Les nouveaux quartiers de Korhogo : des quartiers issus des lotissements villageois

Résumé

Le lotissement villageois est une opération d’urbanisme qui est réalisée sur un terrain non immatriculé dans un livre foncier. Sa réalisation doit suivre une procédure rigoureuse encadrée par des lois, décrets, ordonnances et autres arrêtés ministériels. A Korhogo, la plupart des nouveaux quartiers de la ville sont issus de lotissements villageois (70 %) et sont pour la plupart pas approuvés. Ces nouveaux quartiers résultent de l’extension de la ville ou de l’intégration de certains villages périphériques. Ils ont un paysage in-attractif, déplaisant et désordonné. Cependant, le modèle de lotissement villageois est-il la cause de cette situation de désordre urbain ?

L’objectif de cette étude est d’analyser les aspects du lotissement villageois susceptible de créer le désordre urbain. Les données secondaires et primaires, qualitatives et quantitatives ont été collectées grâce à des observations directes sur le terrain et indirectes à travers des photos et images du terrain, des entretiens avec certains responsables de services techniques de Korhogo, puis traitées grâce aux logiciels Word, Excel, pour la saisie des textes et la réalisation de tableaux et Arc GIS pour la confection des cartes. Par ailleurs, il existe une procédure claire de lotissement villageois encadrée par des textes réglementaires. Mais, cette procédure n’est pas respectée par le manque de suivi et la cupidité de certains acteurs, ce qui entraine un paysage de désordre urbain, in-attractif et déplaisant.

Abstract

A villager land subdivision is an urban planning operation carried out on land not registered in a land register. Its implementation must follow a rigorous procedure governed by laws, decrees, ordinances and other ministerial decrees. In Korhogo, it is noted that most of the new districts of the city derived from villager land subdivisions (70%). In most of the cases, these operations are not approved. These new districts result from the extension of the city toward the villages or the integration of certain peripheral villages to the city. Their landscape is unattractive, unpleasant and disordered. However, is the model of villager land subdivision the cause of this situation of urban disorder?

The objective of this study is to analyse the aspects of the villager land subdivision that could create urban disorder. Secondary and primary, qualitative and quantitative data were collected through direct and indirect field observations, interviews with some of Korhogo’s technic service managers, and then processed through word software for writing the text; excel software for the construction of the tables; and ArcGIS for maps. Furthermore, there is a clear procedure for the villager land subdivisions governed by its laws, decrees and ordinances. But, this procedure is not respected by the lack of follow-up and the greed of some actors, which leads to a landscape of urban disorder, unattractive and unpleasant.

