Efficacité technique des fermes piscicoles de la Région maritime au Togo

Résumé

La pisciculture s’affirme de nos jours comme un secteur porteur face à l’épuisement des ressources halieutiques et à la dégradation des pêcheries. Malgré les multiples potentialités dont dispose le pays et la ferme volonté des autorités politiques à relancer ce secteur, la pisciculture peine toujours à se développer au Togo. La présente étude, qui a pour terrain d’investigation la Région Maritime au Togo, vise à évaluer la performance technique des fermes piscicoles. Elle est organisée autour d’une méthodologie alliant recherche documentation et enquêtes de terrain. Les résultats des scores d’efficacité indiquent que les fermes piscicoles du milieu d’investigation sont techniquement inefficaces avec une moyenne régionale de 47,1% ; ce qui nécessite diverses actions visant à accroître la productivité en réduisant les coûts et facteurs de production. L’étude propose pour un développement durable du secteur piscicole un renforcement des capacités techniques et financières des acteurs et un soutien plus ferme des pouvoirs publics.

Abstract

Fish farming is nowadays affirming itself as a buoyant sector in the face of the depletion of fishery resources and the degradation of fisheries. Despite the multiple potentialities that the country has and the firm will of the authorities to revive this sector, fish farming is still struggling to develop in Togo. The present study, whose field of investigation is the Maritime Region in Togo, aims at assessing the technical performance of fish farms. It is organized around a methodology combining research documentation and field surveys. The results of the efficiency scores indicate that the fish farms in the investigation area are technically inefficient with a regional average of 47.1%; this requires various actions aimed at increasing productivity by reducing costs and factors of production. The study proposes for a sustainable development of the fish farming sector a reinforcement of the technical and financial capacities of the actors and a stronger support of the public authorities.

Introduction

La pêche et l’aquaculture demeurent pour des centaines de millions de personnes à travers le monde, une ressource de première importance, qu’il s’agisse de l’alimentation, de la nutrition, des revenus ou des moyens d’existence (FAO, 2016, p. 2). L’offre mondiale de poisson en 2014 a atteint le chiffre record de 20 kg par habitant à la faveur de la forte croissance de l’aquaculture, qui fournit désormais la moitié du poisson destiné à la consommation humaine (FAO, 2016, p. 2). Marginale par rapport à la pêche jusque dans les années 1970 en termes de volume de production, l’aquaculture a connu un développement explosif à partir du milieu des années 1980 et représente aujourd’hui la production animale qui a connu le plus fort taux de croissance (14% par an entre 1990 et 2000 contre 2,8 % pour les productions animales terrestres sur la même période ) ces trois dernières décennies (1970-2000) au plan mondial  (J. Lazard, 2005, p. 12).

La contribution  de l’aquaculture à la satisfaction des besoins mondiaux en poisson est passée de 9 % au cours des années 1980 à plus de 50 % en 2012 (FAO, 2014, p. 61). Il est même prévu que cette tendance à la hausse continue avec une estimation de la contribution de l’aquaculture à l’approvisionnement de poissons pour l’alimentation de 65% en 2030. Toutefois, ce progrès spectaculaire de l’aquaculture est inégal car l’Asie seule produit 90% de la production de l’aquaculture mondiale contre une production peu visible pour l’Afrique. Ainsi, la part de l’Afrique dans la production mondiale de poisson en 2012 est estimée à seulement 2,2% (I. Boto et al. 2013. p.9). L’essentiel de la production provient de l’Afrique du Nord, avec une contribution de 1,55% contre 0,68 % pour l’Afrique subsaharienne (H. A YAO et al., 2016, p.2). De 4 243 tonnes en 1970, la production aquacole de l’Afrique subsaharienne est passée à 7 048 tonnes en 1980, puis à 18 649 tonnes en 1990, pour s’établir à 60 675 tonnes en 2000 (J-P. ASSI-KAUDJHIS, 2005, p. 269).

