Mobilité, congestion et vulnérabilité territoriale dans la commune de Yopougon (Abidjan-Côte d’Ivoire)

Résumé

La ségrégation fonctionnelle qui a accompagné l’étalement de la ville d’Abidjan s’est traduite par une distinction entre les pôles d’activités et les zones résidentielles. Dans le but de corriger ces déséquilibres structurels et favoriser une croissance rationnelle de la ville, une extension dénommée Yopougon a été initiée par les pouvoirs publics à l’ouest de l’agglomération. Ce projet urbain est resté inachevé du fait de la crise économique si bien que Yopougon a plutôt contribué à renforcer ces déséquilibres en étant devenue elle-même très dépendante du reste de l’agglomération abidjanaise. Aussi, les mouvements pendulaires subséquents à cette dépendance se trouvent-ils entravés quotidiennement aux heures de pointe par des congestions aux facteurs divers qui engendrent des graves problèmes de mobilité dans la commune.

L’objectif de cette étude est d’analyser les impacts spatiaux, sociaux et environnementaux de ces congestions dans la commune de Yopougon. Outre les enquêtes de terrain, notre démarche s’appuie sur des analyses secondaires issues de deux rapports publiés sur la mobilité dans le Grand Abidjan.

A l’analyse, les congestions dans la Commune de Yopougon sont liées essentiellement à la discontinuité du tissu urbain du fait de la présence de la lagune Ebrié, à un système de transport inadéquat et non intégré et à l’incivisme des populations. Aussi, à Yopougon, plus de deux habitants sur trois sont-ils sujets à de très graves problèmes de mobilité qui constituent in fine des facteurs de vulnérabilité à la fois spatiale et sociale.

Abstract

The functional segregation that accompanied the spread of the city of Abidjan resulted in a distinction between clusters of activities on the one hand and residential areas on the other hand. Thus, in order to correct these structural imbalances and promote rational growth of the city, an extension called Yopougon was initiated by the public authorities in the West of the town. However, this urban project has remained unfinished due to the economic crisis, so Yopougon has helped to strengthen these imbalances by becoming itself highly dependent on the rest of the city. As a result, the pendular movements resulting from this dependence are hampered daily at rush hour by congestions with various factors that cause serious mobility problems in the municipality.

The objective of this study is to analyze the movements between Yopougon and the rest of the Abidjan agglomeration under the prism of these congestions. In addition to field surveys, our approach is based on secondary analyzes from two published reports on mobility in « Greater Abidjan ».

On the analysis, the congestions in the municipality of Yopougon are mainly related to the discontinuity of the urban fabric due to the presence of the Ebrié lagoon, an inadequate, non-integrated transport system and the incivility of the populations. As a result, more than two out of three Yopougon residents are subject to very serious mobility problems, which ultimately constitute factors of both spatial and social vulnerabilities.

Introduction

La Côte d’Ivoire, à l’instar des pays au sud du Sahara, connaît depuis bientôt un siècle une importante croissance démographique (D. PLAT, 2003, p. 9). Sa population a été multipliée par près de treize passant de 1 825 000 en 1920 à 22 671 331 en 2014 (RGPH, 2014). Abidjan, la plus importante ville du pays, constitue le principal réceptacle de cette population. En effet, selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2014, un habitant de la Côte d’Ivoire sur cinq (19,4% précisément) réside à Abidjan (RGPH, 2014). Plus d’un urbain du pays sur trois vit à Abidjan (38,52%) (INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 2014, p. 4). Selon les prévisions, Abidjan serait une mégalopole de plus de 10 millions d’habitants à partir de 2040 (United Nations, 2018 ; GROUPE BANQUE MONDIALE, 2019, p. 32).

Une des conséquences de cette dynamique démographique est l’étalement de l’emprise spatiale de la ville. La superficie de la ville d’Abidjan est passée de 3 685 ha en 1965 à 15 970 ha en 1989 pour atteindre  près de 60 000 ha en 2015 (SDUGA, 2015). Cet étalement s’est accompagné d’une ségrégation spatiale qui se traduit par une distinction entre « pôles d’activités d’une part et zones résidentielles d’autre part » (I. KASSI-DJODJO 2007, p. 60). Pour l’auteur, cette différenciation à la fois spatiale et fonctionnelle est à l’origine de « l’importance des flux quotidiens de travailleurs entre les lieux consacrés à la production et ceux destinés à la fonction résidentielle » comme Yopougon (I. KASSI-DJODJO, 2007, p. 77). Dans les principales agglomérations africaine, l’étalement rapide et non maîtrisé de l’espace résidentiel qui a accompagné la forte croissance démographique a été à l’origine d’une disjonction de plus en plus forte entre lieux d’habitat et lieux d’emploi, de commerces, de soins (L. DIAZ OLVERA, D. PLAT et P. POCHET, 2005, p. 145).

Aujourd’hui, à Abidjan seulement 18,5% des emplois sont accessibles en moins d’une heure (Groupe Banque Mondiale, 2019, p. 37). Cette situation implique pour les citadins des besoins et des difficultés de déplacement accrus par l’allongement des distances à parcourir (L. DIAZ OLVERA, D. PLAt et P. POCHET, 2007, p. 2). Cet allongement des distances accroît la nécessité d’un recours aux modes de transport mécanisés surtout pour les populations qui vivent dans les quartiers périphériques sous-équipés et offrant peu d’emplois (L. DIAZ OLVERA, D. PLAT et P. POCHET, 2005, p. 145). Selon une étude du groupe de la banque mondiale sur la mobilité à Abidjan :

« Chaque jour, on compte plus de 10 millions de déplacements à Abidjan et chaque ménage dépense en moyenne 1 075 FCFA et « perd » plus de trois heures dans les transports. En d’autres termes, plus de 4 milliards de FCFA sont dépensés quotidiennement (en coût monétaire et d’opportunité), soit l’équivalent de 1 200 milliards de FCFA par an. Cette dépense est la troisième dans le portefeuille des ménages (après la nourriture et le logement) et représente environ 4 à 5% du PIB » (Groupe Banque Mondiale, 2019, p. 11).

