Dynamique et formes fluviatiles actuelles du fleuve Niger sur le secteur Tillabéri-Kollo

Résumé

Dans le moyen Niger, les écrits scientifiques ont abordé la problématique de l’ensablement du fleuve Niger tant sur les facteurs que sur les conséquences ainsi que sur les méthodes d’action pour y remédier. Au nombre des facteurs mis en cause dans l’ensablement du fleuve Niger, la dynamique hydroérosive accélérée des tributaires et l’agressivité du climat dans son bassin versant sont les plus cités. L’ensablement a été appréhendé sous l’angle de ses impacts sur les risques hydrologiques et l’écologie du fleuve, tout en omettant la dynamique fluviale que ce phénomène a engendré sur le fonctionnement du cours d’eau. En se basant sur le calcul des paramètres géomorphologiques, la cartographie diachronique sur une période pluri décennale (1986-2018) du lit mineur du fleuve sur des parcours remarquables (Tillabéri, Niamey, Kollo) et des observations du terrain, cette étude analyse la dynamique fluviale actuelle du fleuve Niger sur ce secteur. Les résultats indiquent que les facteurs hydrogéomorphologiques (pente du lit mineur, largeur de la plaine, sinuosité) du secteur étudié ont concouru aux profondes mutations des styles fluviaux identifiés. L’extension et l’apparition de nouvelles formes fluviatiles (îles, bancs alluviaux) dues à l’ensablement progressif du lit mineur, ont tendance à modifier le style méandriforme et rectiligne du secteur de Niamey à Kollo à un style en « tresse » d’une part. D’autre part, cette nouvelle dynamique renforce : (i) la précocité des inondations, (ii) le reflux des écoulements du fleuve sur les terrasses anciennes lors des périodes de crue et (iii) des étiages sévères.

Abstract

In middle Niger, scientific writings have addressed the problem of the silting up of the Niger River both on the factors and the consequences as well as on the methods of action to remedy it. Among the factors implicated in the silting up of the Niger River, the accelerated hydro-erosion dynamics of the tributaries and the aggressiveness of the climate in its watershed are the most cited. The silting up was understood in terms of its impacts on hydrological risks and the ecology of the river, while omitting the river dynamics that this phenomenon has generated on the functioning of the watercourse. Based on the calculation of geomorphological parameters, the diachronic mapping over a ten-year period (1986-2018) of the minor river bed over remarkable routes (Tillabéri, Niamey, Kollo) and observations from the field, this study analyzes the dynamics current fluvial of the Niger River in this sector. The results indicate that the hydrogeomorphological factors (slope of the minor bed, width of the plain, sinuosity) of the studied sector contributed to the profound changes in the identified fluvial styles. The extension and the appearance of new fluvial forms (islands, alluvial banks) due to the progressive silting up of the minor bed, tend to modify the meandering and rectilinear style of the sector from Niamey to Kollo to a "braid" style. 'a part. On the other hand, this new dynamic reinforces: (i) the precocity of floods, (ii) the reflux of river flows on the old terraces during periods of flooding and (iii) severe low water levels.

Introduction

Les études sur l’évolution des lits fluviaux sont de plus en plus nombreuses et intéressent des sujets interdisciplinaires. Ce regain d’intérêt tient d’une part, au fait que leur évolution géomorphologique devrait être la base de toutes les questions d’aménagement, de navigation et de lutte contre les crues etc. (J. TRICART, 1960, p. 210). D’autre part, les changements d’usage des terres sur les versants et le changement climatique ont créé un besoin urgent de mieux comprendre les interactions entre les processus hydrologiques, géomorphologiques et écologiques affectant les écosystèmes fluviaux (J.M BUFFINGTON et D.R. MONTGOMERY, 2013, p. 1). Les systèmes fluviaux deviennent aussi, des thèmes chers aux géographes, surtout francophones (H. PIEGAY et A. G. ROY, 2006, p. 1 ; J.M BUFFINGTON et D.R. MONTGOMERY, 2013, p. 1 ; A-F. GILLES et al, 2009, p. 110) dans la mesure où leurs études tentent d’apporter des éléments de connaissances sur les changements structuraux, les dynamiques actuelles, la surveillance des risques fluviaux. Malgré cet état de fait, G. ALINE et al, (2014, p. 280) rapportent qu’en Afrique de l’Ouest, peu d’études diachroniques ont été développées sur les dynamiques récentes de systèmes fluviaux sahéliens.