Introduction

Le lotissement peut se définir comme une opération d'urbanisme qui a pour objet ou pour effet la division volontaire en lots d'une ou plusieurs propriétés foncières, en vue de la vente ou de la location. Les lots ainsi créés, sont destinés à usage d'habitation, de jardin ou d'établissement industriel ou commercial. On distingue : les lotissements administratifs qui sont initiés par le Sous-préfet  ou le Maire ; les lotissements privés d'habitation élaborés pour un propriétaire privé en zone  urbaine en vue de la production de terrains à usage d'habitation, destinés à être vendus nus ou après une opération immobilière et enfin, les lotissements villageois réalisés le plus souvent sur des terrains non immatriculés, au  bénéfice d'une ou plusieurs collectivités villageoises. La réalisation du lotissement suit quatre (04) phases essentielles. En Côte d’Ivoire, depuis les indépendances, l’Etat expérimente les trois types de lotissement; le lotissement administratif depuis les années 1930, le lotissement privé et le lotissement villageois. Pour A. J. DJAH et al, (2017) « le processus d’urbanisation en Côte d’Ivoire a connu ces dernières années un accroissement brutal et incontrôlé ». Pour lui, en effet, au gré de la demande et au mépris des normes techniques, les autorités coutumières initient des lotissements à Divo en complicité avec les géomètres privés. Ainsi, de nombreux quartiers irréguliers se créent et s’étalent sur les pentes douces des versants Sud et Nord. Cette absence de contraintes orographiques majeures favorise l’expansion spatiale rapide et incontrôlée de la zone agglomérée. A cela, l’on peut ajouter la politique urbaine locale peu regardante sur les procédures administratives et les normes techniques des lotissements villageois et la non-maitrise de l’évolution spatiale. Dans ce processus, la dynamique spatiale stimulée par la croissance démographique a engendré l’extension des villes occasionnant l’occupation désordonnée des espaces agricoles périphériques. Y. DZIWONOU (2001, p. 167) ajoute que l'extension spatiale des villes résulte à la fois de l'accroissement de leur population et des pratiques sociales favorisant l'affectation et la réallocation des terrains situés sur les marges urbaines. L'aménagement de ces zones d'extension urbaine est impérieux et résulte de la combinaison, dans les proportions variables selon les villes, de procédures officielles d'aménagement foncier par opérations équipées ou par simple lotissement, de lotissements clandestins ou illégaux par les ayants-droit coutumiers. Par ailleurs, H TEHEKOTE et C. NGOUANET (2015, p. 266), soutiennent que, considéré incontestablement comme réserve foncière, le périurbain de Yaoundé dans un contexte de forte croissance démographique, d’inadaptation et d’insuffisance de logements sociaux dans le centre urbain, attire de nombreuses populations à la quête de logement. Pour K. DEO cité par F. GARBA (2017, p.16),  les quartiers périphériques en cours de lotissement (Keshero, Ndsho Et Ka Toyi), de la ville de Goma subissent les effets du lotissement par la non-conformité des infrastructures aux besoins de leurs populations. En effet, dans ces quartiers, les équipements de bases n’ont pas évolué avec la croissance de la population : manque d’eau potable, de centres de santés, d’établissements scolaires… Pour D. B. KOUAKOU et al (2015, p 123-133), un nombre d’acteurs privés réalisent des lotissements sans réel titre foncier. Ce type de lotissement ne suit pas la procédure administrative légale. En Côte d’Ivoire, certains opérateurs franchissent le seuil du tolérable, en morcelant des réserves administratives pour les vendre. On note aussi que la plupart des nouveaux quartiers de la ville de Korhogo issus de l’extension de la ville ou de l’intégration de certains villages périphériques a un paysage in-attractif, déplaisant et désordonné. Le lotissement villageois est-il la cause de cette situation de désordre urbain ?

L’objectif de cette étude est d’analyser les aspects du lotissement villageois susceptibles de créer le désordre urbain.

2-Materiel et Méthodes

2-1- Justification et Présentation de la zone d’étude

Situé à 632 Km d’Abidjan au Nord de la Côte d’Ivoire, la ville de Korhogo est le chef-lieu de District des Savanes et de la Région du Poro. Sa proximité avec la frontière du Mali participe à sa croissance démographique (figure 1).  

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Elle a une population de 245 239 habitants, selon le Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2014. La population est composée d’autochtones Senoufo, d’allochtones originaires de diverses régions de la Côte d’Ivoire et d’allogènes ressortissants des pays de la CEDEAO, notamment des burkinabés et maliens. Avec une population de 45 250 habitants en 1975, elle atteint 243 048 habitants (INS, 1975, 2014). Cette croissance démographique entraîne une forte demande en foncier, en habitats, et en infrastructures et équipements administratifs, éducatifs et sanitaires.

Le choix de Korhogo se justifie par sa forte population, son attractivité économique et touristique, sa position stratégique au nord du pays. Vue l’importance de la ville de Korhogo au plan local, national et sous régional, un intérêt particulier doit être accordé à l’étude de la structuration urbaine pour comprendre les causes du désordre dans les nouveaux quartiers.

