Impact de l’urbanisation du district d’Abidjan sur le maraichage périurbaine (Côte d’Ivoire)

Résumé

Le problème que relève cette étude est lié à l’étalement du district d’Abidjan. Elle a pour objectif d’étudier l’impact de l’urbanisation du district d’Abidjan sur le maraîchage périurbain. A l’aide d’une recherche documentaire et d’enquêtes de terrain, 242 ménages agricoles ont été interrogés. Ces ménages agricoles sont issus de 50 ZD identifiées avec un pas de 5 sur 251 ZD maraîchères, fournies par le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (MINADER) dans le cadre du REEA 2015/2016. Les résultats obtenus indiquent que la ville d’Abidjan connaît un dynamisme démographique lié à son caractère économique. La population est passée de 4 395 243 habitants en 1998, à 5,088,085 habitants en 2020, soit un taux de croissance de 6% (INS, 2014 et 2020). Cette forte croissance démographique s'est accompagnée d'une dynamique spatiale qui s’étend jusqu’aux quatre sous-préfectures que compte le district. Ces nouvelles zones d’extension abritent par ailleurs 22 sites de production maraîchère. Avec un échantillon de 242 maraîchers interrogés, seulement 20,25% d’entre eux sont propriétaires de leur espace de culture dans le périurbain. Les modes d’accès à la terre sont principalement axés sur la location (31%). Dans ces conditions, l’activité maraîchère dans le périurbain abidjanais est menacée par des contraintes foncières où 34,71% des exploitants ont connu une diminution de leurs parcelles et 18,59% ont été expulsés des zones de production.

Abstract

The problem raised by this study is linked to the sprawl of the district of Abidjan. Its objective is to study the impact of urbanization in the district of Abidjan on peri-urban market gardening. Using desk research and field surveys, 242 farm households were interviewed. These agricultural households come from 50 ZD identified with a step of 5 out of 251 market gardening ZD, provided by the Ministry of Agriculture and Rural Development (MINADER) under the REEA 2015/2016. The results obtained indicate the city of Abidjan is experiencing demographic dynamism linked to its economic character. The population increased from 4,395,243 inhabitants in 1998 to 5,088,085 inhabitants in 2020, i.e., a growth rate of 6% (INS, 2014 and 2018). This strong demographic growth has been accompanied by a spatial dynamic that extends to the four sub-prefectures of the district. These new expansion zones also house 22 vegetable production sites in the district. with a sample 242 market gardeners questioned, only 20.25% of market gardeners questioned own their growing space in the peri-urban area. Most of the access to land is by rental (31%). Under these conditions, market gardening in the Peri-urban Abidjan region is threatened by land constraints where 34.71% of farmers have experienced a reduction in their plots and 18.59% of others expelled from production areas.

Introduction

La croissance démographique observée en Afrique subsaharienne s’accompagne d’une urbanisation croissante. En Côte d’Ivoire, selon P-A. K. KOUAKOU (2017, p.289), d'ici 2030, c’est près de 63 % des habitants qui vivront dans les villes. Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire, est l’émanation de cette forte croissance urbaine. Avec un taux de croissance de 3,7% entre 1998 et 2014, la population d’Abidjan est passée de 3 125 890 habitants à 4 395 243 habitants (INS, RGPH 1998 et 2014). Cette mégapole constitue à cet effet la première et la plus grande ville du pays avec un taux de 21% de la population totale. Ce processus d’urbanisation est dû à l’exode rural d’une part et au fort taux de natalité d’autre parts associés au flux d’immigration internationale. Dans ce contexte, pour répondre aux demandes des consommateurs, l'agriculture urbaine, de par sa spécialisation en production de fruits et légumes, est aujourd'hui considérée comme une solution viable et durable pour contrer l'insécurité alimentaire (P-A. K. KOUAKOU, 2017, p.288). Ce qui se traduit par l’implantation et le renforcement de nombreux sites de production intra urbains et périurbains dans lesquels se côtoient les petits agriculteurs et les grandes exploitations spéculatives anciennes (A. YAPI-DIAHOU et al., 2011 cités par M. KOFFI-DIDIA, 2015, p.48). Malheureusement, des contraintes limitent encore le développement de cette activité dont l’étalement des espaces agricoles. Selon P-A. KOUAKOU (2017, p.290), les espaces agricoles dans le périurbain sont souvent l’objet de convoitise de la part des opérateurs immobiliers et des autorités urbaines. Ces espaces font l’objet de spéculations foncières : leur valeur sur le marché foncier n’est plus en rapport avec leur potentiel agricole mais avec leur potentiel d’urbanisation (M. KOFFI-DIDIA, (2015, p.48).

