Acteurs du secteur informel et développement de Gadouan (Centre-ouest de la Côte d’Ivoire)

Résumé

Dans la localité de Gadouan, comme dans l’ensemble du monde rural ivoirien, les activités informelles s’imposent davantage pour garantir sa survie ou un revenu complémentaire aux populations. Deux effets se conjuguent pour expliquer l’émergence de ces activités exercées par les ruraux. D’une part, le manque croissant de terres cultivables entraînant le chômage des populations. D’autre part, le faible coût de l’économie de plantation censée garantir une ressource financière stable aux paysans. Comment ces activités informelles contribuent-elles au développement de ce territoire rural et le structurent ? La réflexion proposée s’appuie sur une enquête de terrain menée auprès de 289 acteurs permanents exerçant des activités informelles dans les rues et espaces ouverts. Elle vise à analyser la contribution des acteurs du secteur informel au développement socioéconomique de Gadouan. Nos résultats révèlent que les acteurs impliqués dans l’économie informelle sont d’origine diverses et exercent dans quatre grandes catégories d’activités informelles : échange, production, service et art. Les déterminants à l’origine de la prolifération de ces activités sont d’ordres socioéconomiques, culturels, institutionnels et sociodémographiques. L’étude atteste aussi que le secteur informel est très dynamique dans la localité de Gadouan, car il y contribue à son développement socioéconomique et spatial, à travers la création d’emplois et les investissements réalisés par les acteurs.

Abstract

In the locality of Gadouan, as in the whole of the Ivorian rural world, informal activities are more essential to guarantee its survival or an additional income for the populations. Two effects combine to explain the emergence of these activities carried out by rural people. On the one hand, the growing lack of cultivable land leading to unemployment of the populations. On the other hand, the low cost of the plantation economy supposed to guarantee a stable financial resource to the peasants. How do these informal activities contribute to the development of this rural territory and structure it? The proposed reflection is based on a field survey conducted with 289 permanent actors carrying out informal activities in the streets and open spaces. It aims to analyze the contribution of actors in the informal sector to the socio-economic development of Gadouan. Our results reveal that the actors involved in the informal economy are of diverse origins and exercise in four main categories of informal activities: exchange, production, service and art. The determinants behind the proliferation of these activities are socio-economic, cultural, institutional and socio-demographic. The study also attests that the informal sector is very dynamic in the locality of Gadouan, because it contributes to its socioeconomic and spatial development, through the creation of jobs and the investments made by the actors.

Introduction

En Côte d'Ivoire, le milieu rural est davantage caractérisé par une raréfaction de terres cultivables et une baisse des coûts des cultures de rente. Cette situation conditionne la dynamique socioéconomique du milieu rural en favorisant l’émergence d'activités relevant du secteur informel. L'activité agricole, n’est plus de fait, la seule occupation de la population rurale. La localité de Gadouan, située dans la région du Haut-Sassandra, dans le Centre-ouest de la Côte d'Ivoire illustre bien ce fait. En effet, cette dernière qui porte bien les stigmates de la non disponibilité des terres cultivables et de la baisse des coûts de l’économie de plantation, les pratiques des activités informelles foisonnent. Ainsi, le développement des activités informelles relève de stratégies mobilisant les réseaux sociaux, le savoir-faire populaire comme ressources. Bien que relevant de l’informel, ces activités s’insèrent dans les mutations rurales et relancent la problématique des transformations des systèmes socio-économiques ruraux. Dans ce contexte, l’activité informelle semble être un enjeu économique majeur dans la mesure où elle est une source considérable de revenu et une plateforme non moins importante pour l’emploi dans la localité de Gadouan. Ainsi, la présente étude vise à analyser la contribution des acteurs du secteur informel au développement socioéconomique de Gadouan. Il s’agit d’abord d’identifier les principaux acteurs des activités informelles et leur typologie. Ensuite, dégager les facteurs de l’émergence de ces activités et enfin montrer la contribution des acteurs du secteur informel dans le développement de la localité de Gadouan.

