Occupation du sol et pollution de la ressource en eau du barrage d’adduction en eau potable de la ville de Korhogo

Résumé

Les travaux antérieurs (A.S. N’Guessan et al en 2018) évoquent l’activité de maraîchage comme le principal agent menaçant la qualité de l’eau pour le barrage de Koko destinée à la consommation humaine. Or ce plan d’eau est aménagé en zone urbaine où plusieurs activités jouxtent le bas-fond. Quels sont donc les autres agents qui pourraient constituer des menaces pour cette ressource hydrique? Pour répondre à cette préoccupation, une recherche documentaire sur les facteurs de pollution des eaux, couplées à une enquête de terrain ont été utilisées comme méthode d’analyse. Les résultats mettent en exergue, la riziculture, la proximité de l’habitat, la présence d’une ferraille et d’une briqueterie comme facteurs additionnels qui présenteraient des menaces pour la qualité de l’eau prévue pour desservir les ménages en eau potable.

Abstract

Previous research (A.S. N’GUESSAN et al in 2018) mentions gardening crops as the main agent threatening the quality of water for the Koko dam intended for human consumption. However, this body of water is set up in an urban area where several activities adjoin the shallows. Who are the other agents that could pose threats to this water resource? To address this concern, documentary research on water pollution factors, coupled with a field survey were used as an analysis method. The results highlight, rice growing, proximity to housing, the presence of scrap metal and a brickyard as additional factors that would pose threats to the quality of the water intended to supply households with drinking water.

Introduction

Korhogo, principale localité dans le Nord de la Côte d’Ivoire compte un seul lieu de captage des eaux destinées à l’approvisionnement en eau potable de la ville. Cependant, cet unique ouvrage mis en place en 1973 suscite un intérêt pour plusieurs autres activités. Les travaux de A.S. N’GUESSAN et al en 2018 p. 26 portant sur l’agriculture urbaine évoquent « les cultures maraîchères, les activités pastorales et halieutiques comme activités agricoles existantes dans le bas-fond du lac de Koko ». Cette sollicitation agricole importante des rives de ce lac de barrage est renforcée par les variations climatiques récentes pour une station dont les caractéristiques climatiques sont tropicales avec une tendance soudanaise. En effet, la durée de la saison sèche (6 à 7 mois) (ANONYME, 1978 p. 71) augmente l’intérêt de ce point d’eau auprès des riverains en périodes d’étiages. Les analyses de A.S. N’GUESSAN et al, op. cit sont essentiellement centrées sur des activités agricoles notamment le maraîchage comme agent principal de la dégradation des eaux du barrage. La pratique de la culture intensive (par l’utilisation des engrais, des herbicides et des pesticides) dans le bas-fond en est la cause fondamentale.  Pourtant cet ouvrage aménagé en milieu urbain, partage son site avec plusieurs autres activités de valorisations de l’espace. Alors, quelles sont les autres activités du site du plan d’eau de Koko qui peuvent être des menaces pour la qualité de l’eau de ce barrage ? L’objectif de cet article est donc d’identifier dans le terroir de ce lac de Koko les différents facteurs pouvant représenter des menaces pour la qualité de l’eau destinée à l’alimentation des populations. L’hypothèse formulée pour conduire cette étude stipule que, l’activité de maraîchage est le seul agent de pollution des eaux du lac urbain de Koko.

1-Matériels et méthode

1-1-Matériel

Le matériel principal utilisé est le site du barrage de Koko (Figure 1).

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C’est un site de bas-fond drainé, situé dans le septentrion ivoirien à Korhogo, précisément au quartier Koko. Les cours d’eau qui alimentent ce bas-fond sont intermittents. En saison pluvieuse, ils coulent pour se jeter dans cette cuvette. Trois vallées dissèquent le plateau sur lequel est positionnée la cuvette de ce plan d’eau. Elles constituent ainsi des canaux de collecte des eaux de ruissellement pluviale et des eaux usées des ménages riverains. Une au nord (entre le quartier Sonzoribougou et Mongaha), à l’ouest une qui matérialise la limite entre Mongaha et Koko et enfin au sud, la dernière vallée localisée entièrement dans le quartier Koko. Ce plan d’eau positionné en pleine ville a une vocation d’adduction en eau potable. Depuis 1973, il est fonctionnel au compte de la Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire. Localisé au coordonnées longitude ouest 5,650000000° et latitude nord 9,483330000° (P.D. SILUE, 2012 p. 312), cet ouvrage a une capacité de rétention de 10 000 000 md’eau (T.A.S.R. N’KRUMAH et al, 2014 p. 148).