Les sous-préfectures de Bingerville, de Songon, d’Anyama et de Brofodoumé dans le district d’Abidjan n’échappent pas à l’étalement spatial. Le maraichage dans le périurbain de la ville d’Abidjan rencontre certaines contraintes pour son développement, comme la pression foncière, avec pour conséquence l’occupation des espaces à vocation résidentielle, administrative et industrielle.

Les études sur le mode d’accès à la terre pour le maraîchage ont été largement évoquées mais aucune étude spécifique ne s’est encore penchée sur les conséquences de la pression foncière sur l’espace maraîchère périurbaine.

2. Matériel et méthode de collecte des données

Le présent article étudie l’impact de l’urbanisation du district d’Abidjan sur le maraîchage périurbain. La zone d’étude est le District d’Abidjan qui regroupe la ville d’Abidjan avec ses dix communes et quatre sous-préfectures (Bingerville, Songon, Anyama et Brofodoumé). Elle est située dans le sud de la Côte d’Ivoire, précisément sur le littoral ivoirien et est limitée au Nord par la région de l’Agnebi-Tiassa, à l’Ouest par la région des Grands Ponts, à l’Est par la région de la Mé et du Sud-Comoé et au Sud par l’Océan Atlantique. Les enquêtes ont été menées sur différents sites de maraîchage périurbain regroupés, présentés dans la figure 1.  

Fig1_1.png

La mégapole abidjanaise couvre une superficie de 8750 km2 pour une population estimée à 4 707 404 habitants soit une densité de 234 habitants/km2 (INS, RGPH 2014). Cette forte croissance démographique est liée aux différents atouts dont dispose la capitale, Abidjan (ports, administration, etc.).

2.1. Techniques de collecte des données

Deux techniques ont été utilisées dans cette recherche. La première concerne la recherche documentaire (ouvrages, rapports, articles scientifiques, thèses et mémoires). Elle a permis d’avoir des informations sur les contraintes foncières pour une agriculture périurbaine. La seconde, l’enquête de terrain, a été centrée sur l’observation et la collecte des données quantitatives. L’observation a permis d’identifier les différents sites de production maraîchère. Elle a également porté sur l’implantation des habitations sur les espaces agricoles. Quant au questionnaire adressé aux exploitants maraîchers regroupés en quatre sites, il a permis d’obtenir des informations relatives aux modes d’accès à la terre et aux contraintes foncières liés à la culture périurbaine.

Selon la base de sondage du Recensement des Exploitants et des Exploitations Agricoles (REEA), 2015/2016, une étude menée par le Ministère de l’Agriculture, le tirage aléatoire stratifié à deux degrés a permis d’obtenir un échantillon constitue de 242 ménages agricoles dans lesquels se trouvent des exploitants de cultures maraîchers. Ces ménages agricoles sont issus de 50 ZD identifiées avec un pas de 5. Les 242 exploitants maraîchers sont repartis dans le tableau 1.

Fig1_2.png

Les informations ont été collectées sur le terrain en saison pluvieuse (mai, juin et juillet 2018) et sèche (février, mars et avril) pour les cultures de contre-saison.

2.2. Traitement des données

Le traitement des données collectées s’est fait à l’aide du logiciel (SPSS). La combinaison de l’arithmétique et de la logique, faisant intervenir des données quantitatives et qualitatives, a pour but de confronter les résultats obtenus avec ceux des études antérieures. Les résultats obtenus ont fait l’objet d’un recoupement avec ceux contenus dans la littérature. Ils sont exprimés sous forme d’analyses statistiques et graphiques à partir des logiciels Excel et Arc Gis. 