Les écrits scientifiques ayant porté sur la partie sahélienne du moyen Niger, ont abordé pour la plupart la problématique de l’ensablement du fleuve Niger. Parmi les facteurs évoqués dans ce processus, figurent les changements d’usages des sols et l’évolution du régime pluviométrique en lien avec les changements climatiques observés. En effet, une littérature abondante a été consacrée à l’étude de la dynamique hydro érosive et l’ensablement (O. FARAN MAIGA et al, 2008, p. 98 ; O. AMOGU, 2009, p. 15 ; I. MAMADOU, 2012, p. 145 ; M. BAHARI IBRAHIM et al, 2019, p. 101), et aux inondations en lien avec les récentes évolutions hydroclimatiques (D. SIGHOMNOU et al., 2013, p. 5, M. MALAM ABDOU, 2016, p. 20 ; I. BOUZOU MOUSSA et al, 2016, p. 301 ; M. BAHARI IBRAHIM et al, 2018, p. 8) dans la partie nigérienne du fleuve Niger. Nonobstant ces travaux, caractérisés par leur dimension assez large sur les problèmes environnementaux que connait la partie sahélienne du fleuve Niger, la dynamique fluviale de ce cours d’eau a été très peu documentée. En effet, les cours d’eau sont des milieux dynamiques et mobiles dans l’espace et dans le temps (M. EL GHACHI, 2017, p. 3). La dynamique fluviale étudie ainsi, le fonctionnement morphologique d'un cours d'eau à travers l’évolution du lit sous l'effet du transport liquide et de la charge solide transportée. Ces apports dépendent des crises climatiques et les modes d’usages des sols dans le bassin versant (G. ALINE et al, 2014, p. 279) et conditionnent l’évolution du système fluvial du cours d’eau. Aussi, le transport de ces matériaux, contribue-t-il à la création et l’élargissement des formes fluviatiles (bancs alluviaux et nouvelles îles). L’évolution de ces différentes formes fluviatiles modifie le tracé en plan du cours d’eau, donc sa sinuosité et sa pente longitudinale. Ces paramètres géomorphologiques, sont particulièrement sensibles à l’évolution des conditions hydrologiques et sédimentaires et constituent des indicateurs fiables des changements du système fluvial d’un cours d’eau (G. ALINE et al, 2014, p. 290).

L’objectif de cette étude est d’analyser l’évolution du style fluvial du fleuve Niger dans le secteur de Tillabéri à Kollo en passant par Niamey à travers les caractéristiques du lit mineur. Notons que dans la zone d’étude, l’essentiel des tributaires débouchent dans le fleuve Niger par de large cônes de déjection.  Ces tributaires connaissent une nouvelle morphogenèse, très active depuis la fin des années 1980 (O. FARAN MAIGA et al, 2008, p. 99), caractérisée par l’érosion linéaire affectant l’ensemble des unités morpho-pédologiques (à l’exception des sommets des plateaux), contribuant ainsi à l’ensablement du lit mineur du fleuve Niger. Cet ensablement a été mis en évidence par (I. MAMADOU, 2012, p. 196 ; I. MAMADOU et al, 2015, p. 135) à travers la dynamique accélérée des koris dans le Niger Moyen. De ce fait, l’ensablement du fleuve Niger semble atteindre son paroxysme et impose à ce cours d’eau des débordements rapides, donnant lieu aux inondations et un tarissement précoce (la pénurie d’eau). Ainsi, ce nouveau comportement du fleuve Niger est-il lié à l’évolution de son style et des formes fluviatiles dans le lit mineur ?

