Activité de pêche et développement socio-économique dans la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran (Côte d’Ivoire)

Résumé

La Côte d’Ivoire dispose de 1 200 km² de lagune, de 1 760 km² de lacs (retenues de barrages hydroélectriques et hydro-agricoles) et de 3 000 km de cours d’eau (fleuves et rivières) (COFREPECHE, 2013, p. 36). Ce potentiel hydrographique a développé la pêche dans des localités ayant l’agriculture comme activité principale. La Sous-préfecture d’Ayaou-Sran en fait partie et la contribution de la pêche à son développement reste méconnue.

Cet article traite alors de la contribution de la pêche au développement socioéconomique de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran. Il analyse la participation de cette activité à la création d’emplois, la génération de revenus et met en évidence les habitations, les équipements, les infrastructures et les activités qui sont de son fait. L’étude, basée sur l’observation, la recherche documentaire et l’enquêté de terrain, a conduit à deux principaux résultats. D’une part, la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran approvisionne, en plus de ses marchés, une quinzaine de localités à partir de 16 sites de débarquement. D’autre part, la pêche y est une activité à faible impact sur le développement. En effet, l’activité est créatrice d’emplois mais mobilise moins de 2 %  de la population totale. Aussi, bien qu’elle participe à la recette locale, sa signature spatiale est faible en raison de la précarité des installations qui en résultent et de sa faible participation à la création d’équipements et d’infrastructures collectifs. Cela s’explique par une forte implication des allogènes dans cette activité, par le manque d’organisation des pêcheurs et leur absence dans le processus de développement local.

Abstract

Côte d'Ivoire has 1,200 km² of lagoon, 1,760 km² of lakes (reservoirs of hydroelectric and hydro-agricultural dams) and 3,000 km of watercourses (rivers and streams) (COFREPECHE, 2013, p 36). This hydrographic potential has developed fishing in localities with agriculture as their main activity. The Ayaou-Sran sub-prefecture is one of them and the contribution of fishing to its development remains unknown.

This article then discusses the contribution of fishing to the socio-economic development of the Ayaou-Sran Sub-prefecture. It analyzes the participation of this activity in the creation of jobs, the generation of income and highlights the dwellings, equipment, infrastructure and activities that are its doing. The study, based on observation, documentary research and fieldwork, led to two main results. On the one hand, the Sub-prefecture of Ayaou-Sran supplies, in addition to its markets, fifteen localities from 16 landing sites. On the other hand, fishing is an activity with a low impact on development. Indeed, the activity creates jobs but mobilizes less than 2% of the total population. Also, although it participates in the local recipe, its spatial signature is weak due to the precariousness of the resulting installations and its low participation in the creation of equipment and collective infrastructures. This is explained by a strong involvement of non-natives in this activity, by the lack of organization of fishermen and their absence in the local development process.

Introduction

La pêche et l’aquaculture jouent un rôle essentiel dans les moyens d’existence de millions de personnes dans le monde et contribuent à la sécurité alimentaire et à la réduction de la pauvreté (FAO, 2009, p 3). C. CHABOUD et M. KÉBÉ (1989, p 132), M. AMADOU et al (1995, p 20), FAO (2018, p 150), O. N’DIAYE et Y. D. OOUADI (2009, p 40) relèvent l’importance de l’activité de pêche dans le développement de certains pays comme le Sénégal, la Mauritanie et certains pays européens. La filière halieutique occupe aussi une place importante dans le développement socioéconomique de la Côte d’Ivoire. Cette importance se traduit par le nombre important d’emplois qu’elle génère au profit des populations et par son impact spatial. Pour FIRCA (2013, p 4), K. P. ANOH (2007, p 140), A. TALL (2004, p 22), A. CHAUMET (2000, p 15), C. Y. KOFFIÉ-BIKPO (1997, p. 160), K. M. KOUMAN et Y. DOSSO (2017, p. 10), C. Y. KOFFIÉ-BIKPO et al (2017, p. 145), le secteur halieutique participe à la lutte contre la pauvreté en ce sens qu’il permet de créer un nombre important d’emplois dans les domaines de la production, de la transformation et de la commercialisation du poisson. Par ailleurs, ces travaux, aussi géographiques que socioéconomiques, évoquent la commercialisation, la distribution et l’impact socio-économique et spatial des productions halieutiques à travers les principales zones de production en Côte d’Ivoire. Il s’agit des villes littorales, notamment Tabou, San-Pedro, Sassandra, Jacqueville, Grand-Lahou, Abidjan, Adiaké et Grand-Bassam.