Avec 83,5% du total, Yopougon compte le plus d’habitants travaillant hors de leur commune de résidence (INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 2013, p. 28).

En effet, Yopougon, commune située à l’ouest de la ville d’Abidjan (figure 1) est une extension planifiée initiée à la fin des années 1960 par l’Etat afin de favoriser une croissance rationnelle de la capitale de la Côte d’Ivoire (A. YAPI DIAHOU, 1981, J-F. STECK, 2008, p. 230). Elle a été conçue comme une ville nouvelle, un pôle structurant capable de corriger justement les déséquilibres de structure liés notamment à la localisation des emplois au sud de la lagune et à celle des résidences au nord (J-F. STECK, 2008, p. 231).

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Pour le planificateur, Yopougon devait jouir d’une certaine autonomie en offrant à ses résidents des emplois in situ (A. YAPI DIAHOU, 1984, J-F. STECK, 2008, p. 231). Cependant, force est de constater que le projet urbain de Yopougon est resté à l’étape d’inachevé consécutivement à la crise économique et les programmes d’ajustement structurel qu’a connus la Côte d’Ivoire et nombre de pays au sud du Sahara au début des années 1980 (D. PLAT, 2003, p. 11). Dans ce contexte, l’Etat et les collectivités territoriales ont été incapables de fournir des équipements de proximité et peinent à entretenir les infrastructures routières (L. DIAZ OLVERA, D. PLAT et P. POCHET, 2007, p. 2). Selon le RGPH de 2014, Yopougon est la plus peuplée et la plus étendue des communes de la Côte d’Ivoire avec 1 071 543 habitants sur une superficie de 15 500 ha. Cette commune n’a pas réussi à atténuer les déséquilibres spatiaux et fonctionnels abidjanais. Bien plus, elle les a plutôt renforcés en étant devenue elle-même très dépendante du reste de l’agglomération. Aujourd’hui, Yopougon apparaît comme une commune isolée, éloignée et mal reliée au reste des communes d’Abidjan (J-F. Steck, 2008, p. 232). Cette situation qui pose le problème de mobilité et d’accessibilité spatiale est aggravée par les encombrements pendant les heures de pointe entre 5 heures et 9 heures, 12 heures et 14 heures, entre 17 heures et 20 heures (INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 2013, p. 46). L’accès aux aménités urbaines génère ainsi un coût qui s’exprime à la fois en termes d’argent, de temps et de pénibilité (L. DIAZ OLVERA, D. PLAT et P. POCHET, 2005, p. 157) et qui est susceptible d’être un facteur de vulnérabilité des populations.

L’objectif de cette étude est d’identifier les facteurs des congestions afin d’établir une hiérarchisation spatiale des problèmes de mobilités dans la commune de Yopougon.

Pour ce faire, après la présentation de la démarche méthodologique de l’étude, les liens entre les concepts de mobilité, d’accessibilité et de vulnérabilité ont été discutés. Ensuite, les mobilités quotidiennes entre Yopougon et le reste de l’agglomération ont été analysées sous le prisme des congestions. Enfin une hiérarchisation spatiale des contraintes de mobilités a été établie

1. Approche méthodologique

Eu égard à la ségrégation fonctionnelle de la ville d’Abidjan, l’étude part du postulat selon lequel il existe des mouvements pendulaires quotidiens entre la commune de Yopougon, cité dortoir, et ce que D. CAUBEL (2006, p. 84) appelle « un panier de biens ». L’auteur entend par « un panier de biens » l’ensemble des activités dont les individus ont besoin au quotidien. Toutefois, du fait de la déficience du réseau viaire et donc de leur trop grande dépendance à l’autoroute, ces migrations quotidiennes sont entravées par des encombrements qui réduisent la mobilité et engendrent des difficultés d’accessibilité aux lieux de résidence ou aux « paniers de biens ». Ces difficultés de mobilité sont susceptibles in fine de constituer un facteur de vulnérabilité des populations.

La démarche part d’un état de l’art afin d’analyser les liens théoriques et empiriques entre les concepts de congestion ou d’encombrement urbain, d’accessibilité et de vulnérabilité. Par la suite, l’étude s’appuie sur des enquêtes de terrain et  principalement sur des analyses de données secondaires issues de deux rapports publiés sur la mobilité dans l’agglomération abidjanaise. Il s’agit d’une part du rapport de l’enquête ménage sur la demande de transport dans le Grand Abidjan et du rapport de l’enquête sur la situation économique de la Côte d’ivoire d’autre part.