1.Matériels et Méthodes

Un bilan critique de l’état de la recherche sur le développement de l’économie informelle dans le milieu rural africain constitue le point de départ de notre réflexion. Nous nous questionnons sur les apports et les limites de ces travaux, à la lumière du présent contexte économique, social et politique, et de la coexistence de flux d’immigration toujours soutenus avec un mouvement d’exode urbain de plus en plus affirmé. Ensuite, une enquête a été menée sur une période de quatre jours (du 04 au 08 février 2019) au sein des rues, des espaces ouverts (marchés et gares routières) de Gadouan (figure 1) qui abritent les acteurs permanents du secteur informel.

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Au total, ce sont 289 acteurs informels permanents trouvés sur leurs lieux de travail qui ont été interrogés par questionnaire dans quinze quartiers de Gadouan : Antenne (12), Baoulé (06), Commerce (29), Dioulabougou (07), Dispensaire (10), Fadjandougou (04), Gare (14), Gendarmerie (04), Hôpital (16), Marché (72), Mossibougou (39), Sous-préfecture (28), Sans-loi (02), Scierie (25) et Tagro (21). Ces enquêtés ont été regroupés selon quatre catégories d’activités (art, échange, production et service), en fonction des activités informelles identifiées localement. Les observations participantes sur le terrain nous ont permis de nous rendre compte des conditions de travail des acteurs informels, de la diversité et de la taille de leurs activités ainsi que leurs investissements réalisés. Des échanges ont été ensuite effectués avec les autorités coutumières et administratives (chef central et le sous-préfet) à l’effet de connaître les facteurs qui ont favorisés le développement des activités informelles dans ce milieu rural. Ces investigations ont permis de construire une base de données structurée autour du profil sociodémographique des acteurs, des raisons de leur choix, des sources de financement de leurs activités, des revenus tirés et des investissements réalisés. Le traitement statistique des données collectées a été effectué grâce au logiciel Excel. Les différents résultats obtenus ont permis de concevoir une série de graphiques ou de tableaux utile pour l’analyse descriptive et l’interprétation des phénomènes à mettre en évidence. Le logiciel QGIS 3.4.4. (Madeira) a permis de réaliser la carte de localisation de la zone d’étude.

2. Résultats

2. 1. Acteurs et typologie des activités informelles développées à Gadouan

Les activités informelles à Gadouan se déploient à partir de réseaux marchands différenciés par nationalités et structurés avec le temps. Ainsi, sur la base d'échanges entre localité, les acteurs des différentes nationalités s'insèrent dans un cadre communautaire de référence. Les  résultats montrent aussi une xénophilie de la localité de Gadouan avec près de 45 % d’étrangers exerçants des activités informelles contre 55 % d’ivoiriens composés de Bété et d’allochtones Baoulé, Malinké et Gouro. Quant aux étrangers, les burkinabés avec 29 % constituent à eux seuls plus de la moitié des acteurs informels étrangers. Ils devancent de loin les béninois avec 5 %, les maliens (4 %), les guinéens (4 %) et plus marginalement les nigérians avec 3 % (figure 2).

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Cette tendance s’explique par la trajectoire migratoire des burkinabés dans les zones forestières avec leur apport dans le développement de l’économie de plantation qui constituait un bassin d’emplois. Suite aux différentes crises liées à la baisse du coût des matières premières et aux différentes mutations dans les zones rurales de moins en moins agricoles, les métiers de la terre sont secondaires dans la décomposition/recomposition des espaces ruraux. Dans une localité comme Gadouan, la dynamique rurale s’accompagne d’une diversité d’activités informelles non agricoles. En effet, les résultats montrent quatre grandes catégories d’activités (tableau 1) : art, production, échange et services. L’activité de service qui referme la restauration populaire (maquis, allocodrôme, kiosque), la mécanique, reste l’activité la plus dominante avec 53%, suivi de l’échange avec 22%. Ces deux activités semblent avoir la préférence de ceux qui se lancent dans l’activité informelle car elles sont faciles d’accès et ne nécessitent aucune formation préalable. Ensuite, nous avons les activités informelles qui demandent un apprentissage plus ou moins long tels que la production à 16% constituée de l’élevage et de la menuiserie de l’artisanat à 9% qui se composent de la couture et de la coiffure.