2-2-Méthodes

La recherche documentaire et l’enquête de terrain sont les deux (2) techniques qui ont permis la collecte de données primaires et secondaires. La recherche documentaire a permis d’obtenir des données secondaires telles que les données du RGPH établies par l’INS (2014).  Des centres de documentation du bureau régional et national de l’Institut National de la Statistique (INS), du Bureau National d’Etude Technique de Développement (BNETD), de la Direction Régionale de l’Urbanisme et de la Construction, et la mairie de Korhogo nous ont permis d’avoir des données textuels et cartographiques (plans de lotissement et des limites de la commune) sur les questions de lotissement et de désordre urbain à travers des rapports d’étude, des rapports de mission et de nombreuses cartes sur la ville de Korhogo. En ce qui concerne l’enquête de terrain,  elle s’est faite en deux volets  à savoir l’observation de terrain et  l’enquête par entretiens. L’observation de terrain a permis de recueillir des données primaires relatives aux formes d’occupation de l’espace (habitat, activités, peuplement), l’état du cadre de vie, de l’environnement et des infrastructures. Pour ce qui est de l’enquête par entretien, des questions ont été adressées au directeur régional du Ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme (MCLAU) et au responsable du service technique de la mairie. Ces entretiens  nous ont permis d’obtenir des informations sur le mécanisme d’extension des villes en Côte d’Ivoire en général et particulièrement celui de Korhogo. Avec  Le directeur des services techniques de la mairie, nous  avons aussi recueilli des informations précieuses sur les conditions de la construction des habitats dans les nouveaux quartiers. Pour traiter  les données recueillies, nous avons utilisés les logiciels Word pour la saisir des textes, Excel pour la réalisation des  tableaux et Arc Gis pour la confection des cartes

2- Résultats

2-1- Les documents règlementaires sur le lotissement : Lois, décrets, ordonnances et arrêtés ministériels

Il existe en Côte d’Ivoire un cadre juridique et règlementaire qui encadre la procédure de lotissement, plus particulièrement le lotissement villageois. Selon la loi n° 62-253 du 31juillet 1962 relative aux plans d'urbanisme, l’article 1er stipule que les projets de lotissement ruraux sont établis, approuvés et appliqués à la demande des Collectivités, dans les conditions fixées par le présent décret. Entre dans le champ d’application du présent décret, tout lotissement à réaliser sur des terrains non immatriculés, au bénéfice d’une ou plusieurs collectivités villageoises, dans le cadre du développement et de la restructuration du milieu rural. Ces lotissements concernent plus particulièrement la remodélation, l’extension, le déplacement ou le regroupement de villages existants. Exceptionnellement, ces villages peuvent être compris dans un périmètre urbain lorsque le plan d’urbanisme en prévoit le maintien et éventuellement, l’extension selon le décret n°77-906 du 06 novembre 1977 relatif aux lotissements villageois.

Des articles précisent la procédure. Selon l’article 3, les projets de lotissement sont établis à partir d’une enquête et d’un état des lieux comportant tous les renseignements utiles sur la population concernée. Ces renseignements concernent généralement les activités, le mode de vie, la topographie, l’hydrographie, la qualité des sols, l’occupation du terrain par des populations, bâtiments et autres éléments caractéristique. L’état des lieux est soumis au contrôle du Directeur de l’Urbanisme ou de son délégué. L’article 6 stipule que le dossier, accompagné du procès-verbal de la commission est ensuite soumis par le Préfet ou le Ministre en charge des Travaux Publics, des Travaux, de la Construction et de l’Urbanisme dans les huit jours qui suivent la réunion. Le préfet propose soit l’approbation, avec ou sans réserve, soit la refonte du projet.

L’Arrêté n°100/MCLAU/DGUF/DAJC/DDU du 16 septembre 2011 suivi de l’Arrêté ministériel n° 028 MCAU/DGUF/DTC du 14 octobre 2011 portant institution du Certificat de Conformité des lotissements, des morcellements et de l'aménagement foncier, stipulent en l’article 1 que les vérifications de l'application des lotissements et des morcellements sont sanctionnées par un Certificat de Conformité établi selon les dispositions du présent arrêté. Quant à l’article 2, il précise que le Certificat de Conformité est établi par le Directeur en charge de la Topographie et de la Cartographie après application d'un projet de lotissement ou d'un projet de morcelèrent approuvé dans le respect des textes en vigueur. Les Directeurs Régionaux délivrent les Certificats de Conformité des lotissements et des morcellements des localités en dehors des Chefs-lieux Districts et de régions.

