Dynamique spatiale de la ville de Daloa (Centre-ouest, Côte d’Ivoire)

Résumé

La présente étude pose le problème du désordre dans l’organisation spatiale, structurelle et fonctionnelle de la ville de Daloa consécutive à son extension vers des espaces villageois et péri-urbains dont 80% ont d’ores et déjà été cédés à des particuliers qui les utilisent à des fins agricoles (enquête de terrain, 2020). 

Elle vise à contribuer à une meilleure connaissance de la dynamique spatiale de la ville de Daloa en mettant en exergue les mécanismes de cette dynamique spatiale. La méthode de recherche adoptée est basée sur la recherche documentaire, complétée par des entretiens avec les chefs des villages intégrés, les chefs de quartiers, les présidents des comités de gestion, les gestionnaires de la ville (Maire, Directeur régional de la construction et de l’urbanisme) et les géomètres-experts. Le traitement de deux images Landsat de 2014 et 2020 a permis également d’appréhender la dynamique spatiale de Daloa.

Notre étude révèle que, jusqu’en 2013, la fabrique urbaine s’est faite plus ou moins dans le respect du plan directeur. A partir de 2013, avec la prise de l’ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 qui donne plein pouvoir aux propriétaires coutumiers et aux opérateurs privés d’initier eux-mêmes le lotissement de leurs parcelles, et qui consacre une sorte de libéralisation de la production foncière, l’emprise urbaine de Daloa est en proie à un étalement remarquable. Ainsi, la tache urbaine qui était de 3 623 hectares en 2014 a atteint 6 712 ha en 2020. Le taux de croissance est passé de 35,33% entre 1980 et 2014 à 46,02% entre 2014 et 2020. Alors que la consommation de terre par habitant était de 0,015 ha/hbt en 2014, elle a atteint 0,023 ha/hbt en 2020. La densité quant à elle est passée sur la même période de 67,72 hbts/ha en 2014 à 42,56 hbt/ha en 2020 (INS, enquête de terrain, 2020). Cette extension spatiale qui échappe aux autorités en charge de la gestion foncière locale, engendre une pression sur les ressources foncières rurales avec pour conséquence un désordre à la fois spatial, structurel et fonctionnel qui procure à la ville un aspect d’inachevé.

Abstract

The present study poses the problem of the disorder in the spatial, structural and functional organization of the city of Daloa following its extension to village and peri-urban spaces, 80% of which have already been sold to individuals who have acquired them. use for agricultural purposes (field survey, 2020).

It aims to contribute to a better knowledge of the spatial dynamics of the city of Daloa by highlighting the mechanisms of this spatial dynamic. The research method adopted is based on documentary research, supplemented by interviews with the heads of integrated villages, the heads of districts, the presidents of the management committees, the city managers (mayor, regional director of construction and town planning) and land surveyors. The processing of two Landsat images from 2014 and 2020 also made it possible to understand the spatial dynamics of Daloa.

Our study reveals that, until 2013, the urban fabric, was carried out more or less in accordance with the master plan. From 2013, with the adoption of ordinance n ° 2013-481 of July 2, 2013 which gives full power to customary owners and private operators to initiate the subdivision of their plots and which enshrines a kind of liberalization of of land production, the urban influence of Daloa is in the grip of a remarkable sprawl. Thus, the urban patch, which was 3,623 hectares in 2014, reached 6,712 hectares in 2020. The growth rate increased from 35.33% between 1980 and 2014 to 46.02% between 2014 and 2020. While the land consumption per capita was 0.015 ha / hbt in 2014, it reached 0.023 ha / hbt in 2020. The density for its part increased over the same period from 67.72 inhabitants / ha in 2014 to 42.56 inhabitants / ha in 2020 (INS, field survey, 2020). This spatial extension that escapes the authorities in charge of local land management, generates pressure on rural land resources with the consequence of a spatial, structural and functional disorder which gives the city an aspect. unfinished.

 

Introduction

Du fait de sa position au carrefour d’axes routiers, la ville de Daloa a attiré une mosaïque de peuples venus de toutes les régions de la Côte d’Ivoire et de l’extérieur du pays. La population de la ville croit à un rythme soutenu. Estimée à 2.800 habitants en 1921, puis à 7.500 habitants en 1954 (Ecoloc Daloa, 1999, vol. 2), la population urbaine atteint respectivement 60 800 habitants en 1975 (RGP, 1975), 121 842 habitants en 1988 (RGPH, 1988), 173 107 habitants en 1998 (RGPH, 1998) et 266 000 habitants en 2014 (RGPH, 2014).