À l’analyse, la participation de la pêche au développement de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran n’a pas fait l’objet d’étude scientifique. Pourtant, cette Sous-préfecture fait partie des localités où l’activité de pêche devient de plus en plus la principale source de revenu de des  ménages vivants près du Lac Kossou (Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran, 2017, p 10).

Il se pose alors, pour cette étude, la question de savoir comment la pêche contribue-t-elle au développement socioéconomique de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran ?

Il s’agit donc d’analyser la contribution de la pêche au développement socioéconomique de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran.

1.  Méthodologie

La méthodologie qui guide ce travail s’articule autour de deux points essentiels. Il s’agit, d’une part de la présentation de la zone d’étude et d’autre part de l’explication des outils et méthodes.

1.1.Présentation de la zone d’étude

La Sous-préfecture d’Ayaou-Sran est située au centre de la Côte d’Ivoire, dans la région du Gbêkê, entre le 7°25’47’’ de longitude Ouest et le 5°36’25’’ de latitude Nord. Elle s’étend sur une superficie de 222,197 Km² et fait partie du département de Sakassou. Elle est limitée au Sud par la Sous-préfecture de Molonou (Tiébissou), à l’Est par celle de Toumodi-Sakassou, à l’Ouest par une frontière naturelle : le Lac Kossou. Dans la partie septentrionale, se trouve  la Sous-préfecture d’Ando-Kékrénou (figure 1).

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La Sous-préfecture d’Ayaou-Sran compte 3 villages et plus d’une douzaine de campements situés en bordure d’eau. La frontière à l’Ouest avec le lac Kossou offre à la population locale l’avantage de la proximité des pêcheries lacustres. Ce lac est situé entre le 7°03’/8°06 de latitude Nord et le 5°20’/5°49’ de longitude Ouest. Long de 1 280 km, il s’étend de Marabadiassa à Kossou. Il couvre une superficie comprise entre 800 et 1 000 km² selon les périodes de hautes eaux et de basses eaux. À ce vaste espace aquatique, s’ajoutent de nombreux bas-fonds drainés et des rivières qui tarissent pendant les périodes de saison sèche. Toutefois, ces cours d’eaux qui tirent leur source du lac Kossou restent modestes de par leur longueur et leur débit et forment  le réseau hydrographique de cette Sous-préfecture.

La collecte et le traitement des données se sont faits à travers des outils et des méthodes.

1.Outils et méthodes

Le choix du modèle d’analyse, la recherche documentaire, l’enquête de terrain et le traitement des données recueillies ont aidé à collecter et à traiter les données.

Cette étude utilise la théorie du géosystème halieutique de J-P. CORLAY (1993, p. 101) dont la représentation simplifiée se présente comme suit :

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Selon J-P. CORLAY (op.cit.), la construction socioéconomique et socio-spatiale résultant de la rencontre d’un potentiel de ressources biologiques exploitables (l'écosystème) et d’une stratégie de valorisation de ce potentiel (le socio-système) est le géosystème halieutique. La structure spatiale qui en résulte est tridimensionnelle et se décompose en trois entités que sont l’espace de production, l’espace de distribution et l’espace polarisant. La première entité est le milieu aquatique à l’intérieur duquel les ressources sont prélevées. La dernière est composée des lieux de commercialisation et de consommation des produits. La seconde est le lieu d’échouage des embarcations de la pêche. Cette théorie a permis d’expliquer le déroulement du commerce du poisson dans la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran. En effet, elle a aidé à identifier les échouages, les marchés approvisionnés et à expliquer le circuit de distribution des productions.

En outre, à partir d’une analyse tri-scalaire, il a été question d’évaluer la contribution à l’amélioration du cadre de vie des populations, en étudiant les activités, les équipements, les infrastructures et les habitations (liés à la pêche) qui se développent sur les trois espaces qui structurent le géosystème halieutique (l’espace de production, l’espace de distribution et l’espace polarisant).