En vue d’améliorer la sécurisation foncière, l’Etat de Côte d’Ivoire, à travers le ministre de la construction, de l'assainissement et de l’urbanisme  a pris le décret n° 2013-482 du 02 juillet 2013 portant modalités d’application de l’ordonnance n° 2013-481 du 02 juillet 2013 fixant les règles d’acquisition de la propriété des terrains urbains.  L’article 4 de cette ordonnance stipule que pour les terrains urbains situés en dehors du District Autonome d'Abidjan, le ministre en charge de la Construction et de l'Urbanisme peut déléguer ses pouvoirs aux autorités déconcentrées suivant des modalités fixées par décret. Pour l’article 5, ‶ aucun terrain ne peut faire l’objet d'une Arrêté de Concession Définitive (ACD), s'il n'est issu d'un lotissement approuvé par le Ministère en charge de la Construction et de l'Urbanisme et dont le périmètre a été préalablement immatriculé ″. L’article 4 de cette ordonnance donne alors délégation aux préfets de délivrer des Arrêtés de Concession Définitives (ACD) des lots issus des lotissements approuvés dans les départements sous l’approbation du ministre chargé de la Construction et de l’Urbanisme.

2-2- La procédure du lotissement villageois

La réalisation du lotissement suit quatre (4) phases : la préparation, la conception, l’approbation et l’application du projet.

Le lotissement villageois est de ce fait un lotissement initié par les villageois sur une terre non immatriculée dans un livre foncier. Ainsi, une Communauté villageoise désireuse de réaliser un lotissement doit d’abord adresser une lettre d’intention au Ministre en charge de la Construction dans le District autonome d’Abidjan ou au Préfet de Département en dehors du District autonome d’Abidjan. Conformément à l’article 4 du décret n°77-906 du 06 novembre 1977 relatif aux lotissements villageois ″sur avis favorable du Directeur de l’Urbanisme ou de son délégué, le projet de lotissement est soumis à une enquête publique (commodo et incommodo) d’une durée d’un mois au siège de la Sous- Préfecture ou de la Commune territorialement compétente. Le Sous- Préfet prend toutes dispositions utiles à cet effet, notamment : fixation des dates de l’enquête, publicité, désignation du commissaire enquêteur chargé de recevoir et de consigner les observations du public sur un registre ad ’hoc. L’enquête close, le commissaire enquêteur remet le dossier au Sous-Préfet avec son avis motivé, dans le délai de 15 jours. C’est la phase de la  Préparation qui consiste à identifier la parcelle concernée et à effectuer des recherches sur d’éventuels titres de propriété. Ensuite, suit La phase de Conception, cette étape porte sur trois (03) aspects techniques des travaux : l’élaboration d’un état foncier par le topographe, du dossier d’état des lieux par le géomètre-expert et la confection de l’avant-projet de lotissement par l’urbaniste qui s’assure du respect des dimensions des lots, de la présence des espaces verts, des marchés, des écoles, et des dispensaires. Quant à l’Approbation du lotissement, c’est l’affaire du Ministère de la Construction et de l’Urbanisme qui approuve le plan définitif. C’est un acte purement administratif qui se résume à la préparation de l’arrêté d’approbation par la Direction de l’urbanisme. Enfin, le géomètre expert procède à l’application du plan de lotissement sur le terrain. Cela constitue le dernier aspect technique des travaux. Après avoir appliqué le plan définitif au sol, la parcelle lotie est remise aux acquéreurs. C’est la phase de l’attribution et de la commercialisation.

2-3- Les limites des lotissements villageois à Korhogo

Il s’agit des lotissements villageois non respectueux des normes urbanistiques. Les lotissements à Korhogo sont réalisés par les villageois sur des terrains non immatriculés appartenant à des familles ou à une communauté villageoise. En effet, face à l’urbanisation accélérée de la ville de Korhogo et de son extension vers sa périphérie, les propriétaires terriens des villages communaux sont contraints de lotir  leurs parcelles. Mais, ces lotissements ne suivent pas souvent la procédure normale (figure 3). Les propriétaires terriens font appel à des topographes ou des géomètres pour lotir leur espace en vue de la commercialisation. Ces techniciens généralement font fi de toute réglementation et réalisent des morcellements.  Alors que le plan de lotissement devrait passer par la Direction Régionale de la Construction et de l’Urbanisme qui l’achemine à la préfecture ensuite au ministère de la construction et de l’urbanisme pour approbation, les propriétaires terriens avec l’aide des techniciens commencent directement le bornage puis la commercialisation.La figure 3 illustre les étapes d’un lotissement villageois à Korhogo. 

