Évolution de l’occupation des sols et conséquences géomorphologiques dans le bassin versant du Kori Dan Bouda (Région de Zinder/Niger)

Résumé

Au Sahel, depuis quelques décennies, la modification des états de surface, due à la croissance de la population et au développement agricole, a conditionné les processus de ruissellement et l’exposition des terres aux phénomènes de dégradation par l’érosion hydrique. En se basant sur les données de la télédétection et des observations directes sur le terrain, cet article analyse les effets de l’occupation du sol sur la dynamique de l’érosion dans le bassin versant du kori Dan Bouda. Les résultats mettent en évidence d’importants changements opérés dans l’occupation du sol entre 1986 et 2013. On assiste à la disparition de la steppe arbustive et une baisse significative de l’aire pastorale en faveur des surfaces cultivées et des sols nus. Aussi, la caractérisation a permis de comprendre que ce bassin est soumis à une dynamique hydroérosive intense qui se manifeste par l’encroûtement et le ravinement. Cette dynamique s’est ainsi traduite par un important flux sédimentaire et l’ensablement des mares le long du kori. La dynamique des mares s’est soldée par leur vidage (rupture de l’endoréisme) compromettant les cultures maraîchères. Cette situation favorise le renforcement de la pauvreté et la vulnérabilité de la population.

Abstract

In the Sahel, for several decades, the surface conditions modification due to population growth and agricultural development, has conditioned runoff processes and land degradation by water erosion. Based on remote sensing data and direct field observations, this paper analyses land use effects on current dynamics erosion in the Dan Bouda kori watershed. The results highlight significant changes is land use between 1986 and 2013 such as disappearance shrub steppe and a decrease in the pastoral area in favor of cultivated areas and bare soils. The characterization has also made it possible to understand that the basin subject to an intense water-erosion dynamics manifested by encrusting and gully. This dynamic has resulted in a large sedimentary flow and silting of ponds along the kori. The dynamics of the ponds resulted in their emptying (rupture of endorheism) compromising vegetable grops. This situation increases poverty and the vulnerability of the population.

Introduction

Depuis quelques décennies, des pressions démographiques ont conduit à une dégradation des sols exploités. Selon Global Environnement Facility (Gef) (2014, p. 3), la question de la dégradation des sols et son impact sur les ressources naturelles constitue un problème écologique qui a une incidence directe sur les moyens de subsistance de millions de personnes, surtout les plus pauvres et les plus vulnérables habitant dans les zones arides de la planète. De nombreuses études ont montré, dans le contexte sahélien marqué par une croissance démographique galogante, une reprise de la dynamique érosive qui se manifeste tant par la modification des états de surface des sols que par le ravinement (I. BOUZOU MOUSSA et al., (2009, p. 145 ; I. MAMADOU, 2012, p. 44 ; M. BAHARI IBRAHIM, 2016,). Dans un tel contexte, l’occupation des terres est devenue depuis quelques années, une thématique d’actualité dans l’étude et la compréhension de la dynamique environnementale. En effet, son évolution récente semble bien se marquer par l’augmentation des terres sous l’emprise de culture ainsi qu’une extension concomitante des surfaces érodées (MALAM ABDOU,  2014, p. 9). Ainsi, B. ABBA (2012, p. 182) a montré dans un contexte de mise en culture une corrélation entre l’occupation des sols et la distribution des risques érosifs dans l’aire « Ayi noma » à la périphérie du parc National du W du Niger. Il déduit que le facteur C (facteur de couverture des sols) influencé par la pression humaine sur les terres de culture joue un rôle déterminant dans l’aggravation des risques érosifs. Mamadou et Abdou (2019, p. 231), caractérisant la dynamique actuelle dans le bassin de Babul dans la région de Zinder, ont mis en évidence une intense active érosive qui se manifeste par l’encroûtement et le ravinement et qui s’explique par l’augmentation de la pluviosité dans un contexte de croissance et de pression démographiques.