Les principaux ouvrages consultés portent sur les marchés, les commerçants, le traitement et les prix de vente des poissons des pêches artisanales, maritimes et fluviaux-lacustres. Parmi ceux-ci, figurent ceux de FAO (2008a, p. 15; 2008b, p. 19). COULIBALY R. (2010, p. 20), EMERGENCY MARKET MAPPING and ANALYSIS (2011, p 11), KOUMAN K. M (2008, p 170), KOUMAN K. M. et DOSSO Y. (2017, p 5), KOFFIÉ-BIKPO C. Y. et al. (2017, p 141),  DOSSO Y. et al (2018, p 194), DOSSO Y. (2019, p 117) s’intéressent à l’apport de la pêche dans le développement de la Côte d’Ivoire.

Le choix des espaces enquêtés s’est fait sur la base d’un sondage aréolaire. Il s’est agi d’identifier toutes les localités de pêche et de retenir celles qui pratiquent la pêche commerciale. Selon ce critère de choix, Tonidaga I, Tonidaga II, Tonidaga III, Tiégbanadaga, Sra-Banan, Kati, Manimanidaga, N’Djablékro, Sékou Daga et Emmanuel Daga, Achime Daga, Garba Daga, Madinadaga, Sran-Bondossou, Ayaou-Sokpa, Sran-Bélakro et Goberkro ont été les sites retenus. Pour le choix des acteurs, il convient de noter qu’en Côte d’ivoire, comme dans la plupart des États membres de l’UEMOA, les services en charge des pêches ne disposent pas d’un registre exhaustif à jour permettant de définir un certain nombre d’indicateurs (SHEPH. et al, 2013, p. 105). La pêche artisanale à Ayaou-Sran ne reste pas en marge de cette réalité avec des statistiques quasi-inexistantes ou largement sous-estimée. Face à cela, nous avons fait recours à un dénombrement des acteurs de l’activité de pêche. Cette opération a permis d’identifier 1874 acteurs soit 501 pêcheurs, 150 mareyeurs, 200 transformateurs, 1003 vendeurs et 20 transporteurs. Ainsi, le choix des répondants s’est fait à partir de la formule suivante :  

             Z² (PQ) N

n =

       [e² (N-1) + Z² (PQ)]

N = Taille de l’échantillon à déterminer ou nombre d’individus à interroger ;

N = Taille de la population mère (nombre d’acteurs dénombré, 1874) ;

Z = Coefficient de marge (déterminé à partir du seuil de confiance) ;

e = Marge d’erreur ;

P = Une constante variant entre 0 et 1, est une probabilité d’occurrence d’un évènement. Dans le cas où l’on ne dispose d’aucune valeur de cette proportion, celle-ci sera fixée à 50% (0,5);

Q = 1-P.

Étant donné que P = 0,50 donc Q = 0,50 ; à un niveau de confiance de 95%, Z = 1,96 et la marge d’erreur e = 0,05%.

 L’application de la formule donne alors :

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Pour combler le vide concernant le refus de certains enquêtés à répondre à nos questions, nous avons corrigé la taille de l’échantillon en l’arrondissant à 400 acteurs.

Par ailleurs, la technique par quota a permis d’échantillonner les acteurs par secteurs d’activités en utilisant la règle de proportionnalité qui se résume à la formule suivante :

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f = la taille de l’échantillon par secteurs d’activités; A = la population des acteurs par secteurs d’activités (exemple : 150 personnes pour les mareyeurs); B = le total des personnes à enquêter (400) et N = la population totale des acteurs (1874). L’application de cette formule a permis d’échantillonner 107 pêcheurs, 43 transformatrices, 32 mareyeurs, 4 transporteurs et 214 vendeurs.

La collecte des données s’est faite en trois phases. La première a lieu du 20 janvier au 19 février 2019 ; la seconde, durant les congés de pâques de la même année (du 12 au 23 Avril 2019) et la dernière, au cours des congés de nouvel an (du 21 Décembre 2019 au 4 janvier 2020).