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L’enjeu du développement des activités informelles à Gadouan ne peut être expliqué sans la prise en compte des raisons profondes qui sous-tendent son émergence.

2.2. Les facteurs de l’essor de l’économie informelle dans la localité de Gadouan

A Gadouan, les raisons de l’émergence du secteur informel, sont d’ordres socioéconomiques, culturels, institutionnels et sociodémographiques.

2.2.1. Les facteurs socioéconomiques, culturels et institutionnels

Les principaux problèmes agricoles observés dans la localité de Gadouan résultent à 50 % de l’appauvrissement des sols dû à l’utilisation des produits phytosanitaires (herbicides, fongicides, insecticides, acaricides…), à 30 % de la chute des coûts des cultures de rente liée à la baisse des productions et à 20 % des bouleversements des calendriers agricoles engendrés par le changement climatique. Ces difficultés qui pèsent sur le fonctionnement normal de l’activité agricole dans la localité ont engendré une certaine précarité économique chez 80 % des agriculteurs ivoiriens qui éprouvent de plus en plus de difficultés à se prendre en charge et à subvenir aux charges familiales. Ces paysans sont donc démunis. Ils sont sans formation et sans autres ressources, ni capitaux propres pour accéder au système institutionnel de crédit et de financement. De ce fait, 75 % des paysans enquêtés exercent désormais parallèlement à l’activité agricole, une activité informelle qui leur procure des revenus complémentaires non négligeables pour une meilleure satisfaction. A Gadouan, la présence des 158 ivoiriens enquêtés dans le secteur informel est aussi liée au genre et à la classe sociale. En effet, dans cette localité rurale, l’agriculture reste une activité quasi masculine, ce qui en l’occurrence atteste bien leur emprise sur l’économie. Cette situation leur confère un certain complexe de supériorité dans la sphère sociale et incite aussi les femmes, à s’orienter davantage vers l’exercice de l’activité informelle (103 femmes pour 55 hommes).  Par ailleurs, comme autre raison de la propension de l’informel, l’enquête a montré que 85 % des paysans enquêtés éprouvent des difficultés à acheminer leurs produits vers le département de Daloa à cause du manque d’entretien des infrastructures routières. Aussi, la combinaison d’une précarité économique associée à l’inaction des autorités locales, sont autant de raisons qui expliquent le recours de ces paysans aux activités informelles.

2.2.2. Les facteurs sociodémographiques

En 2014, la sous-préfecture de Gadouan a atteint 57 470 habitants, dont 31 762 hommes et 25 708 femmes (INS, 2014). Cette croissance démographique est induite par l’augmentation des naissances et l’immigration étrangère. En effet,  95 % des étrangers y ont immigré pour travailler dans l’économie de plantation (Enquêtes, 2019). Cependant, l’essoufflement de cette économie a engendré de nouvelles dynamiques remettant en cause, les raisons profondes de la présence étrangère. A Gadouan, le travail agricole définissait l’étranger. Cependant, son insertion progressive dans le secteur informel va remettre en question l’image du travailleur étranger et aboutir à une revalorisation de sa position. Ainsi, la parabole de l’étranger « ouvrier spécialisé » dans l’agriculture tend à y perdre de son fondement. Désormais, ces populations de nationalité burkinabè en majorité, se sont quasiment reparties dans plusieurs activités informelles (artisans, commerçants, producteurs, services). Il va sans dire que l’activité informelle étrangère varie d’une nationalité à l’autre et spécialement d’un sexe à l’autre. Le taux d’activité élevé (presque 95 %) constaté chez les étrangers au cours de l’enquête, semble indiquer que l’immigration à Gadouan est surtout une immigration de travail. Par ailleurs, puisque la ville de Daloa connaît une crise économique, l’exode urbain vers la localité de Gadouan devient de plus en plus important. Aussi, en raison de l’arrivée massive des classes jeunes sur le marché du travail, et des crises politiques et économiques, il y a un chômage plus élevé. Pour ce faire, Gadouan s’est constituée comme un énorme réservoir de main-d’œuvre rapidement mobilisable et jeune. Tous ces indices convergent vers une précarisation sociale des jeunes autochtones au regard des étrangers, ce qui explique également l’émergence de l’informel dans la localité. Cette activité bien que nouvelle dans ce paysage rural, contribue de manière significative au développement local et participe inéluctablement à une reconfiguration socioéconomique et spatiale de Gadouan.                               