1. Méthodologie

1.1. La zone d’étude

La zone étudiée est un tronçon de 185 km du moyen Niger. Elle est située dans la région de Tillabéri où le fleuve Niger coule sur 420 km (figure 1). Le choix de ce tronçon, se justifie par le fait que l’essentiel des cours d’eau secondaires (Dargol et Sirba) et une quinzaine de tributaires locaux (les koris) débouchent dans le fleuve par de larges cônes de déjection. Ces dépôts alluviaux, signe de la dégradation des bassins versants, ont contribué à l’exhaussement progressif du lit mineur, créant ainsi des bancs alluviaux de plus en plus stables.

Fig16_1.png

Le contexte géologique de la zone d’étude est marqué par des formations géologiques plus ou moins dures (J-C. OLIVRY, 2002, p. 38), constituées par des formations altérées du socle et de sa couverture sédimentaire, des grès argileux de fin de Tertiaire (O. FARAN MAIGA et al, 2008, p. 98) ; des alluvions récentes, des recouvrements Quaternaires et actuels (dunes) qui masquent le substratum du Continental terminal. Ce dernier, plus répandu sur la rive gauche du fleuve et dans la partie aval de la zone d’étude, repose en discordance sur des formations du précambrien, constituées du granite associé aux roches cristallophylliennes (L. WILLEMS et J-P. BERGOEING, 1994, p. 47). Sur ce substrat, le fleuve Niger a taillé une plaine alluviale de 182 m d’altitude (en moyenne) avec largeur moyenne de 2 km. Cette plaine est constituée par des alluvions récentes donnant lieu à des terrasses d’accumulation emboîtées (L. WILLEMS et J-P. BERGOEING, 1994, p. 49) sur lesquelles se trouve l’essentiel des installations humaines. Celles-ci sont fréquemment exposées aux risques fluviaux (débordement de crue et pénurie d’eau) suite à la nouvelle dynamique du lit fluvial.

Dans ce secteur, la forte emprise humaine a entrainé la fragilisation des sols et l’accélération des processus érosifs sur les versants peu couverts, par une végétation, très clairsemée et sous un stress hydrique (M. BAHARI IBRAHIM et al, 2019, p. 101).

La zone d’étude se caractérise par un climat tropical sec, de type sahélien, agressif, marqué par des pluies torrentielles et irrégulières. Le cumul pluviométrique annuel moyen, est de 500 mm (M. BAHARI IBRAHIM et al, 2019, p. 98). Le réseau hydrographique est constitué par le fleuve Niger ainsi que ses affluents actifs tant sur la rive gauche que sur la rive droite. Ce réseau des affluents actifs à écoulement épisodique, participent sans cesse à l’élargissement des cônes de déjection et des formes fluviatiles dans le lit mineur. En effet, J-C. OLIVRY, (2002, p. 58) rapporte qu’avec les apports des affluents de la rive droite, le débit du fleuve est renforcé de 5 à 20 %, suivant l’hydraulicité de ces affluents dans ce secteur.

1.2. La démarche et les outils

La démarche utilisée a privilégié dans un premier temps, l’utilisation des images satellitaires de la zone étudiée. En effet, des images satellitaires, de type Landsat, couvrant deux périodes (1986 et 2018) ont été analysées durant les basses eaux (Avril-Mai) du fleuve Niger. Les caractéristiques des images utilisées sont décrites dans le tableau 1.