L’observation a consisté à faire des investigations sur le terrain pour nous imprégner de l’activité de pêche et de son emprise spatiale et socioéconomique. Les entretiens se sont déroulés avec les responsables du Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran et ont porté sur les statistiques de la pêche, les activités annexes, les zones d’approvisionnement, les acteurs et la production commercialisée. Ces entretiens ont permis également de connaître les chiffres d’affaire des productions commercialisées et l’impact de la pêche sur le développement. Les échanges avec les chefs des communautés de pêche et les responsables des transformateurs-vendeurs sont axés sur leur organisation socioprofessionnelle, le traitement des produits, les marchés de vente, le revenu et son utilisation, leurs réalisations. L’entretien avec le Sous-préfet a permis de connaître la part de la pêche dans les recettes locales. Les données recueillies ont été traitées à l’aide des logiciels EPI Info, SPSS et Excel pour la  réalisation des tableaux. Aussi avons-nous utilisé le logiciel Arcgis 10.3 pour la réalisation des cartes. À l’issue du traitement des données, les résultats obtenus se présentent comme suit :

2.  Résultats

2.1. Un arrière-pays halieutique composé d’une quinzaine de localités pour une diversité de sites de débarquement

La pêche à Ayaou-Sran mobilise 501 pêcheurs dont 250 maliens (49,90%) contre 180 ivoiriens (35,93%), 41 ghanéens (8,18%) et 30 burkinabés (5,99%) (Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran, 2019, p.12 et nos enquêtes, 2019). Les productions sont vendues sur plusieurs marchés à partir d’une diversité d’échouages.

2.1.1.  Une pluralité d’échouages

La Sous-préfecture d’Ayaou-Sran regorge d’une multiplicité de sites de débarquements (figure 3). À la lecture de la figure 3, la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran compte 16 sites de débarquement dont 7 principaux (Tonidaga I, Tonidaga II, Tonidaga III, Tiégbanadaga, Sra-Banan, Kati et Manimanidaga) et 9 secondaires (N’Djablékro, Sékou Daga et Emmanuel Daga, AchimeDaga, GarbaDaga, Madinadaga, Sran-Bondossou, Ayaou-Sokpa, Sran-Bélakro et Goberkro).

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Le tableau 1 donne une estimation de la production par site de pêche.

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Une multitude d’espèces y est débarquée. Toutefois, « la production est dominée par les chrysichthys ou machoirons (67,6%), les CarpesTilapia (tilapias) (25,5%) et les Clarias ou Silures (3,40%). Par ailleurs, la production varie en fonction des trimestres avec 100,5 tonnes au premier trimestre (10,39%), 372,280 tonnes au deuxième (38,48%), 377 tonnes au troisième trimestre (38,96%) et 117,830 tonnes au dernier (12,15%) » (Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran, 2019, p 10). Les mois d’avril, mai et surtout de juillet constituent les périodes de forte production. Le deuxième trimestre de l’année marque la fin de l’étiage et annonce le début de la crue qui commence au mois de juillet. Cette période est favorable à la pêche et les prélèvements sont abondants.

Les espèces de la pêche locale de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran approvisionnent à la fois les marchés de ladite Sous-préfecture et ceux d’ailleurs.

2.1.2. Un arrière-pays halieutique composé d’une quinzaine de localités

La Sous-préfecture d’Ayaou-Sran approvisionne, en plus de ses marchés, d’autres villes  comme le témoigne la figure 4.

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Selon le Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran (2019, p.8) et nos enquêtes (2019), la production de produits halieutiques s’élevait à 967,61 tonnes en 2019. Compte tenu du manque de moyens modernes de conservation, environ 60% de la production sont vendus fumés, soit 580,57 tonnes. La production fraiche représentant 40% (387,04 tonnes) se retrouve dans presque toutes les villes desservies. La ville de Sakassou est la première destination de ces produits. Elle a reçu 261,25 tonnes (27%) dont 104,50 tonnes d’espèces fraîches contre 156,75 de fumées. Ayaou-Sran, la zone de production en a reçue 25% (241,90 tonnes) dont 96,76 tonnes d’espèces fraîches contre 145,14 de fumées. Bouaké (25% ; 241,90 tonnes), Abidjan (9,75% ; 94,34 tonnes), Yamoussoukro (5% ; 48,38 tonnes) et Bouaflé (2% ; 19,35) sont respectivement les 3ème, 4ème, 5ème et 6ème destinations de cette production. Les autres localités reçoivent entre 2 et 0,25%.

