont respectivement un niveau primaire, secondaire et universitaire. Cela montre que les principaux acteurs de la production de coton dans la zone d’étude sont des analphabètes et seulement 5,71 % des enquêtés pratiquent la culture attelée. La vie associative autour de la production cotonnière paraît excellemment développée. On observe que (95,05 %) des producteurs enquêtés appartiennent à des CVPC. La plupart des producteurs enquêtés accèdent aux crédits de trésorerie (85,71 %) font recours aux crédits agricoles. D’où la nécessité de financer la production agricole dans cette zone. La culture cotonnière reste une activité très fortement dominée par les hommes. Sur les 525 producteurs enquêtés, 90% sont des hommes (tableau 2).

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L’analyse du tableau montre que dans les 33 Coopératives enquêtées, seulement 47 femmes sur 525 agriculteurs qui produisent le coton. Elles représentent ainsi 9% de l'échantillon contre 90% (le taux de producteur de sexe masculin). Ce constat se justifie par plusieurs faits dont l'héritage des parcelles interdites aux femmes, leurs appartenances aux familles polygames, et aussi tout l'effort que demande la production du coton.

En outre, on observe une quasi inexistence des paysans (soit 0,2%) de moins de 20 ans dans la production du coton, environ 10% de l'échantillon ont 60 ans et plus. La majorité des producteurs sont dans les tranches d'âges, 20-39 ans et 40-59 ans (tableau 3).

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Produire le coton et ne pas s'endetter demande une expérience pointue dans la filière. Les jeunes travaillent au champ avec leurs parents afin d'acquérir l'expérience et la technique de la production et même, la plupart sont scolarisés. Ce qui justifie l'inexistence des paysans de moins de 20 ans dans la filière. En dehors de l'expérience et la technique, la production nécessite des dépenses qui amènent les paysans à recourir aux crédits de trésorerie auprès des institutions formelles et des opérateurs informels. Au total, la production cotonnière est l’apanage de la tranche d’âge de 20 à 59 ans.

2.2. Coût de la Production du coton

Le tableau 4 révèle la statistique descriptive du capital de la production de coton.

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Le tableau 4 indique que les producteurs mobilisent environ 1 192 210 FCFA pour la culture d’un hectare de coton. Les coûts variables (1058483 FCFA) sont supérieurs aux coûts fixes (133726,7 FCFA). Cet investissement important doit être récupéré par les producteurs, d’où la nécessité de calculer la rentabilité de la culture pratiquée pour chaque producteur. La valeur de la main d’œuvre familiale est estimée à 4 Homme Jour/ha environs.

2.3. Indicateurs de rentabilité économique et financière

Le tableau suivant présente les principaux indicateurs de la rentabilité économique et financière.

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MN = marge nette ; TRI = taux de rentabilité interne ; PML = productivité moyenne nette du travail. ; RF = rentabilité financière

Il ressort de l’analyse du tableau 5 que la marge nette issue de l’activité de production de coton est de 22684,2 FCFA/ha. Certes, cette marge nette est positive pour l’exploitation cotonnière et qu’on peut dire que le produit brut arrive à couvrir tous les coûts totaux entrant dans la production du coton, mais elle est vraiment faible lorsqu’on la compare à l’investissement moyen des producteurs qui s’élève à (1 192 210 FCFA/ha). Il est alors nécessaire de s’intéresser à d’autres indicateurs de rentabilité économique comme la rémunération de la main d’œuvre et du capital investi.

2.4. Caractéristiques de la rémunération de la force du travail

En ce qui concerne la rémunération de la force du travail, il s’agit de la productivité moyenne nette des enquêtés. Cette productivité de -1,6521 FCFA/HJ (±284,9712) en moyenne est non seulement inférieure au prix moyen journalier de la main d’œuvre qui est de 1500 FCFA/HJ, mais aussi elle est négative. Il en résulte que la rémunération de la main d’œuvre dans la zone d’étude est très faible. Ce résultat laisse entrevoir que la production cotonnière est économiquement rentable pour seulement 1 % environ des enquêtés. Dans une optique des salaires, il est préférable à 99 % des enquêtés de partir vendre leur force de travail sur le marché du travail que de mener l’activité cotonnière. On peut alors conclure que la production du coton n’est pas rentable du point de vue valorisation de la main d’œuvre familiale dans la zone d’étude.

2.5. Crédits pratiqués aux producteurs, une trappe d’endettement confirmée

Le taux moyen de la rentabilité interne qui est de -0,080,31) est non seulement inférieur au seuil de 24 % du taux d’intérêt annuel des institutions officielles de crédits, mais, il est négatif. Il en découle que les producteurs qui empruntent, ne seront pas en mesure de payer à partir de la marge nette générée par l’activité. Les producteurs qui font recours aux crédits informels avec un taux d’intérêt de plus de 202% l’an sont dans une trappe d’endettement (B. Sossou et M. Fok, 2019, p.8).