La zone abritant le bassin a connu, depuis les années de grandes sécheresses qui ont sévies au Sahel, de nombreuses mutations et bouleversements conduisant à une extension des terrains de culture au détriment de terres marginales, de zones à vocation forestière et pastorale. Ces mutations dans l’occupation des sols se sont traduites, dans le bassin du kori dan Bouda, d’une part, par la dégradation de la végétation, l’extension des cultures et des sols nus encroûtés, l’intensification de ravinement et l’ensablement des mares situées le long du kori. D’autre part une pression sur les ressources naturelles qui continuent de s’amenuiser. On assiste alors à vidage des mares et à un changement de leur régime des mares compromettant ainsi la pratique des cultures de contre saison. Cela favorise le renforcement de la pauvreté et la vulnérabilité de la population. Face à cette situation, quel est alors l’impact de l’évolution de l’occupation des sols dans la dynamique érosive actuelle ce bassin? Quels sont les facteurs de cette dynamique?

Pour répondre à ces interrogations, l’étude se fixe comme objectif d’analyser les effets de l’occupation du sol sur la dynamique de l’érosion dans le bassin versant du kori Dan Bouda.  Elle vise spécifiquement  la compréhension de la dynamique érosive et l’analyse des facteurs qui la régissent.

  1. Site d’étude

Le bassin versant du kori Dan Bouda (Figure 1), objet d’étude est situé dans la région de Zinder. Il est  à cheval entre la commune rurale de Tirmini et celle de Droum respectivement dans les Départements de Takiéta et Mirriah.  Avec une superficie de 138,29 km2, le bassin versant du kori Dan Bouda est  un sous-bassin-versant de la Korama. Il s’étend entre les longitudes 8° 33’ et 8° 57’  Est et les latitudes 13° 23’ et 14° 15’ Nord.

FIG8_1.png

Ce milieu est caractérisé par une extension et une intensification des activités agricoles. Au plan morphostructural, le bassin s’inscrit dans la zone de transition entre le bassin des Uillemenden à l’ouest et le socle du Damagaram à l’est. On y trouve les reliefs résiduels (buttes et les affleurements rochers du socle cristallin) qui constituent les unités géomorphologiques les plus élevées de la toposéquence dominant les talus, les glacis et le bas-fond. Les altitudes varient entre 421 m et 530 m avec une moyenne de 475,5 m de l’amont en aval.

Le climat est de type sahélien typique avec une moyenne pluviométrique de 500 mm à la station de Zinder la plus proche (25 km). Les sols sont pour l’essentiel, ferrugineux tropicaux à texture sableuse et hydromorphes le long des réseaux hydrographiques. Le système hydrologique est un sous-système de la korama qui constitue le principal réseau hydrographique de la région de Zinder. Entre les dunes, on y rencontre des dépressions en forme de petites cuvettes occupées, en particulier dans l’axe du bassin, par des mares permanentes ou semi permanentes (I. SANDAO, 2013, p. 8).

2. Méthodologie

2.1. Données et élaboration des cartes d’occupation des sols

Deux images landsat obtenues au centre régional Aghrymet ont servi à la réalisation des cartes d’occupation des sols. Il s’agit des Landsat de 1986 et 2013 de résolution 28 m acquises à une même période de l’année (respectivement le 16  octobre 1986 et le 09 octobre 2013) pour faciliter la comparaison. Ces images ont été traitées en utilisant une composition classique de trois bandes (4, 3, 2) en fausses couleurs infrarouges à l’aide du logiciel Erdas imagine.

Pour l’élaboration des cartes cartographie de l’occupation des sols, les unités ont été définies et hiérarchisées suivant des classes thématiques (végétation, cultures, hydrographie, sols nus et établissements humains) en se basant sur la Nomenclature d’Occupation des Sols du Niger (ME/LCD, 2001, p. 18). L’identification de ces thèmes s’est basée sur les caractéristiques des objets (forme, texture, tonalité). L’exploitation des images a nécessité la numérisation, la photo-interprétation. C’est ainsi que les différentes unités ont été digitalisées manuellement à l’écran. Après l’élaboration des cartes d’occupation du sol, une phase de vérité terrain a permis de les valider.

La mise en évidence des changements s’est basée sur le calcul du taux d’évolution moyen annuel utilisé par G. WAFO TABOPDA et al., (2009, p. 4).