Fig16_2.png

Ces images ont une résolution de 30 m. Toutefois, une attention particulière a été accordée à la date des images (tableau 1) dans le but, de cartographier toutes les formes fluviatiles observables dans le lit mineur. A cet effet, la cartographie fluviale a été développée pour la représentation et l’analyse des formes fluviatiles. Cette démarche, centrée sur l’évolution du lit mineur, a permis d’expliquer la dynamique actuelle du système fluvial du fleuve Niger. Aussi, le recours aux images GoogleEarth (avec une résolution de 2,5m ; plus fine), ont servi d’affiner les résultats de la cartographie du lit mineur dans la zone d’étude.

Les visites du terrain sur des secteurs d’apparition des bancs alluviaux et de reflux d’écoulement ont été effectuées respectivement aux mois de mai qui coïncide avec la fin de la saison sèche et septembre 2019 ; en fin de saison pluvieuse. Le choix de ces deux périodes a été motivé dans le but d’appréhender les signes de la nouvelle dynamique du fleuve dans le secteur investigué. Aussi, ces visites ont été mises à profit pour faire des transects transversaux et des photos afin d’illustrer le document.

L’identification et la détermination des styles fluviaux ont été faites à partir de l’analyse du lit mineur. Cette étape a permis le découpage en sous-secteurs du lit mineur en tenant en compte de leurs particularités hydrogéomorphologiques (tracé du lit mineur, pente et largeur de la plaine alluviale). Le calcul des paramètres géomorphologiques a été effectué sur la base de deux critères. Il s’agit de l’indice de sinuosité et de la largeur de la plaine alluviale sur les secteurs précédemment identifiés. En effet, l’indice de sinuosité (r) est le rapport entre la longueur de la rivière et la longueur de la vallée.  A l’issue du calcul, les cours d’eau sinueux sont ceux pour lesquels 1,05 ≤ r < 1,5 ; les cours d’eau à méandres pour lesquels r > 1,5 (L. AUDREY, 2011, p. 31 ; C. COSANDEY et al, 2007, p. 102). Aussi, ces auteurs rapportent que la valeur de r caractéristique des méandres varie selon les auteurs.  Toutefois, la valeur r qui caractérise les méandres est comprise dans un intervalle comme suit : 1,3 ≤ r < 1,5.

L’indice de confinement a été calculé pour rendre compte, du contrôle exercé par la vallée sur le tracé du cours d’eau. Cet indice s’obtient en faisant le rapport entre la largeur de la bande active et la largeur du fond de vallée (W. ELISE et al, 2010, p. 9).

  1. Résultats et discussion
    1. Les caractéristiques des différentes sections du lit mineur

Le style fluvial représente la manifestation spatiale du fonctionnement hydrogéomorphologique du cours d’eau (G-I. TOROIMAC, 2007, p. 87). L’observation du terrain et l’analyse des images satellites ont permis d’identifier trois styles fluviaux dans la zone d’étude. Le tableau 2, présente les caractéristiques hydrogéomorphologiques des tronçons identifiés dans la zone d’étude.

Fig16_3.png

Sur l’ensemble du tronçon étudié, la pente longitudinale moyenne calculée du fleuve Niger est de 0,16 m/km. L’analyse du tableau 2 révèle que dans le secteur de Tillabéri jusqu’à la confluence de la Sirba (en aval de Gothèye), le fleuve Niger présente une sinuosité élevée. Dans ce bief, la plaine a une largeur moyenne de 2,75 km. L’indice de confinement calculé (0,08) dans ce secteur montre que malgré son étendue, le lit du fleuve Niger n’occupe qu’une petite portion de la plaine. Celle-ci est parcourue par une multitude de chenaux avec une largeur moyenne de 228 m (figure 2).

