Les "maquis baoulé", marqueurs de la territorialité baoulé à Abidjan (Côte d’Ivoire).

Résumé

La présente étude s’intéresse au phénomène des "maquis baoulés" dans l’espace abidjanais. L’objectif poursuivi est d’analyser ce phénomène depuis sa création jusqu’à sa diffusion en observant de possibles liens avec le poids démographique des baoulés dans la ville d’Abidjan. La collecte des données a reposé sur des entretiens semi-structurés auprès de personnes ressources des maquis et des chefs de la communauté baoulé. Un sondage auprès de 401 clients des "maquis baoulés" des communes de Yopougon et Abobo, a également été nécessaire. Les clients interrogés ont été pris au hasard lors de nos différentes visites.

Le phénomène des "maquis baoulés" dans la ville d’Abidjan est récent. En effet, le premier maquis fut créé en 2008 dans la commune de Koumassi (dénommé "Le sable") pour disparaitre après sept années d’existence. Le phénomène des "maquis baoulés" s’est propagé progressivement dans d’autres communes (six sur dix) de la ville d’Abidjan notamment dans les communes de Yopougon et Abobo.

Les traits caractéristiques de ces maquis sont : il y est vendu seulement les mets traditionnels baoulés, la musique traditionnelle moderne baoulé y prend possession des lieux, seuls des spectacles d’artistes de la communauté baoulé s’y tiennent. La clientèle fréquentant ces lieux est majoritairement de l’ethnie baoulé. Les "maquis baoulés" constituent des marqueurs spatiaux pour la communauté baoulé dans l’espace abidjanais.

Abstract

This study focuses on the phenomenon of the 'Baoulé maquis' in Abidjan. The aim is to analyse this phenomenon from its creation to its spread, observing possible links with the demographic weight of the Baoulé in the city of Abidjan. Data collection was based on semi-structured interviews with maquis resource persons and Baoulé community leaders. A survey of 401 clients of "Baoulé maquis" in the communes of Yopougon and Abobo was also necessary. The clients interviewed were taken at random during our various visits.

The phenomenon of "Baoulé maquis" in the city of Abidjan is recent. Indeed, the first maquis was created in 2008 in the commune of Koumassi (called "Le sable") and disappeared after seven years of existence. The phenomenon of "Baoulé maquis" has gradually spread to other communes (six out of ten) in the city of Abidjan, particularly in the communes of Yopougon and Abobo.

The characteristic features of these maquis are: only traditional Baoulé food is sold there, modern traditional Baoulé music takes over the place, only shows by artists from the Baoulé community are held there. The clientele frequenting these places is mainly of the Baoulé ethnic group. The "Baoulé maquis" are spatial markers for the Baoulé community in Abidjan.

Introduction

Depuis son accession à l’indépendance en 1960, la Côte d’Ivoire a connu un essor économique lié au commerce du binôme café-cacao.  Abidjan, la capitale économique est la ville où se fait l’exportation de ces produits. De ce fait, cette ville est considérée comme l’une des principales métropoles de l’Afrique de l’Ouest, enfermant de nombreux organes de pouvoir et de décision à l’échelle de sa puissance (F. K. N’GUESSAN, 1983, p. 545). Le développement économique spectaculaire de la capitale économique ivoirienne suscite non seulement une croissance urbaine mais aussi, une migration des populations vers cette métropole. Ainsi, de deux millions d’habitants en 1998 (INS-RGPH-1998) à près de cinq millions d’habitants aujourd’hui (selon les estimations), la ville d’Abidjan est marquée par une dynamique démographique diversifiée. Les activités économiques menées dans les espaces abidjanais imposent une main-d’œuvre abondante. Ce sont justement ces activités qui motivent la création d’espaces informels pour permettre aux ouvriers de se restaurer sans avoir à effectuer de longs trajets.  En Côte d’Ivoire, ces espaces informels sont appelés les « maquis » selon F. K. N’GUESSAN (1983, p. 546). Ce vocable renvoie à une triple réalité qui est à la fois gastronomique, culturelle et politique. Au plan gastronomique et culturel, c’est un lieu de restauration où la population se retrouve en général, selon l’appartenance culturelle qui est fonction des mets cuisinés. C’est également un espace de rencontre, de débats et d’échanges sur l’actualité politique nationale. Le "maquis" est un phénomène typiquement ivoirien offrant dans la restauration, des spécialités aussi variées que la population cosmopolite qu’il nourrit (G. APHING-KOUASSI et P. POTTIER, 2006, p.105). La ville d’Abidjan regorge 43000 « maquis » selon la Plateforme des Propriétaires de Maquis Bars et Restaurants de la Côte d’Ivoire (PPMBRCI). A l’origine, la commune de Treichville était la plus animée avec ses multiples maquis, discothèques et ses clubs de jazz. Cependant, le district d’Abidjan a vu d'autres communes telles que yopogon, Marcory et Cocody rejoindre la tendance depuis la fin des années 1990. Ces maquis en produisant des espaces de restauration et de loisir dans le district, sont des marqueurs spatiaux de ces activités. Ils sont un indicateur propre au phénomène de maquis permettant de suivre son évolution (E. FAGNONI, 2010, p.206).

Depuis les années 2000, la communauté Baoulé met en place à son tour des "maquis baoulés " connus sous le vocable "O’Baoulé", dans presque toutes les communes de la ville d’Abidjan. L’existence et la diffusion de ces "maquis" sont une forme d’appropriation d’une portion du territoire abidjanais par les baoulés. Ainsi, ces "maquis" constituent pour la communauté Baoulé des marqueurs de sa territorialité à Abidjan.

L’étude pose la problématique de l’émergence des "maquis baoulés " comme marqueurs territoriaux dans un espace multiculturel. Ainsi, l’objectif poursuivi est d’analyser le phénomène des "maquis baoulés " depuis sa création jusqu’à sa diffusion en observant de possibles liens avec le poids démographique des baoulés.

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Date de parution
30 sep 2022