Entre deux années a et b et pour une unité d’occupation donnée, ce taux correspond :

Tx = [((Sb – Sa)/ Sa) *100]/I

Sa est la superficie en année a ; Sb est la superficie en année b, I est le nombre d’années entre a et b.

2.2. Caractérisation de la dynamique érosive

Conjointement à la phase de vérité terrain, trois transects dont deux transversaux et un longitudinal ont été parcourus afin de caractériser la dynamique érosive à l’échelle du bassin. L’accent a été mis sur l’identification des unités topographiques et la description des processus qui s’y manifestent. Des aspects comme la forme de ravinement, l’encroûtement, l’ensablement, le niveau de dégradation, etc.… ont été observés. Cela a permis d’apprécier, en tenant compte des indicateurs définis par P. BRAVANT (2008, p. 164), le degré de dégradation. Ces indicateurs concernent la dimension et la densité des rigoles, des ravines, des ravins auxquels sont associés l’épaisseur du sol, l’encroûtement, les formes d’érosion, la nature du couvert végétal. Aussi, pour mettre en évidence l’intensité de la dynamique hydro érosive, la densité de drainage (Dd) a été calculée. Celle-ci définit la longueur de ravinement par unité de surface à un instant donné. Elle s’obtient par la formule suivante :

Dd        =Σ LiS

(L est la longueur des cours d’eau en m ou en km et S, la superficie drainée en km²)

Des entretiens avec certaines personnes ressources ont permis de collecter des données qualitatives sur la productivité des sols, les régimes des mares, la dynamique érosive. Ces données qualitatives confrontées à celles issues de la caractérisation (observation et constat sur le terrain) ont permis de comprendre la perception des exploitants sur la dynamique actuelle et de valider la carte de dégradation.

3. Résultats

 3.1. Etats successifs de l’occupation des sols de 1986 à 2013

3.1.1. L’état de l’occupation du sol en 1986

La figure 2 montre l’état de l’occupation des sols en 1986.

FIG8_2.png

En cette date l’occupation des sols était dominée par une importante couverture végétale (steppe arbustive) qui représente 7628,36 ha et 1446,21 ha occupés par l’aire pastorale, soit respectivement 55,19 % et 10,46 % de la superficie totale du bassin. L’importance de ces deux classes se justifie par la position centrale de la zone d’étude entre deux forêts classées (Takiéta et Berberkia). La végétation qui colonisait le long des koris ne représentait que de 5,65% du bassin avec 781,01 ha. Dans les années 1980, seulement 2451,17 ha situés au nord de la route bitumée et représentant 17,72 % du bassin étaient cultivés. En effet, la population était composée pour l’essentiel des éleveurs touareg et peulhs qui s’intéressent peu à l’agriculture et des haoussa. Très peu répandus, les sols nus (273,56 ha) se localisent aux piémonts des buttes et collines granitiques représentées par les terrains rocheux qui occupent au total 1172,66 ha. Les koris et les mares occupent respectivement 12,38 ha et 63,92 ha soit 0,09 et 0,46% de la superficie totale du bassin. Globalement, la faible exploitation agricole s’explique par la peur de s’approcher de  deux domaines classés sous peine d’être sanctionné par la patrouille mise en place par de  l’environnement qui assurait leur gestion.

3.1.2. L’état de l’occupation du sol en 2013

En 2013, l’état de l’occupation des sols du bassin est marqué par forte emprise humaine (figure 3).

FIG8_3.png

Les cultures se généralisent sur près de ¾ de la superficie du bassin. Elles occupent 71,32 % soit 9862,65 ha. L’aire pastorale ne représente que 875,61 ha soit 6,33 % tandis que les koris et les cordons ripicoles occupent 0,6 et 2,44 % avec des superficies respectives de 83,19 et 337,64 ha. Les mares quant à elles occupent 226,55 ha, soit 1,64 % et utilisées pour le maraîchage ou pour l’abreuvement des animaux. Les sols nus se sont multipliés et couvrent 1168,22 ha, quant aux terrains rocheux, leur superficie passe à 1275,39 ha ou 9,22 %.de l’espace cartographié. Par contre la végétation naturelle représentée par la steppe arbustive a complètement disparu laissant place aux cultures et aux sols nus.