Fig16_4.png

Ces chenaux relativement stables entrecroisent des îles pour donner un style anastomosé au lit du fleuve Niger dans ce secteur amont de la zone d’étude (figure 4). Le deuxième secteur identifié s’étend de la confluence avec la Sirba en amont de Namaro à Niamey, en passant par Karma et Boubon. Sur ce bief médian, bien que la largeur de la plaine se rétrécit, par rapport au précédent, celle du chenal s’élargie (tableau 2). Le fleuve Niger coule dans un chenal unique, entrecoupé par endroit par des îles longitudinales (figure 3). L’indice de sinuosité calculé confirme un style à méandre (méandriforme) au fleuve Niger, offrant à ce secteur une succession des berges concave et convexe sur son cours (figure 4). L’indice de confinement illustre ainsi que le chenal du fleuve occupe une part importante de la plaine.

Fig16_5.pngFig16_6.png

Au niveau du secteur aval qui s’étend de Saga à Kollo, le lit du fleuve Niger présente un seul chenal tout comme le précédent. Toutefois, dans cette zone, les largeurs de la plaine et du chenal sont plus étendues que dans le secteur précédent. Sur ce bief, le fleuve Niger a un style rectiligne, même si des bras morts sont de plus en plus importants (figure 5).

Fig16_7.png

Les travaux de V. FROLOW, (1936, p. 208), rapportent qu’un véritable profil en long du fleuve Niger n’a jamais été levé même pour les sections intéressées par les aménagements. Ainsi, même si la pente du profil en long d’une ne change qu’à l’échelle pluriséculaire (103 à 104), nos résultats montrent que la pente longitudinale du fleuve Niger dans la zone d’étude reste partout assez faible. Elle est en moyenne de 0,16 m/km dans la zone d’étude (figure 4 et Tableau 2). En effet, les travaux de l’ORSTOM, (1970, p. 22) ont obtenu une pente assez élevée (> 16 cm/km) dans le secteur Tillabéri jusqu’à Gothèye, correspondant au premier secteur de la zone étudiée. I. MAMADOU (2012, p. 96) a quant à lui obtenu une pente moyenne sur le bief de Tillabéri-Niamey de 0,16‰. La configuration du lit mineur dans le secteur de Tillabéri, s’explique par la nature cristalline des terrains.

La pente du lit mineur devient progressivement faible dans les secteurs 2 et 3, où prédominent des terrains sédimentaires sur lesquels les différentes terrasses offrent au fleuve Niger un champ de divagation sur une plaine plus élargie. Dans ces secteurs, les modelés dunaires, orientés SE-NW et surplombant les moyennes et basses terrasses du fleuve Niger marquent aussi la quasi-totalité des formes de versant (C. THEVOZ et al, 1994, p. 70).

    1. Evolution du style et des formes fluviatiles de 1986 à 2018

L’évolution des styles fluviaux identifiés dans la zone d’étude a été appréhendée à travers le suivi des images satellites de 1986 et 2018, soit sur une période de 32 ans. En effet, le style fluvial change en fonction de l’importance de la charge de fond, des débits solides mobilisés. Bien que le manque de sondage des sédiments ne permette pas de conclure aisément sur le stock de sédiments dans le fleuve Niger, il faut noter qu’au cours des crises hydro-climatiques amorcées depuis la fin des années 1960, le fleuve Niger et en particulier dans le secteur étudié (Tillabéri-Kollo), des volumes considérables de sédiments ont été stockés dans le lit mineur (Photo 1 et 2).

Fig16_8.png

Ces matériaux en transit plus ou moins lent dans le lit mineur, contribuent à la multiplication des bancs alluviaux et au renforcement, voire l’extension des îles préexistantes. Ainsi, en l’espace de trois décennies, le lit mineur du fleuve Niger a connu une évolution remarquable dans les secteurs étudiés.

En effet sur les trois styles fluviaux identifiés, la dynamique du lit et des formes fluviatiles varie d’un secteur à un autre. C’est ainsi que le style anastomosé (à chenaux multiples) observé de Tillabéri à la confluence avec la Sirba, n’a pas enregistré de modifications notables tant sur le lit du fleuve, que sur les formes fluviatiles (les îles et bandes actives). Ce sous-secteur semble se stabiliser au cours de la période analysée (figure 6).