3. Résultats

3 .1. Dynamique urbaine du district d’Abidjan

La dynamique urbaine du district d’Abidjan concerne la croissance démographique, l’extension spatiale et les nouvelles zones d’extension de la ville.

3.1.1. Une croissance démographique de plus en plus difficile à maitriser

Les atouts économiques dont dispose la ville d’Abidjan ont considérablement eu un impact significatif sur sa croissance démographique. Le tableau 2 présente l’évolution de la population de la ville d’Abidjan de 1975 à 2018.

Fig1_3.png

Les données socio-démographiques indiquent que la population de la ville d’abidjanaise est passée de 1 043 600 habitants en 1975 à 1 934 342 habitants en 1988, soit un taux de croissance de 4,37%. Avec un taux de croissance 20% entre la période de 1988 et 1998, Abidjan double sa population en espace de 10 ans, ce qui permet d’atteindre les 3 125 890 habitants en 1998. Selon le RGPH de 2014, Abidjan comptait 4 395 243 habitants et atteint 5 165 366 habitants en 2018 selon l’estimation issue du dernier recensement de 2014. Cet important accroissement démographique s’est accompagné d’une extension spatiale dans le district d’Abidjan.

3.1.2. L’extension spatiale de la ville d’Abidjan, une résultante de sa croissance démographique

La forte croissance démographique qu’a connue Abidjan s’est matérialisée par l’étalement de la ville. L’extension spatiale de la ville d’Abidjan est présentée dans le tableau 3.

Fig1_4.png

De 3 700 hectares en 1965, la tache urbaine est passée à 5 840 ha en 1975. La ville a ensuite connu un développement avec l’apparition des nouveaux quartiers périphériques.  Ce qui lui a permis d’atteindre les 70 000 ha en 1998. Aujourd’hui, la ville d’Abidjan couvre une surface estimée à plus de 374 000 ha. Cette extension urbaine a largement contribué à la diminution des espaces jadis consacré à l’urbanisation. Ainsi, ces territoires sont passés d’une fonction de production maraîchère à une fonction de production de logements urbains.  

3.1.3. Création de nouvelles zones d’extension spatiale, une résultante de pénurie foncière dans la ville d’Abidjan

Les problèmes liés au logement et à l’espace pour le bâti dans la capitale ont amené les autorités ivoiriennes à ériger Abidjan en district afin de permettre son étalement dans ses limites périphériques. Les sous-préfectures de Songon, Bingerville, Anyama et Brofodoumé dans le district d’Abidjan constituent les zones d’extension spatiale de la ville. Ce prolongement territorial dans les périphéries est un facteur favorisant l’acquisition de nouveaux espaces permettant d’abriter des installations urbaines en termes de logements et des infrastructures et équipements sociaux de base. La satisfaction de ces immenses besoins d’espaces urbains a été un facteur limitant pour la production maraîchère.

3.2. Le périurbain d’Abidjan, un espace en compétition entre production maraîchère

3.2.1. Aperçu sur la distribution spatiale des unités de production maraichère dans le périurbain d’Abidjan 

Les investigations de terrain ont permis de faire l’inventaire des sites de production maraîchère dans le périurbain de la ville d’Abidjan. Ces différents sites sont répartis sur la figure 2.