Au total, la production cotonnière n’est pas économiquement rentable du point de vue de l’investissement des capitaux coûts totaux (CT) quelle que soit la structure auprès de laquelle le producteur prend du crédit pour la culture cotonnière. Le ratio B/CT moyen des enquêtés est de 0,9190,318) et montre qu’un producteur qui investit 1 FCFA perd 0,081 FCFA avec 62,857 % des producteurs. Ainsi, les producteurs perdent une partie de leur investissement en menant l’activité cotonnière. Le traitement de corrélation fait a révélé les relations qui existent entre variables explicatives. L’analyse de la corrélation décrite dans le tableau 6 montre que l’influence mutuelle des variables explicatives est relativement faible et laisse entrevoir la mise en œuvre des estimations économétriques pour infirmer ou non cette présomption. L’analyse à partir des estimations économétriques renforce cette présomption.

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2.6. Déterminants du niveau de la rentabilité économique et financière

Les variables issues des différents modèles de régression (Tableau 7) permettent d’expliquer les variations de la marge nette (62,75%), de la productivité moyenne du travail (44,89%), du taux de rentabilité interne (42,85%) et de la rentabilité financière (42,85%). De plus, les modèles utilisés sont valides du fait de la significativité globale résultant de la statistique de Fisher dont les probabilités s’élèvent toutes à Prob (F-statistique) = 0.000000. Cette certitude absolue confirme l’acceptation de l’hypothèse alternative de significativité globale de ces modèles.

Les performances économiques et financières des producteurs du coton sont déterminées par des facteurs tels que l’âge, le sexe, le recours aux crédits, le crédit formel, le crédit informel, la main d’œuvre familiale totale, le nombre d’ouvriers agricoles, le rendement du coton et la culture attelée.

Les résultats de régression (Tableau 7) révèlent que les variables relatives aux rendements de coton et la culture attelée ont un impact positif et significatif sur la marge nette respectivement au seuil de 1% et de 10%. Toute chose étant égale par ailleurs, plus le rendement de coton augmente, plus la marge nette augmente et plus les producteurs pratiquent la culture attelée, plus ils arrivent à dégager une marge nette importante. Cela traduit que la modernisation de la production agricole dans la zone d’étude constituera un grand atout pour augmenter le revenu net des producteurs et par conséquent participer à la réduction de leur pauvreté. Or, d’après les résultats de statistiques descriptives précédentes, seul 5,7% de nos enquêtés pratiquent la culture attelée.

Les variables relatives au crédit formel, le crédit informel, la main d’œuvre familiale et le nombre d’ouvriers agricoles ont toutes des influences négatives et significatives avec une grande certitude sur la marge nette des producteurs (seuil 5%). Il en résulte que plus les producteurs font recours aux crédits formels et informels, moins est élevée leur marge nette. Cela pourrait être justifié par les taux élevés pratiqués par les institutions financières formelles (24% par an) et le système informel supérieur à 100% (B. SOSSOU et M. FOK, 2019, p.8). Ces résultats se rapprochent de ceux trouvés par (K. K. BETHUAL, 2018, p.28) qui montraient que le crédit formel et semi-formel en Tanzanie pourrait avoir des effets indésirables sur le revenu net agricole. Mais ces mêmes résultats contrastent avec ceux obtenus dans d'autres pays. Par exemple, le crédit formel et semi-formel améliore la productivité agricole de 26 % au Pérou (C. GUIRKINGER et S. BOUCHER, 2008, p.305), de 23,3 % en Chine  (A. REYES et R. LENSINK, 2011, p.1867). De même, plus la main-d’œuvre familiale et le nombre d’ouvriers agricoles augmentent, la marge nette des producteurs décroit. L’augmentation du nombre de personnes en charge du producteur augmente ses coûts de production. Ce résultat est contraire à celui de (K. K. BETHUAL, 2018, p.24), qui montre que l'augmentation des dépenses liées à la main d'œuvre reste des paramètres importants pour augmenter les revenus de la production.

Parmi les variables qui ont une influence significative sur la productivité moyenne du travail, le crédit formel et la valeur de la main d’œuvre familiale impactent négativement la productivité moyenne du travail des producteurs, respectivement au seuil de 1% et de 5% (Tableau 7). Cela met en évidence que la productivité moyenne des producteurs diminue lorsqu’il contracte de crédit même auprès des institutions financières formelles. Cette même productivité diminue, lorsque le nombre de personne dans le ménage augmente. D’un autre côté, le rendement de la culture de coton et la pratique de culture attelée impactent positivement la productivité moyenne du travail, respectivement aux seuils de 1% et de 5%. Lorsque les producteurs pratiquent une culture attelée, leur production par hectare augmente ; cela parait résulter de la réduction ou la disparition des coûts liés à une production rudimentaire et archaïque comme le labour, le défrichement, le sarclage et le rebutage.