L’enquête sur la demande de transport dans le Grand Abidjan a été réalisée de juin 2013 à juillet 2013 auprès de 20 000 ménages dans le Grand Abidjan (4 840 ménages soit 18 464 personnes ont été interrogés à Yopougon). Le Grand Abidjan couvre administrativement les treize communes du District d’Abidjan et celle de Grand-Bassam. Cette enquête qui s’inscrivait dans le cadre de l’élaboration du SDUGA a été conduite conjointement par Oriental Consultants Co., Ltd et l’Institut National de la Statistique (INS), avec le soutien financier de l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA) (INS, 2013, p. 8). L’enquête visait à caractériser la demande de transport dans l’espace d’étude. Pour ce faire, le questionnaire de l’enquête se structurait en trois axes : d’abord les informations sur le ménage, ensuite les informations sur les membres du ménage et enfin les informations sur les déplacements (origine, destination, horaires, mode, but, accessibilité, attente, tarif, durée et parking).

Le rapport sur la situation économique de la Côte d’ivoire intitulé « Que la route soit bonne : Améliorer la mobilité urbaine à Abidjan » a été publié quant à lui en janvier 2019 par le Groupe de la Banque Mondiale. Ce huitième rapport passe en revue les récents résultats économiques du pays et plaide par ailleurs pour une prise de conscience collective et urgente de la problématique de la mobilité urbaine (GROUPE BANQUE MONDIALE, 2019, p. 5).

L’analyse de ces deux sources secondaires a permis d’identifier les facteurs des congestions dans l’agglomération abidjanaise. Elle a servi également à caractériser les déplacements quotidiens entre Yopougon et le reste du territoire d’Abidjan en termes de motifs, de mode, de destinations, de coût et de durée.

A cela, il faut ajouter l’enquête de terrain. Cette enquête avait pour objectif de déterminer les vitesses de déplacement et les goulots d’étranglement dans la commune de Yopougon. Elle a été réalisée sur les principaux axes routiers qui permettent de rallier tous les quartiers de la commune (figure 2) à l’autoroute. Chaque axe routier a été vectorisé et découpé en segments de route égaux d’environ un kilomètre (entre 1,10 et 1,16 km) sous ArcGIS 10.2.

L’enquête s’est déroulée pendant les jours ouvrables (du lundi au vendredi) aux heures de pointe entre 6 heures et 9 heures du matin dans le sens Yopougon-Adjamé puis entre 17 heures et 20 heures du soir dans le sens Adjamé-Yopougon. Elle a été menée en situation réelle à partir d’un véhicule personnel. Chaque jour d’enquête, un itinéraire était choisi et il s’agissait de conduire le véhicule dans les conditions de circulation afin de déterminer, à chaque segment de route, le temps de déplacement au moyen d’un chronomètre. C’est le lieu d’indiquer qu’au regard de notre postulat de départ selon lequel il existe des migrations quotidiennes entre Yopougon et le reste de l’agglomération abidjanaise et qu’elles sont tributaires de l’autoroute, est désigné par le terme d’itinéraire ou de trajet la distance de l’extrémité d’une voie enquêtée à la sortie de l’autoroute ou vice versa (figure 2). En outre, la sortie et l’entrée de l’autoroute qui s’imposent comme un passage obligé a été choisie comme repère pour la hiérarchisation des sous espaces selon les problèmes de mobilité.

Cette méthode a permis de déterminer les vitesses moyennes de déplacement sur chaque section de l’itinéraire. Les valeurs obtenues pour chaque voie ont été discrétisées selon leur étendue pour obtenir six classes de vitesses de déplacement allant de moins de 10 km/h à plus 50 km/h. A partir de ces classes, une carte des vitesses de déplacement a été réalisée.

Ensuite, la somme des durées de déplacement sur chaque segment de route a été faite afin de déterminer le temps mis pour atteindre la sortie de l’autoroute vers Adjamé ou pour rallier chaque sous-espace de la commune. Ces durées ont été comparées avec les durées théoriques qui prévaudraient si la circulation était fluide selon les vitesses autorisées sur chaque voie. Ces vitesses règlementaires sont de 100 km/h sur l’autoroute et 60 km/h sur les autres voies communales. Aussi, à l’échelle de chaque segment de route, la différence entre la durée réelle mesurée et la durée théorique a-t-elle été déterminée. La discrétisation de ces valeurs a permis de faire une hiérarchisation spatiale, à partir d’un découpage concentrique de la commune, des contraintes de mobilités.

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Ces contraintes s’expriment en termes de temps, de pénibilité et de ressources financières que connaissent les populations dans leurs déplacements soit pour rallier leurs domiciles soit pour satisfaire leurs besoins quotidiens.

Cette étude part d’un postulat et d’une approche méthodologique qui ont leurs limites. Elle considère exclusivement les migrations quotidiennes entre Yopougon et les autres communes. En effet, la commune de Yopougon étant restée éminemment dépendante du reste de l’agglomération, ses habitants, pour des raisons diverses, effectuent des allers-retours quotidiennement. Ces mouvements peuvent avoir pour raison l’école, la demande d’un acte administratif, les soins, la recherche ou l’exécution d’un emploi qu’il soit formel ou informel. Cet article occulte expressément les mouvements en sens inverse durant les heures de pointe et déplacements intra-communaux. Aussi, la hiérarchisation spatiale des problèmes de mobilité pourrait être mieux fignolée à partir d’un maillage du territoire.