Selon les propriétaires terriens enquêtés, avant de lotir leurs vergers d’anacarde ou de mangue, ils entrent directement en contact avec un géomètre ou un topographe. Ils ne connaissent pas la différence entre ces deux corps de métier. Cela est dû au fait que ces deux spécialistes se font passer pour celui qui lotir. Souvent, on rencontre des analphabètes qui se font passer pour des géomètres et qui font le morcellement pour le compte des propriétaires terriens. Généralement, ces géomètres sont rarement assermentés. Pour ceux qui travaillent sur des projets un peu sérieux, ils font signer leur dossier technique d’état des lieux et leur plan de lotissement par un géomètre-expert et un urbaniste agrée moyennant 10 % de commission. Pour la plupart des cas, le géomètre procède directement au bornage sans  l’état foncier. Le plan de lotissement est ensuite déposé à la Préfecture et à la Direction du Ministère de la Construction du Logement et de l’Urbanisme de Korhogo pour approbation. Avant l’approbation, tous les lots sont vendus aux personnes désireuses d’acquérir un terrain urbain. Cependant, après plusieurs tentatives d’entretien avec le service en charge de la planification urbaine à la Préfecture de Korhogo qui ont été vaines, nous  ne pouvons pas attester de la véracité des informations données par les propriétaires terriens qui affirment être encouragés dans cette pratique par la préfecture moyennant des lots offerts gratuitement. Il arrive parfois que le propriétaire terrien, n’ayant pas les moyens pour payer le géomètre, lui cède quelques lots après morcellement comme commission (3 ou 4 lots par hectare). Les lotissements villageois à Korhogo ne suivent donc pas la procédure normale. Il arrive souvent que la Direction Régionale de la Construction du Logement et de l’Urbanisme Régional ne suive pas l’évolution de la ville. Ce qui entraine une anarchie totale. Vu le nombre important de lotissements villageois dans la ville (tableau 1), il est à craindre une bidonvilisation de Korhogo.

2-4-Les conséquences des limites des lotissements villageois

Ces lotissements s’accompagnent de différentes conséquences. Nous avons donc un paysage urbain émaillé de friches. En effet,  étant donné que les prix des  terrains  de 600 m2 oscillent entre 300.000 et 800.000 Frs CFA, nombreux sont les citadins qui achètent des lots à la périphérie en attendant que les infrastructures soient construites. Souvent, cela prend énormément d’années et les populations las d’attendre, commencent à investir dans ce cadre de vie émaillé de nombreux espaces vacants. Ainsi, dans la périphérie de Korhogo et même dans certains quartiers du centre-ville, foisonnent de nombreux espaces non bâtis. Ces espaces (lots) deviennent des sites propices pour les maraîchers par les populations en manque de terre cultivable, (voir planche 1).

A l’instar du quartier Logokaha, le phénomène d’espace non bâti est présent dans les périphéries de Korhogo. Cependant, si le paysage émaillé de friches constitue un élément de l’urbanisation anarchique, il faut noter qu’il constitue un avantage pour les consommateurs de produits vivriers.  Au total, l’intervention de plusieurs acteurs (privés et publics) dans le morcellement des terres dans le périurbain de Korhogo entraine des conséquences diverses (Figure 4).

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Aussi, notons une généralisation des conflits fonciers dans la ville. K. D. BRENOUM et al (2015, p. 122) le traduisent si bien : « la ville de Korhogo est un nid de conflits fonciers. Mais, ces conflits sont récents en référence à leur prédominance dans les quartiers d’expansion ou périphériques, le noyau central étant presque épargné ». En effet, les quartiers périphériques de la commune de Korhogo sont confrontés à des conflits fonciers variés : des conflits entre acquéreurs, entre propriétaires terriens et acquéreurs, et propriétaires terriens et démarcheurs.