En considérant les résultats du tableau 7, la rémunération du capital dépend significativement et positivement du sexe et du rendement de coton, respectivement au seuil de 5% et de 1%. Ces résultats vont dans le même sens que ceux de (F. DOSSA et al, 2018, p.24) qui ont trouvé que les producteurs dans la Commune de Kandi sont en majorité des hommes (90%) et des personnes mariées (98%). La faible présence des femmes productrices du coton pourrait découler de la construction sociale du plafond de verre qui tend à marginaliser la femme dans la récolte et surtout l’incapacité à rembourser les crédits de trésorerie au taux d’intérêt élevé.

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Le recours au crédit, le crédit formel et la valeur de la main d’ouvre familiale impactent tous significativement et négativement le taux de rentabilité interne des producteurs respectivement au seuil de 5%, 1%, et 5%. L’augmentation de l’une de ces variables rend l’activité des producteurs économiquement non rentable du point de vue de l’investissement du capital Coûts Totaux (CT) quelle que soit la structure auprès de laquelle le producteur contracte de crédit pour la production du coton. Cette perte de la rentabilité s’accentue lorsque dans le portefeuille de crédit des producteurs, le crédit informel est important.

La prise en compte des facteurs influençant la rentabilité financière des producteurs révèle que seules les variables comme sexe et rendement du coton influencent positivement et de façon significative avec respectivement une forte et une très forte certitude la rentabilité financière des producteurs (seuil 5% et 1%). Cela traduit que les femmes, productrices de coton perdent de l’argent lorsqu’elles investissent un franc CFA dans la production du coton, contrairement aux hommes. Plus la production augmente, plus les producteurs sont capables de couvrir leur investissement en terme financier. Les variables explicatives telles que le recours au crédit, le crédit même formel et la valeur de la main d’œuvre familiale influencent négativement et significativement (respectivement au seuil de 5%, 1% et de 5%) la rentabilité financière des producteurs. En d’autre terme, toute augmentation de l’une de ces variables explicatives entraine une diminution de la capacité financière des producteurs dans la zone.

3. Discussion

La filière coton est reconnue comme l’une des filières phares de l’Agriculture Béninoise et génératrice de revenus pour la plupart des populations du Centre et du Nord du Bénin. (D. BIAOU et al, 2016, p.210) ; (S. TOVIGNAN et al, 2014, p.1) et (A. PARAÏSO et al. 2012, p.104)

La concentration de cette activité dans la zone d’étude revêt une importance capitale pour l’économie nationale et peut jouer un rôle essentiel dans le processus de développement économique et social. Grâce à l’importance et à l’organisation de la filière coton du pays, la plupart des producteurs font recours aux crédits dans notre zone d’étude. Ce qui est contraire aux résultats issus des études de (R. YEGBEMEY et al, 2014, p.278) qui ont monté que l’accès ou le recours aux crédits par les producteurs du Nord Bénin est très faible du fait que l’agriculture est en grande partie une agriculture plus familiale dont le financement de cette activité provient de l’épargne personnelle des producteurs. On observe que très peu de producteurs de coton dans la zone d’étude sont instruits du fait que la production du coton est peu exigeante en main d’œuvre instruite pour les différentes opérations en particulier le sarclage, le traitement phytosanitaire et la récolte. La préférence pour les producteurs serait de satisfaire le besoin de la main d’œuvre en augmentant le nombre de femmes et aussi en gardant la majorité des enfants dans leur exploitation ou en déscolarisant ceux qui ont l’âge de travailler activement dans les champs de coton. C’est la raison pour laquelle nous avons enregistré en moyenne 5,7 actifs agricoles familiaux par ménage. Ce résultat va dans le même sens que celui de (O. KINDEMIN et al., 2019, p.119) qui ont trouvé qu’au Nord du Bénin le nombre d’actifs agricoles familiaux est de 6 par ménage avec une moyenne de 10,77 HJ/ha/an. (R. YEGBEMEY et al., 2014, p.279) ont aussi obtenu 7 actifs agricoles par ménage avec une moyenne de 60,69 HJ/ha/an pour la production de maïs. Ils ont abouti à la conclusion que le nombre d’actifs agricoles au Nord-Bénin varie en fonction du type de culture que produit le ménage agricole. Pour ces auteurs, les opérations culturales et les cycles de productions ne sont pas les même pour les cultures ou les spéculations produites par ces ménages.