Globalement le relief de la ville de Korhogo est constitué de plateau dont les altitudes moyennes sont autour de 370 m. Son climat est de type tropical (figure 2). La construction du diagramme ombrothermique est conforme au principe de Gaussen dans lequel l’échelle tient compte du rapport (Pmm = 2 x T°c). L’application de ce rapport met en exergue les mois secs lorsque 2 x T°c est strictement inférieur aux précipitations. A contrario, dès que 2 x T°c est supérieure ou égale aux précipitations, cela détermine un mois humide.  Au regard de ce principe, les données climatiques de la Sodexam pour l’année 2018 présentent donc deux saisons dont une sèche d’une durée de 7 mois (Novembre-Décembre, Janvier-Février-Mars-Avril-Mai) et une humide d’un seul tenant d’une durée de 5 mois (Juin à Octobre).  Le mois modal pour cette période humide est Juillet.

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1-2-Méthode                                                                        

La réalisation de cette étude s’est basée sur une recherche documentaire et une visite de terrain. Au niveau de la recherche documentaire, elle a concerné d’abord par les anciens écrits relatifs à ce sujet. Ces données secondaires ont permis de constituer des connaissances sur la valorisation de ce bas-fond et de ses conséquences sur l’environnement. Les effets polluants des intrants agricoles et autres activités sur les eaux ont constitué un volet important de nos lectures. A ce niveau, la publication de A.S. N’GUESSAN et al, 2018 a été prise comme la base de nos réflexions depuis l’élaboration de la problématique. Les facteurs de pollution du plan d’eau mis en évidence dans cette publication, sont uniquement limités aux activités agricoles. La nouvelle orientation qui est imprimée dans notre recherche va donc consister en un complément de ce résultat initial. Pour finaliser cette recherche documentaire, des cartes de localisation et de présentation de ce bassin de rétention des eaux ont été observées. Elles ont l’avantage de faciliter les observations indirectes de l’espace d’étude. Ensuite, la visite du site a permis de confirmer les observations faites à partir des prises de vue aériennes. Au cours de ces visites de terrain, des entretiens semi-structurés ont été effectués avec les différents acteurs qui valorisent le plan d’eau. Dans l’ensemble, au cours de ces moments d’échanges, les acteurs ont décliné le processus de valorisation du bas-fond. C’est en cela qu’ont été appréhendées les menaces que chaque activité représente pour ce plan d’eau. Pour conduire les entretiens, nous avons utilisé un échantillonnage non probabiliste. En effet, n’ayant pas un répertoire précis sur l’ensemble des exploitants des eaux du barrage, nous avons opté pour l’échantillonnage accidentel. Cette procédure consiste à interroger tous les premiers acteurs rencontrés sur le site d’étude au moment du déroulement de l’enquête (P. N’DA, 2006 p.105). Ainsi, après avoir identifié sur le terrain les différentes activités dans le bas-fond, nous avons interrogé quelques acteurs rencontrés sur leurs parcelles d’exploitation. A ce niveau,  02 personnes sont interrogées pour la riziculture en amont, 14 pour le maraîcher sur les rives tout autour du lac, 03 pour les pêcheurs sur la surface d’eau et sur les lisières, 01 pour l’espace de la ferraille et enfin 03 pour les briquetiers. Ce qui correspond à un total de 23 acteurs toutes activités confondues. En plus de ceux-ci, les quartiers qui jouxtent le lac ont servi de base d’observation. Toute cette procédure a permis d’identifier les différents facteurs potentiels pouvant contribuer à la pollution de l’eau de cet aménagement à vocation d’Adduction en Eau Potable (AEP). La période des visites de terrain s’est inscrite entre les mois d’Octobre et de Novembre 2018.