2. Résultats et discussion

2.1. L’analyse des mobilités quotidiennes : Une clé pour comprendre la vulnérabilité des populations

L’extension de l’espace urbain abidjanais exige une demande en mobilité de plus en plus croissante. Les raisons académiques et scolaires, les besoins d’emploi, de démarches administratives, d’échanges et de loisirs mettent en mouvement quotidiennement des milliers de personnes. Ces déplacements, comme le soulignent L. DIAZ OLVERA et D. PLAT (1996, p. 294), permettent de réaliser des activités localisées dans des lieux distincts et se caractérisent par un motif à l’origine, un motif à destination, un mode de transport, un lieu de départ, un lieu d’arrivée, une distance, une durée, un horaire. Ce sont des mouvements « effectués dans un espace entre deux lieux » (D. CAUBEL, 2006, p. 2002). Ils sont rendus possibles grâce à la mécanisation des moyens de transport et donc à une dépendance à l’automobile : le taux de motorisation est d’autant plus élevé qu’on s’éloigne du centre-ville (G. SAINTENY, 2008, p. 7). Comme le souligne A. BONNAFOUS (1996, p. 99), l'étalement urbain n'aurait pas eu une telle ampleur avec la seule marche à pied ou la seule traction animale. L’allongement des distances accroît la demande en mobilité et nécessite un recours aux modes de transport mécanisés (L. DIAZ OLVERA, D. PLAT et P. POCHET, 2005, p. 145). Comme l’écrivent J-P. NICOLAS, F. VANCO et D. VERRY (2012, p. 1) « l’accès à la voiture ouvre à l’ensemble des aménités urbaines sous des contraintes de temps et de coûts relativement homogènes ». De ce fait, étalement urbain et mobilité semble synchrones.

La mobilité désigne « le caractère de ce qui peut se déplacer ou changer de position » (D. CAUBEL, 2006, p. 202). C. RICHER et P. PALMIER (2012, p. 5) distinguent deux types de mobilité : la mobilité effective et la mobilité potentielle. La mobilité effective ou réalisée «caractérise des pratiques ou comportements avérés, individuels ou collectifs, marqués par un changement de position spatiale ». « C’est une aptitude à communiquer entre les individus, à entreprendre des activités ou à atteindre différents points de l’espace » (D. CAUBEL, 2006, p. 62). La mobilité effective renvoie donc à un mouvement d’un point du territoire à un autre.

La mobilité « potentielle » quant à elle a trait à « l'accessibilité à travers différentes dimensions estimant la capacité d'accès de l'espace ou à l'espace » C. RICHER et P. PALMIER (2012, p. 5). Cette accessibilité est relative à « l’ensemble des possibilités effectives de relier deux lieux par un déplacement » (J. LEVY et M. LUSSAULT, 2013, p. 49). Elle est la « possibilité d’accéder à un équipement et/ou une ressource, qui sont le plus souvent localisés dans l’espace » ou plus précisément la « possibilité d’atteindre un lieu dans le but d’y effectuer une activité » ou concrètement de « la possibilité, la capacité d’un lieu ou de tout autre chose d’être accessible à un individu » (C. RICHER et P. PALMIER, 2012, p. 5).

R. LANTERI et al. (2005, p. 7) identifient trois assertions de la notion d’accessibilité. Il s’agit d’abord « de la condition d’accès physique à des véhicules ou à des équipements, à des bâtiments destinés au travail ou à l’habitation, ou encore à des activités ». L’accessibilité évoque ensuite les « conditions d’accès à un territoire, c’est-à-dire à des ressources comme le travail, les services ou les commerces, caractérisés par leur localisation géographique par rapport aux populations qui veulent s’y rendre ». Cette notion d’accessibilité désigne enfin « la capacité d’une population à profiter d’un bien ou d’un service […] comme l’éducation ou la santé par exemple ». Pour ces auteurs, quand bien même « l’effort à accomplir pour atteindre le but que l’on se donne constitue le principal trait commun de ces trois registres de la notion d’accessibilité, ils renvoient à des domaines […] et à des façons de problématiser l’accessibilité et des savoir-faire pratiques bien différents ».  (R. LANTERI et al., 2005, p. 7)

Pour reprendre la définition de D. CAUBEL (2006, p. 207), l’accessibilité est « la plus ou moins grande facilité d’atteindre, depuis un lieu, les opportunités de la ville, pour les individus se déplaçant à l’aide d’un ou plusieurs modes de transport ». Pour l’auteur, l’accessibilité apparaît comme « l’accomplissement du franchissement spatial entre deux points répondant à la motivation du déplacement de la personne » ou « le vecteur de connexion d’un ensemble complexe de composantes de l’espace urbain ». L’accessibilité n’est rien d’autre que la capacité d’atteindre les biens, les services et les activités désirés par un individu sur un territoire et des lieux d’origine et de destination, des activités disponibles, de la structure des réseaux de transports, du niveau de service, de contraintes topographiques, des modes de déplacements, des réglementations en vigueur ou de l’état des réseaux (D. CAUBEL, 2006, p. 207). C’est donc une donnée prépondérante du système urbain car une ville qui bouge est une ville qui gagne (GROUPE BANQUE MONDIALE, 2019, p. 35).

Au total, l’accessibilité renvoie à l’accès physique aux sous-espaces et au panier de services du territoire urbain. Elle est conditionnée par la capacité de l’infrastructure routière à résorber le flux de véhicules et peut se mesurer en distance par rapport à un repère au sens mathématique ou en termes de vitesse de déplacement. En effet, comme le souligne A. HOSTIS et A. CONESA (2010, p. 3), « malgré la performance des réseaux de transports, les lieux périphériques seront inévitablement moins accessibles » et plus vulnérables selon les populations et les infrastructures en présence. Il ne s’agit donc pas de l’accès à un mode de transport (C. RICHER et P. PALMIER, 2012, p. 7) mais de l’accès à des lieux et à des services urbains par tous les modes de transport. C’est une approche multimodale qui « permet de considérer en parallèle plusieurs sortes de chaînes de transport » (A. HOSTIS et A. CONESA, 2010, p. 3) que sont la voiture personnelle, l’autobus et le transport populaire privé (mini cars, taxis communaux et de villes).