Et, des problèmes d’intégration des nouveaux quartiers au circuit d’approvisionnement en eau potable, électricité et éclairage public (planche 2)

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Les photos de la planche 2 montrent les sources d’approvisionnement en eau des ménages et au réseau d’électricité. La photo à gauche est un puit traditionnel généralement creusé dans la cour. La consommation de l’eau de ces puits d’une qualité douteuse peut engendrer des maladies d’origine hydrique. Aussi, il y a le manque du réseau électrique dans l’espace périurbain de Korhogo (photo à droite de la planche 2). Les nouveaux quartiers de la ville de Korhogo sont peu  raccordés au réseau électrique. Ce manque du réseau électrique et de  l’éclairage public dans ces quartiers peut favoriser l’insécurité.  

En plus des problèmes d’eau potable, d’électricité et d’éclairage public, on note également dans ces quartiers périphériques, une insuffisance ou une absence de voiries, de réseaux d’évacuation des eaux usées et de drainage des eaux pluviales et autres équipements de proximité comme les écoles primaires, les marchés, les centres de santé. Ce qui rend la qualité de vie dans ces zones périphériques médiocre  

Enfin, Les conséquences environnementales avec la dégradation et l’inexistence de la voirie dans les quartiers périphériques de Korhogo, il se pose le problème de la pré-collecte et de la collecte des ordures ménagères. L’accumulation et le non ramassage de ces ordures ménagères sont source de pollution. En effet, la croissance de la population dans la périphérie de Korhogo engendre une production importante de déchets des ménages. Les services de collecte des ordures étant quasiment absents dans ces nouveaux quartiers, les espaces vides deviennent des dépotoirs d’ordures (photo 1).

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En général, les premiers habitants des nouveaux quartiers déversent leurs ordures ménagères sur les lots vides contigus. Les dépôts d’ordures représentent non seulement une pollution du cadre de vie, mais aussi ils sont surtout sources de diverses maladies.

3.Analyse et discussion

A Korhogo, le lotissement villageois est le plus pratiqué. Mais, les procédures de lotissement, c’est-à-dire l’ensemble des règles mises en place par l’administration pour contrôler la réalisation des lotissements ne sont pas scrupuleusement respectées. Selon le rapport final de la Banque Mondiale (Mars 2016, p 10) sur le cadre d’analyse de la gouvernance foncière en Côte d’Ivoire, « face à l’extension des villes et à la forte demande en logements, les autorités coutumières au nom de leur droit autochtones procèdent à des lotissements qui ne s’intègrent pas nécessairement dans les schémas directeurs d’urbanisation des villes ». Ce type de lotissement qui ne suit pas la procédure administrative légale, vise uniquement à enrichir le propriétaire terrien après la vente des lots. Ce phénomène s’est amplifié depuis la crise militaro-politique du 19 Septembre 2002 qui a partitionné le pays en deux (zone gouvernementale et zone assiégée). Certains opérateurs franchissent le seuil du tolérable, en morcelant des réserves pour les vendre. Ce sont les cas d’une partie du quartier Sozoribougou à Korhogo qui occupe la réserve d’eau de la SODECI (Societé de Distribution d’Eau en Côte d’Ivoire) et du quartier Résidentiel 3. Ainsi, avec l’extension actuelle de la ville, de nombreux quartiers issus des lotissements villageois sont sans couverture de réseaux techniques tels que : l’eau, l’électricité, la voirie et l’assainissement  comme à Klofouakaha extension, Prémaforo extension, Sozoribougou extension et Natiokobadara extension.

Cette procédure illégale favorise la banalisation des règles d’urbanisme en général et en particulier, les règles de lotissement qui occasionnent le bas prix des lots et attire de nombreuses personnes demandeuses de terrains. Ainsi, « la Direction Régionale de la Construction qui est habilitée à recevoir le projet de lotissement, n’est pas la seule à le faire parce que la préfecture travaille en parallèle avec des propriétaires terriens et qui approuve des lotissements sans avis de la Direction de la Construction et de l’Urbanisme » nous a confié Monsieur FAMAYA (2020), fonctionnaire à la Direction de l’Urbanisme et de Construction de Korhogo.