La croissance de la population urbaine s’est accompagnée d’une pression sur les espaces urbain et péri-urbain. De 242 hectares en 1958, puis 393 ha en 1962, l’espace urbanisé est passé successivement à 645 ha en 1970, à 1340 ha en 1980 puis à 2510 ha en 1995 (Ecoloc Daloa, 2002). En 2008, l’espace urbanisé avait atteint 2 866 hectares (K.E. YAO, 2014, p. 186) contre 3 300 ha en 2016 selon les services techniques de la Mairie. Les villages Balouzon, Dérahouan, Gbokora, Gogoguhé, Zakoua, Sapia et Tagoura, initialement situés en périphérie, sont aujourd’hui intégrés à la ville (figure 1). Cette production foncière était le fait de l’Etat qui s’est imposé comme le maître du jeu urbain et réalisait les lotissements par l’intermédiaire des Sous-préfectures et des Mairies. Cependant, l’ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 qui fixe les règles d'acquisition de la propriété des terrains urbains, consolide les droits coutumiers et donne la possibilité aux collectivités villageoises, aux promoteurs coutumiers et aux opérateurs privés d’initier le lotissement de leurs parcelles. Cette disposition met désormais les propriétaires coutumiers et les propriétaires privés au cœur de la production foncière.

Dans les villages intégrés à la ville, 80% des lotissements s’ouvrent sur des parcelles qui ont déjà fait l’objet de transactions entre autochtones bété et peuples non originaires de Daloa (allochtones et allogènes) ou entre autochtones et opérateurs privés (K.E. YAO et al., 2018, p. 142 ; notre enquête, 2020). La production foncière initiée par les communautés villageoises et les propriétaires privés est le mode de production foncière dominant à Daloa. Sur 29 lotissements réalisés entre 2001 et 2010, D-C. GOUAMENE et al. (2019, p. 290) indiquent que les lotissements villageois comptaient pour 79,31% contre 20,69% de lotissements administratifs. Entre 2010 et 2016, les lotissements villageois représentaient 94,37% du total contre 05,63%, la part des lotissements administratifs. En outre, les lotissements irréguliers prospèrent à côté des lotissements autorisés. D-C. GOUAMENE et al. (2019, p. 295) révèlent que 80% des lotissements réalisés à Daloa sont irréguliers contre seulement 20% qui sont approuvés par l’administration centrale. La privatisation des opérations de lotissement engendre, de fait, une informélisation de la production et de l’occupation du sol dans la ville de Daloa, avec en corollaire un étalement spatial sur fond de de désordre.

Comment les modes de production et d’occupation du sol urbain sont-ils facteurs de désorganisation spatiale, structurelle et fonctionnelle de la ville de Daloa ?

La présente étude vise à contribuer à une meilleure connaissance de la dynamique spatiale de la ville de Daloa, source de désorganisation spatiale, structurelle et fonctionnelle de la ville de Daloa, en mettant en exergue les mécanismes de cette dynamique spatiale.

2. Méthodologie

2.1. Le cadre géographique de l’étude

La ville de Daloa est située à 6°53 de latitude Nord et à 6°27 de longitude Ouest, à environ 410 km au Nord-Ouest d’Abidjan, capitale politique du pays, au croisement de deux axes routiers internationaux (figure 1).

Fig15_1.png

Chef-lieu du département du même nom, la ville de Daloa est limitée au Nord par le village Tagoura, au Sud par Zakoua et Wandaguhé, à l'Ouest par Kibouo et à l'Est par Zépréguhé. Notre étude s’étend sur l’espace urbain et péri-urbain de Daloa, des villages noyaux Gbeuligbeu (actuel quartier Gbeuliville), Labia, Lobia et Tazibouo aux zones d’extension actuelle de la ville, en passant par les villages intégrés Balouzon, Gbokora, Gogoguhé, Petit Zakoua, Sapia et Tagoura.