Fig1_5.png

Selon la figure 2, 8 sites de production ont été identifiés dans les villages de la sous-préfecture de Songon : Songon-Agban, Abiaté 2, Ayewayi, Abadjin-Kouté, Songon, Adiapoto, Aubin Beugretto et Songon-Mbrathé. Dans la sous-préfecture d’Anyama, les unités de production ont été observées dans 5 villages. Il s’agit des sites de M’pody, d’Attinguié, d’Ebimpé, d’Anyama et d’Anyama-Adjamé. Au niveau de la sous-préfecture de Brofondoumé, il a été observé également 5 sites dans les différents villages : Atchékoi, Brofondoumé, Ahoué, Akékoi et Irho-La Mé. Quant à la sous-préfecture de Bingerville, on dénombre 4 sites que sont celui du village d’Abattan, de Bingerville, Adjin et de Palmafrique. Au total, ce sont 22 sites de production maraichère qui ont identifiés dans la présente d’étude. Ainsi, il ressort de cet inventaire que la sous-préfecture de Songon englobe plus de sites de production maraîchère que les autres sous-préfectures. Cette domination fait d’elle, le plus important bassin de produits maraîchers. Son caractère attractif pour les activités maraîchères s’explique par un certain nombre de facteurs. D’un côté, son éloignement par rapport aux autres sous-préfectures de la ville d’Abidjan fait qu’il n’y a pas un prolongement territorial en termes de continuité de bâti avec la trame urbaine de la capitale. Son territoire se caractérise par une discontinuité dans l’implantation des logements urbains. Cela permet la présence de nombreux espaces non encore mis en valeur pour des installations urbaines. Ce contexte constitue une opportunité pour les exploitants à la recherche de sites pour la production maraîchère. D’autre part, la présence des conditions naturelles propices pour les activités agricoles a attiré de nombreux ressortissants étrangers notamment des burkinabés et des maliens à s’intéresser à la mise en valeur des cultures maraîchères.

3.2.2. Une diversité de modes d’accès aux espaces de production maraîchère

Les résultats des enquêtes (figure 3) ont montré cinq modes d’accès à la terre (propriétaire, prêt, location, achat et appropriation) ont caractérisé les maraichers périurbains dans le district d’Abidjan. Il a été remarqué également que ce mode d’accès à la terre est le plus répandu sur les différents sites de production. Les résultats des enquêtes révèlent également que 19,83% des modes sont liés à l’appropriation avec une large proportion à Anyama (38%). Pour ce qui est de l’achat, ce sont 19% des enquêtés maraichers qui ont pu acquérir de la terre avec les autochtones pour leur activité maraîchère.

L’achat de terrain a été important à Songon (26,67%) à Bingerville (24,05%) mais très faible à Bingerville (5,26%). Quant au prêt, la proportion semble moins importante dans les modes d’accès de la terre (9,92%) selon l’étude.

Fig1_5.png


A Anyama, le taux lié au prêt semble très faible (2%) tandis qu’il est élevé à Bingerville (15,79%). Seuls 20,25% des maraîchers interrogés sont propriétaires de leur espace de culture dans le périurbain avec une large proportion à Brofodoumé (30,38%). Seulement 2,07% des modes d’accès sont outre ceux déjà énumérés.

3.2. 3. Contraintes foncières liées à l’activité maraîchère dans le périurbain abidjanaise

Les contraintes foncières liées à l’activité maraîchère dans le périurbain abidjanaise avec une nette domination de la location (tableau 4).

Fig1_4.png

Dans cette étude, seulement 44,21% des exploitants enquêtés n’ont subi aucune contrainte foncière durant les 3 mois qui ont précédé l’enquête de terrain. Ce groupe d’exploitants est important à Brofodoumé (49,36%) dû certainement à la forte part des propriétaires terriens, et à Anyama (46%). A Songon et à Bingerville, les parts des exploitants sans aucune contrainte foncière sont respectivement 44% et 31,58%. Toutefois, 34,71% des exploitants ont connu une diminution de leurs espaces maraichers pour être affectés à d’autres activités non agricoles, principalement l’habitat (photo 1).

Photo 1 : Implantation d’une habitation sur un espace propice à la culture maraichère à Songon

Cliché : Aman H., 2017

La diminution de l’espace a été également manifeste dans toutes les sous-préfectures. Elle est de 52,63% à Bingerville, de 38% à Anyama, de 33,34% à Songon et de 25,32% à Brofondoumé. Quant aux contraintes liées à l’expulsion ou au déguerpissement, l’étude a révélé que 18,59% des exploitants ont été forcés à abandonner leurs espaces de production. L’expulsion sur les domaines publics a menacé l’activité de 21,52% des exploitants à Brofondoumé alors que cette part est de 15,79% à Bingerville et de 15% à Songon. Anyama compte 14% des exploitants déguerpis faute d’occupation des espaces publics. Cette forme de contrainte foncière se perçoit à travers la photo 2.