Mieux, le concept d’accessibilité renvoie au degré de facilité avec lequel on peut accéder à un lieu et détermine ainsi la dynamique du système urbain. Aussi, la réduction de celle-ci va-t-elle impacter inéluctablement l’équilibre, le fonctionnement et le développement du territoire urbain. En effet, comme l’écrit J-F. DOULET (2001, p. 4), l’accessibilité permet d’assurer une forme d’équilibre entre les territoires de la ville : tous les territoires doivent être accessibles c’est à dire qu’ils doivent être reliés d’une façon ou d’une autre aux autres territoires de la ville de sorte qu’on puisse s’y rendre et en sortir facilement. Aujourd’hui, un territoire qui n’est pas accessible, c’est un territoire qui souffre d’exclusion, avec des impacts forts en termes économiques et sociaux importants.

Les contraintes de mobilité et d’accessibilité fragilisent ainsi les sous-espaces et les enjeux du système urbain (J-F. DOULET, 2001, p. 4). Ces fragilités vont compromettre in fine, par la perte des complémentarités entre les différents sous-systèmes, le fonctionnement du territoire urbain et impacter son développement. On ne peut ainsi que faire le constat de la vulnérabilité de ces territoires urbains car « la réduction de l’accessibilité des secteurs atteste d’une forme de vulnérabilité des populations qui y résident et des fonctions urbaines qui s’y trouvent » (F. DEMORAES, 2009, p. 15). Cette vulnérabilité « s’accroît à raison même que ces systèmes (urbains) se sophistiquent » (M. LUSSAULT, 2009, p. 754). Cet auteur explique que, dans son évolution, « plus un système se sophistique, plus il multiplie les liens entre les éléments qu’il associe ; et plus il multiplie les liens, plus il augmente les expositions aux risques et aux fragilités ». Le niveau de vulnérabilité d’un espace est alors tributaire de son accessibilité. Il s’agit de l’accessibilité physique qui « comprend l’ensemble des déplacements possibles dans une situation donnée » (J. LEVY et M. LUSSAULT, 2013, p. 49). Les auteurs notent que l’effectivité de ces déplacements n’est pas liée « seulement à l’infrastructure de transport mais à la possibilité de l’utiliser concrètement » car « une voirie encombrée constitue une restriction à l’accessibilité » et donc un facteur de vulnérabilité. Cette vulnérabilité se résume à « l’ensemble des fragilités techniques et fonctionnelles susceptibles d’altérer ou de compromettre le fonctionnement et le développement d’un territoire urbain » (K. M. TRAORE, 2016, p. 26).

Déterminer la vulnérabilité des sous-espaces du territoire renvoie pour une grande part à mesurer leurs niveaux d’accessibilité à travers la lenteur des déplacements. En effet, « la réduction de l’accessibilité des lieux […] laisse présager de graves problèmes compte tenu de l’isolement prévisible de certaines zones ou de l’ampleur des détours à effectuer pour y accéder » (F. DEMORAES, 2009, p. 11). C’est cet isolement ou ce risque d’isolement qui constitue un facteur essentiel de la vulnérabilité d’un territoire car la capacité de déplacement de ses individus est fondamentale, tant au niveau de sa structuration, de sa dynamique, de son évolution en temps normal qu’en période de crise et de récupération (F. DEMORAES, 2009, p. 4).

Au vu de l’importance de l’accessibilité dans les systèmes urbains, la réduction des congestions semble péremptoire pour un développement économique et social des territoires surtout du Sud. En effet, l’encombrement qui correspond au « passage progressif d’un régime fluide à un régime saturé » (A. BONNAFOUS, 1996, p. 100) entraine « un étalement dans le temps des heures de pointe » (J-F. DOULET, 2001, p. 2) ou « un étirement des parcours et des budgets-temps de transport » (L. DIAZ OLVERA, D. Plat et P. POCHET, 2007, p. 10). Pour NICOLAS J-P., VANCO F. et D. VERRY (2012, p. 3), cet effort en matière de mobilité peut être traduit en un taux de contraintes budgétaires. Ces auteurs fixent un seuil à ce taux à 18% du revenu au-delà duquel le ménage est considéré comme potentiellement vulnérable.

Au total, la mobilité apparait comme un élément du système urbain indispensable à son fonctionnement et à son développement. Les restrictions ou les contraintes à cette dynamique urbaine sont des facteurs potentiels de vulnérabilité (J-P NICOLAS., F. VANCO et D VERRY., 2012, p.6).

2.2. Les causes des congestions généralisées dans la commune de Yopougon

La commune de Yopougon connait des difficultés de mobilité et d’accessibilité inhérentes à une généralisation des congestions. Ces encombrements sont inhérents à diverses contraintes liées entre autres à la morphologie du site de l’agglomération abidjanaise, à l’inadéquation de l’infrastructure de transport, à un système de transport inefficace et à l’incivisme des populations.

2.2.1. Abidjan, un site particulièrement disséqué et contraignant pour la mobilité

Le site de l’agglomération abidjanaise est disséqué et cloisonné par la présence d’obstacles naturels que sont le parc national du Banco et la lagune Ebrié (figure 3).