3. Rôle des acteurs de l’informel dans le développement de la localité de Gadouan

A Gadouan, les acteurs du secteur informel participent au développement socioéconomique de  localité en créant des emplois et en s’acquittant des taxes communales.

3.1. Emplois et économies provenant des activités du secteur informel

Gadouan est une localité rurale où le secteur informel joue un rôle socioéconomique important. En dehors de l’agriculture qui représente l’activité économique de base, l’activité informelle offre des possibilités d’emplois pour les personnes ne disposant pas de parcelles agricoles. 53 % des acteurs pratiquent l’activité de service tandis que 22 %, 16 % et 09 % d’entre eux exercent respectivement les activités d’échange, de production et d’art (tableau 2).

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La prédominance de l’emploi dans le service s’explique par le fait que les populations préfèrent investir dans les activités plus rentables (restauration populaire, réparation de véhicules et le transport de personnes et de marchandises). Les activités d’échange, de production et d’art parviennent elles aussi à créer des emplois car leurs mises en place ne nécessitent pas un capital d’investissement important (5 000 à 40 000 francs cfa) en moyenne selon l’activité). Tous ces emplois créés par le secteur informel contribuent à lutter contre le chômage, la pauvreté et permettent d’avoir des revenus.

Le tableau 3 présente les économies réalisées par les acteurs informels en fonction de la catégorie d’activités exercées. Ces économies réalisées par les acteurs varient de 3000 à 300 000 francs cfa par mois.

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L’économie moyenne mensuelle des acteurs est de 50 000 francs cfa. On observe une économie relativement forte au niveau des acteurs de l’activité de service (90 000 à 300 000 francs cfa /mois). Par contre, ceux de l’échange, de la production et de l’art économisent entre 30 000 francs cfa et 85 000 francs cfa /mois. Une partie des économies ainsi réalisées permet de subvenir aux besoins primaires des ménages (soin, nourriture, scolarité, vêtements). Après avoir assuré les charges familiales, ils réinjectent l’autre partie des fonds dans l’activité existante afin de l’accroître et améliorer le chiffre d’affaire ou investissent dans la construction immobilière.

3.2. Taxes communales et investissements comme moteurs de développement local

Les activités informelles rapportent des ressources financières à la localité de Gadouan, à travers les taxes payées par les acteurs. Le tableau 4, présente en fonction des activités exercées, les taxes mensuelles payées sous forme d’impôts à la sous-préfecture.

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Les personnes qui exercent dans le service payent 2000 francs cfa /mois, tandis que ceux de la production, de l’échange et de l’art, s’acquittent d’une somme de 1 500 francs cfa /mois car ces activités sont de tailles plus réduites. En plus de contribuer au développement de l’économie locale, certains acteurs investissent dans la construction d’habitats modernes ou de locaux qu’ils mettent en location. Un propriétaire de maquis et restaurant enquêté au quartier Antenne révélait avoir construit en 7 ans son habitat (photo 1a). Quant au mécanicien interrogé au quartier Commerce, il déclare avoir réalisé ses magasins en 3 ans (photo 1b).

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D’autres acteurs informels investissent dans le secteur du transport à travers les achats de motocyclettes et de tricycles. Ces engins permettent d’assurer le transport des personnes et des biens (produits de rente et de vivriers) entre Gadouan et les localités environnantes (Gonaté, Saïoua, Zaguiéta, Daloa). Cette activité de transport se déroule essentiellement au quartier Gare.