Le Togo fait partie des pays de l’Afrique subsaharienne à faible production aquacole avec une contribution nationale de 0,49% en 2017 (FAO, 2017, p. 19). Introduite depuis 1954 à Alédjo-Kadara par le biais du Centre Technique Forestier Tropical (CTFT) en collaboration avec l’ex-Service des Eaux et Forêts, la pisciculture s’est rapidement répandue sur l’ensemble du territoire à travers ses cinq régions économiques (Maritime, Plateaux, Centrale, Kara et Savanes). Elle a connu un difficile développement et c’est seulement avec la reprise de la coopération en 2008, suspendue en 1992 pour faute de défis démocratiques du pays avec les bailleurs de fonds que ce secteur tente de se relancer. La mise en œuvre du Projet d’Appui au Secteur Agricole (PASA) en 2012 et la volonté politique de l’Etat à développer l’aquaculture ont permis l’élaboration de la stratégie Nationale de développement Durable de l’Aquaculture (SNDD) assortie d’un Plan National de Développement Durable de l’Aquaculture (PNDDA). Cette stratégie a pour but d’« améliorer la couverture des besoins nationaux en produits halieutiques, la croissance économique du pays ainsi que la réduction de la pauvreté ». Elle donne des orientations pour le développement durable de l’aquaculture à travers quatre axes stratégiques[1] (PASA, 2015, p.23). Chacun de ces axes comporte des objectifs spécifiques dont la mise en œuvre des actions prévues devait contribuer au développement durable du sous-secteur. Les actions du gouvernement et des partenaires techniques et financiers visant à accompagner le sous-secteur de l’aquaculture s’est traduit par la mise en œuvre d’actions telles que le renforcement des capacités techniques des acteurs sur différentes thématiques à travers des ateliers de formation et de sensibilisation et une amélioration du cadre juridique et institutionnel. Malgré les objectifs fixés par le gouvernement et les efforts fournis, les rendements observés restent toujours inférieurs aux potentialités et aux performances escomptées. La contribution de la pisciculture à la production halieutique nationale reste encore faible (0,49% en 2017) par rapport à la demande nationale estimée à 97 500 tonnes en 2017 (DPA, 2018). Cette situation entraîne une augmentation de l’importation des produits halieutiques. Une importation qui concurrence la production aquacole nationale du fait des prix pratiqués (produit d’élevage importé 1500 F CFA le kilogramme et produit d’élevage national 2500 F CFA le kilogramme) qui découragent les promoteurs nationaux. Le faible rendement des fermes piscicoles de la Région Maritime suscite des questionnements dont le principal est de savoir : quelles sont les performances techniques des fermes piscicoles de l’aire d’étude ?

Dans la littérature économique, la notion d’efficacité est abondamment utilisée pour permettre de mesurer la performance des unités de production. L’efficacité en agriculture peut être définie comme « le niveau auquel les producteurs arrivent à réaliser le meilleur résultat avec les ressources disponibles dans l’exploitation et les technologies données » (S. G. ADJOGNON, 2009, p. 27). Elle traduit donc le rapport entre les résultats attendus et les résultats atteints. Elle décrit aussi l’optimisation des moyens utilisés afin de maximiser le profit et garantir une plus grande compétitivité. En d’autres termes, elle donne une indication sur la capacité des entreprises à utiliser une technologie existante de la manière la plus adéquate (M. Ghali et al, 2014 p.32).

Les contraintes imposées à la production découlent de la rareté des ressources, ce qui implique une grande attention quant à leur utilisation. Ainsi, l’exploitation maximisera sa production ou minimisera l’utilisation de ses moyens de production, tout en veillant à une meilleure utilisation de ces ressources à travers une allocation efficace au sens de Pareto. Elle permet d’effectuer une analyse à travers un indicateur de performance productive qui est l’efficacité technique, nécessitant l’estimation d’une frontière de production.

La présente contribution qui vise ainsi à évaluer l’efficacité des fermes piscicoles se fonde sur une recherche documentaire, les observations sur le terrain, les entretiens semi-directifs (aux personnels administratifs de la DPA) et l’administration d’un questionnaire aux acteurs.

1. Cadre méthodologique de l’étude

Pour analyser la performance des exploitations piscicoles de la Région Maritime, l’étude a eu recours à la recherche documentaire, à l’observation de terrain, à l’entretien semi-directif et à l’administration d’un questionnaire à un échantillon de 143 personnes, réparties dans les huit préfectures que compte la Région Maritime. Il s’agit des promoteurs des fermes piscicoles et les technicien piscicoles. Les fermes retenues pour l’étude sont des fermes qui disposent des informations sur les deux derniers cycles de production (taux d’empoissonnement par infrastructure piscicoles, la gestion des intrants de production, les coûts de la production, etc.), permettant de calculer la rentabilité et l’efficacité technique. Le nombre de fermes piscicoles retenus implique automatiquement le nombre de propriétaires (76) des fermes piscicoles administrées. La figure 1 présente la répartition spatiale des fermes piscicoles du milieu d’étude.