Fig16_9.png

En effet, selon D. ROSGEN, (1996, p. 32), la stabilité des îles, souvent végétalisées, est une caractéristique de l’anastomose. En outre, SMITH (1986) cité par E. GAUTIER et F. COSTARD, (2000, p. 338), KNIGHTON et NANSON (1993) cité par L. AUDREY, (2011, p. 32), soulignent que les styles fluviaux anastomosés se caractérisent aussi par une faible puissance d’écoulement, une faible érodibilité des berges et des apports sédimentaires modérés.

Ainsi, la stabilité des chenaux d’écoulements multiples, sinueux ou rectilignes et interconnectés observée dans le secteur de Tillabéri s’explique par l’abondance de la végétation sur les îles d’une part. D’autres part, la stabilité des chenaux anastomosés observée dans ce secteur jusqu’à la confluence avec la Sirba (Gothèye) s’explique aussi par la nature géologique du substrat granitique du Liptako Gourma qui ne permet pas un élargissement des berges du fleuve. 

Par contre, sur les deux autres sous-secteurs (Karma-Niamey et Saga-Kollo), une véritable transformation du lit mineur à travers l’apparition des bancs alluviaux longitudinaux est en cours (figure 7 et 8). Ces dépôts alluviaux, progressifs et de plus en plus visibles en périodes d’étiages semblent difficiles à évacuer malgré les crues exceptionnelles du fleuve Niger (depuis 2010) au cours de ces dernières années. Ce phénomène est alarmant dans la mesure où les affluents actifs (les koris), entaillent des cordons dunaires, surplombant les moyennes et basses terrasses du fleuve Niger. Ces affluents vigoureux ne parcourent qu’une faible distance (5 à 15 km en moyenne), avant de se jeter dans le fleuve tout en fournissant les charges sédimentaires importantes dans les sous-secteurs investigués. C’est sur le secteur Niamey-Kollo, que ces bandes actives (bancs alluviaux peu ou pas végétalisées) sont plus importantes (Figure 7 et 8).

Fig16_10.pngFig16_11.png

Notons que l’édification de ces bandes actives dans le lit mineur, même si elles sont fréquemment remaniées par les crues annuelles, illustre la faible capacité du fleuve à ne plus contenir les eaux, et que l’ensablement semble atteindre son surcroit. Ainsi, le rehaussement du lit du fleuve Niger dû à l’ensablement, modifie progressivement la topographie du lit mineur dont la conséquence demeure la modification des écoulements dans toute la plaine alluviale (I. MAMADOU et al 2015, p. 135). A cet effet, des reflux d’écoulement du fleuve sont assez fréquents en périodes de crues locales et guinéennes sur les basses terrasses de plus de plus anthropisées (Photo 3).

Fig16_12.png

Suite à l’exhaussement du lit mineur, un changement de style fluvial s’observe sur les secteurs de Niamey et Kollo. En effet les secteurs 2 et 3, qui présentent un style à méandre et rectiligne se transforment peu à peu vers un style en tresse du fait de la multiplicité des bandes actives (Figure 7B et 8B), soit isolées ou en extension des îles préexistantes. E. MOUSSA (2012, p. 50) avait déjà notifié l’apparition de deux nouvelles îles dans le terroir de Sakondji-Birni, dans le département de Gaya. L’apparition de ces formations fluviatiles, fait suite à l’ensablement du fleuve Niger dans le secteur dont l’origine était l’amenuisement du couvert végétal ayant engendré l’augmentation des sols nus et le ravinement sur les versants.