Photo 2 : Expulsion d’un exploitant sur un espace cultivable à Bingerville

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4. Discussion

4.1. Une croissance démographique à caractéristique multiple

La forte croissance démographique de la ville d’Abidjan est liée à son développement économique. La stabilité politique qu’a connue la Côte d’Ivoire en effet, dans les années 1970, a drainé une population importante vers la capitale Abidjan qui concentre l’essentiel des activités économiques du pays (port, industrie, etc.). Le déplacement massif des populations de l’hinterland vers Abidjan à la recherche d’un mieux-être d’une part et d’autre part, le taux de natalité élevé auxquels s’ajoute un flux d’immigrants internationaux ont accru considérablement l’effectif des résidents d’Abidjan. Cette observation a été déjà relevée par G. E. ZORO (2001) cité par F. A. OSSEY (2017, p.18). P. ANTOINE et S. COULIBALY (1987) abondent dans le même sens en relevant que l’afflux des populations d’origines diverses vers Abidjan revêt plusieurs causes dont la plus importante semble être la quête d’emplois permanents dans le secteur dit structuré ou formel. Avec un taux de croissance annuel de 2,6% selon le RGPH 2014, le District d’Abidjan a une population de plus de cinq millions d’habitants. Abidjan, est devenue en moins d’un siècle, l’une des plus grandes métropoles de l’Afrique et la plus grande ville du pays (M. YMBA, 2013). Cette croissance rapide de la population entraine un accroissement des besoins en nourriture, en particulier pour les légumes et les fruits qui améliorent significativement les régimes alimentaires (vitamines et minéraux). Cette observation a été déjà relevée par M. MAWOIS (2009) pour qui, le phénomène de croissance démographique s’accompagne d’une augmentation de la demande alimentaire ; ce qui pose le problème de la sécurisation alimentaire et nutritionnelle de l’approvisionnement des villes. Pour K. P-A. KOUAKOU (2017, p.288), l’agriculture périurbaine, de par sa spécialisation en production de fruits et légumes, est aujourd'hui considérée comme une solution viable et durable pour contrer l'insécurité alimentaire, pour répondre aux demandes des consommateurs.

3.1.2. Extension spatiale peu maitrisée dans la ville d’Abidjan

La ville d’Abidjan a connu plusieurs étapes d’évolution qui mettent en exergue sa remarquable dynamique spatiale. La conséquence de l’explosion démographique a été l’occupation de l’espace. Dans cette étude, il existe un lien entre la croissance démographique et l’extension spatiale de la ville. L’étalement de la ville d’Abidjan se caractérise par la tendance à l’accroissement et au développement des aires urbaines vers le périphérique, au profit d’habitats. De 1965 à 1975, la ville a connu une extension urbaine caractérisée par l’aménagement du port. Une autre extension urbaine a été amorcée à partir de 1975 marquée par la création de nouvelles communes (Abobo et Yopougon). Enfin la phase métropolitaine a été amorcée depuis 1990. Sa situation foncière a connu une profonde mutation dans la mesure où une bonne partie des espaces naturels a été consommée par les grands travaux d’aménagement du territoire de la ville. L’étalement urbain caractérise le phénomène de croissance de l’espace urbanisé de façon peu maîtrisée, produisant un tissu urbain très lâche, de plus en plus éloigné du centre de l’aire urbaine dont il est dépendant.