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Cette dissection du territoire est une entrave à la mobilité car elle exige la mise en place d’ouvrages de franchissement de la lagune dont l’Etat n’a pas toujours les moyens compte tenu de la crise financière. Aussi, les quatrième et cinquième ponts prévus dans les plans d’aménagement de la ville d’Abidjan depuis les années 1980 restent-ils à l’état de projet. Cette faiblesse des investissements singulièrement au niveau des ouvrages de franchissement (seulement trois ponts aujourd’hui, là où il en faudrait une douzaine) entrave la mobilité et l’accessibilité dans la commune de Yopougon.

Comme le montre la figure 3, la commune de Yopougon n’est accessible que par l’autoroute du nord (deux fois trois voies) qui dessert également l’intérieur du pays et dans une moindre mesure par la route de Dabou qui ne fait qu’une fois deux voies et ne constitue pas une alternative indéniable.

Cette discontinuité du tissu urbain impose donc une entrée et une sortie quasi unique de la commune de Yopougon. Ces entrée et sortie énormément sollicitées sont régulièrement congestionnées surtout aux heures de pointe entre 5 heures et 9 heures, 12 heures et 14 heures enfin entre 17 heures et 20 heures (photo 1). Ces congestions s’exacerbent lors des fréquents accidents sur l’autoroute (photo 2).

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2.2.2. Un système de mobilité inadapté et inefficace

Outre l’isolement physique de la commune de Yopougon, le système de mobilité (infrastructures routières et modes de transport) reste déficient du fait du manque d’investissement consécutif à la crise économique et conjoncturelle que connait le pays depuis les années 1980. Cette conjoncture économique qui s’est exacerbée avec les troubles militaro-politiques entre 2002 et 2011 a engendré une crise du financement des transports collectifs. La Société de Transport Abidjanais (SOTRA), structure étatique créée pour assurer la mobilité des habitants de la capitale, peine à assumer cette fonction si bien que prolifère ce que I. KASSI-DJODJO (2007, p. 70) appelle les transports populaires ou informels : les mini bus (appelés communément gbaka), les taxis individuels ou les taxis collectifs (Wôrô-wôrô). Ce sont des initiatives issues d’« en bas » pour pallier la déficience de l’offre formelle engendrée par la crise (D. PLAT, 2003, p.14).

Le transport informel assure 85% des déplacements dans la commune de Yopougon soit 4,1 déplacements quotidiens sur 10 (GROUPE BANQUE MONDIALE, 2019, p. 42). S’il est indéniable qu’il a le mérite de combler une carence de l’Etat et représente environ 100 000 postes de travail, le transport informel évolue toutefois « entre exploitation et Système D » (L. DIAZ OLVERA et al., 1998, p. 28) et contribue au désordre, à l’encombrement des voies, à l’insécurité et à la pollution du fait de l’incivisme des acteurs (GROUPE BANQUE MONDIALE, 2019, p.11).

2.2.3. Yopougon, quand l’incivisme s’érige en règle

Les difficultés de mobilité au sein de l’agglomération abidjanaise tiennent également à l’incivisme qui se traduit par des infractions délibérées, répétées et étonnement tolérées au code de la route et par une occupation anarchique de la voirie et du domaine public. Les voies de circulation sont prises d’assaut par les commerçants qui y étalent leurs marchandises en tous genres (photo 3). Elles servent également de gare pour des transporteurs qui y débarquent passagers et bagages (photo 4).

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A Yopougon, l’incivisme est également le fait des acteurs du transport informel, comme c’est le cas à Mexico, qui utilisent des véhicules majoritairement en très mauvais état avec des conducteurs qui se livrent une course aux passagers, ignorent les règles élémentaires de la circulation et s’arrêtent n’importe où, de façon brutale, pour prendre ou déposer des clients (C. PAQUETTE, 2010, p. 164). Ces actes d’incivisme non sanctionnées contribuent aux congestions des axes radiaux aux heures de pointe et aux difficultés de mobilité et d’accessibilité des sous-espaces de Yopougon comme dans nombres de villes du Sud (L. DIAZ OLVERA, D. PLAT et P. POCHET, 2013, p. 3).

Tous ces facteurs contribuent aux congestions et à la réduction des vitesses de déplacements

2.3. Des vitesses de déplacement de plus en plus réduites dans la Commune de Yopougon

L’accessibilité conditionne la dynamique du territoire urbain et constitue un facteur essentiel d’évaluation de la vulnérabilité des territoires (K. M. TRAORE, 197). L’auteur explique que le niveau de vulnérabilité croît inversement au prorata du degré d’accessibilité physique. Moins un territoire sera accessible, davantage il sera vulnérable. L’accessibilité est une donnée spatio-temporelle qui renvoie à la fois à l’éloignement par rapport à un repère (au sens mathématique du terme) dans l’espace et au temps pour atteindre les lieux compte tenu des entraves à la mobilité. L’un des critères observables du niveau d’accessibilité est la vitesse de déplacement au sein d’une agglomération. Dans la commune de Yopougon cette vitesse de mobilité sur des grands axes a été mesurée en temps réel. Les résultats (figure 4) montrent une vitesse de déplacement oscillant entre moins de 10 km/h et plus de 50 km/h. Une des conclusions majeures de cette observation est que les vitesses de placement vont decrescendo des quartiers périphériques vers l’autoroute.

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Ces résultats confirment le rôle prépondérant de l’autoroute dans le système de mobilité de la commune de Yopougon. En effet, étant la principale voie de communication entre cette commune et le reste de l’agglomération abidjanaise, elle constitue un axe de convergence de tous les flux de véhicules en partance ou à destination de Yopougon. De ce fait, le moindre incident (incidents qui ne sont pas rares) sur l’autoroute impacte par effet domino tous les axes routiers de Yopougon.