La pêche est une activité bien présente dans la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran. Elle mobilise plus de 1800 acteurs et participe à l’approvisionnement des marchés aussi bien locaux qu’environnants. Cependant, il y a lieu de s’interroger sur son impact réel sur le développement socioéconomique et la transformation spatiale de cette localité.

2.2. La pêche : une activité à faible impact sur le développement de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran

Bien qu’Ayaou-Sran fasse partie des espaces de commerce de produits halieutiques, la pêche y contribue faiblement à l’amélioration des conditions de vie des populations.

2.2.1.  La pêche à Ayaou-Sran: un secteur employant moins de 2% de la population

Les personnes mobilisées par la filière pêche à Ayaou-Sran se regroupent en 6 principaux groupes : les pêcheurs, les mareyeurs, les transformatrices, les vendeurs, les consommateurs et les agents du Bureau Aquaculture et Pêche.

Les peuples étrangers (maliens, ghanéens et burkinabés) ont le monopole de la pêche et de la transformation. Le tableau 2 montre la répartition des principaux acteurs par nationalité.

Le commerce des ressources halieutiques locales à Ayaou-Sran mobilise 1 854 personnes dont 501 pêcheurs, 150 mareyeurs, 200 transformateurs et 1003 vendeurs. Au nombre de 250, les pêcheurs de nationalité malienne représentent 49,90% du total des acteurs contre 180 ivoiriens (35,93%), 41 ghanéens (8,18%) et 30 burkinabés (5,99%). Les burkinabés sont majoritaires dans le circuit de la transformation avec 115 acteurs (57,50%) contre 50 maliens (25%), 20 Ivoiriens (10%) et 15 ghanéens (7,50%). Les ivoiriens ont la mainmise sur le mareyage et la vente.

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En effet, 100 ivoiriens (66,67%) sont mobilisés par le mareyage contre 40 maliens (26,67%) et 10 Burkinabés (06,66%). Concernant la vente, on dénombre 763 ivoiriens (76,07%) contre 200 maliens (19,94%), 30 burkinabés (2,99%) et 10 ghanéens (1%). Au total, environ 1854 personnes sont impliquées dans les activités du secteur de la pêche à Ayaou-Sran. Ce qui représente 1,96% de la population totale estimée à 94 525 (RGPH, 2014). Leurs revenus varient en fonction des techniques de pêche comme l’indique le tableau suivant :

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L’analyse du tableau 3 révèle que les revenus les plus importants sont enregistrés par les utilisateurs des filets à épervier et maillant qui perçoivent entre 100 000 et 250 000 Francs CFA. Les aide-pêcheurs reçoivent en moyenne 100 000 Francs CFA par mois quand les patrons, propriétaires de filet, gagnent 250 000 Francs CFA. Ils sont suivis des détenteurs de ligne à hameçon dont le gain mensuel varie entre 60 000 à 100 000 Francs CFA.

Par ailleurs, la pêche participe au budget de l’État et des collectivités locales.

2.2.2.  Une activité participant au budget de l’État et des collectivités locales

En Côte d’Ivoire, toute personne exerçant l’activité de pêche doit obtenir une autorisation de la part de l’État. Pour être pêcheur, il faut avoir une licence de pêche délivrée par l’autorité compétente (la Direction de l’Aquaculture et de la Pêche) et les fonds sont versés à la régie du Ministère des Ressources Animales et Halieutiques via le trésor. La licence a une durée d’un an. Le montant de la taxe annuelle pour la pêche artisanale est de 15 000 Francs CFA par an pour tous les pêcheurs (nationaux et non nationaux). Sur cette base, nous avons dressé un tableau récapitulatif des recettes tirées de la délivrance des licences de pêche aux pêcheurs sur deux années. Il se présente comme suit :

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Il ressort de l’analyse du tableau 3, qu’en 2018 et 2019, ce sont respectivement plus 6 000 000 de Francs CFA et plus de 7 500 000 de Francs CFA, en provenance du secteur de la pêche dans la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran qui ont été versés dans les caisses de l’État. De plus, au niveau national, tout pêcheur exerçant sur les eaux continentales paye mensuellement 3 000 Francs CFA à l’État de Côte d’Ivoire ; représentant la taxe d’exploitation annuelle. Le récapitulatif de ces taxes est résumé dans le tableau 5.