3.1.3. Espaces agricoles piétinés par l’étalement du district d’Abidjan

Les fonctions économiques de la ville d’Abidjan ont conséquemment engendré toutes sortes de migration dans la capitale. Parmi les problèmes sociaux que connait l’agglomération, les préjudices liés aux logements et à l’espace pour le bâti deviennent de plus en plus cruciaux à Abidjan. Les sous-préfectures de Songon, Bingerville, Anyama et Brofodoumé font partir du district d’Abidjan depuis 2001. Ils constituent de nouvelles zones d’extension pour répondre au besoin abidjanais. Cette observation est en accord avec celle de G. PULLIAT (2007, p. 7) pour qui l’étalement se traduit par une consommation d’espace importante et supérieure au niveau désiré par les acteurs publics et compatible avec un développement durable du territoire. R. K. OURA (2012, p.11) abonde dans le même sens en relevant que l’étalement s’explique notamment par l’insuffisance et l’inadaptation de l’offre par rapport à la demande de logements dans la métropole abidjanaise et par une propension des acteurs de la construction à opter pour la périurbanisation au détriment de l’intensification et du renouvellement de la ville d’Abidjan. Cependant, cette extension spatiale entraine une forte pression sur le périurbain avec ses espaces non encore aménagés autrefois beaucoup sollicitées pour l’agriculture périurbaine. L’on assiste à un étalement anarchique des espaces urbains occupés tout de même par des activités agricoles. L’’étalement urbain dans le district d’Abidjan, s’est fait au détriment des activités agricoles urbaines, aucun espace n’a été prévu pour la pratique de l’agriculture vivrière, alors que celle-ci se pratique dans le district d’Abidjan.

3.2.1. Le périurbain d’Abidjan : de nouveaux territoires de culture maraîchère

La terre est le principal facteur de production en agriculture mais l’accès reste un défi majeur en milieu urbain d’où l’importance des sites de production maraîchère identifiés en zone périurbaine dans la présente étude. Les quatre sous-préfectures que compte le district d’Abidjan constituent les sites de production maraîchère. Ces zones disposent encore des terrains plats non bâtis pour le développement de cette activité. Les espaces périurbains ont été déjà inventoriés dans une étude faite par Z. OUATTARA (2017, p. 91) comme étant des sites de productions végétales dans le district d’Abidjan. Il s’agit des espaces naturels, des berges lagunaires, des bas-fonds, des zones non constructibles et des domaines publics ou privés (lots non mis en valeur ou maisons inachevées) qui sont des activités maraîchères dans l’espace périurbain du district d’Abidjan. A. M. KOFFI-DIDIA (2015, p.48) abonde dans le même en relevant que les cultures maraîchères occupent surtout les berges de la lagune et parfois les terrains plats non bâtis, les espaces de construction inachevée et les bordures des routes. Il s’agit généralement des zones humides, souvent considérés comme des milieux fertiles. Ces espaces marécageux offrent la possibilité aux maraîchers de pratiquer leur activité durant toute l’année.

3.2.2. Modes d’accès à la terre pour la culture

Plusieurs modes d’accès à la terre pour l’activité du maraîchage ont été identifiés dont la location a constitué l’essentiel (31%) dans la présente étude. Elle demeure également importante dans les différents sites à travers cette étude. La prédominance de la location comme mode d’accès à la terre pour la culture maraîchère à Abidjan et ses environs avait été relevée dans une étude faite par A. M. KOFFI-DIDIA (2015, p.51) et Z. OUATTARA (2017, p.198). Une étude menée à Lubumbashi par M. KASANDA et al. (2016, p.34) a aussi montré que le mode d’accès le plus dominant dans le maraichage urbain est la location. Les terres sont cédées aux maraichers par des communautés villageoises autochtones ou par des particuliers moyennant un montant de convenance entre les deux parties. Quant au prêt qui se repose sur les relations sociales, l’occupation des parcelles constituées de lots est temporaire et limitée dans le temps sur la base d’un arrangement entre le propriétaire et le maraîcher. Concernant l’appropriation, les maraîchers occupent illégalement et spontanément le plus souvent les domaines publics, les terrains difficilement aménageables, les bordures des voies, les espaces sous les tensions électriques, etc. L’achat parfois sans acte administratif est basé sur la bonne foi des parties liées au contrat. Ces différents modes d’accès à la terre ne favorisent pas la pérennisation de l’activité maraîchère dans la présente étude, dans la mesure où ces maraichers courent le risque d’être expulsés à tout moment de leurs parcelles. Les propriétaires terriens affectent en effet leurs terres à des activités non agricoles notamment la construction de maisons d’habitation dont la rente foncière semble plus importante. Cette observation a été évoquée par A. M. KOFFI-DIDIA (2015, p.53). Dans son étude, l’auteur relève que les formes d’accès à la terre pour le maraîchage ne se déroulent pas toujours dans de bonnes conditions et sont souvent sources de nombreuses difficultés pour la pratique et la survie de l’activité de maraîchage. M. KASANDA et al. (2016, p.28) abondent dans le même sens en relevant que le développement du maraichage dans et autour de la ville de Lubumbashi rencontre certaines contraintes entre autres l’accès à la terre pour différents maraichers.