En réalité, l’autoroute joue un rôle d’exutoire pour le système de mobilité de Yopougon. En temps normal, malgré les ralentissements, elle assure la fluidité de la circulation au sein de la commune et vers le reste de la ville d’Abidjan. Lorsque ce rôle d’exutoire est contrarié, du fait de l’incapacité du passage unique à offrir toutes ses potentialités pour cause d’accidents ou de travaux, c’est tout le système de mobilité qui se trouve affecté pendant plusieurs heures avec des risques d’isolement tangibles. Les dysfonctionnements dus à la trop grande dépendance à une infrastructure unique de mobilité se constatent dans plusieurs villes d’Afrique au sud du Sahara : Bamako, Niamey, Kaduna, Wouri et Douala comme le montrent les travaux de L. DIAZ OLVERA et al. (2010, p. 184).

Ils sont liés à la dissection des territoires urbains du fait d’obstacles naturels comme les plans ou autres cours d’eau. Il en résulte ipso facto une réduction des alternatives modales, une augmentation des coûts de transport et une explosion des durées de déplacement (L. DIAZ OLVERA et al, 2010, p. 184). Ce manque d’alternative à l’autoroute dans le système de mobilité de Yopougon est irrévocablement facteur de vulnérabilité (R. D’ERCOLE et P. METZGER, 2009 ; J-P. NICOLAS, F. VANCO et D. VERRY, 2012, p. 7 ; F. DEMORAES, 2016, p.8 et K. M. TRAORE, 2016, p. 43).

2.4. Une explosion des durées de déplacement source de vulnérabilité

La discontinuité du tissu urbain et l’insuffisance du réseau viaire notamment en ouvrages de franchissement de la lagune Ebrié qui impliquent une dépendance ombilicale du système de mobilité de Yopougon à l’autoroute sont à l’origine d’une explosion des durées de déplacement. En théorie, pour des vitesses autorisées de 60 km/h en agglomération urbaine et de 100 km/h sur les voies express comme l’autoroute, les durées de chaque trajet oscilleraient entre 4 et 13 minutes. En réalité, ces durées passent de 30 à 55 mn environ du fait des congestions et des ralentissements (tableau 1).

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Comme le montre le tableau 1, il existe des écarts importants de temps (27 à 43 mn) entre le régime fluide et le régime saturé. Ces écarts représentent des pertes de temps et de ressources pour les entreprises et les ménages. En effet, du fait des encombrements les entreprises peuvent consacrer plus de 20% de leur budget au chapitre du transport.

Cette contrainte n’est pas sans conséquence sur leur niveau de compétitivité et sur les coûts des produits et/ou des services. Les coûts du transport en termes de temps et de ressources financières peuvent absorber, pour les ménages les plus pauvres, jusqu’à 30% du revenu (GROUPE BANQUE MONDIALE, 2019, p. 37). Cette proportion est de 23% à Douala, de 19% à Conakry, 17% à Yaoundé, 23% à Lagos et 19,8% à Ouagadougou (A. ADOLEHOUME et al, 2005, p. 2 ; H NGABMEN., 1997; L. DIAZ OLVERA., D. PLAT et P. POCHET, 1999, p. 3). Ces comparaisons montrent la tension que fait porter la mobilité quotidienne sur les budgets des ménages (L. DIAZ OLVERA, D. PLAT, P. POCHET et M. SAHABANA, 2010, p. 5)

Ainsi, pour un revenu mensuel moyen de 187 800 FCFA par ménages dans la commune de Yopougon (SDUGA, Vol 3, 2015, p. 62), la proportion consacrée du budget consacré au transport équivaut à près de 56 340 F CFA. Les populations consacrent près du tiers de leur revenu à la mobilité, les deux autres tiers étant consacrés aux dépenses de logement et de nourriture. Cet important « effort budgétaire nécessaire aux ménages pour être motorisés et se déplacer en voiture peut les fragiliser économiquement » (J-P. NICOLAS, F. VANCO et D. VERRY, 2012, p. 2). Selon ces auteurs, lorsque le taux d’effort des ménages en matière de mobilité quotidienne atteint le seuil de 18%, il constitue un facteur de vulnérabilité spatial potentiel.

En réalité, compte tenu de la géométrie de l’espace, un lieu situé au centre sera toujours plus accessible qu’un lieu situé en périphérie indépendamment de la performance du réseau de transport. Pour rendre compte de ces contraintes de mobilité, un découpage concentrique de la commune a été réalisée (figure 5).

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A Yopougon, au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’autoroute, les distances pour atteindre le « panier de service » en dehors de la commune ou pour rejoindre les lieux de résidence augmentent en même temps que les coûts en termes de temps, de pénibilité et de ressources financières (figure 4) même si, théoriquement, « les coûts élevés de mobilité quotidienne d’un ménage périurbain peuvent être compensés par des coûts de logement plus bas qu’en centre-ville » (J-P. NICOLAS, F. VANCO et D. VERRY, 2012, p. 8).

A l’analyse, avec toutes leurs implications spatiales, sociales et environnementales, les difficultés de mobilité vont de « graves » pour les ménages situés dans la première couronne à « extrêmement graves » pour ceux de la cinquième située à plus de dix kilomètres de l’entrée ou de la sortie de l’autoroute prise comme repère.