Les captures d’images pour l’élaboration des cartes ont été faites à partir de Google earth en 2019. Elles ont permis non seulement de localiser l’espace d’étude mais aussi d’établir la typologie de l’occupation du sol autour du plan d’eau en 2019. La démarche consiste à afficher l’espace d’intérêt dans les environs du barrage de Koko. Puis avant le téléchargement de cette image renfermant les éléments naturels et humains, 4 points de repère sur les quatre côtés (nord-est, sud-est, nord-ouest, sud-ouest) de l’image sont marqués. Le relevé des coordonnées géographiques GPS de ces 4 points va permettre le géoréférencement dans le logiciel de traitement cartographique et d’analyse spatiale ARCGIS 10.2. Après l’enregistrement de l’image en format JPG, elle est importée sur Arcmap, une composante dudit logiciel. A partir de cette étape, l’outil d’ajout de point de control dans la fenêtre de géoréférencement est utilisé pour activer l’image dans ce logiciel afin de procéder à la digitalisation. Cette étape consiste à représenter manuellement les éléments naturels et humains observés sur l’image satellitaire. A l’aide donc de la fenêtre éditeur il est créé des entités. Le choix des couleurs et des figurés a été opéré de telle sorte que l’impression en blanc et noire n’ait pas d’incidence sur la qualité des cartes. Pour une question de sémiologie, nous avons fait appel au logiciel de dessin Adobe Illustrator CC 2018. Pour ce faire, les cartes ont été exportées de ARCGIS vers Ai et après un travail d’assemblage et de modification des couleurs et motifs, les cartes ont été exportées au format image PNG.

2-Résultats et discussion

2-1- Etat de l’occupation du sol dans le terroir du plan d’eau de Koko

Le sol autour du barrage de Koko est occupé par plusieurs activités qui se déploient en couronne autour du lac (figure 3). L’essentiel de l’espace est occupé dans sa partie centrale par le lac, et en forme de ceinture, arrivent dans un premier temps les activités agricoles.

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A la suite de cette ceinture agricole se déploie l’habitat. Quelques espaces marginaux existent dans le site du barrage de Koko. Il s’agit de deux ilots de forêts anthropiques dont un à l’Est et l’autre au Sud. Des espaces marécageux (couverts de végétation herbeuse et arbustive) y sont aussi remarquables. Les classes d’objets identifiées dans ce bas-fond sont identiques à celles du site du barrage de Natiokobadara (P.D. Silué 2016 p. 118).  Cette étude en 2016 avait non seulement inventorié les types d’occupation mais en plus, elle avait évalué les statistiques des surfaces des classes d’objets. Ce site de Natiokobadara est aussi urbain parce que rattrapé par l’extension nord de la ville. La seule différence avec celui de Koko est qu’il est à vocation rizicole.

2-2-Présence du lac de barrage de Koko

Le lac de barrage de Koko est l’eau stockée pour le ravitaillement des populations de la ville de Korhogo en eau potable. Cette eau provient du ruissellement des précipitations à partir des rigoles et vallons qui dissèquent la surface du plateau où se dessine ce bas-fond. Les altitudes générales qui oscillent autour de 500 mètres pour les plus importantes et 300 mètres pour les moins élevés mettent en évidence une cuvette disponible pour recueillir les eaux d’écoulement. Comme le montre la figure 3, les trois principales vallées constituent les couloirs de transit pour le stockage des eaux dans cette cuvette. Elles se localisent au Nord, à l’Ouest et au Sud. Le niveau de remplissage de ce plan d’eau varie donc avec le changement des saisons. En période d’hivernage, le niveau augmente en occasionnant des crues allant jusqu’à occuper les parcelles agricoles voire certaines habitations. Mais en saison sèche, l’eau redescend et expose plus d’espace à valoriser. Le niveau de fluctuation entre les hautes et les basses eaux est d’environ 46,31 ha en 2016 (P.D. SILUE et al, 2018 p. 601).