3.2. Analyse de l’évolution de l’occupation des sols

 3.2.1. Analyse des changements intervenus

Entre 1986 et 2013 des changements importants ont été opérés dans l’occupation des sols. Ces changements montrent la forte pression et l’emprise humaine sur les ressources. Ce qui a du coup entrainé la dégradation du couvert végétal. L’interprétation du tableau 1 et de la figure 4 révèle, d’une part la disparition de la steppe arbustive, et une régression de l’aire pastorale qui a régressé de 570,06 ha soit 39,41% de sa superficie initiale. Cette dynamique peut s’explique par l’avancée du front agricole et au morcellement de l’aire pastorale, liés à la croissance démographique. En effet, les sécheresses qui ont sévi la zone sahélienne ont entrainé une migration des populations du nord vers le sud dans le bassin de la korama où les conditions sont favorables (disponibilité de terres fertiles et de ressources en eau). Ce qui a impulsé la mise en valeur des nouvelles terres pour répondre au besoin d’une population qui croît à un rythme accéléré. La superficie occupée par les cultures a plus que quadruplé passant de 2451,17 ha en 1986 à 9862,65 ha en 2013 soit un taux d’évolution annuel moyen de 11,20 %. L’augmentation des cultures s’explique aussi par l’attribution des parcelles, à l’intérieur de la steppe arbustive, à certains habitants du village de Tirmini en guise de dédommagement de leurs champs sur lesquels une école et le local de la mairie ont été construits. Cela constitue le point de départ de l’extension des cultures conduisant à la disparition de la steppe dans le bassin.

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D’autres classes notamment les sols nus et le koris ont vu aussi leur superficie augmenter. Les sols nus ont augmenté de 894,66 ha soit un taux d’évolution annuel de 12,11%. Tandis que les superficies occupées  par les koris ont progressé de 70,81 ha passant de 12,38 et 83,13 ha  respectivement en 1986 et 2013. Ces mutations mettent en évidence la dégradation de la végétation et l’encroûtement des sols. Cependant, les cordons ripicoles ont connu une régression de leur superficie qui a passée de 781,01 ha en 1986 à 337,64 ha en 2013 soit une perte de 443,37 ha. Cette régression peut être associée à l’augmentation de la surface des kori qui traduit leur élargissement. Les mares quant à elles se sont élargies et leur superficie a augmenté de 162,63 ha. Cette dynamique s’explique par l’apparition des nouvelles mares le long du kori, mais aussi par l’importance des apports sédimentaires issus des versants. Les terrains rocheux ont à leur tour progressé de 102,73 ha entre les années. Cette augmentation est due au décapage qui met nu les affleurements rocheux.

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3.2.2. La croissance démographique principal facteur des mutations dans l’occupation des sols

L’analyse de l’évolution de l’occupation des sols dans le kori Dan Bouda montre qu’elle est récente et liée à des facteurs démographiques. L’emprise ou la pression anthropique est liée directement à la croissance de la population dans les communes qui abritent le bassin. En effet, entre 2001 et 2012, les effectifs de la population les deux communes rurales (Tirmini et Droum) qui abritent le bassin du kori Dan Bouda ont connu une évolution. Avec 69356 habitants et 55078 habitants en 2001, ils passent respectivement à 116011 habitants et 102306 habitants en 2012. Soit un taux d’accroissement respectif de 4,58 % et 5,46 %. Les effectifs des populations projetés en 2019 représentent 153256 habitants pour la commune de Tirmini et 135151 pour celle de Droum. La figure 5 caractérise les densités humaines moyennes à EN Fonction des deux communes rurales. En 2019 ces densités varient entre 79,53 et 168,94 habitants/km² alors qu’elles étaient de 36,02 et 68,85 habitants/km² en 2001. Cela suppose une augmentation de la pression sur les ressources naturelles et un risque élevé d’érosion. En effet, la dynamique démographique traduit la conquête de nouvelles terres de culture pour répondre au besoin d’une population de plus en plus croissante.