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Ce tableau présente la contribution des activités de pêche dans les recettes locales à travers les taxes d’exploitation prélevées auprès des pêcheurs. Elles s’élèvent à plus d’un million en 2018 contre plus d’un million cinq cent mille en 2019. À cela, s’ajoutent les fonds prélevés sur les plaques d’immatriculation des pirogues. Ces taxes sont d’un montant de 5000 Francs CFA par pirogue et par mois. Hormis cela, tous les vendeurs sont soumis à des taxes dont les coûts sont récapitulés dans le tableau 6.

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Les entretiens que nous avons eus avec les responsables du Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran témoignent que plus de la moitié des vendeurs, notamment les ivoiriens exercent dans la clandestinité. Ils refusent de se soumettre aux taxes mentionnées dans le tableau 6. Au total, en 2019, ce sont environ 39 768 000 Francs CFA en provenance du secteur de la pêche qui ont été versés dans les caisses de l’État à Ayaou-Sran (Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran, 2019).

À cette étape de l’analyse, il était question de comparer cette contribution de la pêche à celle des autres secteurs d’activité à partir de données chiffrées. Mais, pour une question de gestion secrète de dossiers sensibles, les autorités se sont réservés de nous donner des informations à cet effet. Néanmoins, le Sous-préfet de la localité, personnalité ayant connaissance du dossier a fait savoir que la contribution de la pêche à la recette locale est moins importante comparativement à celle de l’agriculture. Il renchérit pour dire qu’en 2019, la part de la pêche n’atteignait pas les 5%  des recettes fiscales locales.

De ce qui précède, il faut noter que la contribution du secteur halieutique au développement socio-économique de la Sous-préfecture d’Ayou-Sran reste faible. Qu’en est-il alors de son impact spatial ?

2.2.3.  La pêche : une activité à faible impact spatial

Sur les 16 sites de débarquement visités, il n’y a que 5 qui abritent des maisons modernes appartenant à des pêcheurs. Il s’agit de Kati et Sran-Bondossou qui en abritent  2 chacun contre 1 pour chacun des villages suivants : Manimanidaga, Sra-Banan et Achime Daga.  Outre ces 5 habitations modernes, les autres habitations des pêcheurs sont soit en bois, en banco, en terre battue ou en matériaux de récupération. Les photos 1 et 2 en donnent un aperçu.

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Les photos 1 et 2 illustrent quelques habitations construites par des pêcheurs grâce aux revenus de leur activité. La première est précaire et appartient à un pêcheur dans le village de Tonigada I. Quant au second, il s’agit d’une maison moderne appartenant à un pêcheur Baoulé dans le village de Sran-Bondossou. En outre, hormis les mosquées en bancos, construites par les pêcheurs maliens, aucune infrastructure ni équipement collectif (marché, école, centre de santé, centre culturel, pompe d’hydraulique villageoise, électricité, eau courante, etc) n’est le fait des acteurs de la filière pêche. Toutefois, des ménages de pêcheurs des villages connectés au réseau d’électricité et d’eau potable s’y abonnent pour améliorer leur condition de vie. Dans les villages non connectés au réseau d’électricité, les ménages de pêcheurs utilisent des palettes d’énergie solaire pour parfaire leur condition de vie. Le tableau 7 donne plus d’informations sur le niveau d’équipement des ménages de pêcheurs dans les localités investiguées.

Sur les 16 villages enquêtés, 3 (Sran-Bondossou, Ayaou-Sokpa et Sran-Bélakro) sont abonnés au réseau d’électricité et 1 (Ayaou-Sokpa) à celui de l’eau potable. Sran-Bondossou enregistre 100% des ménages de pêcheurs abonnés au réseau d’électricité contre 86,66% à Sran-Bélakro et 80% à Ayaou-Sokpa. Ayaou-Sokpa est la seule localité disposant d’un réseau d’eau potable, permettant ainsi à 13,33% des ménages de pêcheurs de s’y abonner. Certains de ces ménages disposent aussi de moyens d’information et de communication (téléphone portable, radio, télévision).