2-3-Présence des activités agricoles diverses

Tout autour du lac de barrage, se localisent les activités agricoles de faible largeur. Elles sont  essentiellement constituées de productions maraîchères et rizicoles qui s’ordonnent de façon concentrique à la lisière du plan d’eau. Les cultures maraîchères (choux, laitues, piment, carotte, persil, concombre, oignon,  salade…) sont combinées avec certains céréales (maïs) dans le flanc nord. La parcelle des cultures maraîchères progresse et régresse selon la variation du niveau du lac. La riziculture quant à elle se trouve dans la partie occidentale de la carte. C’est une riziculture inondée qui n’est exploitée qu’en période pluvieuse. La présence des activités agricoles autour de ce plan d’eau confirme les résultats de T. LE GUEN et L. T. DE MORAIS (2001, p. 290). Pour eux, « la pratique des activités agricoles autour des barrages participe à l’autonomisation des exploitations agricoles ». C’est pour cela que nonobstant la vocation adduction en eau potable, ce plan d’eau enregistre la présence de diverses activités agricoles dans son site. Cette disposition est similaire à ce que décrit V.M. FAYE et al 2016 p. 3 au sujet de lac de Guiers au Sénégal. Principal lac d’approvisionnement des villes de Dakar et Louga en eau potable, ce site constitue également une importante zone de production agricole destinée à la consommation locale et à l’exportation.

2-4- Présence d’ilots forestiers anthropiques

Les forêts anthropiques identifiées sur la carte (figure 3) sont des reliques forestières conservées et entretenues par les populations riveraines pour servir de lieux de culte (P.D. SILUE 2012 p. 146). Ce sont des forêts sacrées où se déroulent les rites initiatiques sous forme de socialisation des jeunes hommes. Généralement, chaque localité souche (originelle) en possède une. Leur présence double dans cet espace témoigne donc de la présence de deux anciens peuplements (Kiembara et Fodonon) inféodés par la dynamique urbaine. Les savanes qu’elles soient herbeuses ou arborées se disséminent un peu partout sur les lisières des espaces de cultures. Ce sont des espaces de verdure qui prolifère le long des lisières des plans d’eau. L’aspect arboré ou arbustif s’explique par le simple fait que ce sont des arbres utiles pour leurs fruits (manguiers).

 2-5- Présence d’un habitat de bas-standing

L’habitat s’étale tout autour du lac de barrage de Koko en occupant des espaces très vastes (Figure 3). Trois principaux quartiers sont identifiés dans le site du barrage. Il s’agit au Nord de Sonzoribougou, au Sud de Koko et à l’Ouest de Mongaha (Figure 1). Tous des quartiers modernes, ils souffrent cependant d’un manque d’équipement adéquat d’assainissement planifié. En effet Sonzoribougou et Mongaha présentent l’allure d’un habitat anarchique. Pour le premier, la traduction littérale du nom en malinké signifie « la résidence ou l’on est accroupi » pour insinuer son caractère provisoire. Il apparait clairement que c’est une zone qui a été occupée de façon spontanée. Et c’est bien plus tard que cet espace va bénéficier des aménagements de la voieries et de l’électricité. Mongaha quant à lui est l’archétype de village rattrapé par la dynamique urbaine. Donc son aménagement initial n’est pas harmonieux à l’image des espaces programmés pour accueillir des localités urbaines. En revanche Koko bien qu’étant un village souche est équipé avec plusieurs installations urbaines.

2-2- Facteurs potentiels de pollution de l’eau du barrage

Dans le bas-fond de Koko, plusieurs facteurs constituent des risques pour l’altération de la qualité des eaux du barrage destinées à l’approvisionnement des populations. Il s’agit de l’activité agricole, de l’habitat, de la ferraille et d’un point de fabrique des pièces de constructions. La présence de ces différentes activités est un potentiel risque pour la qualité de l’eau du lac. 

2.1 Risques liés aux pratiques agricoles diverses

La riziculture pratiquée dans le bas-fond est localisée en amont vers l’ouest (figure 4).