3.2. 3. Contraintes foncières liées à l’activité maraîchère dans le périurbain abidjanaise

La pratique des activités maraîchères dans le périurbain de la ville d’Abidjan est confronté à la diminution des espaces disponibles, l’expulsion des exploitants des zones de production et d’autres contraintes liées à l’utilisation du sol. La réduction des espaces agricoles autour d’Abidjan est un fait tangible dans la présente étude du fait de la reconversion des terrains périurbains. En effet, les espaces marécageux propices à la production maraîchère n’échappent pas à l’étalement spatial du district ponctué de contrastes dans le mode d’occupation du sol à des fins d’habitation. Cette assertion est en accord avec celle de A. M. KOFFI-DIDIA (2015, p.48) pour qui le maintien des activités du maraîchage dans la ville d’Abidjan et ses environs est confronté à la réduction progressive des espaces disponibles du fait de la densification urbaine et la reconversion urbaine (urbanisation) des terrains périurbains. En plus, le développement du maraîchage fait face à d’importantes contraintes, comme la pression foncière, avec pour conséquence l’occupation des espaces à vocation résidentielle, administrative et industrielle. Malgré, l’importance des fruits et légumes dans les régimes alimentaires et nutritionnels (vitamines et minéraux) des populations de la ville d’Abidjan due à un meilleur approvisionnement des marchés, les terres agricoles du périurbain perdent leur valeur. En effet, la reconversion des territoires maraîchers périurbains à des fins d’habitation engendre une plus-value très importante que la production maraîchère. Pour A. M. KOFFI-DIDIA (2015, p.48), la valeur de terres agricoles sur le marché foncier n’est plus en rapport avec leur potentiel agricole mais avec leur potentiel d’urbanisation. Les espaces agricoles périurbains font l’objet d’une revendication spatiale de la croissance urbaine d’Abidjan qui consomme de façon rapide et mal contrôlée les espaces, ce qui fragilise le secteur maraîcher périurbain. Selon Z. OUATTARA (2017, p. 202), l’activité maraîchère au niveau du district est essentiellement caractérisée par les difficultés d’accès au foncier et par la diminution des superficies agricoles.

Conclusion

Cette étude a montré que les différentes évolutions démographiques qu’a connues la ville d’Abidjan se traduisent par une consommation importance de l’espace. Ce qui a permis aux autorités publiques d’opter pour la périurbanisation au détriment de l’intensification et du renouvellement de la ville d’Abidjan. Parallèlement à cette dynamique périurbaine, on constate que les espaces agricoles dans les sous-préfectures du district longtemps exploités pour les cultures maraîchères sont affectés à des activités non agricoles notamment bâti. En effet, l’extension spatiale du district d’Abidjan a entraîné une modification des modes d’occupation. Les simples réserves foncières destinées à l’activité maraîchère deviennent progressivement un enjeu de planification périurbaine. La reconversion des terres agricoles périurbaines a provoqué la diminution des espaces et l’expulsions des exploitants des zones de production. Il est donc nécessaire que le plan d’aménagement du district d’Abidjan prenne en compte des dispositions foncières et juridiques pour le maintien de cette activité.

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Auteurs

1Doctorante, Institut de Géographie Tropicale (IGT), Université Felix Houphouët-Boigny de Cococdy (Abidjan-Côte d’Ivoire), nguessanaman30@gmail.com

2Enseignant-Chercheur, Institut de Géographie Tropicale (IGT), Université Felix Houphouët-Boigny de Cococdy (Abidjan-Côte d’Ivoire), bikpoceline@yahoo.fr)

 

Fichiers

Catégorie de publications

Date de parution
31 déc 2021