La lecture de  la figure 1 permet de distinguer trois types d’exploitations piscicoles à savoir : la pisciculture artisanale de petite production marchande (PAPPM), la pisciculture de type filière (PTF) et la pisciculture d’autoconsommation (PA). L’aire d’étude compte 76 fermes piscicoles fonctionnelles. Les propriétaires et techniciens des fermes piscicoles représentent les principaux acteurs de ce sous-secteur.

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L’effectif des enquêtés retenu par ferme est consigné dans le tableau 1.

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Dans l’aire d’étude, 76 fermes en activité ont été recensées. Dans chacune des fermes, le propriétaire et les techniciens ont été choisis pour l’enquête. Au total, 76 propriétaires et 67 techniciens piscicoles ont été enquêtés. L’effectif réduit des techniciens s’explique par le fait que 9 fermes ne disposent pas de techniciens. Dans ces fermes, c’est le propriétaire qui assure le rôle de technicien.

L’entretien a été mené auprès de 2 responsables de la Direction des Pêches et de l’Aquaculture (DPA) et 4 promoteurs piscicoles du secteur d’étude qui ont connu la faillite. L’administration du questionnaire a été faite dans les fermes piscicoles et sur les points de vente.

Pour évaluer l’efficacité des fermes piscicoles, deux approches ont été retenues. Il s’agit de l’approche paramétrique connue sous le nom de SFA (Stochastic Frontier Analysis), et l’approche basée sur la programmation mathématique connue sous le nom de DEA (Data Envelopment Analysis). Le principal élément distinctif de ces deux approches réside dans les hypothèses concernant, d’une part, la prise en compte des résidus (facteurs aléatoires) et d’autre part, la spécification fonctionnelle ou non de la fonction de production. Chacune de ces deux méthodes repose sur une conception différente de la construction de cette frontière efficace. Néanmoins, toutes ces techniques comportent des avantages ainsi que des faiblesses qui limitent la portée de leurs applications comme outil d'évaluation de l’efficacité.

L’activité piscicole est moins sous l’influence des effets d’aléas climatiques. C’est la méthode non-paramétrique (modèle DEA[1]) qui est utilisée dans la présente étude. Ce modèle a l’avantage de mener une analyse multidimensionnelle en considérant que les unités de production peuvent produire plusieurs biens et services (J. BEN NASR et al., 2016, p.79). Cette approche est particulièrement adaptée à la mesure de l’efficacité des fermes piscicoles combinant plusieurs inputs (aliments, alevins infrastructures de production et eaux) pour produire plusieurs outputs (poissons et volumes des poissons).

  • La méthode DEA, une approche non paramétrique d’évaluation de la performance des fermes piscicoles

La méthode DEA permet d’évaluer la performance des organisations appelées unités décisionnelles qui transforment des ressources (inputs) en produits ou en prestations (outputs).

L’efficacité technique est mesurée par l’écart existant entre le niveau de production observé et le niveau d’output optimal déterminé par la frontière de production (Figure 2).

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La lecture de la figure 2 montre que les exploitations piscicoles qui sont situées sur la courbe de production sont considérées comme techniquement efficaces puisqu’elles se situent sur la frontière de la production. Cependant, les exploitations situées en dessous de la frontière de production sont considérées comme inefficaces. Les producteurs ont la possibilité d’améliorer leur productivité soit en employant moins d’inputs sans pour autant réduire le niveau d’output produit soit en augmentant le niveau d’output obtenu en gardant les mêmes niveaux d’intrants constants.

Cette méthode d’estimation de l’efficacité détermine l’enveloppe convexe des vecteurs de production qui représentent les firmes observées à travers leurs inputs et leurs outputs. Elle procède par la comparaison de la performance de chaque exploitation aux plus performantes, en mesurant la distance de celles-ci par rapport à la frontière d’efficacité. Cet écart des meilleures pratiques établit le degré d’efficacité d’une ferme. La méthode DEA calcule les scores d’efficacité technique des différentes unités de production à partir d’une frontière d’efficacité définie comme une norme. Le score d’efficience des fermes piscicoles est calculé par rapport à une frontière d’efficience. Les unités de production localisées sur la frontière sont considérées comme techniquement efficientes (donc efficaces) avec un score égal à 1 (ou 100%) et celles localisées sous la frontière sont techniquement inefficientes (donc inefficaces) avec un score inférieur à 1 (ou moins de 100%). Les fermes inefficaces disposent d’une marge d’amélioration de leur performance. Elles pourront se référer aux unités de production techniquement efficaces pour appliquer leurs meilleures pratiques. Cependant, il est à noter qu’aucune ferme piscicole ne peut se situer au-dessus de la frontière d’efficience car il n’est pas possible d’obtenir un score supérieur à 100%. Les fermes situées sur la frontière servent de pairs (ou de benchmarks) aux fermes inefficientes.