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Elle n’est pas tributaire d’un système d’irrigation inhérent au plan d’eau de Koko, à l’instar de la riziculture irriguée en aval des grands barrages hydroagricoles dans le Nord ivoirien. Dans ce cas, il est plutôt question de la riziculture inondée.

Selon T. LE GUEN et L. T. DE MORAIS (2001, p. 289), « celle-ci se pratique dans les marais (bas-fonds), dans toute la région Nord et surtout en « zone dense » dans les bas-fonds non encore aménagés ». Cette zone désigne l’espace densément peuplé autour de l’agglomération principale Korhogo où les densités de population dans les années 60 étaient au-delà de 75 habitants au kilomètre carré (ANONYME, 1965 p.17).

 Ce n’est donc pas l’eau du barrage qui contribue à son irrigation, étant donné que cette culture du riz est située en amont du plan d’eau.  Les eaux de ruissellement y parcourent d’abord les casiers rizicoles avant de se stagner dans la cuvette un peu plus en aval. Durant son parcours à partir du couloir ouest (figure 4), l’eau se charge donc de tous les déchets et résidus de produits utilisés pour l’entretien des rizières (photo 1).

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Or, Pour réaliser de bons rendements, les riziculteurs de cet espace sont amenés à utiliser des fertilisants et d’autres produits d’entretien des parcelles de culture. Ainsi, l’engrais NPK, l’urée (granulé), et les herbicides sont utilisés pour améliorer les quantités de productions du riz. Ces produits sont à base d’azote, de phosphore et de potassium. C’est à ce titre qu’il présente des risques pour la qualité de l’eau retenue. Tous les fertilisants et herbicides utilisés dans ce couloir, par le truchement du ruissellement sont donc évacués dans la cuvette du bas fond où sont stagnées les eaux d’approvisionnement des populations de la ville de Korhogo. La toxicité avérée des composés de ces engrais rend impropre l’eau du barrage destinée à la consommation domestique (G. DIMITHE, 2012 p. 2).

En plus de la riziculture, les riverains exploitent beaucoup plus les pourtours du plan d’eau pour la production du maraîcher (figure 4). A cet effet, le chou, l’oignon, le persil, la carotte la salade et certains condiments locaux (dah, haricot, concombre, gombo) occupent les rives du barrage (photo 2).

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La valorisation maraîchère de ces espaces marginaux, majoritairement une œuvre des femmes est l’une des plus grandes menaces pour l’approvisionnement de la ville de Korhogo en eau potable. La production des cultures maraîchères applique des méthodes intensives à travers l’usage d’engrais (chimiques/biologiques), de pesticides et des herbicides. La principale zone d’exposition de ces intrants est le sol de l’estran. Par conséquent, les superficies des espaces emblavés y varient avec les saisons climatiques (transgression et régression) des eaux. Ainsi, par le jeu des dissolutions et diffusions dans le sol, soutenu par l’infiltration et/ou le ruissellement, les produits d’entretien des parcelles de cultures, contaminent l’eau de la retenue. C’est pour cela que les produits chimiques utilisés sur ces terres arables augmentent la concentration de phosphore, des nitrates, des nitrites, du fer et du plomb (A.S. N’GUESSAN et al, 2018 p. 25), potentiels agents de dégradation de la qualité de l’eau du lac de Koko.

Ce résultat est aussi mis en exergue par D.V. YOBOUE 2019, p. 65 lorsqu’il atteste que :

Les engrais et les pesticides utilisés dans le bassin de la retenue de Koko pour l’exploitation des cultures maraîchères peuvent contaminer la ressource et la rendre difficilement « potabilisable » avec les ouvrages de traitement disponibles.

Ce résultat conforme avec celui de C. KÖNIG, 2016 p. 2 est renchéri par V.M. Faye et al 2016 p. 12 pour qui l’utilisation accrue des intrants agricoles (engrais chimiques, et pesticides) et le rejet des eaux usées agricoles chargées de nutriments (azote, phosphore) et de pesticides est caractérisée comme risque de pollution des plans d’eau et des sols.