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Cinq ménages dont 2 à Sran-Bondossou, 2 à Ayaou-Sokpa et 1 à Sran-Bélakro sont abonnées au bouquet canal +.

Dans certains villages non connectés au réseau d’électricité, des ménages de pêcheurs ont recours à des groupes électrogènes où des palettes d’énergie solaire. Ainsi, à Tonidaga I, 10% possèdent une palette d’énergie solaire contre 5% à Tonidaga II, 8% à Sra-Banan, 20% à Kati et Manimanidaga, 3% à Goberkro, 2% à Achime Daga et 4% à Garba Daga. Par ailleurs, 3 à Tonidaga I, 02 à Manimanidaga et 1 à Kati et Sra-Banan se sont offerts le bouquet canal + tel qu’illustrées par les photos 3 et 4.

Ces équipements de canal plus horizon et de palette d’énergie solaire sont disposés dans des villages non connectés au réseau électrique. Les pêcheurs utilisent leurs revenus pour s’en approprier afin d’améliorer leur condition de vie.

En somme, bien qu’étant créatrice d’emplois dans la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran, la contribution de la pêche à la recette locale est moins importante comparativement à celle de l’agriculture. De plus, sa signature spatiale est faible en raison de la précarité des installations qui en découlent et de sa faible participation à la création d’équipements et d’infrastructures collectifs.

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3.  Discussion

Le poisson de la pêche locale de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran vient d’une diversité de zones d’approvisionnement pour une production largement distribuée en dehors des limites de ladite Sous-préfecture. Cela s’explique par le fait que les épouses de pêcheurs, maillon essentiel du circuit de vente, ont pour principales clientes, les femmes venant d’ailleurs. Ayant pour habitude la paie en cash, celles-ci ont un pouvoir d’achat élevé et donc capables d’acheter du poisson en grande quantité. Avec elles, les épouses de pêcheurs gagnent en temps et la marge bénéficiaire est plus grande. D’ailleurs, sur les 214 vendeurs échantillonnés, 150 (70,09%) on affirmés qu’ils préfèrent vendre leurs marchandises dans de grandes villes telles qu’Abidjan, Bouaké, Yamoussoukro et Korhogo.

Ce résultat est identique à celui de C. HAUHOUOT (2004, p. 76) qui soutient qu’à Adiaké, l’activité de pêche y est importante mais ses produits ne couvrent pas les besoins au plan local car seulement le quart de la production est écoulé dans la région. Le reste est acheminé en direction du marché abidjanais. C’est également le constat de K. M. KOUMAN (2008, p. 277) qui soutient que la production maritime du Sud-ouest ivoirien est distribuée dans 32 départements.

Aussi le fumage est-il le principal mode de transformation des produits. Ce qui corrobore les résultats de K. P. ANOH et C. Y. KOFFIÉ-BIKPO (1999, p 52) et Y. DOSSO (2019, p. 116) qui indiquent que le fumage constitue la principale forme de transformation du poisson en Côte d’Ivoire. Toutefois, ces résultats sont différents de ceux de M. AMADOU et al. (2005, p. 12) qui soutiennent que les produits de la pêche artisanale en Mauritanie sont surtout commercialisés en frais.

Le secteur de la pêche est créateur d’emplois mais il mobilise peu de personnes dans la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran. Ces résultats sont semblables à ceux de Y. DOSSO (2019, p. 187) et contraires à ceux de P. FAILLER et al. (2010, p 161). En effet, Y. DOSSO (op.cit.) pense que 4,30% de la population de la Sous-préfecture d’Adiaké exercent dans le domaine du commerce du poisson. Quant à P. FAILLER et al. (2010, p. 161), en Mauritanie, « le sous-secteur de la pêche artisanale est de loin la première source de création d’emplois directs. Entre 1994 et 2001, le nombre de pêcheurs artisans est passé de plus de 3 800 à environ 12 100 pour une croissance moyenne annuelle de 8% ».