Les résultats issus de cette étude montrent une grande conformité avec ceux obtenus dans des études antérieures. Selon A. PARAÏSO et al., (2012,p.102) qui ont mené leurs études au centre et au nord du Bénin, la culture du coton est rentable et dégage une marge nette positive (13 600) comprise entre -225 100 FCFA et 192 467 FCFA. Pour (O. KINDEMIN al., 2019, p.121), l’ensemble des exploitations agricoles productrices du coton au Nord-Bénin ont pu dégager une marge nette de 75.713,45 FCFA/ha. Ces résultats confirment ceux obtenus par la présente étude qui indique que la culture du coton dégage une marge nette positive (22684,2 FCFA/Ha). En somme, la production de coton est économiquement rentable du point de vue de la marge nette dans cette étude.

S’agissant de la productivité moyenne nette des producteurs, elle est, non seulement inférieure au prix journalier de la zone (1500fcfa), mais elle est négative.  Ainsi, la production de Coton dans notre zone d’étude témoigne d’une mauvaise rémunération du point de vue salaire. Ce résultat rejoint en partie ceux de (A. PARAÏSO et al., (2012, p.103) qui ont montré qu’il y a une faible rémunération de la main d’œuvre familiale par la production du coton dans leur zone d’étude. Il en est de même pour les travaux de (T. AGBOHESSI, et al, 2011, p.1840) qui stipulent que le coton conventionnel (1.158,3 FCFA/HJ) et le coton biologique (950,21 FCFA/HJ) ne sont pas rentables du point de vue de la valorisation de la main d’œuvre familiale. Mais, ces mêmes résultats trouvés dans cette étude ne sont pas conformes à ceux de (O. KINDEMIN, et al, 2019, p.121), qui ont montré que la production de coton témoigne d’une bonne rémunération au Nord-Bénin avec une productivité moyenne du travail supérieure au prix de la main d’œuvre journalière qui est de 2.000 FCFA/ HJ. Il ressort que la production de coton entraine une mauvaise rémunération de la force du travail familial dans la zone d’étude. Le taux de rentabilité interne dans la zone d’étude (-0,08) ne permet pas à un producteur de coton d’emprunter de l’argent auprès des Institutions de Micro Finance au taux d’intérêt de 24%, parce qu’il ne pourra pas rembourser les intérêts à partir de la marge nette issue de sa production de coton. En d’autres termes, le bénéfice net issu de la production de coton ne permet pas à un producteur de rentabiliser sa production. Le pire s’observe lorsque ces producteurs font recours aux crédits informels (avec un taux d’intérêt de plus de 100%). Ainsi, les producteurs qui font recours aux crédits formel ou informel se trouvent davantage dans un cercle vicieux de pauvreté et de dette. Ce phénomène traduit la trappe à l’endettement au niveau des producteurs de coton (B. SOSSOU et M. FOK, 2019, p.8). Ce résultat est conforme à celui de (A. PARAÏSO et al., 2012, p.102) qui montre que la production cotonnière à Ouaké ne permet donc pas à un producteur de faire un prêt et de pouvoir rembourser son crédit et les intérêts y afférant, car les producteurs enregistrent une moyenne de -0,155 (±1,903).

 La production cotonnière n’est pas financièrement rentable dans notre zone d’étude. Avec un ratio B/CT égale à 0,919, un producteur qui investit 1 francs CFA dans la production du coton perd 0,08 FCFA. Ce résultat se rapproche de celui de (A. PARAISO et al.,2012, p.103) qui indique qu’un producteur qui investit 1 FCFA dans la production du coton perd 0,046 FCFA à Ouaké.

Conclusion

Le présent article montre que la culture du coton n’est ni économiquement, ni financièrement rentable aux producteurs de la commune de Glazoué. Les résultats des analyses montrent qu’il y a une grande disparité dans la productivité et les revenus nets obtenus par les producteurs. Les taux d’intérêts dans la zone d’étude sont très diversifiés et  concourent tous à éroder la rentabilité économique et financière bord-champ des producteurs. Il est alors nécessaire d’entreprendre des actions concrètes pouvant redynamiser la production cotonnière, non seulement dans la zone d’étude, mais aussi dans les autres zones productrices du pays. Ces actions doivent être bien orientées de manière à réduire les coûts de production de la spéculation, tout en facilitant l’accès aux facteurs de production et crédits agricoles subventionnés (taux d’intérêt incitatif) d’une part, et d’autre part, entrevoir la hausse du prix d’achat du coton chez les producteurs. Ce qui permettra de réduire la pauvreté des producteurs, l’insécurité alimentaire et par conséquent, l’amélioration de leurs conditions de vie.

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Auteur

1Chargé de Recherche au CAMES, Centre de Formation et de Recherche en matière de Population, Université d’Abomey-Calavi (Bénin), benoit.sossou@uac.bj

 

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2020