1.2. La méthode de collecte des données

La collecte des données repose sur la recherche documentaire, les entretiens et l’observation directe. La recherche documentaire a permis de faire la synthèse de la littérature consacrée à l’occupation du sol urbain et l’étalement urbain. Les écrits que nous avons consultés ont permis d’apprécier la dynamique spatiale de la ville de Daloa. La recherche documentaire a été enrichie par des entretiens avec les chefs des villages intégrés, les chefs de quartiers et les présidents des comités de gestion des villages. Ces entretiens ont permis de comprendre la dynamique spatiale de la ville de Daloa. Les entretiens que nous avons eus avec les gestionnaires de la ville (Maire, Directeur régional de la construction et de l’urbanisme) et les Géomètres experts de la région ont permis d’apprécier les mécanismes d’accès au sol urbain et de comprendre la dynamique spatiale de la ville de Daloa. La collecte des données a été couronnée par des observations de terrain traduites par la visite des zones d’extension de la ville et des fronts de lotissements. Par ailleurs, deux images du capteur Landsat 8 OLI /TIRS du 12/31/2014 et du 14/01/2020 ont permis par les techniques de la télédétection de déterminer la tache urbaine en 2014 et en 2020. L’objectif était d’apprécier la dynamique de l’espace bâti avant et après la prise de l’ordonnance de 2013 qui fixe les règles d'acquisition de la propriété des terrains urbains. Les informations recueillies sont synthétisées dans des figures en vue de rendre l’analyse aisée.

2. Résultats et discussion

Les résultats de notre recherche sont présentés successivement à travers l’extension des quartiers africains et les changements d’occupation du sol (1905 à 1970), la densification des lotissements existants contrariée par le développement des quartiers spontanés (1970-1980), la persistance des quartiers sommaires entre 1980 et 2013 malgré la bonne application du plan directeur d’urbanisme, la pression sur le patrimoine foncier des villages intégrés à la ville et la déstructuration du système urbain de Daloa subséquentes à l’extension spectaculaire de la tache urbaine avec la prise de l’ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013.

2.1. L’extension des quartiers africains et les changements d’occupation du sol (1905 à 1970)

En Côte d’Ivoire, la terre appartient à l’Etat. Seul lui est autorisé à faire des cessions. Mais, l’Etat reconnaît l’existence des droits coutumiers. Le site sur lequel la ville de Daloa a été créée appartient aux autochtones bété de Gbeuligbeu (actuel Gbeuliville), Labia, Lobia et Tazibouo. D.A. ALLA (1991) indique qu’au moment de l’installation du poste militaire de Daloa en 1905, Gbeuligbeu, Labia, Lobia et Tazibouo occupaient déjà les terrains du futur site de Daloa. Thomann et le lieutenant Pierre choisirent d’installer le poste militaire sur la colline centrale située entre Gbeuligbeu au Sud et Lobia au Nord (figure 2).

Figure 2 : Daloa, au moment de l’installation du poste militaire en 1905

En 1940, la ville se résumait en une tâche autour du poste militaire (figure 3). L’extension spatiale de Daloa prend un tournant décisif à partir de 1940 avec l’arrivée du Gouverneur Sévérin Péraldi qui décide de créer une ville avec un centre et cinq quartiers : le quartier administratif (figure 3), le quartier de logements de fonction au Sud du précédent, le quartier commercial de part et d’autre de la voie Nord-Sud, la zone d’activités industrielles sur la route de Man et le quartier dit « africain », limité au Sud par une zone basse marécageuse.

Figure 3 : Daloa en 1940

En 1942, l’administrateur Péraldi structure les deux quartiers africains, Baoulé et Dioulabougou, devenus très peuplés, en leur appliquant le maillage orthogonal. Cette structure de départ influencera, par la suite, toute la surface urbaine de Daloa.

En 1958, la ville couvre 242 hectares dont les ¾ trois quarts des terrains urbanisables sont prévus par le plan Péraldi. Des secteurs de forte expansion se dessinent avec le prolongement des quartiers dits « Africains ». Le quartier Dioulabougou est saturé et passe de l’autre côté de la zone basse marécageuse pour créer le quartier « Marais » en 1959, tandis que la délocalisation de Gbeuligbeu donne l’actuel Gbeuliville, au Sud du quartier Baoulé. Le quartier Marais s’étend, dans sa partie Sud, sur fond d’habitats sommaires. Au Nord, le village Lobia s’est légèrement étendu vers la ville quand la mission catholique, isolée à l’Est de la ville, s’étend dans sa zone d’occupation, avec la fondation du collège notre dame de l’Assomption en 1959.