De plus, la contribution de la pêche à la recette locale est moins importante comparativement à celle de l’agriculture. Dans d’autres pays, c’est la situation inverse. Selon M. CARMEN-PAZ (2018, p. 17), les recettes budgétaires de l’État Mauritaniens  proviennent de la pêche à hauteur de 29 %. Cela est soutenue par P. FAILLER et al (2010, p. 157) qui témoignent que

 le secteur des pêches, exploité jusqu’à la fin des années 70 par des opérateurs étrangers, continue à être un pilier majeur de l’économie nationale de la Mauritanie malgré une diminution de sa contribution aux principaux agrégats macroéconomiques (balance commerciale, PIB, recettes budgétaires). Le secteur continue encore à maintenir sa place comme importante source de recettes du budget de l’État. Son apport s’est toujours situé au-dessus des 20% de ces recettes sur la période de 1993 à 2000 .

En outre, la pêche est une activité à impact spatial faible à Ayaou-Sran en raison de la précarité des installations qui en découlent. Selon le Directeur du Bureau Aquaculture et Pêche d’Ayaou-Sran et nos enquêtes (2019), le faible impact spatial de la pêche dans cette localité est dû à la faiblesse des investissements de ses acteurs. Ce sont quelques pêcheurs et mareyeurs qui investissent réellement à Ayaou-Sran. Les autres (les transformateurs et vendeurs) qui sont à 100 % des femmes, utilisent leur revenu pour les dépenses familiales (alimentation, scolarisation…). En effet, sur 501 pêcheurs et 150 mareyeurs que compte la localité, 7 acteurs dont 4 pêcheurs (2 Ivoiriens et 2 Maliens) et 3 mareyeurs (2 Ivoiriens et 1 Burkinabé) vivent dans des habitations modernes. Ceux-ci ont en moyenne 250 000 Francs CFA par mois. Les autres gagnent mensuellement entres 60 000 et 100 000 Francs CFA. Par ailleurs, selon les dires du Burkinabé et des 2 Maliens qui ont investi dans des habitations modernes, l’une des raisons fondamentales de ces investissement, c’est qu’ils sont mariés à des ivoiriennes. Pour eux, investir dans l’immobilier est une façon de garantir un bel avenir pour leurs enfants. Hormis cela, l’enquête par questionnaire a révélé que plus de 99 % des acteurs étrangers rapatrient leur revenu dans leurs pays d’origine où ils investissent dans l’immobilier, le transport, l’élevage et d’autres activités. Aussi, en raison de leur faible revenu, plus de 99,5 % des acteurs ivoiriens vivent dans des habitations précaires. Ces résultats corroborent ceux de C. Y. KOFFIÉ-BIKPO (1997, p. 15), K. M. KOUMAN (2008,  p. 326-327), K. M. KOUMAN et Y. DOSSO (2017, p. 6) qui soutiennent que le commerce du poisson contribue faiblement à parfaire le cadre de vie des populations de Sassandra en raison de sa forte participation à la construction d’habitations précaires. Cette assertion est contraire à celle de K. P. ANOH (2007, p. 148) qui montre que la pêche participe à la création, l’entretien et l’amélioration d’écoles, de centres de santé, de marchés, de lieux de culte, de centres culturels dans la partie Sud-est de la Côte d’Ivoire, notamment à Adiaké.

Conclusion

Cette étude met en exergue la faible contribution de la pêche au développement socioéconomique de la Sous-préfecture d’Ayaou-Sran. Cependant, il s’agit d’une activité créatrice d’emplois même si elle mobilise peu de personnes par rapport à la population totale de la localité. Aussi, participe-t-elle faiblement à la recette locale comparativement à d’autres activités telles que l’agriculture. En outre, elle a une signature spatiale faible parce qu’elle n’intervient pas dans la création des équipements et des infrastructures collectifs. Par ailleurs, les habitations qui en résultent sont en majorité précaires.

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Auteurs

1Assistant, Université Alassane Ouattara / Bouaké (Côte d’Ivoire), yayadosso137@gmail.com

2Maître-assistant, Université Alassane Ouattara/ Bouaké (Côte d’Ivoire), assueyao@yahoo.fr 

3Master de Géographie, Université Alassane Ouattara / Bouaké (Côte d’Ivoire), bethsaléelle@gmail.com

                                                             

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020