Au total, 63 % des acteurs ont réalisé des investissements dans la localité de Gadouan. Ces réalisations ont contribué à la dynamique socioéconomique et à la réorganisation spatiale de la localité. Au plan socioculturel, ce secteur d’activités regroupe des acteurs venant d’horizons divers, créant ainsi un brassage qui fait de Gadouan une localité cosmopolite.

3. Discussion

Communauté d’appartenance et caractéristiques de l’informel

Les activités informelles à Gadouan, s’inscrivent dans les réseaux sociaux et communautaires qui constituent l’un des déterminants essentiels de la réussite de sa pratique. En effet, le flux migratoire influence considérablement le stock total de la main-d’œuvre du secteur informel non agricole. Ce dernier s’offre comme une forme d’autonomisation face à la précarisation de leurs conditions de vie et n’est plus perçu comme une simple réaction au manque de terres cultivables et aux faibles coûts de l’économie de plantation. J.S. EADES (1980, p. 227), le souligne bien dans ces travaux à travers l’exemple de la diaspora Yoruba.  Celle-ci s’est installée en Afrique de l’ouest au XXe siècle grâce au système de marché rural et au commerce de longue distance. Il montre qu’en Côte d’Ivoire, les grandes plantations et les projets miniers créaient pour ces migrants des opportunités de devenir ouvriers et commerçants. Par conséquent, l’entrepreneuriale dans l’informel en zone rurale et l’appartenance communautaire peuvent ainsi être indispensables pour accéder à certaines activités informelles comme en Inde à travers le rôle des castes (J-P. BERROU, 2014, p.236). Par ailleurs, les sphères d’activités qui se développent le plus à Gadouan sont les commerces de proximité tels que l’alimentation et la téléphonie qui procurent un revenu substantiel. Ce sont des activités familiales dans lesquelles les membres de la famille constituent une main d’œuvre non rémunérée. En ce qui concerne le service et à l’artisanat, ils nécessiteraient un capital de départ assez important. Toutefois, les caractéristiques des activités informelles de la localité de Gadouan revêtent un caractère urbain. Pour E. BAUMANN (2015, p. 229), ce caractère urbain des activités recensées provient de la faible interpénétration entre milieux agricoles et non agricoles. Il reflète la fonction de pivot joué par le centre rural, pivot entre la ville et la campagne, la courroie de transmission étant justement l'économie informelle. Cette dernière permet aux populations rurales de satisfaire des besoins engendrés par un contexte socio-économique moderne, et de vivre ainsi la transition vers un mode de vie plus urbain, et ceci, compte tenu des moyens limités en milieu agricole. Ces spécificités des activités informelles rurales non agricoles pourraient constituer une alternative à la chute de l’activité.

 Émergence du secteur informel, une alternative à la chute de l’activité agricole ?

Bien que l’agriculture reste la principale activité en milieu rural dans les pays en développement, l’économie informelle y connait aujourd’hui un essor assez remarquable (FOUOKING, 2009, p.70). Cette situation a participé à la reconfiguration du modèle socioéconomique de plusieurs paysages ruraux africains (STECK, 2007, p.73.). A Gadouan, le secteur informel apparait pour les paysans comme une alternative à la culture agricole qui connait un déclin progressif. La justification des actions en faveur de l’émergence du secteur informel se situe aussi au niveau de l’emploi. En réalité, si l’émergence de l’économie informelle dans le monde agricole est perçue comme un nouveau trait marquant de l’espace rural, les travaux des chercheurs sur la question ont montré que plusieurs facteurs sont à la base de cette mutation et amènent à penser que cette nouvelle tendance s’inscrit dans le long terme. Comme à Gadouan, dans les agglomérations rurales de la zone cacaoyère de SAA, au Sud-ouest du Cameroun, les faibles productivités des cultures agricoles ont poussé les populations paysannes à s’engager progressivement dans les services informels (E. BAUMANN, 2015, p.235). Ainsi, ces travaux confirment, les effets des profils socioéconomiques constatés dans le développement de l’activité informelle à Gadouan. Au niveau institutionnel, E. LAVALLEE et F. ROUBAUD (2012, p.147), pensent que le développement du secteur informel concerne tous les milieux ruraux en Afrique de l’Ouest. Selon ces auteurs, les différentes raisons qui expliquent l’émergence de ce phénomène sont identiques dans presque tous les paysages ruraux. Cependant, dans certaines campagnes, l’activité informelle est annoncée de plus en plus non pas comme une alternative, mais comme le résultat d'une dynamique migratoire et de l'organisation sociale de ces espaces. Ainsi, les travaux de A. N’DIAYE (2013, p.64), ont montré le rôle incontournable de l’informelle dans la politique d’autonomisation des femmes dans les espaces ruraux sénégalais. La compréhension de cette activité en milieu rural nécessite une prise en compte de sa contribution réelle dans le développement local.