En 1960, l’extension de la ville se fait dans les secteurs Sud-Ouest, Nord-Ouest et Nord-Est :

- Au Sud-Ouest : création des quartiers Belleville et Aviation.

- Au Nord-Ouest : création du quartier Gbobélé et du campement qui deviendra plus tard quartier Kennedy 2.

- Au Nord-Est : création du quartier résidentiel « Piscine ».   

Cette période consacre également l’extension de l’ancien village péri-urbain Tazibouo. Les quartiers Piscine, Kirman et Tazibouo reçoivent des habitats de standing. La figure 4 présente la ville de Daloa en 1970.

Fig15_4.png

L’extension spatiale de Daloa va de pair avec la création et le développement des quartiers spontanés. En effet, les propriétaires coutumiers ont « liquidé » leurs portions de terre pour faire face à des besoins ponctuels ou satisfaire des demandeurs. Les acquéreurs en ont fait leurs plantations. Au risque d’être expropriés de leurs terres ou de leurs parcelles à mesure que la ville s’étendait vers elles, les propriétaires coutumiers et les acquéreurs anticipaient sur les lotissements étatiques pour les morceler afin de satisfaire des demandeurs de terrain à bâtir. C’est ainsi que les plantations ont fait place à des quartiers spontanés. K.E. YAO (2014, p. 178) révèle qu’à partir de 1963, vu que la ville s’étendait vers leurs plantations suite à l’installation, en 1961, de la Société de Transformation du Bois de l’Ouest (STBO), non loin de là, NENE bi Tchè Félix et GBALE Pierre ont cédé des parcelles à des demandeurs de terrains à bâtir, créant ainsi le spontané CAFOP. À l’Ouest de la ville, SAKRE Naounou Jules et IDO Batio Jacques morcèlent leurs terrains en parcelles, en 1970, pour les mettre en vente, créant ainsi le campement qui deviendra plus tard le quartier Soleil 2. Les campements Soleil 2 et Gbobélé connaissent un développement rapide suite à l’installation de la STBO. Gbobélé s’étend dans sa partie Nord-Est et devient un village (actuel quartier Kennedy 1), sur fond d’habitats sommaires. En 1970, la ville couvre 645 hectares.

2.2. La densification des lotissements existants contrariée par le développement des quartiers spontanés (1970-1980)

K.E. YAO (2014, p. 180) explique que la période 1970-1975 est caractérisée par un temps de pause dans le processus d’urbanisation de la ville de Daloa. Les terrains devenant rares pour le plus grand nombre des habitants, il s’agit de « boucher les trous » en densifiant les lotissements déjà appliqués. La population qui ne pouvait pas accéder aux terrains planifiés cherche alors les flancs de colline, les zones basses et même les plateaux pour s’installer. Ainsi, sont partis les quartiers précaires dans tous les sens de la ville, souvent juxtaposés au lotissement existant (figure 5).

Figure 5 : La ville de Daloa en 1980

K.E. YAO (2014, p. 179, 180, 190) indique que le spontané Lobia 2, créé en 1960 par les autochtones Bété de Lobia, au Nord-Ouest de Lobia 1, dans le secteur CAFOP, s’est agrandit à partir de 1966 avec l’arrivée de feu Kouamé Kouakou qui a facilité l’installation de ses « frères Baoulé » sur le site. En 1973, le quartier Orly 1 amorce son extension à l’Ouest du quartier Marais. En 1974, l’occupation spontanée du flanc de la colline Ouest qui deviendra le quartier Huberson du nom du Préfet Koblan Huberson sous l’administration duquel le spontané s’est développé en cet endroit, relance l’urbanisation de Daloa. L’année 1974 marque également le processus d’occupation spontanée, sur fond d’habitats précaires, dans le secteur du quartier Gbobélé : le Nord-Ouest voit la naissance du spontané Kennedy 2, le spontané Soleil 2 occupe le Sud-Ouest quand le Nord-Est voit l’extension du spontané Kennedy 1.

Le Sud de la ville enregistre également des occupations spontanées sur fond d’habitats sommaires dans les quartiers Garage (Sud A) et Abattoir 1. En 1975, Karamoko Touré fonde le spontané « Manioc » qui deviendra par la suite quartier Sud D, au Sud du quartier Garage.