Le changement de style qui s’observe dans la zone investiguée, est la résultante de la configuration de la plaine (largeur plus étendue), la présence des bras-morts mais aussi et surtout la faiblesse de la pente en longitudinale du fleuve, favorisant les dépôts et le développement des bancs alluviaux. Avec cette tendance, le fleuve Niger semble perdre progressivement sa compétence dans le secteur de Niamey et Kollo. Ainsi, selon C. COSANDEY et al, (2007, p. 103) l’évolution des styles fluviaux reflète des variations de niveaux d’énergie des cours d’eau (puissance fluviale) et d’instabilité des lits. A cet effet, les systèmes fluviaux peuvent réagir soit par enfoncement ou exhaussement du lit mineur (L. SCHMITT, 2013, p. 2). Ces réactions sont aussi responsables des changements du style fluvial. En réponse aux changements relatifs des flux hydriques et solides, sur des échelles temporelles de plusieurs décennies à plusieurs siècles le cours d’eau peut passer d’un style de tressage au méandre et inversement. L. AUDREY, (2011, p. 31) rapporte que la présence d’une charge de fond excédentaire est généralement associée au style en tresses d’un cours d’eau. Ce style, est le plus souvent caractérisé par des chenaux multiples divergents et convergents qui sont modifiés à chaque crue importante (Photo 1). Aussi, ce type de lit est-il associé à des terrasses alluviales avec une pente faible. D. ROSGEN (1996, p. 32), ajoute que dans les styles fluviaux en tresse, les berges sont relativement stables et une charge sédimentaire considérable, engendrent une puissance fluviale faible à modérée du cours d’eau.

Toutefois, le renforcement des bandes actives, étant une preuve manifeste de l’exhaussement du lit mineur, ayant entrainé la modification du style fluvial dans le secteur de Niamey et Kollo, impose au fleuve Niger un comportement nouveau. En effet, il en résulte de ce comportement des secteurs de débordement des eaux du fleuve qui se multiplient. Ces débordements en période de crue engendrent l’inondation fréquente des installations humaines. Ces dernières années ont été plus marquées par des inondations sur des secteurs jadis exondés. Aussi, en période d’étiage, observe-t-on un écoulement discontinu avec par endroit l’apparition d’un « chapelet de grandes mares », peu profondes. La navigabilité des pirogues approvisionnant la ville de Niamey en produit maraîchers sur des tronçons entre Tillabéri et Kollo devient difficile, voire impossible pendant cette période.

Conclusion

La présente étude met en évidence l’évolution du style fluvial sur un secteur du fleuve Niger (de Tillabéri à Kollo) à travers le développement des formes fluviatiles. De 1986 à 2018, un stock important de sédiment a été déposé dans le lit mineur du fleuve Niger. On assiste ainsi à une multiplication des bancs alluviaux et l’extension des îles qui ont tendance à modifier le style fluvial du fleuve Niger surtout dans les secteurs de Niamey et de Kollo (secteur 2 et 3). Dans ces secteurs, le fleuve Niger tend à changer son style méandriforme et rectiligne vers un style tressé. Cette modification du style fluvial dans la zone d’étude, tient aussi au fait que le fleuve traverse des anciennes terrasses assez larges et que la pente longitudinale est très faible (<=14 cm/km). Celle-ci favorise d’une part, l’accumulation des sédiments déposés par les koris environnants ; d’autre part le lit du fleuve trouve une condition optimale pour sa divagation sur les anciennes terrasses de plus en plus anthropisées. Au cours de la même période, il semble que la puissance du courant d’eau du fleuve n’arrive pas à évacuer cette charge sédimentaire dans ces secteurs, malgré les crues exceptionnelles enregistrées depuis 2010. Dans le secteur amont de Tillabéri (secteur 1), la nature géologique du substrat serait responsable de la stabilité du lit du mineur durant la période analysée.

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Auteurs

1Département de Géographie, Université de Niamey, (Niger), ibbahari52@gmail.com

2Département de Géographie, Université de Niamey, (Niger), faranmaigaoumarou@yahoo.fr

Catégorie de publications

Date de parution
30 sep 2020