L’efficacité technique se décompose à son tour en efficacité technique pure (ETP) et efficacité d’échelle (EE) (L. LATRUFFE et L. PIET, 2013, p. 34). Cette décomposition se fait selon l’hypothèse faite sur la nature des rendements à l’échelle. L’efficacité d’échelle renseigne sur le niveau optimal de la taille de l’exploitation. Ainsi, elle permet d’évaluer si les rendements d’une exploitation sont croissants, constants ou décroissants. Elle traduit donc l’adéquation d’une unité de production à son échelle optimale. L’échelle optimale est entendue ici comme étant la meilleure situation à laquelle peut parvenir l’unité de production en augmentant proportionnellement la quantité de tous ses facteurs. L’efficacité technique pure, quant à elle, renseigne sur la manière dont les ressources de l'unité de production sont gérées (L. LATRUFFE 2010, p. 10 ; S. BLANCARD et al., 2013, p. 63). Dans le cas des rendements d’échelle constants, on suppose qu’une augmentation dans la quantité d’inputs consommés mènerait à une augmentation proportionnelle dans la quantité d’outputs de produits. Dans le cas des rendements d’échelle variables (croissants ou décroissants), en revanche, la quantité d’outputs produits est considérée pour augmenter proportionnellement les inputs (Figure 3).

Sur la figure 3, l’exploitation A est techniquement inefficace par rapport à l’exploitation B, qui correspond à la taille optimale, étant donné qu’il est possible de produire la même quantité d’outputs avec moins d’intrants. L’inefficacité technique pure correspond au rapport XA’/ XA et l’inefficacité d’échelle est mesurée par le rapport XA’’/ XA’. Le produit de ces deux inefficacités correspond à l’inefficacité technique total au point A, et se mesure par le rapport XA’’/ XA.

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2. Résultats

2.1. Des fermes piscicoles techniquement inefficaces

Dans le cadre de cette étude, quatre inputs ont été retenus. Il s’agit de l’aliment à poisson, de l’alevin, de l’eau et de la superficie de l’infrastructure piscicole. Pour ce qui est des outputs, la quantité de poissons et le poids de poissons produits sont retenus. L’analyse des données est orientée essentiellement vers les inputs[1] et vise à montrer de combien les pisciculteurs peuvent réduire le gâchis des inputs tout en conservant les mêmes quantités et qualités d’outputs obtenus. En considérant que nous disposons de n Unités Décisionnelles (DMUj= 1,2,……, n) qui utilisent (m) input xiy(i=1,2,……,m) pour produire (s) d’outputs yrj (r =1,2,……,s). Le yrj est l’output (r) de l’Unité Décisionnelle j et xiy représente l’input (i) de l’Unité Décisionnel j (A. Charnes ; W. Cooper & E. Rhodes, 1978). L’estimation de l’efficience des fermes est obtenue par la formule suivante.

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Les variables xi et ur sont des vecteurs contenant des pondérations affectées respectivement à l’ensemble des quantités d’outputs et d’inputs. L’efficacité relative hjo d’une unité de production jo est définie comme le ratio de la somme pondérée des outputs rapportée à la somme pondérée des inputs.

La collecte des données concerne les huit  préfectures de la Région Maritime et ont porté sur deux cycles de production. Le tableau 2 présente le volume de production par fermes piscicoles et par zone sur une année.

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L’analyse du tableau 2 montre que les fermes piscicoles de la Région Maritime se concentrent plus dans deux préfectures notamment les préfectures des Lacs et du Zio. Elles représentent 54% des fermes fonctionnelles échantillonnées. Elles sont suivies par les fermes des préfectures de l’Avé (16%), du Vo (11%), du Golfe (6%), d’Agoé-Nyivé (5%), du Bas-Mono (4%) et de Yoto (4%). Les données recueillies proviennent de l’enquête de terrain réalisée sur la base d’un questionnaire structuré. Les variables retenues pour l’analyse sont consignées dans le tableau 3.