Vers 1975, est créée la scierie DIK, située à l’emplacement actuel de la scierie GIBT. À la même période de 1975, M. Amani, alors gestionnaire du parc débités dans l’une des scieries installées non loin du spontané CAFOP et habitant ledit spontané, permet aux occupants de ce spontané de se bâtir des habitations avec des rebuts de sciage, permettant audit spontané de s’étendre vers Kennedy 1. En 1975, la ville couvre 838 hectares (K.E. YAO, 2014, p. 181).

Poursuivant, K.E. YAO (2014, p. 181) explique qu’entre 1975 et 1980, une forte occupation spontanée conduit à la création, au Nord-Ouest de la ville, du quartier BRACODI, du nom de la brasserie qui s’y était installée, et à la naissance d’Abattoir 2 au Sud-Est, suite au lotissement d’Abattoir 1. En 1977, est créé le spontané Orly 2, au Sud d’Orly 1, sur fond d’habitats sommaires quand l’année 1980 est marquée par l’installation d’une deuxième vague d’occupants provisoires sur le site de Soleil 2. En 1980, la ville couvre environ 2 000 hectares.

2.3. La persistance des quartiers sommaires entre 1980 et 2013 malgré la bonne application du plan directeur d’urbanisme

Entre 1980 et 2013, l’évolution de l’espace urbain de Daloa se dessine sur fond d’une bonne application du plan d’urbanisme directeur. La ville s’étend dans les directions Nord, Nord-Est, Nord-Ouest, Ouest, Sud-Ouest, Sud et Sud-Est par la création de nouveaux quartiers, la structuration des poches d’habitats précaires ou leur reproduction sur des espaces non occupés. Ainsi, assiste-t-on à une forte occupation spontanée dans les secteurs Nord-Ouest et Sud-Est (figure 6).

Fig15_6.png

L’espace urbanisé est passé de 2 343 ha en 1980 à 3 623 hectares en 2014, avec une moyenne de 38,79 ha par an, soit un taux de croissance de 35,33%. Pour une population urbaine estimée en 2014 à 245 360 habitants (RGPH, 2014), la densité s’évaluait à 67,72 hbts/ha.

2.4. L’extension spectaculaire de la tache urbaine avec l’ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013

Jusqu’en 2013, la production foncière était le fait d’abord de l’administration coloniale (jusqu’à l’indépendance du pays en 1960) et ensuite l’Etat ivoirien qui s’est imposé comme le maître de la fabrique urbaine et réalisait les lotissements par l’intermédiaire des Sous-préfectures et des Mairies à travers les Sous-préfets et les municipalités. L’ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 qui fixe les règles d'acquisition de la propriété des terrains urbains, consolide les droits coutumiers et donne la possibilité aux collectivités villageoises, aux promoteurs coutumiers et aux opérateurs privés d’initier le lotissement de leurs parcelles. Cette disposition met désormais les propriétaires coutumiers et les propriétaires privés au cœur de la production foncière.

En effet, comme l’indique A. YAPI-DIAHOU (1991, p. 12), les modes d’accès au sol dans les villes secondaires ivoiriennes ont évolué temporellement et peuvent se regrouper en trois formes dominantes. Il s’agit de l’acquisition directe par les acquéreurs de parcelles auprès de services ou d’organismes de l’État, du mode qui découle de négociation directe de l’acquéreur des termes et des conditions d’accès au sol en dehors du circuit étatique, de l’invasion collective de terrains aménagés et affectés à des particuliers par les pouvoirs publics. D-C. GOUAMENE et al. (2019, p. 291) déterminent deux (2) modes d’accès au sol à Daloa à savoir : l’accès au sol par la Mairie et l’accès au sol par les promotions foncières privées, lesquelles désignent les aménagements fonciers initiés par les communautés villageoises et les propriétaires privés. Ces conclusions sont confirmées par D.A. ALLA (1991 p. 166) et sont corroborées par A.G. ADOU et al (2017 p. 11) qui soutiennent que les occupations illégales sont le mode d’accès au sol privilégié à Daloa. Ce mode d’accès représente 80% du taux d’accès au sol.

La nouvelle législation sera à la base d’une informélisation de la production et de l’occupation du sol dans la ville de Daloa. Ainsi, l’emprise urbaine va s’étaler progressivement sur ses périphéries (figure 7).