La pêche et l’élevage de bétail sont des activités considérées comme marginales dans le bas fond du barrage. Leurs impacts antérieurement élagués par (A.S. N’GUESSAN et al, op. cit p. 26) ont été considérés comme mineurs. Cependant, leurs proliférations sont exacerbées par l’usage des engrais biologiques ou organiques engendrant ainsi une source de contamination microbienne de l’eau du barrage. Au niveau de la pêche, les appâts des détergents (savon) exposent l’eau à d’autres formes de dégradation hydrique.

2.2 Risques liés à la présence de l’habitat de bas standing

L’occupation de l’espace par les lieux de résidence est la plus notable dans le bas-fond du lac de Koko (figue 4). En effet, ce point d’eau est ceinturé par l’habitat de toute part sous forme de quartiers (Koko, Mongaha et Sonzoribougou). Composé essentiellement de cité dortoir, cet habitat est constitué de résidence de bas standing. Les ménages qui y résident sont à faible revenu. C’est d’ailleurs à juste titre qu’on y retrouve les exploitants agricoles du plan d’eau. Parmi les trois quartiers, Sonzoribougou est le plus étendu. Outre, les déchets inhérents à la présence humaine, trois dépotoirs sauvages sont présents dans l’environnement immédiat du plan d’eau (Figure 4). L’un est localisé dans le quartier Koko au Sud de la digue, l’autre à Mongaha (côté Ouest) et enfin le dernier au nord dans le quartier Sonzoribougou. Lieux de collecte des ordures ménagères, ces espaces qui jouxtent le lac de Koko, sont potentiellement dangereux pour la qualité des eaux de surface. Non seulement la décomposition des déchets représente une menace pour les nappes souterraines par lixiviation mais aussi les déchets solides abandonnés dans ces espaces de rejets se retrouvent dans l’eau du barrage (photo 3).

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La distinction de plusieurs objets à usage domestique (fermentescible ou non) sur cette image laisse augurer que ces déchets proviennent des dépotoirs installés dans les quartiers et des zones habitées sans véritable dispositif rationnel de collecte d’ordures.

Ce résultat s’accorde avec celui signalé au niveau du barrage d’Itenga dans la localité de Pouytenga au Burkina. Cette localité ne disposant pas de système d’évacuation approprié des déchets solides, assiste impuissamment à leurs évacuations par les eaux de ruissellement dans le lac de barrage. « On y retrouve d’ailleurs des objets non-biodégradables dont l’origine ne peut être que la ville en priorité » (A. TIOTSIA, 2001 p. 54).

En outre, l’occupation de l’espace par l’habitat, représente un risque de pollution relativement aux eaux usées domestiques notamment les eaux usées des latrines. Le constat inaccoutumé y est le manque d’assainissement adéquat. Dans les quartiers mitoyens du plan d’eau, il n’y a pas eu préalablement l’aménagement d’ouvrages d’assainissement. Dans ce contexte, chaque domicile se dote d’une fosse septique pour recueillir les eaux usées. Malheureusement, certains ménages n’ont fait que des aménagements sommaires où le rejet des eaux résiduaires se fait à ciel ouvert, puis sont acheminées vers les couloirs des ruissellements dont la destination est le lac de Koko (photo 4). Cette situation est similaire avec les remarques de A. TIOTSIA, op.cit. p. 57, où une absence de système adéquat de collecte et d’évacuation des eaux ménagères et surtout des eaux-vannes dans certains domiciles dans la ville de Pouytenga (Burkina Faso) fait suspecter une pollution du barrage de Itenga.