Les investigations ont montré par exemple que le coût du transport entre Yopougon et Adjamé qui est de l’ordre de 200 à 300 FCFA en régime fluide atteint aisément 1000 voire 1500 FCFA en régime saturé pour les ménages en périphérie.L’explication tient principalement à un « mauvais appariement spatial habitat-emploi et à une absence de polarité forte » (J-P. NICOLAS, F. VANCO et D. VERRY, 2012, p. 8). Le lieu de résidence devient alors « un facteur d’iniquité » (A. ADOLEHOUME et al, 2005, p. 2) et « les difficultés de mobilité contribuent à renforcer et à pérenniser les inégalités socio-spatiales » (L. DIAZ OLVERA et al, 2010, p. 7). Dans ce contexte, la ville devient « un lieu qui divise, qui sépare les individus et les activités et crée paradoxalement de la distance sociale et fonctionnelle » (D. CAUBEL, 2006, p. 7).

Aussi, à Yopougon environ 14% de la population souffrent-ils de graves problèmes de mobilité. Cette proportion s’élève à près de 27% pour les problèmes de mobilité allant de « hautement » à « extrêmement » graves. Il s’agit des populations qui habitent les quartiers périphériques de Yopougon et celles de l’île Boulay qui n’ont aucun moyen de communication routier avec le continent. En général, plus d’un habitant de Yopougon sur deux est sujet à des problèmes de mobilité oscillant entre « assez graves » et « très graves ». Ces saturations ne sont pas sans conséquence également sur la mobilité intra communale qui est littéralement dépendante des voies principales de circulation car les routes secondaires non-entretenues restent peu ou pas accessibles aux véhicules à quatre roues. C’est également le constat de A. ADOLEHOUME, et al., (2005, p. 1) à Conakry et à Douala.

Cette situation expose subséquemment les populations aux risques d’insécurité routière et de pollution de l’air qui affectent leur santé. En réalité, comme l’écrit A. BONNAFOUS (1996, p. 101) les crises de l’encombrement entrainent des problèmes environnementaux, sécuritaires et sanitaires. Ces crises peuvent également contribuer au dysfonctionnement du système urbain et avoir des impacts lourds de conséquences dans de nombreux domaines notamment au sein des entreprises avec des pertes d’emplois, de compétitivité et des manques à gagner (F. DOMORAES, 2009, p. 4).

Les problèmes de congestions, d’accessibilité et de mobilité ont pour ainsi dire un effet pervers sur la dynamique du système urbain. En effet, chaque système urbain repose sur un ensemble d’infrastructures et d’équipements et de sous-espaces qui doivent être accessibles pour être fonctionnels (K. M. TRAORE, 2016, p 198.). L’auteur poursuit pour écrire qu’« il n’est pas du tout rare de voir un évènement bénin se muer en catastrophe, pas par absence de secours mais tout simplement parce que ceux-ci ne peuvent pas intervenir faute d’accessibilité au site ». C’est la perte de ces liaisons fonctionnelles et territoriales que C. RICHER ET P. PALMIER P. (2012, p. 26) désignent par le terme de « vulnérabilité de l’accessibilité ». L’intérêt de l’évaluation de cette vulnérabilité liée à l’accessibilité permet de « discuter et mettre en débat un certain nombre de choix stratégiques » et peut être « utilisée pour orienter les politiques de transports publics, les normes de stationnement ou la planification urbaine » (C. RICHER ET P. PALMIER P., 2012, p. 26) surtout dans un contexte de « monocentralité urbaine, caractérisé par la dépendance des espaces périphériques vis-à-vis du centre » (F. GASCHET ET C. LACOUR, 2002, p. 53).

De ce qui précède, l’amélioration de la mobilité apparaît de fait comme un enjeu de durabilité des systèmes urbains « compte tenu de son importance pour l’accessibilité aux emplois et aux services, du poids du transport dans les dépenses des ménages, de son impact sur la compétitivité des entreprises et de son influence sur la qualité de vie » (GROUPE BANQUE MONDIALE, 2019, p. 45). Cette amélioration de la mobilité passe par une décongestion des territoires urbains afin de freiner ce qu’A. BOUTAUD (2005, p. 334) appelle les « conséquences insoutenables de l’étalement urbain : déplacements, pollutions et ségrégation socio-spatiales ».

Conclusion

Yopougon, la plus vaste et la plus peuplée des communes ivoiriennes n’a aucunement pu assumer son rôle d’équilibrage structurel de la ville d’Abidjan que lui assignait le planificateur. Elle a plutôt renforcé les déséquilibres spatio-fonctionnels en gardant une dépendance ombilicale au reste de l’agglomération. Cependant, les migrations quotidiennes qu’impose cette dépendance sont entravées par des congestions fréquentes liées à l’inadéquation des modes de transport, à l’incivisme des populations et à la prépondérance de l’autoroute dans le système de mobilité de cette commune.

Pour les populations, les problèmes de mobilité qu’engendrent ces congestions apparaissent comme des facteurs de vulnérabilité qui s’exprime non seulement en termes de dépenses, de temps et de pénibilité mais aussi en termes de risques environnementaux, sécuritaires et sanitaires. Elles ne sont pas sans conséquences également sur le fonctionnement des infrastructures et des entreprises en présence et sur l’ensemble du territoire communal. Aussi, améliorer la mobilité à Abidjan et singulièrement à Yopougon apparaît-t-il de fait comme un enjeu de durabilité des systèmes urbains.

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Auteur

1Assistant, Département de Géographie, Université Jean-Lorougnon GUEDE (Daloa-Côte d’Ivoire), Laboratoire de Recherche espace-Ssystème et Prospective (LARESP), traoremichel50@yahoo.fr

 

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020