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La lecture du tableau 3 montre une description statistique des variables utilisées dans la présente étude. Quatre inputs et deux outputs sont utilisés pour analyser l’efficience des ressources et l’efficacité technique. L’aliment est considéré comme l’input essentiel dans l’élevage de poissons. Il représente environ 60% des charges totales du coût de la production. L’aliment concerne les granulés conventionnels importés, les aliments autoproduits à partir de sous-produits agricoles tels que la farine de poisson, le son de riz, le tourteau de coton, le son de blé, le maïs, le coprah, etc., et les sous-produits agricoles donnés en alimentation aux poissons sans aucune transformation au préalable. Sur l’ensemble des fermes enquêtées, 34,2% utilisent l’aliment conventionnel, 36% se servent des aliments fabriqués ou produits à partir des sous-produits agricoles, 10,5% utilisent des sous-produits agricoles sans aucune transformation et enfin 19,3% font une combinaison de ces trois types d’aliments.

L’alevin est un intrant de base de la production piscicole. Il concerne spécifiquement les espèces de poissons produites dans le milieu d’investigation (mesuré en g). Il s’agit des tilapias Oreochromis niloticus, des Clarias gariepinus et des Heterotis niloticus produits faiblement dans certaines fermes dont la ferme source du Mono et la ferme Main de Dieu. L’infrastructure de production représente la superficie totale des infrastructures piscicoles exploitées par les pisciculteurs. Il peut s’agir soit des étangs, des cages flottantes, des bacs hors sol ou bassins (bacs en ciment ou en plastique), des enclos ou même d’un ensemble composite de ces infrastructures piscicoles. L’unité de mesure de la superficie des infrastructures est le mètre carré (m2). La variable eau indique la quantité d’eau utilisée par les pisciculteurs dans les infrastructures piscicoles. Il s’agit de la quantité d’eau utilisée pour le renouvellement des eaux usées dans les infrastructures pendant deux cycles de production (mesurée en m3).

Les deux outputs sont la quantité de poissons produite (mesurée en kg) et le poids moyen des poissons (mesurée en g). La production de poissons dans la zone étudiée concerne les espèces suivantes : le tilapia Oreochromis niloticus, les Clarias gariepinus et les Heterotis niloticus qui représentent respectivement : 86,5%, 11,5%, et moins de 2% de la production totale. Le  tilapia représente l’espèce la plus produite à cause de sa large valence écologique de même qu’une souplesse d’adaptation à des écosystèmes extrêmement variés.

Le tableau 3 détaille également les coûts des inputs et le prix de vente des poissons (prix du kg) qui permettent d’analyser l’efficacité économique. Les coûts concernent : les aliments, les alevins, la main d’œuvre, les équipements et les coûts divers. Les coûts et le prix sont exprimés en F CFA. Le coût des équipements comprend les coûts de construction des infrastructures piscicoles, le coût des filets (sennes) et les coûts des accessoires utilisés dans  les fermes tels que la balance, la brouette, les réactifs de l’analyse de l’eau, etc. Les coûts divers inclus les dépenses en transport, en énergie, etc. Les résultats de l’analyse sont consignés dans la figure 4.

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La figure 4 montre les scores d’efficacité technique totale des différentes préfectures du milieu d’investigation. Il ressort de l’analyse de la figure 4 qu’aucune des fermes des huit préfectures de la Région Maritime n’est techniquement efficace. Elles ont toutes des scores d’efficacité inférieure à 1. Les scores d’efficacité oscillent entre 0,28 et 0,57 et vont de la préfecture du Bas-Mono à la préfecture de l’Avé avec respectivement 0,40 pour la préfecture du Golfe et Yoto, 0,43 pour Zio, 0,44 pour Vo, 0,51 pour les Lacs et 0,55 pour Agoé-Nyivé. Cependant, les valeurs maximales régionales d’efficacité technique montrent qu’il y existe également des producteurs très performants car étant proches de la frontière de production (seulement 37,5% des préfectures ont des scores moyens supérieurs à la moyenne régionale évaluée à 47,1%). Ces producteurs qui obtiennent une telle productivité peuvent servir de référence pour améliorer de façon optimale la productivité de la zone. La moyenne des indices de l’efficacité la plus élevée se trouve être dans la préfecture de l’Avé. Toutefois, il est à relever que ces résultats cachent les disparités réelles des fermes observées sur le terrain. Une analyse plus approfondie montre qu’il existe tout de même des fermes piscicoles techniquement efficaces dans le milieu d’investigation. Afin de mieux appréhender les écarts d’efficacité technique entre les fermes piscicoles, elles ont été regroupées par classe (Figure 5).