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3.3. Analyse de la dynamique érosive

La caractérisation de la dynamique érosive dans le bassin du kori Dan Bouda s’est basée sur l’étude des processus qui régissent le système morphologique de la zone.

3.3.1 Processus mécaniques

Les processus mécaniques sont ceux qui agissent sur les reliefs résiduels. Sur les reliques des formations sédimentaires du Continental Hamadien marqué par un aplanissement cuirassé, aujourd’hui, réduits à des buttes au sommet plus ou moins arrondi ; l’évolution morphologique actuelle est marquée par l’ampleur des variations thermiques qui, s’exerçant sur les affleurements rocheux dénudés, provoquent par thermoclastie la désagrégation de la cuirasse et libèrent des éléments hétérométriques. Ces éléments sont par la suite transportés sous forme d’éboulis sur les talus par gravité. Aussi, ces processus agissent sur les formations cristallines du socle. Il s’agit ici de la désagrégation granulaire très active qui donne des arènes granitiques.

3.3.2 Processus hydriques

On distingue deux types de processus liés à l’eau :

- Le ruissellement en nappe et/ou diffus s’applique sur de larges surfaces faiblement inclinées et se manifeste sur les formations sédimentaires de faible pente. Il s’applique sur toute la surface et emporte surtout les particules fines. Les formes mises en place sont généralement des regs formés d’éluvions issus de l’altération de la cuirasse. Ce processus s’observe dans la partie amont du glacis, occupant le piémont des buttes résiduelle, où il décape et transporte les éléments fins et met en place des surfaces encroûtées (photo 1). L’aval du glacis portant présentant une faible pente est marqué par le décapage dû au ruissellement en nappe.

Le ravinement intervient lorsque la valeur de la pente augmente. Cette forme est selon ROOSE (1994, p. 219) « un indice que le ruissellement s'est organisé, qu'il a pris de la vitesse et acquis une énergie cinétique capable d'entailler le sol et d'emporter des particules de plus en plus grosses » et est considérée comme la plus dramatique. Les surfaces encroûtées, formées au piémont des buttes, constituent des impluviums alimentant le réseau de ravines qui drainent les eaux vers l’aval (photo 1).

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Cela lui confère un aspect de bad-land impropre aux cultures. Ici, la dynamique érosive est marquée par le creusement et mais aussi l’élargissement par sapement des berges. Selon les riverains, au cours de la dernière décennie, ce kori s’est élargi et menace les habitations (photo 2). La largeur du fond mesure environ 200 m alors qu’elle faisait une quinzaine de mètre il y a quelques années.

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L’intensité de la dynamique hydro érosive dans le bassin est mise aussi en évidence en comparant les densités de drainage pour les deux dates (1986 et 2013). En effet, la densité de drainage est un bon indicateur de dégradation des sols. Plus elle est élevée plus le ravinement est intense, et plus la dégradation est poussée. De 930 m/km² en 1986, la densité de drainage a atteint 4230 m/km² en 2013, soit une augmentation de 354,83 % et progression annuelle moyenne de 16,84 %. Cette forte densité de drainage peut accroitre la torrentialité et par conséquent les risques d’érosion linéaire et par conséquent l’ensablement des mares et le vidage.  

3.3.3. Analyse du niveau de dégradation des sols dans le bassin

La caractérisation de la dynamique érosive montre que toutes les unités sont affectées à différents degrés (figure 6). L’analyse des indicateurs de dégradation, relatifs surtout à la dynamique érosive définis par Brabant (2008, p. 169), a permis de répartir le bassin en trois classes de dégradation à savoir faible, moyen et fort. Ainsi 6851,35 ha, soit 49,54 % du bassin sont faiblement dégradés. A l’opposé, 3389,83 ha soit 24,51% moyennement dégradés et 3588,07 ha soit 25,95% fortement dégradés. Ils sont caractérisés par l’encroûtement, le ravinement, la remontée des cailloux en surface, et la baisse de la fertilité des sols et corrélativement la baisse des rendements agricoles tant évoquée par les exploitants. Il s’agit de l’amont du bassin, c'est-à-dire les piémonts des reliefs résiduels et les formations dunaires recouvrant certaines parties du glacis.