- L’informel, une contribution dans le développement socioéconomique

La contribution du secteur informel dans le développement socio-économique de la localité de Gadouan s’apprécie à travers les emplois générés, la diversité des activités et des acteurs, les investissements réalisés et la restructuration du paysage local. En ce qui concerne les emplois, le secteur informel constitue le point de chute de la main d’œuvre locale pour les personnes ne disposant pas de terres cultivables. Il permet à plusieurs individus d’avoir non seulement des revenus, mais surtout d’être à l’abri de l’oisiveté. Ainsi, F. AKINDES (1990, p. 252) démontre que la plupart des gens laissés à leur propre sort notamment, les femmes analphabètes et les jeunes déscolarisés s’orientent dans l’informelle pour en faire une activité, voire un métier dans la vie. C’est cette situation qui explique un grand intérêt des jeunes de Gadouan pour ce secteur d’activité, qui ne demande pas nécessairement un grand capital d’investissement. L’acteur peut s’engager selon ses propres moyens dans l’activité de son choix. Les revenus tirés de cette activité lui permettent de se prendre en charge. Comme l’indique l’Organisation Internationale du Travail (2013, p. 95), ce secteur d’activités joue un rôle important dans la création d’emplois et de revenus dans les pays en développement. Toutefois, F. VALOUA (2015, p. 283) montre que du fait de l’irrégularité et de l’instabilité des revenus, ils assureraient difficilement la survie des acteurs de l’informel. Ces auteurs ont donc véritablement besoins de formations, d’encadrements et d’aides financières.

Conclusion

Le secteur informel connait un essor à Gadouan dont le paysage est à dominance rural. L’insertion des populations dans les activités informelles s’est faite de façon progressive dans un environnement marqué par un changement des calendriers agricoles, une chute des coûts des produits de rente, une raréfaction de terres cultivables pour les migrants et les jeunes autochtones sans emplois. Ce secteur informel est caractérisé par une diversité d’acteurs, classifiés en quatre catégories d’activités : l’art, la production, l’échange et le service. Plusieurs facteurs ont favorisé l’envol de ce secteur, mais les plus importants sont d’ordres socioéconomiques, culturels, institutionnels et sociodémographiques. A Gadouan, l’économie informelle contribue au développement, en termes d’emplois créés, d’économies réalisées, d’investissements dans l’immobilier et le transport qui ont favorisé l’extension spatiale et la restructuration du paysage local. Une reconsidération du secteur informel, par la mise en place des conditions adéquates permettraient d’assurer un équilibre social, économique et environnemental durable.

Références bibliographiques

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Auteurs

1Maître-Assistant, Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa, Côte d’Ivoire), Chercheur associé : MIGRINTER (CNRS, Poitiers, France) & LASSO (UAO, Bouaké, CI), fgohourou@yahoo.com

2Maître-Assistant, Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa, Côte d’Ivoire) , arnaudkkm@yahoo.fr

3Maître-Assistant, Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa, Côte d’Ivoire) quonanchristian@yahoo.fr

 

 

 

Catégorie de publications

Date de parution
30 juin 2020