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L’analyse des données de la figure 5 montre la distribution des indices d’efficacité technique des fermes piscicoles. Les fermes étudiées ont en moyenne un score d’efficacité technique inférieure à 50%, quel que soit le modèle de rendement d’échelle (constant ou variable). Plus du tiers (1/3) des unités enquêtées, soit 42,1% des fermes piscicoles ont un score d’efficacité technique compris entre 20% et 40% ; et 58,9% ont un score d’efficacité supérieur ou égal à la moyenne. Au total, plus de 90,8% des producteurs du milieu d’étude sont loin de la frontière de production. Elles sont VRS[1] et CRS[2] inefficaces, c’est-à-dire aucune ferme d’entre elles n’est ni située sur la frontière VRS ni sur la frontière CRS. Elles évoluent dans une situation de rendement d’échelle décroissante. L’écart observé entre les frontières (CRS et VRS) s’explique par une inefficacité d’échelle due à une gestion perfectible d’une part et à une taille non optimale d’autre part. La moyenne de l’efficacité technique totale (ETT) des fermes du milieu d’étude est évaluée à 47,1% ; ce qui traduit que si les fermes piscicoles du milieu d’investigation avaient la possibilité de s’aligner sur la frontière de production, les gains potentiels de productivité à obtenir seraient de l’ordre de 52,9%. On peut ainsi admettre que dans l’ensemble, les fermes de la Région Maritime sont techniquement inefficaces. Ce résultat est d’autant vrai dans la mesure où, on note un écart important entre le score minimal (20,1%) et le score maximal (82,9%). Estimé à 62,8% de la valeur absolue des scores d’efficacité extrêmes (82,9%-20,1%) ; cet écart représente 75,8% de l’efficacité maximale. Il traduit la proportion de la valeur des ressources gaspillées par l’exploitation piscicole la moins efficace. Dans les mêmes conditions, l’exploitation moyenne peut valoriser 43,2% de ses ressources, si elle voudrait atteindre le niveau de la ferme la plus techniquement efficace. Cette catégorie de ferme présente non seulement un problème de productivité, mais aussi celui de la mauvaise gestion. Ces gaspillages sont plus élevés lorsque le producteur vise à atteindre un niveau maximum de production. D’une manière générale, si les pisciculteurs conservaient leurs taux de production (poisson) en visant en même temps à optimiser les excès de ressources (aliments, alevins, eaux et infrastructures exploitées), ils auraient pu économiser 50,8% des inputs. Et en ajustant sur la taille de la productivité des fermes piscicoles, ils auraient pu réduire de 47,4% la consommation des inputs.

Il existe une seconde catégorie de ferme. Ce sont des fermes piscicoles situées sur la frontière VRS mais pas sur la frontière CRS. Elles représentent 15,8% de l’échantillon des fermes concernées par l’étude. L’inefficacité de ces fermes piscicoles est due à une taille non optimale et évoluant dans une situation d’échelle croissante. Leur score d’efficience technique pure est égal à 1 et une efficacité d’échelle moyenne inferieure à 1 soit 77,4%. Cela sous-entend qu’aucune paire de référence n’est identifiée bien même qu’on note une bonne gestion au niveau de ces fermes. Les valeurs originales sont égales aux valeurs projetées. Par ricochet, la marge d’amélioration se situe au niveau de l’ajustement de taille. En agissant sur cette dernière, ils peuvent économiser jusqu’à 22,6% des inputs de production. Douze fermes piscicoles du milieu d’étude se situent dans cette tranche. Il s’agit de la ferme piscicole MAWI Sarl de Agoé-Téléssou, City-galley et Man-Togo de Bagbé, Agro-pastorale de Vogankopé,  Houessou d’Agbodrafo, Aroa de d’Aného-Sigbéhoué, Tilaporc de Aného-Abatamé, Lawson Body de Assoukondji, Lofty-Farm de Kpéssi,  Rehobothe de Vogan et les fermes Agrifarm et Main de Dieu de Kovie.