Par conséquent, le constat qui se dégage est qu’il existe de plus en plus des lotissements irréguliers dans la ville de Korhogo. Cela engendre une dégradation du confort urbain. Comme l'exprime Jules SIEGFRIED cité par M. LACAVE (1989, p.30), les lotisseurs entendent réaliser au détriment des communes et des départements des bénéfices exagérés sans se soucier des résultats néfastes de leurs actions. Des actions qui peuvent avoir comme conséquences des conflits fonciers, un paysage déplaisant, des problèmes d’approvisionnement des nouveaux quartiers en eau, en électricité, des problèmes d’éclairage public, d’évacuation des eaux usées et de drainage des eaux pluviales. Aussi, manque-t-on d’équipements de proximité pour encadrer la vie sociale et économique dans ces nouveaux quartiers. T. PAULAIS (1995, p 47-48.) le montre bien en affirmant que les niveaux d’équipement des quartiers varient beaucoup selon la strate considérée. Les lotissements récents légaux peuvent avoir bénéficié d’un équipement minimum, l’habitat évolutif ancien souffrant généralement de la vétusté des installations dont il a pu éventuellement bénéficier et d’une forte densité ; les quartiers « spontanés » se caractérisent, sauf exception, par une absence d’équipement. Pour ces deux derniers types d’habitation, la situation sanitaire des quartiers est la plus souvent mauvaise ou très mauvaise. Il faut noter par ailleurs que les problèmes de lotissement ne sont pas le seul fait des propriétaires terriens. Il y a aussi la cupidité des autres acteurs dans la chaine, surtout des acteurs de l’administration. Quand le lotissement n’est pas approuvé et que le propriétaire terrien leur offre des lots gratuitement, ils s’empressent de les récupérer et les revendre alors que les lots sont sur des lotissement non- approuvés ou réalisés sur des zones inconstructibles ou sur des réserves administratives ou même sur des zones dédiées à l’industrie ou aux activités commerciales dans la ville. Ces acteurs dans la chaine administrative sont la mairie, la préfecture et la direction régionale de la construction et de l’urbanisme. Nous avons vérifié une lettre de cession de terrain urbain signé par le Préfet de Région en 2017 sur un lotissement (Dokaha extension) qui n’a pas été approuvé par le Ministère de la Construction et de l’Urbanisme et aussi dont la Direction  Régionale de la Construction et de l’Urbanisme n’a reçu aucun document concernant ce lotissement, pourtant le préfet signait des actes de propriété sur chaque lot acheté moyennant la somme de 100.000 Frs et sans délivrance de reçu de paiement. Le vrai problème du foncier urbain à Korhogo réside dans le manque de rigueur de l’administration qui apprécie mieux les valeurs financières que celles techniques.

Conclusion

Le lotissement villageois est le type de lotissement le plus pratiqué à Korhogo (70 %) avec beaucoup de conséquences sur le paysage urbain. Ces lotissements sont la conséquence de l’explosion démographique à Korhogo due à l’importance d’un secteur tertiaire dynamique occupant environ 80 % de la population active  et à la position géographique de la ville. La procédure de lotissement de manière générale n’est pas respectée et les aspects techniques sont négligés au profit de l’argent. Les conséquences sont d’ordre social, économique, financier et environnemental. Cette situation dégrade la qualité du cadre et des conditions de vie dans la ville. La gestion du foncier est une préoccupation majeure tant pour les gouvernants que pour les chercheurs afin de trouver une issue pour le développement de la ville et le bonheur des populations. Pour faire, le respect de la procédure de lotissement par les acteurs intervenant dans la chaine est un impératif qui contribuera à diminuer les conflits fonciers dans la ville. Aussi, la mise en place d’une base de données intégrées dans les SIG (Système d’Information Géographique) peut-elle être un moyen efficace pour une gestion rationnelle des opérations de lotissements.

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PAULAIS Thierry, 1995, le développement urbain en Côte d’Ivoire : (1979-1990) ; les projets de la Banque Mondiale, pp47-48.

 

 

 

Auteur

1Enseignant-Chercheur, Département de Géographe, Université Peleforo Gon Coulibaly – Korhogo (Côte d’Ivoire), konatedjibson@yahoo.fr.

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Date de parution
31 déc 2021