Fig15_7.png

L’extension de la ville s’est opérée par incorporation des villages environnants (Balouzon, Gbokora, Gogoguhé, Kibouo, Zakoua, Sapia et Tagoura) et la consommation de leurs patrimoines fonciers. Daloa a atteint Balouzon en 1970, Gbokora et Gogoguhé en 2000, Kibouo, Sapia, Tagoura et Zakoua en 2016. L’intégration de ces villages à la ville impose aux propriétaires fonciers coutumiers de mettre leurs portions de terre à disposition.

L’ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 qui est une forme de libéralisation de la fabrique urbaine consacre la pression sur le patrimoine foncier des villages intégrés et la déstructuration du système urbain de Daloa. Elle a contribué à une extension spectaculaire de la tache urbaine de Daloa qui a atteint 6 712 ha en 2020 contre 3 623 hectares en 2014. En l’espace de 6 ans, de 2014 à 2020, la ville de Daloa a vu ainsi sa superficie doubler. Le taux de croissance qui était de 35,33% en 2014 est passé à 46,02% en 2020. Alors que la consommation de terre par habitant était de 0,015 ha/hbt en 2014, elle a atteint 0,023 ha/hbt en 2020.

La densité, quant à elle, est passée sur la même période de 67,72 hbts/ha à 42,56 hbt/ha. Ainsi, la production et l’occupation de l’espace urbain à Daloa se font dans un contexte de fortes pressions sur les ressources foncières rurales avec une consommation de plus en plus élevée de terres par citadin. Cette augmentation de la consommation de terres par citadin n’est pas sans conséquences sur les villages intégrés.

K.E.YAO et al. (2019, p. 59) expliquent que dans les villages intégrés à la ville de Daloa comme Petit Zakoua, Sapia et Tagoura, la valeur marchande des terrains est très élevée et soumise à de fortes spéculations. Or, 80% des parcelles villageoises sont utilisées à des fins agricoles ou ont été déjà l’objet de transactions entre la Mairie et les demandeurs de terrains à bâtir. De ce fait, le droit foncier coutumier a reculé des abords immédiats de la ville confirmant A. YAPI-DIAHOU (1990, p. 52). Les tensions autour des terres, observées à Petit Zakoua, Sapia et Tagoura traduisent également l’inquiétude des propriétaires coutumiers de voir disparaître leurs réserves foncières sous l’effet de l’extension spatiale de la ville (K.E.YAO et al. 2019, p. 59). Eu égard à la rareté des réserves foncières et aux prix relativement élevés du foncier depuis 2013, les propriétaires coutumiers ou leurs descendants remettent de plus en plus en cause les conventions de vente et/ou contrats de « cession villageoise » intervenues antérieurement entre eux et les occupants (D-C. GOUAMENE et al., 2019, p. 143). Le besoin pécuniaire, sur fond d’escroquerie, amène également les propriétaires coutumiers à vendre leurs portions de terre à plusieurs personnes à la fois (D-C. GOUAMENE et al., 2019, p. 146).

Conclusion

La dynamique spatiale de la ville de Daloa s’est faite concomitamment avec la création et le développement des poches d’habitats précaires et leur restructuration.

Sur les sites lotis, les habitations précaires se présentent par endroits en constructions isolées au milieu de lots non mis en valeur. La peur de se voir retirer le lot et le manque d’argent conduisent quelques propriétaires à adopter ce type d’habitat afin de faire croire à l’administration de l’ouverture imminente du chantier de construction. Vu l’illégalité de l’occupation du site, les occupants ne s’aventurent pas dans des constructions en dur.

Afin de donner une existence légale aux quartiers spontanés, les faire sortir de l’illégalité et de la précarité, la Mairie a procédé à leur restructuration en les lotissant. Les quartiers « extensions » qui répondent au souci de la municipalité de dédommager les ménages à déguerpir suite à la structuration des spontanés et caser les demandeurs non satisfaits permettent à la ville de s’étendre sur ses marges.

Face à la demande sans cesse croissante de terrains à bâtir à Daloa, les propriétaires coutumiers doivent aider les chefferies à juguler les litiges fonciers afin de faciliter l’autorisation des lotissements qui sont initiés dans les zones d’extension de la ville.  Aussi, est-il « …souhaitable que les lotissements se fassent suivant le rythme de la demande de parcelles. Ce qui insufflerait un dynamisme contrôlé à la ville », (K. ATTA, 1978).

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Auteur

1Maître-Assistant (CAMES), Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa / LaboVST (Côte d’Ivoire), ernestkoissy@gmail.com

 

 

 

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Date de parution
31 déc 2021