Indépendamment de ces deux catégories de fermes, subsistent également une dernière catégorie. Il s’agit des fermes dont l’efficacité d’échelle constante et variable est égale à 1. Elles représentent 9,2% des fermes concernées par l’étude et sont identifiées comme les paires de référence. Cette catégorie de ferme piscicole se compose essentiellement de fermes telles que la ferme piscicole City-galley et Man-Togo de Bagbé, la ferme Agro-pastorale de Vogankopé, la ferme Lawson Body de Assoukondji, la ferme Lofty-Farm de Kpéssi, la ferme Rehobothe de Vogan et la ferme Main de Dieu de Kovié.

3. Discussion

A la lumière des analyses sur l’efficacité technique des fermes piscicoles, il est à retenir que les fermes piscicoles de la Région Maritime sont inefficaces techniquement dans leur ensemble. Ce niveau d’efficacité technique (47,1 %) des fermes est comparable à celui observé au Benin par C. V. NOUMONVI  (2017, p.42) dans la commune de Sô-Ava et de Sèmè-Podji, C. S. KPENAVOUN et al. (2017, p.7) et A. SIKIROUA (2012, p.12) qui évaluent respectivement la performance technique à 49%, 46% et 52,58 %. Tout comme dans la Région Maritime et au Benin, les fermes piscicoles de la Côte d’Ivoire sont techniquement inefficaces mais évoluent dans une situation de rendement d’échelle constante, soit 57,5% de scores d’efficacité technique (C. ABOUA, 2016, p.12). Néanmoins, il existe des études qui ont révélé des niveaux d’efficacité des pisciculteurs plus élevés. Les études réalisées par K. OGUNDARI et al. (2010, p. 20) dans l’Etat d’Oyo au Nigéria, I. M. SULUMBE et al. (2014, p. 13) dans la métropole de Maiduguri au Nigeria et A. ILIYSU et al. (2015, p. 10 dans la péninsule Malaisienne ont révélé que le niveau moyen d’efficacité technique des pisciculteurs est respectivement de 79%, 84% et 80%.

Les études indiquent que les producteurs en général ne se situent pas du moins dans leur majorité sur les frontières de production et du coût. Ils opèrent en deçà de leur capacité de production potentielle (E. NUAMA, 2006, p. 48  et J. KEANE et al., 2009, p. 13). Il est clair que cette inefficacité pourrait être corrigée par la mise en place de politiques efficaces. Il existe cependant une relation positive entre l’efficacité technique et l’efficacité économique des fermes piscicoles.

Conclusion

A l’issue des analyses, il ressort que les fermes piscicoles du milieu d’investigation sont toutes inefficaces techniquement. Cela se perçoit à travers la faible productivité enregistrée dans le sous-secteur depuis son introduction et malgré les multiples actions entreprises par le ministère en charge. Il existe à cet effet, des réserves de productivité à valoriser pour augmenter la part de la production de poissons en raréfaction et pour accroître des retombées économiques des acteurs à tous les maillons de la filière. La ferme techniquement efficace peut épargner jusqu’à 75,8% de ses inputs contre 43,2% pour la ferme techniquement moyenne ; si elles font des investissements nécessaires. Pour une aquaculture productive et durable, il est nécessaire que les pisciculteurs utilisent à bon escient les ressources essentielles de production (aliment, alevin, eau et infrastructure de production) et adoptent de bonnes pratiques de production, afin d’améliorer la productivité et la production piscicole. Un bon encadrement technique des producteurs suffirait pour accroître le rendement à partir du niveau actuel des intrants utilisés. Dès lors, la connaissance des facteurs déterminants le niveau de productivité devient nécessaire pour une mise sur pied de politique durable d’amélioration et permet de fournir d’amples informations tant pour les exploitants que pour les décideurs publics.

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Auteurs

1Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des Sociétés (LARDYMES), Département de Géographie, Université de Lomé (Togo), mimagoua@yahoo.fr

2Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des Sociétés (LARDYMES), Département de Géographie, Université de Lomé (Togo), fiagan1983@gmail.com

 

 

[1]  Le modèle VRS se définit comme variable returns to scale en anglais et rendement d’échelle variable en français.

[2] Le modèle CRS se définit comme constant returns to scale en anglais et rendement d’échelle constante en français.




Catégorie de publications

Date de parution
30 sep 2020