FIG8_9.png

La dégradation ne se limite pas seulement à l’encroûtement et au ravinement. Elle concerne également l’ensablement des mares qui limite les possibilités du maraîchage. Les résultats issus des entretiens et de la cartographie mettent en évidence le lien entre la dégradation des sols, la baisse de la productivité, le tarissement précoce des mares et la vulnérabilité des populations. Comparant la production agricole actuelle avec celles des années antérieures, les populations observent une baisse des rendements qui varient du quart à la moitié. Cela augmente la vulnérabilité et le risque d’insécurité alimentaire surtout dans un contexte de croissance démographique exponentielle. Elles s’inquiètent aussi du changement du régime des mares comme celle de Dagué menacée d’ensablement par accumulation d’alluvions. Selon les exploitants, elle durait jadis plus de six (6) mois, alors qu’elle se tarie en moins de trois mois ces dernières années. Ce qui les oblige à creuser les puisards (photo 3) pour le maraîchage. En outre, cette mare est soumise à un vidage vers l’aval. A l’origine, ce vidage est à lier au développement du kori Toudoun Agoua caractérisé surtout par son élargissement. En aval, la mare Dan Mazourou est soumise à la même dynamique. En effet, appartenant au réseau de la Korama, elle reçoit d’autres apports plus importants venant de l’Ouest. Le vidage des mares observé dans le bassin est synonyme de rupture d’endoréisme observée dans l’ouest du Niger.

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3.4. Facteurs expliquant la dynamique érosive dans le bassin étudié

En plus de l’emprise anthropique, d’autres facteurs influencent la dynamique actuelle dans le bassin du kori Dan Bouda. Parmi ces facteurs, la pluviométrie joue un rôle important notamment par sa quantité, son intensité, sa durée et sa fréquence. L’analyse de la série pluviométrique de Zinder de 1960 à 2017 (figure 7) met en évidence deux ruptures pluviométriques avec trois phases bien distinctes.

FIG8_11.png

La première plus humide de 1960 à 1966 avec une moyenne  de 510 mm nettement supérieure à la moyenne de la série  de  419,1 mm. La seconde phase de 1967 à 1997 est sèche avec 378 mm. La dernière phase à partir de 1998, plus humide que la seconde se caractérise par une moyenne de 451 mm. La tendance générale est à la hausse des précipitations avec de plus en plus des événements exceptionnels à cumul élevé et qui jouent un rôle important dans la morphogenèse actuelle.

Il faut également noter le rôle joué par la nature des sols essentiellement sableux hormis quelques secteurs dans le bas-fond où ils sablo-limoneux. Ces sols sableux sont en général favorables à l’érosion. En effet, une étude menée dans un bassin adjacent a montré que les sols de la zone sont prédisposés à l’érosion (ravinement) surtout les sols de glacis de texture sableuse. Ces sols sont lacérés par des ravines latérales sources de flux sédimentaire vers la mare située en aval (M. N. ABDOU, 2016, p. 55).

3. Discussion

Les résultats de la cartographie révèlent que le bassin versant du kori Dan Bouda a subi des transformations de l’occupation du sol de 1986 à 2013. Il s’agit notamment de l’extension des cultures et sols nus, la régression des aires de pâturages, la disparition de la steppe arbustive et l’augmentation des surfaces ravinées. Ces résultats sont similaires à ceux obtenus des études menées au Niger par M. BAHARI IBRAHIM (2014, p. 178), O. AMOGU et al. (2015, p. 78), B. ABBA (2019, p. 67), I. MAMADOU et al. (2019, p. 231) et I. MAMADOU et al. (2020, p. 16). Ces études ont montré une augmentation des superficies ravinées et des sols nus, ainsi qu’un important transport solide due essentiellement à l’occupation des sols récente. Ces travaux montrent également l’importance de l’anthropisation sur la dynamique récente des versants en zone sahélienne. T. CHINEN (1999, p. 69) affirme que le déboisement est le principal facteur de l’accélération du ravinement dans un bassin versant périurbain près de Niamey.