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La rive sud de ce plan d’eau est équipée avec une ferraille. C’est un petit espace de dépôt d’anciens métaux usagés (photo 5). Les gestionnaires de cet espace revalorisent les pièces métalliques usées pour les transformer en autres objets réutilisables. Lorsque certaines pièces ne sont plus convertibles, ils sont abandonnés sur les lisières du couloir sud d’écoulement des eaux de ruissellement. Le contact des eaux de pluies et de ruissellement amorce le processus de corrosion de ces métaux. La matérialisation de ce processus de dégradation qui est la rouille donne une couleur rougeâtre sur les eaux. C’est une réaction d’oxydoréduction impliquant la molécule de fer (que ce soit dans du fer pur ou un alliage à base de fer), l’oxygène de l’air et de l’eau. Il faut donc que ces trois éléments soient en contact pour déclencher le processus (ANONYME, 2003). Cette forme de dégradation des métaux usés entame la qualité physique de l’eau. Ce  changement des propriétés de l’eau est un potentiel risque pour les consommateurs. Les études traitant de l’exposition chronique par voie orale de la population générale de ce type d’eau sont très limitées et ne permettent pas d’établir une toxicité sur la base des connaissances actuelles (INRS, 2008). Bien que les résultats de la recherche n’aient pas encore certifié la dangerosité sanitaire des eaux enrouillées, il apparait clairement que dans cet état, elle ne répond plus « aux normes de potabilité » des Eaux Destinées à la Consommation Humaine (EDCH). A cet sujet, les critères proposés par l’OMS et imposés par certains Etats comme la France, tiennent compte des paramètres physico-chimiques dont la couleur, l’odeur, la saveur, la turbidité (…), (P. HARTEMANN, 2013 p. 18). Notre résultat sur la présence de la rouille qui change la couleur de l’eau renchérit donc ces critères proposés par l’OMS.

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2-4-Risques liés au point de fabrique de pièces de construction en ciment

A l’Ouest de la carte (figure 4) se localise un espace de production de matériaux de construction. La fabrication de ces diverses pièces de construction se fait avec du ciment. Cette fabrique de briques, de claustras, de dalles (photo 6) et autres pièces utiles dans l’immobilier, est localisée dans le prolongement du couloir occidental d’écoulement des eaux de ruissellement.

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L’eau dans son déversement vers la cuvette du lac de Koko, transite par cet espace de fabrication de pièce avec le ciment. Ces activités représentent des risques potentiels de pollution des eaux du barrage à vocation d’alimentation en eau potable. Le ciment se fait à base de clinker qui est un produit potentiellement dangereux pour l’homme. Il peut être toxique pour les poumons s’il est inhalé par l’homme. En outre, il engendre des réactions cutanées aux personnes qui lui sont exposées. C’est ce qu’ont ressorti antérieurement NOHSC (1989) et FREEMAN (1986) cités par C. WINDER et M. CARMODY (2002, p. 326). Ils évoquent respectivement les troubles cutanés et la dermatite professionnels mis en évidence pour les personnes régulièrement exposées dans leur travail au clinker. Ce produit, potentiellement toxique pour l’homme est donc un risque indéniable pour les consommateurs et utilisateurs de l’eau du lac de Koko à Korhogo.

Conclusion

Le plan d’eau urbain de Koko, destiné à approvisionner les ménages en eau potable est environné par une diversité d’activités susceptibles d’entamer la qualité de l’eau de ce site. Le maraîchage et la riziculture sont les facteurs agricoles qui présentent des risques chimiques suite à l’usage des intrants. L’habitat de bas standing qui jouxte le bas-fond expose les ressources hydriques par ses rejets d’eaux usées et autres déchets solides. L’espace de récupération de métaux usagés et celui de la briqueterie représentent aussi des menaces pour l’eau du barrage de Koko. En somme, cette diversité de facteurs exposant les eaux du barrage à plusieurs risques infirment l’hypothèse selon laquelle seule l’activité de maraichage en est l’unique source de pollution des eaux du lac. Potentiellement, les utilisations variées du sol autour de ce plan d’eau affectent négativement la qualité de l’eau desservie aux ménages. Il faut donc inexorablement appliquer des mesures idoines pour juguler ces risques. Alors, pour sécuriser cet espace, ne faudrait-il pas dégager une zone tampon autour du lac comme le suggèrent A. E. GAROUANI et A. MERZOUK (2006, p. 8) au Maroc?

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Auteur

1Département de Géographie, Université Peleforo Gon Coulibaly (Korhogo, Côte d’Ivoire), Laboratoire Littorale, Mer, Santé, Sécurité Alimentaire et Transport(LIMERSSAT), pebanagnanansilue@yahoo.fr

 

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020