Globalement, l’état de dégradation du bassin tel que caractérisée par les observations directes ou perçue par la population a atteint un stade avancé. Pareils résultats ont été obtenus par S. TAHIROU et al. (2019, p. 31), en croisant les données de terrain et les données issues des enquêtes dans la Commune Rurale de Sokorbé. Ces résultats mettent en évidence une dégradation avancée avec des proportions de 49,12 et 47,32 %. Ils montrent également que les indicateurs sont entre autres l’encroûtement, le ravinement, l’ensablement, la baisse continue des productions agricoles.

D’autres travaux par contre insistent sur l’intensité de la dynamique érosive sur les versants qui s’est soldée par un important flux sédimentaire vers l’aval d’où l’ensablement des plans d’eau et leur vidage vers l’aval. Ainsi, concernant le régime des mares, M. BAHARI IBRAHIM (2016, p. 96), a mis en évidence la dégradation des réseaux hydrographiques par ensablement. Il montre qu’à partir de 2005 la mare de Mountséka a connu une diminution de sa superficie qui se justifie par le développement des ravines latérales. M. MALAM ABDOU et al., (2018, p. 117), en étudiant la dynamique des mares dans des contextes géologiques cristallin et sédimentaire ont mis en évidence l’ensablement ainsi que la rupture d’endoréisme qui se manifeste par une reprise de la fonctionnalité des koris par le décapage des verrous sableux d’origine éolienne ou par l’extension spatiale des mares. B. ABBA et al. (2017, p. 94) ont mis en évidence l’ensablement et la diminution progressive de la profondeur de la mare de Birnin Lokoyo ainsi que son vidage. I. MAMADOU et al. (2011, p. 1) ont aussi montré la rupture d’endoréisme dans des bassins de la région de Niamey (Karma, Ouallam, Kourtéré). I. BOUZOU MOUSSA et al., (2009, p. 151) ont évoqué les cas de koris Mountséka, Goubé, Ouallam ou Goulbin Kaba. Cependant, les auteurs s’accordent sur les causes de cette dynamique en mettant en avant les changements d’usage des sols, la variabilité climatique (amélioration de la pluviométrie). Pour ce qui est de la densité humaine, E. ROOSE (1994 p. 25) pense que l’érosion augmente avec la densité. Aussi, la charge humaine dans la zone d’étude dépasse largement le seuil compatible avec une activité agro-sylvo-pastorale extensive, sans dégradation du milieu qui est de l’ordre de 15 hbts/km² selon I. BOUZOU MOUSSA et al. (2011, P. 15).

Conclusion

Cette étude a pour objectif d’analyser l’évolution de l’occupation du sol et ses conséquences sur la dynamique actuelle dans le bassin versant du kori Dan Bouda. L’exploitation des images satellitaires a permis de mettre en évidence d’importantes mutations de l’occupation du sol caractérisées par la disparition de la steppe arbustive et la régression de l’aire pastorale en faveur des cultures et des sols nus. Dans ce contexte, il s’en suit une accélération de la morphogenèse qui se manifeste par l’encroûtement, l’intensification du ravinement. En effet, le  croisement entre les données d’entretien et celles de la caractérisation révèlent que 24,95 % et 24,51 % du bassin sont respectivement fortement et moyennement dégradés tandis que 49,54 % sont dans un état de dégradation faible. L’analyse comparative de la densité de drainage entre 1986 et 2013 illustre l’état de dégradation du bassin avec plus de 50 % de surface dégradés. Les conséquences notamment dans la partie aval sont l’ensablement des mares dû à l’importance du transport solide et leur vidage, ce qui expose la population à l’insécurité alimentaire. En effet, du fait du niveau de dégradation atteint dans le bassin, les productions ne couvrent plus les besoins alimentaires de la population surtout dans un contexte de croissance démographique accélérée. Des solutions doivent être envisagées afin de reconstituer la productivité des sols dans un contexte où l’insécurité alimentaire est récurrente.

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Auteurs

1Département de géographie, Université de Zinder, ababachir@gmail.com

2Département de géographie, Université de Zinder, malamgamayacoudimaa@gmail.com

Catégorie de publications

Date de parution
30 sep 2020